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dimanche 20 août 2023

« Stratégie de l’effacement. Un projet photographique de Lydie Turco »

Le Musée de la Résistance de Bondues propose, de nouveau dès le 27 août 2023, l’exposition « Stratégie de l’effacement. Un projet photographique de Lydie Turco » composé de dix lieux (Lugares, en espagnol), et dix portraits de familles (Familias), accompagnés de lettres sur la Retirada, exode de centaines de milliers d'Espagnols en 1939, à la fin de la Guerre civile, en France où ils ont été internés dans des camps.


Le mot « Retirada » (« retraite (des troupes) ») désigne l'exode des réfugiés espagnols de la guerre civile (17 juillet 1936-1er avril 1939). Dès février 1939, plus de 450 000 républicains, civils et militaires, affligés par la victoire du général Franco et la fin de la Seconde République espagnole, traversent la frontière franco-espagnole. Un nombre qui surprend les dirigeants français.

En mars 1939, 264 000 Espagnols sont internés dans les camps situés dans les Pyrénées-Orientales - la population du département est inférieure à 240 000 personnes. La France doit résoudre des problèmes sanitaires, humanitaires, politiques, etc.

Lydie Turco est une documentariste et photographe dont le « travail s’articule autour des thèmes de l’identité et de la transmission. Elle a réalisé trois documentaires diffusés sur France TV et a terminé récemment un projet photographique autour de l’identité, “Paraître et être”, mené avec les patients et soignants en psychiatrie de l’hôpital de jour Voltaire de Sotteville-lès-Rouen (en partenariat avec la DRAC, l’ARS, la Ville de Rouen et la Réunion des Musées Métropolitains) ».

« Dans son exposition photographique, Lydie Turco présente un pan méconnu de l'histoire des réfugiés républicains espagnols en France durant la Seconde Guerre mondiale en remontant le fil de l’histoire de sa famille, une famille qui a dû fuir l’Espagne dans les années 1930. Comme beaucoup d’Espagnols arrivés en France, les hommes allaient dans des camps, les femmes et les enfants dans des centres d’hébergement. »

« Lydie Turco a photographié sa famille et neuf autres. Elle ajoute à ces portraits, en noir et blanc, l’image de l’endroit, numérique où ils étaient réfugiés et des documents d’archives. »

« Depuis plusieurs années, mon travail artistique de réalisatrice ou de photographe, m'amène à m’interroger sur la notion d’identité. Sur ce qui nous constitue intrinsèquement. Sur qui nous sommes, et sur notre capacité à accepter l’autre, cette altérité qui nous questionne. Comment nous construisons-nous ? Qu’est-ce qui est essentiel à notre être ? Et comment cohabitons-nous ? », interroge Lydie Turco.

Et Lydie Turco d’expliquer : « Nos expériences de vie nous façonnent de bien des manières. Notre passé, notre mémoire, et nos projections futures, nos rêves interagissent tout au long de notre vie dans la construction de notre identité. Celle-ci est mouvante, jamais figée, en cours d’élaboration permanente, mais un socle la constitue. Des fondations sur lesquelles nous assemblons et désassemblons les briques qui nous définissent. Que se passe-t-il alors lorsque ce socle est incomplet, tronqué, effacé, que partiellement connu ? Quel impact les migrations, les exils, ont-elles sur la construction de notre identité et le rapport à notre pays d’origine et d’accueil ? C’est à ce questionnement que nous invite le projet “Stratégie de l’effacement”.

En partant de mon histoire familiale liée à la guerre d’Espagne et à la Retirada, j’invite les personnes à s’interroger sur les mécanismes de la construction d’une identité individuelle et familiale confrontée à la violence de l’Histoire. »

« Notre mémoire est peuplée, parfois hantée, de souvenirs, plus ou moins agréables. Cette mémoire explicite, à long terme, est constituée de nos souvenirs et expériences. Souvent, celle-ci est confortée, éclairée, par les photographies prises au quotidien. Des instants sont ainsi figés sur l’image, emprisonnés, afin de pouvoir être transmis. Ils sont la trace, le témoin, le support de notre mémoire et de notre histoire. Parmi ces photographies, on trouve les photos de famille qui participent à l’écriture d’un récit familial. Elles mettent en images la temporalité de la famille et contribuent à lui donner corps. Lorsque la guerre vient bouleverser les lignées et leur histoire, les photos de famille peuvent alors prendre une dimension plus politique. L’identité de chacun est alors rattachée à une identité collective plus vaste. Elle est le témoin de l’Histoire », précise Lydie Turco.

Et Lydie Turco interroge : « Que provoque la guerre sur nos familles ? Quelle impact sur la construction de notre identité cela engendre t-il ? Et comment en rendre compte ? Comment interroger l’inscription des descendants dans leur rapport à la réalité présente au regard du récit familial ? Mes arrières-grands parents ont fait partie des réfugiés républicains espagnols passés en France à la Retirada. Ils ont été internés au camp de l’Aviation, ou camp de Verdun, dans la banlieue de Rennes, à Saint-Jacques de La Lande. Leur histoire résonne avec celles de millions de migrants dans le monde. Une histoire connue partiellement, dont des pans entiers restent souterrains. Il y a quelques années, je me suis rendue sur les lieux du camp de mes arrières- grands-parents. Un enfant de réfugié espagnol, Waldo Salvares, vieil homme à ce moment-là, m’y avait emmenée. Je me suis retrouvée face à un terrain vague qui jouxtait des immeubles d’habitations. Rien ici n’indiquait qu’un camp avait autrefois prit place, que des humains y avaient été parqués, étaient morts de froid, avaient été humiliés. Pas de plaque commémorative, rien. Juste un terrain vague. Une seule chose donnait des indications à qui savait ce qui s’était joué ici : dans la terre, les traces des baraquements de bois, dont mon arrière-grand-mère m’avait parlé, étaient toujours visibles, comme des empreintes dans le sol, comme si elles avaient brûlé la terre. Je me suis alors fait cette réflexion : « la mémoire des hommes est-elle plus périssable que celle de la terre ? »

« Car si on connait plutôt bien les camps du Sud-Ouest, en revanche les structures réparties sur les 77 départements sont, elles, quasi inconnues. Pourtant un demi million de personnes ont été internées dans ces lieux. Des traces écrites, lettres, rapports, archives, nous permettent de les cartographier, et de savoir qui étaient ces migrants. Mais parmi elles, très peu de photos personnelles, et encore moins de photos de familles. Le lien dans la reconnaissance et l'identification des romans familiaux de ces réfugiés et de leurs descendants s'est perdu. En le réinventant à partir des traces laissées dans la terre comme chez les femmes et les hommes, le projet "Stratégie de l’effacement” invite à réfléchir sur la construction des identités familiales, déchirées par l’arrivée d’une guerre et la douleur d’un exil. Il nous pousse à réfléchir sur la trace, sur le délitement et l’oubli », observe Lydie Turco.

Et Lydie Turco d'analyser : « En France le travail de mémoire autour de la guerre d’Espagne et de la Retirada reste encore incomplet. Au cœur de ce travail, il y a une reconnaissance d’actes, le débat éthique autour de la mémoire et de l’oubli, la formation des identités individuelles et collectives. Ce travail est similaire pour n’importe quel peuple qui migre, ainsi que pour les pays qui accueillent, placent en rétention, ou expulsent. Si cette mémoire se dilue parfois dans les récits nationaux ou internationaux, il en est rarement de même dans les récits personnels et les récits familiaux. Au contraire, la majeure partie du temps, ils constituent une part importante de l’identité familiale et ont un impact très important dans la construction des identités individuelles au sein de la famille ».

« J’ai pensé ce projet comme un regard sur la construction cette identité familiale. Il s’articule autour de deux sujets, constituant des binômes photographiques : 10 lieux, Lugares en Espagnol, et 10 portraits de familles, Familias. Les 20 photographies de 60 cm/60 cm, sont complétées par des récits sous formes de lettres de femmes républicaines et de rapports, issus des archives du fond Moscou. Avec pour ambition reconstituer une identité familiale et une ligne temporelle qui ont été effacées comme les lieux du passé, ou déplacées comme les descendants. Une invitation à la réflexion autour des migrations », conclut Lydie Turco.

Lugares
« En 1939, en Espagne, la victoire du camp nationaliste déclenche un afflux de réfugiés politisés espagnols en France. Dans un climat fortement xénophobe, les autorités en place organisent alors une politique relevant plus de la coercition que de l’accueil. 450 000 personnes passent la frontière franco-espagnole. Des femmes, des enfants et des hommes ”(*) ».
*Extraits “Mémoire des luttes”, Maëlle Maugendre, revue Plein droit, oct 2020

« Ces lieux sont les emplacements où étaient internés, sur le territoire français, les réfugiés espagnols à la Retirada. »

« Sur les 77 départements concernés, j’ai retenu 10 lieux, non connus de la majorité des personnes. »

« Je suis allée sur place faire une photo numérique, en couleur, de ce qu’il reste actuellement (ruine, maisons, terrain vague…). Des traces, encore ou non visibles. De l’état actuel de ces lieux. »

« Ils sont le témoignage réel, la trace présente dans le présent. »

« Je choisis de les prendre en couleur, en numérique, avec des techniques contemporaines, les inscrivant ainsi dans notre époque. Les traitant comme des images du quotidien, de manière douce, sans fort contraste. Ce sont des photographies frontales, prises à hauteur d’homme. Une attention particulière sera donnée aux lignes horizontales et verticales. Elles seront faites dans un esprit documentaire, presque d’archiviste. »
« Les lieux sont très différents. Ils ont parfois changé de fonction avec le temps..
- L’asile départemental de Grugny (Normandie)
- La maison de la Houille à Grenoble (Auvergne-Rhônes Alpes)
- Le fort Vauban du Camps des Rousses (Jura)
- La prison d’Aubusson (Creuse)
- Le camp de prisonniers de Belle-île-en-mer (Bretagne)
- La caserne militaire de St Jacques de La Lande (Ille et vilaine)
- L’usine désaffectée de Gimel (Nouvelle Aquitaine)
- L’Abbaye de Noirlac (Cher)
- Une colonie de vacances de Cayeux-sur-Mer (Somme)
- La ferme de Pêcheloche (Indre) »

« Familias »
« En parallèle, je réaliserai 10 portraits de familles de descendants de personnes ayant été retenus dans ces lieux, à la Retirada. »

« Je choisis de les prendre dans leur environnement familier : réunis dans une même pièce. La photographie de famille a évolué au fil des années, devenant majoritairement des photos prises sur le vif d’un évènement ou au quotidien, contrairement au premiers portraits de famille posés. Je fais un choix à contre-courant, en partie, du modèle contemporain. »

« Ces portraits de famille seront réalisés en noir et blanc, à la chambre photographique, avec des objectifs piqués, anciens. »

« Ils seront conçus selon les codes des portraits du dix-neuvième siècle d’une part : avec une spatialisation et une hiérarchisation de la famille qui permet de donner à voir l’histoire et la lignée. Mais j'incorporerai aussi des postures moins statiques et m’attacherai à travailler leurs expression pour qu’elle fasse sens par rapport à leur récit familial, donnant alors à voir des scènes quotidiennes, comme des peintures d’un instantané. »

« Un contraste s’établit alors entre le fond et la forme, entre la technique ancienne et le contenu contemporain. »

« Je traiterai les portraits de ces familles ainsi pour deux raisons :
● En scénographiant la généalogie, j’attire l’attention sur l’essentiel, à savoir la temporalité de la famille et le récit qui la constitue.
● J’interroge l’inscription des descendants dans leur rapport à la réalité présente au regard du récit familial. »

Lettres, rapports, témoignages
« Les photographies sont accompagnées de 10 lettres de femmes Républicaines ou rapports de l’administration, provenant ou parlant des lieux d’internement choisis. Elles sont issues du projet CAREXIL-FR et proviennent du fond Moscou. »

« Ces écrits donnent une réalité tangible du passé, et entrent en complémentarité et résonnance avec les portraits des lieux et familles. L’alternance entre lettres et rapports permet aussi de saisir humainement et administrativement ce qui s’est vécu dans cet exil et accueil. »

« En pendant, un écrit relatant le récit familial des descendants présents sur les photographies de famille, reliera lieux et portraits de famille. »

« L’association des photographies à ces écrits offrira la possibilité au spectateur de se projeter à la fois dans le passé, mais aussi dans le présent, par analogie avec ce que vivent tous les migrants et exilés actuels, donnant au projet une dimension intemporelle. »

« Des focus ponctuels sur les communes ou départements accueillant l’exposition pourront être réalisés. Une photo d’un lieu de rétention et de descendants, ainsi qu’une archive, sur le même principe que l’exposition, est alors ajouté à l’ensemble pour le lieu accueillant. »

« En partenariat avec la direction des Patrimoines, de la mémoire et des archives du Ministère des Armées, 4 archives provenant de leur fond et concernant l’engagement des Républicains auprès des Forces Armées Françaises( résistance, CTE, Légion Étrangère) pendant la seconde guerre mondiale, complèteront le parcours de ces exilés espagnols. »

Participent au projet, Maëlle Maugendre, Professeure documentaliste et chercheure en histoire, Docteure en histoire contemporaine, auteur d’une thèse en lien avec les camps de réfugiés espagnols en France – « Les réfugiées espagnoles en France (1939-1942) : des femmes entre assujettissements et résistances » - et coréalisatrice d’un documentaire sur la mémoire de deux anciens réfugiés espagnols, ainsi que Jean-Marc Coudignac, photographe de plateau sur plusieurs films, spécialiste de la photographie argentique.

“Stratégie de l’effacement” va s'inscrire en collaboration avec le projet CAREXIL-FR (études et numérisations des lettres de Républicaines espagnoles retenues en France à La Retirada) mené par l'Atelier de Romanités Numériques de l'Université de Paris 8, les Archives Nationales et les Études Romanes de l'Université Paris Nanterre (https://carexil.huma-num.fr/). »
« Le Musée de l’Histoire de l’Immigration de Paris s’engage à valoriser le projet par des conférences, parutions, rencontres... »
« L’Institut Français, collaborera avec les lieux d’exposition en Espagne. »
« Les Archives Nationales exposeront les clichés, tout comme la Ville de Rouen. »
« L’ambassade d’Espagne collabore au projet financièrement et pour les lieux d’exposition en Espagne via le Secrétariat d’Etat à la Mémoire Démocratique. »
« Lieux d’exposition : Archives Nationales, Bibliothèque Simone de Beauvoir de la ville de Rouen, Maison des Mémoires (la Mounière) de Septfonds, deux lieux en Galice via l’ARMH (Association pour la Récupération de la Mémoire Historique) à La Corogne et Lugo, divers autres lieux en Espagne à déterminer avec le Secrétariat d’Etat à la mémoire Démocratique. »

Pourquoi avoir rédigé le communiqué de presse en écriture inclusive ?


Du 13 mai au 31 août
2 Chem. Saint-Georges, 59910 Bondues
Tél. : 03 20 28 88 32
Les lundis, mercredis, jeudis et vendredis de 14 h à 18 h (visite libre)
Le musée est fermé du 7 au 27 août

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