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jeudi 28 décembre 2017

Chagall et la Bible

 
Le musée d'art et d'histoire du Judaïsme (MAHJ) a présenté l'exposition éponyme assortie d'un catalogue superbe. De 1930 à 1956, Marc Chagall (1887-1985) a illustré et interprété la Bible hébraïque. Des gouaches aux gravures parfois inédites - gravures dédiées à son épouse -, des peintures aux œuvres sur papier... Autant d’œuvres rassemblées sur ce processus créatif original, très lié à l'Histoire. Une inspiration nourrie par son voyage en Palestine mandataire et exprimée dans son Message biblique (1966) et les vitraux de Hadassah à Jérusalem (Israël). Le 15 novembre 2017, lors d'une vente aux enchères par maison Sotheby's à New York, le tableau "Les Amoureux" de Marc Chagall a été adjugé 28,5 millions de dollars (soit 24 millions d'euros) après une bataille d'une dizaine de minutes entre trois acheteurs potentiels.

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C'est un processus créatif qui se développe sur un quart de siècle, "depuis la magnifique série de gouaches réalisée par l'artiste, en passant par les différents états de gravure où le motif se précise, jusqu'aux 105 gravures définitives rehaussées à la main, dont l’ensemble dédié à son épouse est montré ici pour la première fois. Par ailleurs, des peintures et des œuvres sur papier mettent en lumière les formes visuelles que prend le texte biblique sous le pinceau du peintre".

L'originalité de Marc Chagall (Móyshe Shagal) est variée, plurielle. Alors que d'autres peintres abandonnent le figuratif au profit de l'abstraction ou se désintéressent de la Bible, alors que d'autres artistes juifs cessent de représenter le monde Juif traditionnel, Chagall est le seul peintre de cette dimension à demeurer fidèle à la figuration narrative dans son art, et à avoir illustré et interprété la Bible.

Chagall, illustrateur de la Bible
Sa "plasticité, sa liberté d'interprète, son immense talent d'illustrateur", Chagall les a montrés dans Les Âmes mortes de Gogol (1923), publié par l'éditeur Tériade, successeur de Vollard, en 19848, et les Fables de la Fontaine (1927), publiée par cet éditeur en 1952.

1930 marque une date charnière dans la carrière de Chagall. Le marchand d'art et éditeur Ambroise Vollard demande à Chagall de créer une centaine d'eaux-fortes illustrant la Bible hébraïque.

Chagall accepte - dès les années 1920, il a esquissé le projet d’un « livre des Prophètes » -, et seules des circonstances historiques graves l'amènent à délaisser ce travail d'illustration du texte sacré qui le passionne : il n'interrompt son travail qu'en 1939, à la mort de Vollard et lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, puis lors de sa fuite aux Etats-Unis en 1941. Il le reprend en 1952, quatre ans après son retour en France en 1948.

"De 1930 à 1931, il exécute 40 gouaches mettant en image la Genèse et l’Exode qui servent de point de départ aux gravures : le passage par la couleur lui est nécessaire afin de moduler les nuances de noir et de blanc dans ses eaux-fortes. Chagall retravaille chaque planche sans relâche, consacrant à certains thèmes jusqu’à dix états successifs. En 1939, à la mort de Vollard, seules 66 eaux-fortes ont vu le jour". Dès 1930, Chagall illustre des poèmes de Lyesin (nom de plume d’Abraham Walt) et certains de ses dessins préfigurent des illustrations pour la Bible. Ce recueil Chants et Poèmes de Lyesin est publié en 1938 avec 34 dessins de Chagall.

En 1956, l'ensemble créé par Chagall est publié par l'éditeur Tériade, pour un tirage de 275 exemplaires, sous la forme de 105 planches gravées à l’eau-forte et à la pointe sèche, réparties en deux volumes. " Cent exemplaires supplémentaires sont peints à la main par l’artiste". L'exposition présente la suite dédiée par Chagall à Valentina Brodsky (Vava), épousée en 1952.

Alors que Vollard souhaitait que Chagall illustrât l'Ancien et le Nouveau Testament, "ces gravures sont consacrées uniquement à des scènes vétérotestamentaires. Elles témoignent par-là d’une vision spécifiquement juive de la Bible. Chagall délaisse les représentations habituelles de l’art chrétien pour se consacrer aux Patriarches, à Moïse, aux guerriers, aux rois et aux prophètes. Il explore parfois des épisodes rarement représentés (Abraham et les Anges. Descente vers Sodome)".

L’artiste "s’est appuyé sur les traductions bibliques du poète yiddish Yehoyesh, puis du théologien Louis Segond, mais c’est finalement la Bible de Genève du XVIIe siècle qui accompagne ses illustrations".

Chagall sur les traces des ancêtres
En 1931, à l'invitation de Meir Dizengoff, maire de Tel Aviv, Chagall se rend en Palestine mandataire, en compagnie de son épouse Bella, qui décèdera en 1944, et de leur fille Ida. En 1930, Meir Dizengoff lui avait proposé de présider un comité artistique chargé de veiller à la construction d'un nouveau musée d'art juif.

Ce premier séjour en Eretz Israël influera de manière déterminante l'œuvre de Chagall.

Il est fasciné par les "lieux bibliques, emblèmes de la tradition juive". Il peint notamment le Mur des lamentations, des vues de Safed et le tombeau de Rachel. Ces œuvres, qu’il appellera « ses notes », lui permettront d’introduire par la suite des éléments architecturaux dans ses gravures. La production des artistes de l’école d’art et d’artisanat Bezalel (Jérusalem) lui inspire un nouveau type de figures bibliques, loin de toute idéalisation : les silhouettes sont massives et dépouillées, les gestes maladroits. Cette recherche d’authenticité et de simplicité dans le traitement des personnages est perceptible dans les œuvres des années 1930, notamment dans les gouaches".

Chagall, interprète de la Bible
L'exposition souligne aussi "les formes visuelles que prend le récit biblique dans les peintures de Chagall. Dès les années 1910, le motif de la Torah – central dans l’univers du peintre –, investit ses toiles. Le Pentateuque est érigé en trésor que le peuple juif tente de sauver lors des pogroms et des persécutions (Villageois tenant la Torah, 1928 ; Rabbin à la Torah, vers 1930 ; La Chute de l’ange, 1923-34-47)".

Dès les années 1940, Chagall "réalise des compositions bibliques qui prolongent le travail effectué dans les gravures et annoncent les tableaux du Message biblique (Abraham et les trois Anges, 1940-1950). Nombre d’entre elles attestent d’une approche très libre des Écritures influencée notamment par l’enseignement religieux reçu par l’artiste dans son enfance, par ses souvenirs de Vitebsk (Biélorussie), par les décors peints des synagogues du territoire russo-polonais, ou encore par les légendes du monde yiddish".

La "Bible offre à Chagall une grille de lecture pour le temps présent. Chagall se perçoit comme un voyant, un prophète (L’Ange-peintre, 1927-1928 ; L’Ange à la Palette, 1927-1936). La démarche consistant à interpréter les événements contemporains à travers la Bible se cristallise avec la guerre : La Traversée de la Mer rouge (1945-1955) et La Chute de l’ange (1923-34-47), notamment, symbolisent les pogroms et la Shoah (Holocaust). Chagall n’hésite pas à s’emparer de motifs chrétiens comme la crucifixion ou la Vierge à l’enfant pour restituer la souffrance du peuple juif. Dans La Crucifixion en jaune (1943), le Christ est doté de phylactères et son bras droit est en partie dissimulé par un rouleau de Torah. Chagall identifie le martyr de Jésus à celui des Juifs, pour en appeler à la conscience des nations".

Chagall "tisse et croise lectures juives et chrétiennes : Chagall fait naître la figure d'un Jésus juif et impose, dans des commandes destinées à des églises, le message de la Bible hébraïque. L'artiste se voit en prophète, en voyant, en ange peintre".

"Cette image étonnante, récurrente et d’un Jésus judaïsé, ce n’est pas un appel à la conversion des Juifs. C’est une image provocatrice : Chagall appelait ainsi à la prise de conscience des chrétiens qui persécutaient les Juifs alors que leur Dieu était à l’origine Juif", m'a confié Laurence Sigal, directrice du MAHJ et commissaire de l'exposition, en février 2011.

La Bible en lumière
"Au début des années 1950, Chagall participe au renouveau de l’art sacré sous l’impulsion du Père Couturier" qui demande à cet artiste de concevoir le décor de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce d’Assy (Haute-Savoie)".

Chagall consulte des personnalités éminentes du judaïsme, puis accepte ce projet et, parallèlement, réalise les 17 grands tableaux pour les chapelles de Vence, qui constitueront le Message biblique achevé en 1966. Chagall donne les tableaux du Message biblique à l'Etat français en 1966.

Chagall crée alors pour des lieux de culte catholique, protestant et juif. "Les thèmes sont le plus souvent la Création et les figures de l’Ancien Testament. Dans les vitraux peuplés de symboles juifs qui ornent l’église réformée Fraumünster de Zurich (1969-1970), et l’église catholique Saint-Etienne de Mayence (1977-1984)", Chagall insiste de nouveau sur "la judaïté de Jésus en le représentant avec un châle de prière et des phylactères". Il réalisera un grand nombre de vitraux pour des églises en Europe et aux Etats-Unis.

Le MAHJ montre les croquis et maquettes de ces vitraux ainsi que des esquisses des vitraux/grandes fenêtres de la synagogue de l’hôpital Hadassah à Jérusalem (1960-1962). "Dans cette dernière série sur le thème des douze tribus d’Israël, Chagall – conformément à la loi mosaïque – s’abstient de représenter la figure humaine. Il convoque alors un cortège de symboles (astres, éléments, animaux) pour affirmer la présence de l’homme".

Coédité par le MAJH et Skira-Flammarion, illustré de 105 eaux-fortes peintes à la main, le catalogue présente des essais passionnants de Laurence Sigal, directrice du MAHJ, de Maurice Fréchuret, directeur du musée national Marc Chagall (Nice), d'Annette Weber, titulaire de la chaire d’Art juif à l'institut d’Études juives de l'université de Heidelberg, sur Chagall et la Bible, du rêve à la modernité, de François Boespflug, professeur d'histoire des religions à la faculté de Théologie catholique de l'université Marc-Bloch (Strasbourg) sur Les théophanies bibliques dans l’œuvre de Marc Chagall, de Ziva Amishai-Maisels, professeur au département d’histoire de l’art de l'université hébraïque de Jérusalem, sur L’image biblique chez Chagall : conflit et réconciliation, et de Bernard Maruani, chercheur sur : « Au moment du soir, la colombe… » Méditation sur l'être ailé de la bible et de la littérature rabbinique à Chagall. Les annexes sont composées des Eaux-fortes de Chagall pour la Bible par Jacques Maritain, des Illustrations de Chagall pour la Bible par Meyer Schapiro, et des Livres bibliques illustrés par Chan Young Park.

Le 12 février 2015 à 20 h 30, le Cercle Bernard Lazare organisa le débat Marc Chagall : "Les temps ne sont pas prophétiques" avec  Nathalie Hazan-Brunet, co-auteure de "Chagall, voyage dans la Bible" (Ed. Mardaga).


Le 15 novembre 2017, lors d'une vente aux enchères par maison Sotheby's à New York, le tableau "Les Amoureux" de Marc Chagall a été adjugé 28,5 millions de dollars (soit 24 millions d'euros) après une bataille d'une dizaine de minutes entre trois acheteurs potentiels. Ce qui représente un record pour cet artiste. Estimé entre 12 et 18 millions de dollars, ce tableau était resté dans la même famille depuis 1928, soit près de 90 ans. Cette huile sur toile "correspond à une phase particulièrement heureuse de la vie du peintre de Vitebsk, témoin de son amour pour sa compatriote Bella Rosenfeld et pour sa ville d'adoption, Paris. Le précédent record pour un Chagall avait été atteint par Anniversaire, un tableau de 1923 vendu en mai 1990 à New York pour 14,9 millions (12,6 millions d'euros au cours actuel), a précisé Sotheby's".


Jusqu'au 5 juin 2011
Au MAHJ
Hôtel de Saint-Aignan
71, rue du Temple, 75003 Paris
Tél. : 01 53 01 86 53
Du lundi au vendredi de 10 h à 18 h
Nocturne tous les mercredis jusqu'à 21 h

Chagall et la Bible. Musée d’art et d’histoire du Judaïsme et Skira-Flammarion, 2011. 200 pages. Format 24 x 28 cm. 35 €. ISBN : 978-2-08-125542-5

Les citations sont extraites du dossier de presse.

Visuels de haut en bas :
Affiche et catalogue
Les Pâques
1968
Huile sur toile de lin
Paris, Centre Pompidou, MNAM / CCI, en dépôt au Musée national Marc Chagall, Nice
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

Dieu crée l’homme
1931
Gouache sur papier
Nice, Musée national Marc Chagall
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

Bible
Eaux-fortes originales de Marc Chagall
Paris, Tériade, 1956
Pl. 77, Songe de Salomon
Eau-forte, pointe sèche et rehauts de gouache
Collection particulière
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

Bible
Eaux-fortes originales de Marc Chagall
Paris, Tériade, 1956
Pl. 104, Vision d’Ézéchiel
Eau-forte, pointe sèche et rehauts de gouache
Collection particulière
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

Le Rabbin
1912
Huile sur toile
Collection particulière
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

Samson renverse les colonnes
1931-1939
Planche 57, 3e état : eau forte et pointe sèche
Collection particulière
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

La Chute de l’ange
1923-1934-1947
Huile sur toile
Collection particulière, en dépôt au Kunstmuseum de Bâle
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

Abraham et les trois Anges
1940-1950
Huile sur toile
Collection particulière
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

La Crucifixion en jaune
1942-1943
Huile sur toile de lin
Paris, Centre Pompidou, MNAM / CCI
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

Maquette pour les vitraux de la synagogue de l’hôpital Hadassah de Jérusalem. La tribu de Siméon
1959-1960
Gouache, aquarelle, pastel, encre de Chine et crayon sur papier
Collection particulière
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®

Articles sur le blog concernant :
- Culture
- Shoah(Holocaust)

Cet article a été publié le 27 mai 2011, puis le :
- 9 mai 2014. Sur Arte le 10 mai 2014, Le triomphe du monothéismedeuxième volet de la série De l'Orient à l'Occident réalisée par John Fothergill, "retrace la naissance et le développement du judaïsme, puis du christianisme, et la victoire de ce dernier sur l'Empire romain" ;
- 11 février 2015.

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