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lundi 14 février 2022

« Funérailles juives » d'Alessandro Magnasco au mahJ


Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) a accueilli le 19 janvier 2011 Funérailles juives, chef d’œuvre d’Alessandro Magnasco, dit Il Lissandrino (1667-1749), grâce à un mécène anonyme. Le 16 février 2022, 18h00-19h00, le mahJ proposera, dans le cadre de Rencontre dans les salles, "Avec les Funérailles juives d’Alessandro Magnasco" par Matthieu Somon, historien de l’art, université catholique de Louvain. 

« Le Paradis sous terre. Le cimetière juif de Weissensee » par Britta Wauer 

Grâce à un mécène demeuré anonyme, le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) a accueilli depuis le 19 janvier 2011 Funérailles juiveschef d’œuvre d’Alessandro Magnasco, dit Il Lissandrino (1667-1749).

Daté des années 1730, ce tableau Funérailles juives a été qualifié « œuvre d’intérêt patrimonial majeur », acheté par l’Etat et inscrit sur les inventaires du musée du Louvre. Sa valeur d'achat avait été fixée à 425 000 euros en 2010.

« La présentation de ce tableau marque une étape significative dans l’évolution du musée », a alors observé Laurence Sigal, directrice du MAHJ.

Un intérêt pour les marginaux
D’origine génoise, Magnasco, dont l’œuvre a été réévaluée au cours des dernières décennies, a été d’abord portraitiste, puis il s’est orienté vers la peinture de genre.

« Très tôt reconnu comme un spécialiste en « petites illustrations », il participe à une production traditionnelle de scènes sacrées, mythologiques ou pastorales ».

Il a été « marqué par le judaïsme et, de façon générale, par les cultes et la représentation des exclus du monde » : sa dernière œuvre était une scuola degli Ebrei, une « synagogue des Juifs ».

Un enterrement Juif
Cette huile sur toile - 87 cm x 117 cm - « exceptionnelle, tant par la qualité de sa facture alliant force chromatique et audace de la composition, que par la rareté de son sujet, constitue la seule illustration connue de ce thème chez Magnasco », un peintre singulier d’origine génoise. Elle représente, « à la nuit tombante, différents moments des funérailles juives sur un paysage de sépultures, en arrière-plan ».

Le « sujet de l’enterrement chez les Juifs a acquis, depuis le XVIIe siècle un caractère pittoresque » qui suscite l’intérêt des artistes.

A Amsterdam, « le quartier juif puis la grande synagogue deviennent des points de visites incontournables des voyageurs qui se rendent dans la cité ». Jacob van Ruysdael (1628-1682) peint ainsi le cimetière juif d’Ouderkerk (De Joodse begraafplaats, 1655-1660).

En Italie, « la présence juive et la création des ghettos », notamment à Venise, inspire de nouveaux thèmes dans « la peinture de genre. L’influence des Lumières à Milan au début du XVIIIe siècle, s’est sans doute exercée sur Magnasco qui ne cache pas sa curiosité envers les différents cultes et en particulier envers les religions non catholiques ».

Au centre du tableau, « des fossoyeurs, armés de pelles à longs manches, s’affairent autour de la tombe ».

A gauche, dix hommes – quorum nécessaire selon la loi juive (halakha) – prononcent les prières funèbres. Le groupe est « dominé par un personnage à la tenue singulière qui paraît nous prendre à témoin ».

Les participants sont attentifs, graves. Respectueuse de la tradition, une dame ne porte pas de chaussure, et est « effondrée sur une pierre, le visage enfoncé dans ses bras ».

La scène se déroule vraisemblablement à la nuit tombante : Magnasco a souligné l’obscurité qui imprègne et dramatise la cérémonie. En correspondance chromatique avec la mort, la tristesse des proches éprouvés.

« De la pénombre, seules des figures aux vêtements rouges, bleus ou verts, émergent, telles des flammèches colorées, dans la manière fulgurante si typique du Lissandrino ».

« La nette division horizontale du tableau, séparant le sol du cimetière, en proie à une grande agitation, des cieux chargés, est dessinée par la ligne esquissée par les moulurations des monuments funéraires ; ceux-ci offrent la typologie classique des sépultures en Italie à l’époque : colonne brisée, urne, tombeau pyramidal, sarcophage… La terre est jonchée de stèles plus modestes ornées de blasons. L’artiste observe que le décor des monuments funéraires obéit strictement à l’interdit biblique de la représentation et que les Juifs italiens avaient adopté l’usage d’inscrire les armes familiales sur les stèles ».

À droite, « un homme, de profil, est assis auprès d’une stèle ; il est placé symétriquement à un orant dans le groupe à gauche. Derrière lui, en retrait, deux hommes se penchent, dans une posture de compassion, sur un personnage couché sur un brancard, et dont on voit nettement le visage à découvert et qui n’est certes pas le défunt puisque les textes de coutumes juifs contemporains font état de l’enveloppement du corps dans un simple linceul de lin ou de coton blanc et de l’enterrement après la mise en bière ».

Au fond, un homme debout, lit dans un grand livre.

Une interprétation délicate
Magnasco illustre « un thème d'inspiration savante et ésotérique, et contribue à porter un regard nouveau, issu des Lumières, sur la société de l'Europe moderne ».

Quel est son message ? Volonté de dépeindre les rites des religions « dans un souci d’universalisme et de tolérance à la manière de Bernard Picart, auteur des Cérémonies et Coutumes Religieuses de tous les pays du monde, ouvrage fameux publié à Amsterdam en 1723, et réédité maintes fois au cours du XVIIIe siècle en Europe » ? Curiosité voire sympathie pour les Juifs discriminés ? Ou « causticité à l’égard de l’obscurantisme » ?

Laurence Sigal et Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, ont souligné l’ambigüité et le mystère du tableau.

Une œuvre d’autant plus difficile à interpréter que, selon l’historien d’art Benno Geiger, Magnasco l’aurait associée à son autre peinture, Hommage à Pluton.

Ce tableau a appartenu à la famille Brass jusqu’en 1949, puis il a enrichi une collection privée (peut-être Alessandro Basevi, Gênes). Il a fait partie de la collection Orazio Bagnasco jusqu’en 2002-2003. Qualifié d’œuvre d’intérêt patrimonial majeur le 15 septembre 2010, il a été acheté en 2010 à Paris auprès de la galerie Canesso grâce aux dispositions fiscales sur le mécénat d'entreprise de 2003.

Dans la chambre du Duc du MAHJ, cette œuvre picturale est mise en regard avec trois autres peintures de Magnasco qui représentent des sujets Juifs ou qui auraient pu former une série avec lui.

Le 16 février 2022, 18h00-19h00, le mahJ proposera, dans le cadre de Rencontre dans les salles, "Avec les Funérailles juives d’Alessandro Magnasco" par Matthieu Somon, historien de l’art, université catholique de Louvain. "Les imprécisions quant aux circonstances de la création des Funérailles juives du Génois Alessandro Magnasco (1667-1749) suscitent bien des questions, à commencer par l’identité des destinataires de l’œuvre. La rencontre examine les rites figurés, explore l’imaginaire funéraire élaboré par le peintre et en interroge les contextes d’exposition, de l’Italie du XVIIIe siècle jusqu’au mahJ."

Stèles funéraires juives
Le 19 juin 2016 à 10 h 30, dans le cadre de la Journée nationale de l’archéologie, le MAHJ proposait la visite guidée Les stèles médiévales du mahJ : paléographie et histoire, par Emma Abate, chercheur à l’EPHE, spécialiste de paléographie hébraïque, et Mathias Dreyfuss, responsable du service éducatif du mahJ et historien.

"Les stèles funéraires médiévales du mahJ constituent un ensemble archéologique unique en France, par son ampleur, sa qualité de conservation et par la mine d’informations qu’il recèle sur la communauté juive parisienne au temps de Louis IX. C’est aussi une « bibliothèque de pierre » d’une qualité exceptionnelle. Regards croisés sur ces stèles trouvées boulevard Saint-Germain en 1849, données au musée national du Moyen Âge par l'éditeur Hachette et chef-d'oeuvre de la collection du mahJ".

Recueillement
L'article a été republié à l'approche de Roch HaChana (Nouvel an juif), période au cours de laquelle des juifs se recueillent sur la tombe de leurs chers proches disparus. 


Laurence Sigal-Klagsbald, Funérailles juives, un chef d’œuvre d’Alessandro MagnascoLa revue des musées de France revue du Louvre, n° 5, décembre 2010

Au MAHJ
Hôtel de Saint-Aignan
71, rue du Temple, 75003 Paris
Tél. : (33) 1 53 01 86 60

Le mercredi 6 avril 2011
Conférence de Laurence Sigal à 19 h
Concert La Sinfonia nasce del ghetto (La symphonie naît dans le ghetto)
à 20 h 30
musique italienne du XVIIIe siècle par l'orchestre Atalanta Fugiens
direction Vanni Moretto
Œuvres de Giovanni Battista Sammartini, Antonio Briosci, Fortunato Chelleri, Giovanni Battista Lampugnani

Photos de haut en bas
Inauguration
© Didier Plowy / MCC

Alessandro Magnasco (Gênes, 1667-1749)
Funérailles Juives vers 1730
Huile sur toile
87 x 117 cm
© Galerie Canesso - Paris

Articles sur ce blog concernant :
Les citations proviennent du MAHJ.
Cet article a été publié en une version plus concise dans le n° 633 de février 2011 de L’Archeet sur ce blog les 14 février 2011, 13 septembre 2015, 19 juin et 1er octobre 2016, 2 novembre 2017, 8 septembre 2018.

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