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dimanche 20 mars 2016

« Sur la terre comme au ciel, jardins d'Occident à la fin du Moyen Âge »

  
C’est le catalogue d’une exposition au musée national du Moyen-âge (2002) qui présentait, pour la première fois en Europe, une exposition consacrée à un thème méconnu : l'histoire des jardins et leurs significations symboliques pour les hommes de la fin du Moyen-âge. Une centaine d'œuvres – manuscrits enluminés, gravures, panneaux peints, tapisseries, sculptures, coffrets, dessins, et objets archéologiques – étaient réunies dans trois espaces dédiés aux jardins sacré, d'amour et réel. Soit du jardin d'Eden, le Paradis perdu, à l'amour des jardins, via la quête du Paradis sur terre. Le jardin révèle une mutation décisive de « la pensée occidentale au cours du Moyen-âge : le passage du monde sacré et mystique à une pensée profane et au goût de la réalité ». Article republié en ce jour du printemps.
Organisée par la RMN (Réunion des musées nationaux) et ce musée parisien, cette exposition transmettait les nouvelles connaissances sur l'histoire générale des jardins.

Ce sujet est à découvrir car il ne subsiste aucun jardin médiéval.

L'intérêt récent pour celui-ci s'explique par « la mode récente des jardins en France, la vague "new age" et la vogue de l'aromathérapie » (Elisabeth Antoine, conservateur au musée et commissaire de l’exposition). L'étude des sources historiques a permis de déchiffrer les représentations de jardins dans les œuvres écrites et iconographiques médiévales. Des jardins et des plantes qui sont présents dans les vies religieuse et quotidienne ainsi que dans les arts.

Elisabeth Antoine privilégie la fin du Moyen-âge de l'Occident non-méditerranéen.

D'une part, la connaissance historique est tributaire de ses sources : subsistent un plan de jardin médiéval – celui de l'abbaye de Saint-Gall (IXe siècle) - et un plus grand nombre de comptes pour les XIVe et XVe siècles, période d'essor urbain, de crises et de différenciation entre sociétés rurale et urbaine. Alors, certains « rêvent d'un retour à la nature, d'une nature dominée, refuge nostalgique aux malheurs du temps. A travers les sources imprimées, comptes et inventaires princiers publiés par les érudits du XIXe et du début du XXe siècles, l'accent a été mis sur les jardins princiers ou de « moyennes personnes », selon l'expression de Pierre de Crescens, jardins de châteaux ou jardins urbains et non sur les jardins monastiques ». De plus, les jardins ont peu évolué du XIIe siècle au début du XVIe siècle.

D'autre part, le parti pris de l'exposition était de montrer cet « univers commun des jardins d'Occident » en laissant de côté « les jardins du sud de l'Italie ou de l'Espagne andalouse, influencés par une autre culture des jardins, celle de l'islam. Présents dans la peinture flamande et germanique, les jardins sont plus discrets dans la peinture italienne de la même période : ils apparaissent en arrière-plan, par l'ouverture d'une porte ou d'une fenêtre ; dans ces échappées, on reconnaît une organisation et des structures identiques à celles des jardins nordiques (tonnelles et pavillons de verdure, banquette de gazon, arbres taillés en plateau), à quelques nuances près : une présence plus importante de la pierre dans les structures et, parfois, un esprit déjà renaissant dans les décors de fontaines ou la présence de sculptures ».

Dans deux salles, le scénographe avait conçu un parcours thématique promenant le visiteur du domaine du symbole à celui de la réalité, du ciel à la terre.

Le jardin de l'âme
Commençons par « le jardin sacré, à travers le paradis perdu du jardin d'Eden et le jardin clos, l'hortus conclusus du Cantique des Cantiques, où le jardin semble la figure de l'âme ».

Les deux textes fondateurs bibliques - la Genèse et Le Cantique des cantiques - définissent le jardin par sa clôture, matérielle et symbolique. La Genèse décrit la vie d'Adam et d'Eve dans le jardin d'Eden dont ils sont chassés après le péché et fixe une autre caractéristique du jardin médiéval : « la présence de l'eau vivifiante ». C'est ce jardin éternel, « des délices » (locus voluptatis), de l'innocence originelle, du bonheur et de l'accord avec D., qui suscite la nostalgie et le souhait d'y retourner.

Et bien des humains sont troublés et nombre de livres, mystiques ou non, sont inspirés par ces versets d'amour du Cantique des cantiques, où le Bien-Aimé dit à la Bien-Aimée :
« Tu es un jardin clos [hortus conclusus]
ma sœur, ô fiancée,
une source verrouillée, une fontaine scellée,
tu exhales l'odeur du paradis et des grenades,
avec l'odeur des fruits du verger, du troène et du romarin »
(Cantique, 4, 3)

Attribué au sage Salomon, ce dialogue a été interprété dans la tradition juive comme le dialogue entre D. et le peuple élu, Israël, et dans la tradition chrétienne comme celui entre la figure du Christ et celle de l'Eglise ou de l'âme.

Le jardin clos désigne alors aussi la Vierge. Au-delà du symbolisme chrétien, prêtons attention aux éléments bien réels figurant dans les peintures mariales : « les tonnelles de verdure, la banquette d'herbes et les carrés de violettes et d'œillets ».

La pensée judaïque, puis celle chrétienne, connotent négativement beaucoup de paysages. La mer ? Un lieu de danger et d'exil où sont tapies les forces du mal. La forêt ? Celui du désordre. La montagne ? Sa perception est ambivalente : espace d'élévation spirituelle vers le ciel, et dangereux car l'air y est raréfié. Restent la campagne et sa quintessence, le jardin. C'est-à-dire des espaces civilisés et ordonnés pour les besoins des hommes, promesses d'abondance et proches des endroits de la vie quotidienne.

Le jardin du cœur
Deuxième étape du parcours : « le jardin d'amour, le jardin allégorique créé par la littérature, lieu de prédilection de l'amour courtois, qui mêle sacré et profane, non sans ambiguïté. Du Roman de la Rose au Décaméron, le jardin devient le lieu d'un bonheur idéal où viennent se réaliser les modèles fixés par le code de la vie courtoise. Manuscrits enluminés, gravures et tapisseries mille fleurs illustrent ce lieu de la rencontre amoureuse ».

Si le jardin est associé au bonheur, c'est parce qu'il est l'espace privilégié du renouveau printanier – « la reverdie » ou feuillée, verdure - et de la rencontre amoureuse comme le montrent les gravures où se mêlent « les thèmes de la fontaine de Jouvence, du jardin d'amour et du jardin des délices ».

Célébré dans le Cantique des cantiques, le printemps est un thème récurrent de plus en plus présent dans la littérature médiévale. Lyrisme et amour courtois se conjuguent dans des odes à la nature renaissante, source d'espoir, protectrice d'idylles et chantée par jongleurs et troubadours.

Dans le Roman d'Alexandre (vers 1180), Alexandre de Paris décrit « le jardin des filles fleurs » : « Toute demoiselle pouvait se livrer aux jeux de l'amour, s'offrir à son ami et le serrer dans ses bras tout son soûl […]. Le verger était beau, la prairie délicieuse fleurait bon la réglisse et la cannelle, le galanga, l'encens, le zédoaire de Tudela. Tout au milieu du pré jaillit une fontaine d'eau claire sur du gravier blanc ». Une fête des sens ! L'auteur insiste sur la végétation orientale pour « traduire de manière littéraire le caractère édénique de ce lieu où abondent le beau et le bon » (Marie-Thérèse Gousset).

Le jardin d'amour représente les divertissements courtois : certains s'adonnent à la musique, au chant et à la danse, d'autres tressent des « chapels » (chapeaux) de fleurs pour leur bien-aimé(e) : rose des amants et œillet des fiancés.

Puis vient l'heure de la collation. Autour de la table, on se divertit par les « jeux de cartes ou d'échecs, des activités symboliques de la conquête amoureuse ».

Habitées d'animaux, les tapisseries « mille fleurs » du XVe siècle illustrent cet éternel printemps créé par la littérature courtoise. Elles reproduisent, en fond, avec abondance et réalisme, narcisses – ou jonquilles -, œillets, pâquerettes, pervenches, giroflées, amandiers, muguets, fraisiers, coquelicots, violettes, etc. La rose symbolise la Vierge, l'amour terrestre ou le plaisir sensuel.

C'est l'amour profane qui permet la transition avec le « jardin quotidien, lieu d'intimité et de retrait, où l'homme cherche à recréer l'harmonie avec lui-même et avec le monde ».

Le jardin d'agrément
Des peintures du XVe siècle, des sources écrites, des enluminures et divers objets évoquent la réalité quotidienne des jardins de la fin du Moyen-âge. Planté d'arbres aux espèces variées, refuge des amants, espace où règne un éternel printemps, le verger est défini par la viriditas, i.e. la verdoyance, et la vigueur. De prairie ou pelouse fleurie, le préau devient synonyme de verger ou de jardin.

Agrémenté d'une fontaine, de ménagerie ou de volière emplies d'animaux exotiques, cet espace est clairement délimité et très architecturé. Les murs extérieurs, en pierre ou brique pour les plus fortunés, le séparent/protègent des agressions de l'extérieur ou d'une nature sauvage. A l'intérieur, dominent des clôtures de bois : plessis (branches de saule ou châtaignier entrelacées), palis ou treillages.

Ce jardin d'agrément est caractérisé par des délimitations géométriques : des allées rectilignes formées de sable, de gravier ou parfois de coquillages concassés, enserrent des plates-bandes carrées (carreaux) ou rectangulaires.

Pour l'orner et lui apporter fraîcheur et fragrances, sont disposés les tonnelles de vigne, roses ou jasmin, et les pavillons de verdure « d'où le jardin sera appréhendé par séquences successives. Au centre, une pelouse carrée, plantée de " mottes " ou plaques de gazon. Autour, sont plantées des bordures mélangées de fleurs (rosiers, violettes, lis, iris) et " d'herbes aromatiques et de suave odeur " (basilic, sauge, hysope, marjolaine, sarriette, menthe). Et, à l'une des extrémités de la pelouse, une banquette ou siège de gazon… Qu'il soit princier ou de " moyenne condition ", laïque ou religieux, le jardin à la fin du Moyen-âge se caractérise par la présence simultanée de végétaux qui se verront, aux siècles suivants séparés : fleurs, simples (plantes médicinales), arbres et souvent aussi légumes. Le bonheur qu'apporte le jardin, c'est le plaisir des sens allié à la paix de l'âme, l'harmonie avec soi-même et avec la nature ». (Elisabeth Antoine).

Les plantations y sont contenues dans de strictes limites, soit « dans leurs carreaux entourés de briques ou de treillis, soit dans de gros pots, comme les œillets, la sauge, le basilic ou la marjolaine, que les manuscrits italiens figurent dans de superbes pots de faïence. La taille en plateaux ou en gradins des arbres traduit cette vision graphique et structurée de l'espace ».

Qu'utilisent les « jardiniers » ? Des arrosoirs ou " chantepleures " - voilà un nom évocateur qui sent bon le « vieux françois » -, des pots de terre, des bêches ferrées, des serpettes aux formes variées pour tailler et greffer des arbres, des râteaux, des brouettes, etc. Par souci d'économie, ces outils sont fabriqués essentiellement en bois, avec parfois du métal (fer). Ces jardiniers bénéficient aussi d'opuscules leur prodiguant des conseils. D'après les livres de comptes des princes, les femmes assurent les « tâches les moins nobles » : retourner et aérer la terre, et ôter les mauvaises herbes grâce aux binettes, griffes et sarcloirs.

Variété des sensations procurées, espace limité « sans jeux de perspective ni ouverture sur de vastes horizons », nature maîtrisée dans un ordonnancement régulier. Telle est cette « chambre de verdure ».

Orner ces jardins participe d'une politique de luxe et d'ostentation, comme le prouvent les jardins des papes en Avignon et le parc d'Hesdin du temps des ducs de Bourgogne.

Allié à l'intérêt grandissant pour la botanique, le goût des princes pour les jardins est satisfait par des ouvrages représentant les plantes de manière réaliste. Ainsi qu'en atteste le succès – nombreuses copies enluminées et traductions – du traité l'Opus ruralium commodorum (début du XIVe siècle) du Bolonais Pierre de Crescens. « L'herbier désigne alors un ouvrage de pharmacopée, illustré ou non. Au cours du XVIe siècle, il se transforme en un recueil de plantes " herborisées ", cueillies dans la nature, séchées, collées dans l'album et identifiées ».

« A la fin du Moyen-âge, les fleurs se sont introduites à l'intérieur des demeures, et la séparation entre la maison et son jardin attenant semble s'estomper. Des galeries et des pavillons prolongent l'architecture dans le jardin, tandis que les jardins en miniature agrémentent les fenêtres, voire les intérieurs ; jardinières et pots aux formes élégantes – pots à bulbes et à suspension – permettent au jardin de s'épanouir dans la maison. Présence quotidienne des fleurs, rendu botanique, goût de la réalité : bouquets et natures mortes remplaceront vite chapels et jonchées de fleurs… »

Les visiteurs peuvent se promener dans le jardin d'inspiration médiévale du Musée, « retrouver les palis et plessis qui protègent les différents espaces dessinés en carrés ou en rectangles, les banquettes, les topiaries (arbustes taillés), les "simples", les petits fruits rouges et les légumes qui poussaient au Moyen-âge »


Sur la terre comme au ciel, jardins d'Occident à la fin du Moyen Âge. Editions RMN, 256 pages. Diffusion Seuil. 45,50 €. ISBN : 9 782711 844487

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Cet article a été publié le 21 décembre 2009, puis les 20 mars 2013 et :
- 3 juin 2015 : Jardins, jardin aux Tuileries a eu lieu du 4 au 7 juin 2015.

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