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vendredi 9 mars 2012

Deux appels de musulmans à voter pour le Front national

Le 4 mars 2012, sur RTLSoheib Bencheikh, ancien grand mufti de Marseille, « chercheur en sciences religieuses », a appelé à voter pour Marine Le Pen, candidate du Front national à l'élection présidentielle pour marquer son opposition au candidat et Président de la République Nicolas Sarkozy. En mai 2002, Radio Islam avait dénoncé une France dirigée par les « judéo-socialo-maçonniques » pour inciter les musulmans à voter pour le Front national.
 

Bariza Khiari, sénatrice socialiste

Les années passent, les motivations changent, mais l’appel à voter pour le Front national demeure dans les milieux musulmans.


Soheib Bencheikh est une figure médiatisée de « l’islam de France ». Né à Djeddah (Arabie saoudite), il est l’un des enfants du Cheikh Abbas Bencheikh el Hocine (1912-1989), ancien recteur de la Grande mosquée de Paris, et le frère de Ghaleb Bencheikh, physicien et animateur de l’émission Islam sur France 2. Il est aussi l’ancien grand mufti de Marseille et a dirigé l’Institut supérieur des sciences islamiques (ISSI) à Marseille


« Monsieur Sarkozy est un homme dangereux pour la France. Il est prêt à monter les communautés les unes contre les autres uniquement pour régner quelques années. Il est indigne de la grandeur de cette nation, ni de la grande histoire de ce pays », a déclaré Soheib Bencheikh, le 4 mars 2012 sur RTL (vers 2 h 02).

Et cet ancien « candidat » à l’élection présidentielle en 2007 d’ajouter : « Nicolas Sarkozy n’a pas d’idéal : il navigue à vue, il veut régner. Il veut prendre toute une communauté en otage. Je n’ai pas l’habitude de donner des consignes de vote. Mais pour la première fois, je dis aux musulmans de France et leurs amis : il vaut mieux voter Le Front national que voter pour cet homme. Au moins, on aura le moins pire avec qui on partage pas l’idéal, que une copie qui va faire la surenchère… La religion dans un pays laïc doit vraiment rester dans le privé, mais à condition qu’on la respecte en tant que force morale. Le halal n’a jamais été le propre des musulmans. C’est le propre d’une petite minorité cultuelle… Je respecte, je ne partage pas les thèses du Front national, mais au moins ils sont sincères, mais au moins ils ont un idéal. Nicolas Sarkozy n’a ni utopie pour gouverner, ni rêve pour façonner la société ».

Comment, à partir d'un seul thème de campagne (l'abattage rituel islamique, la viande halal), l’auteur de Marianne et le prophète a-t-il pu assimiler la ligne politique du Président-candidat Nicolas Sarkozy avec celle du Front nationale ? D'autant que la position de Nicolas Sarkozy sur l’abattage rituel islamique a évolué : « Sur les 200 000 [tonnes de viande consommées en Ile-de-France], il y en a 2, 5 % qui sont de la viande casher et de la viande halal. Est-ce que, vraiment, ça vaut le coup de faire une polémique pour cela ? », « Le premier sujet de préoccupation, de discussion des Français (...), c'est cette question de la viande halal », « Reconnaissons à chacun le droit de savoir ce qu'il mange, halal ou non »...

On peine à comprendre la logique et à saisir la finesse d’analyse dans cet appel de Soheib Bencheikh loué dans Wikipedia comme « l'un des musulmans progressistes les plus connus en France et en Europe ». Car si Soheib Bencheikh est ulcéré par certaines déclarations récentes du Président-candidat Nicolas Sarkozy sur ce sujet, pourquoi a-t-il procédé par amalgame, et sans argumenter ? Et pourquoi n’a-t-il pas appelé à voter pour un candidat du centre ou de la gauche, voire à voter blanc ?

De plus, on ne peut que louer la volonté de Soheib Bencheikh de confiner, dans un pays laïc, la religion à la sphère privée. Mais s’est-il élevé contre les prières publiques illégales de musulmans dans les rues de nombreuses villes françaises ?

En outre, la sincérité peut-elle constituer le seul critère de sélection d'un parti politique ? L'idéal du Front national est-il si séduisant ?

Enfin, on demeure surpris que Soheib Bencheikh ne caractérise pas comme dangereux pour la France, pour la démocratie, les extrêmes de l'échiquier politique français. 

Curieusement, cet appel sur l’une des deux radios les plus populaires en France n’a guère été repris par des grands médias français.

Certains médias avaient pourtant évoqué le souhait d’une partie ultra minoritaire de Juifs français de voter pour le Front national ou l’appartenance de Juifs à ce parti, alors que divers responsables communautaires ont fermement pris position contre le Front national. Ainsi, Richard Prasquier, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) a rejeté le vote aux extrêmes de la scène politique française et déclaré le 7 décembre 2011 à propos de la candidate du Front National à l’élection présidentielle : « Voter pour Marine Le Pen c'est irresponsable politiquement et écœurant d'un point de vue moral ». Et Gilles Bernheim, grand rabbin de France, a jugé « les valeurs du judaïsme sont incompatibles avec celles du Front national » (Sud-Ouest, 15 janvier 2012). Le débat actuel sur les abattages rituels n'a pas suscité chez les dirigeants de la communauté Juive française ou chez un intellectuel Juif français un tel appel à voter pour le Front national. Bien au contraire, ces responsables communautaires Juifs maintiennent leur attachement à la laïcité et leur dialogue avec les autorités politiques.

L’appel de Radio Islam en 2002
Lire les textes de Radio-Islam, c’était recenser des schémas de pensées archaïques d’auteurs déconnectés de la réalité. A l’approche des élections législatives de 2002, Kamal Khan, le responsable de ce site, a invité les musulmans à voter pour Jean-Marie Le Pen.

Comment les convaincre ? En décrivant ce politicien d’extrême-droite comme un ami des Arabes pendant la guerre d’Algérie, opposé à la guerre et à l’embargo contre l’Irak, et marié à une responsable d’« association en faveur des enfants irakiens ». Sans oublier une France dirigée par « les Juifs, les socialistes, les francs-maçons et les communistes », ainsi que « l’arrogance américano-sioniste ». Les responsables à la « répression » lors de la guerre d’Algérie ? Pierre Mendès-France et un « non-Juif ami d’Israël », François Mitterrand. « Les affaires Garaudy, abbé Pierre ou Faurisson » restent des références.

La présence des Islamistes derrière les attentats est niée, les « hypocrites musulmans » sont dénoncés et l’essor de l’islam réécrit. Le tout baigne dans le négationnisme et la défense de la « cause palestinienne ».

« Jean-Marie Le Pen n'est pas raciste. C'est un Français qui lutte pour libérer la France de l´occupation juive - comme vous luttez pour libérer vos pays de cette occupation. Il combat pour aider le monde arabe opprimé à briser à son tour les chaînes diaboliques du sionisme ! Votez Le Pen », exhortait Radio Islam.
Quel démenti au bonifacisme ! Dans une note (2001), Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), avait conseillé au Parti socialiste de se distancer de la communauté Juive française et de l’Etat d’Israël pour se rapprocher davantage des musulmans de France : ceux-ci constituant un potentiel numériquement plus important d’électeurs.

Et quelle ingratitude pour ceux qui, convaincus par la thèse de Pascal Boniface, se sont démenés en allant à la pêche aux voix des musulmans de France !

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