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samedi 12 mai 2018

David Goldblatt (1930-2018)


Le Centre Pompidou a présenté une rétrospective du photographe Juif sud-africain David Goldblatt (1930-2018) en Afrique du sud dans une famille d'origine lituanienne. L’exposition "retrace son parcours à travers un choix de séries majeures et dévoile aussi des ensembles plus méconnus".  

Devenir photographe a été pour David Goldblatt une « manière d’être politiquement actif. C’était un acte politique en soi », affirme cet artiste qui récuse le statut de photojournaliste.

Un projet d’aliyah
David Goldblatt est né en 1930 à Randfontain (Afrique du Sud), dans une famille Juive originaire de Lituanie dont elle avait fui les persécutions antisémites vers 1893.

Il se définit comme « Juif, pas très observant. Les valeurs du judaïsme transmises par mes parents sont importantes pour moi ».

Il débute comme journaliste professionnel en 1948. Il se marie avec Lily en 1955, a trois enfants et projette de faire son aliyah.

La grave maladie de son père Eli bouleverse sa vie. Il étudie le commerce à l’université Witwatersrand à Johannesburg, reprend l’affaire familiale et continue, dans ses moments libres, son activité de photographe.

Après la mort de son père en 1962, il vend en 1963 le magasin familial et se consacre à 33 ans à l’activité de photographe professionnel à plein temps.

Pour des magazines prestigieux, tels Tatler et Optima, il effectue des reportages sur les Afrikaners du Transvaal, les mines et la classe moyenne en Afrique du Sud, dont certains sont publiésaussi sous forme de livres : On the Mines (1973), Some Afrikaners Photographed (1975), In Boksburg.

Un engagement de photographe
En 1972, David Goldblatt a photographié pendant six mois à Soweto et 1976-1977 la région de Joburg où vivent des habitants d’origine indienne.

Dans les années 1990, bien que refusant l’utilisation de son travail à des fins de propagande, il a participé aux expositions Staffrider d’Afrapix, qui regroupait des photographes anti-apartheid de gauche.

En 1985, la branche britannique de l’African National Congress (ANC) de son exposition en Grande-Bretagne a paradoxalement appelé au boycott d’une exposition itinérante en Grande-Bretagne de ses clichés. Puis, écoutant Gadsha et Gordimer, elle a annulé son boycott.

En 1992, David Goldblatt a rejoint South Light, une agence photographique créée par Paul Weinberg et d’autres photographes blancs après qu’ils aient quitté Afrapix, agence de photographes militant contre l’apartheid.

Pour ses photos sur la vie politique et sociale sudafricaine, il a reçu en 2006 le Hasselblad Foundation Award en photographie, une des récompenses les plus prestigieuses.

Il a été l’un des artistes sud-africains à être montrés au musée d’art moderne à New York.

Il est le « chef de file de la photographie sud-africaine ». Il est réticent à commenter ses photographies qui « disent ce que je veux dire, ce que j’aime, ce que je critique ».

De nombreuses rétrospectives lui ont été consacrées aux Etats-Unis et en Europe.

Urbanisation et apartheid
Dans « l’ancien système d’enregistrement des véhicules sud-africains, avant l’informatisation », l’acronyme « TJ » (« Transvaal, Johannesburg ») désignait « la ville et la province où ils étaient enregistrés. Ce qui, selon David Goldblatt, induisait un sentiment d’appartenance.

Johannesburg (ou Joburg), ville où vit et travaille ce photographe depuis de nombreuses années, symbolise les changements intervenus depuis la fin de l’apartheid et les permanences marquant cette ville « fragmentée, à l’histoire complexe et douloureuse » et née « en 1886, grâce à la découverte des mines d’or ».

« Dès le début, les Blancs qui dirigent les services publics et les compagnies minières mettent en place la ségrégation raciale réduisant les populations Noires à l’état de simple main d’œuvre. En 1948, l’Apartheid est proclamé, les personnes de couleur sont consignées dans des quartiers dont les noms ne laissent aucun doute sur l’intention de cette mesure, à savoir éloigner ces populations du centre-ville et donc de toute possibilité d’intégration ».

David Goldblatt déplore en particulier que l’Apartheid « a empêché d’appréhender le mode de vie de l’autre ».

En 1994, Nelson Mandela « est élu premier président noir de l’Afrique du Sud et célèbre la fin de l’Apartheid dans son discours d’investiture ». Avec la fin de l’Apartheid, les populations noires et pauvres sont retournées dans le centre de Johannesburg. « Ce sont donc aujourd’hui les populations blanches qui se déplacent vers les banlieues, se protégeant à outrance pour éviter la criminalité, omniprésente dans la ville ».

Et de déplorer des maux affligeant nombre de Sud-Africains : chômage, enseignement insuffisant et inadapté aux besoins en raison de « négligence, d’insuffisance de financements, de corruption et d’un manque de détermination » ainsi que de choix d’investissements dispendieux et « peu judicieux », etc.

Si David Goldblatt note l’amélioration de Soweto, il observe la division sociale actuelle : des centaines de milliers de Noirs souvent pauvres, venant d’Afrique du Sud ou de pays du Nord, ont afflué dans Joburg et sa périphérie où ils vivent dans des conditions misérables, tandis que, à l’intérieur ou au nord de Joburg, une « ploutocratie de gens, blancs ou noirs, de plus en plus riches » s’isole « toujours davantage, derrière de hauts murs électrifiés ».

Un projet primé
En 2009, David Goldblatt a reçu le Prix HCB pour « TJ », un projet en cours de réalisation sur Johannesburg. Une distinction qui lui permet aussi de présenter ses clichés à la Fondation Henri Cartier-Bresson (HCB).

La Fondation Henri Cartier-Bresson a présenté la rétrospective « TJ 1948-2010 ». assorti d’un superbe catalogue. Des photographies épurées en noir et blanc et en couleurs, prises entre 1948 et 2010, dont la série « Ex-offenders ». Une réflexion sur l’influence durable de l’apartheid sur l’urbanisation de Johannesburg (ou Joburg). 

Au 1er niveau du bâtiment de la Fondation HCB, étaient montrées environ 60 tirages argentiques d’époque en noir et blanc de l’époque de « TJ » (1948-1990). Ce sont des « fragments de vie prélevés pendant ces années où les lois se multipliaient pour mettre les personnes de couleur à l’écart, réduisant leurs maisons, leurs commerces à l’état de ruines. David Goldblatt a sans cesse renouvelé son approche dans un même pays, ce qui est exceptionnel ; utilisant, tour à tour différents formats (24x36, 6x6, et la chambre grand format, couleur et noir et blanc) ».

Au 2e niveau, sont réunies les photos plus récentes, après la fin de l’apartheid. Ce sont des portraits en noir et blanc d’« ex-offenders », d’anciens prisonniers, sur les lieux de leurs délits et crimes, légendés par l’histoire de leur vie « faite de petits délits, de meurtres, de prison et d’espoir » : certains sud-africains s’en sont sortis, d’autres ont récidivé, comme pris dans un engrenage familial et social. Pourquoi n’avoir pas photographié les victimes ? « Les victimes, je les connais : ce sont des gens comme moi, comme ma famille, comme mes amis. Je voulais savoir qui sont ceux ayant commis ces actes », m’a répondu David Goldblatt, en général laconique dans ses réponses, le 11 janvier 2011. Sans ses légendes précises, ces portraits pourraient inspirer des interprétations variées.

Est exposée aussi une série en noir et blanc sur les cellules pour Noirs et des paysages urbains banals, en couleurs. David Goldblatt privilégie le noir et blanc pour exprimer sa colère, et opte par réalisme pour les couleurs, plus douces.

Il est réticent à commenter ses photographies qui « disent ce que je veux dire, ce que j’aime, ce que je critique ».

A voir cette exposition, on comprend d’autant mieux combien le terme « apartheid » est faux et insultant à l’égard de l'Etat d’Israël.

Le beau catalogue rassemble des photos, dont un grand nombre présentées dans cette exposition.

Arte rediffusa le 2 avril 2016 à 1 h 05 Paul Simon « Graceland » - Retour aux sources africaines (Paul Simon « Graceland » - Under African Skies), documentaire par Joe Berlinger.

Centre Pompidou
Le Centre Pompidou "consacre pour la toute première fois une rétrospective à l’œuvre de David Goldblatt, figure clé de la scène photographique sud-africaine et artiste phare du documentaire engagé. À travers ses photographies, Goldblatt raconte l’histoire de son pays natal, sa géographie et ses habitants. L’artiste entretient dans son œuvre une tension singulière entre les sujets, le territoire, le politique et la représentation. L’exposition retrace son parcours à travers un choix de séries majeures et dévoile aussi des ensembles plus méconnus, comme ses premières photographies prises dans les townships de Johannesbourg. La série On the Mines, devenue aujourd’hui une œuvre emblématique de l’histoire de la photographie documentaire, est présentée avec des tirages de travail. L’exposition montre enfin une partie de la série Particulars appartenant à la collection du Centre Pompidou, ou encore le travail plus récent de l’artiste à travers la série Intersections. Toutes ces séries reviennent avec acuité sur la complexité des relations sociales sous l’apartheid."

"Né en 1930, David Goldblatt parcourt inlassablement l’Afrique du Sud, depuis presque trois quarts de siècle. À travers ses photographies, il raconte l’histoire de son pays natal, sa géographie et ses habitants. Il examine ainsi scrupuleusement l’histoire complexe de ce pays, lui qui fut témoin de la mise en place de l’apartheid, de son développement, puis de sa chute. Lauréat du Hasselblad Award (2006) et du prix Henri Cartier-Bresson (2009), David Goldblatt est aujourd’hui considéré comme l’un des photographes majeurs du 20e siècle, mais pour bien d’autres raisons qu’une simple fidélité à son sujet. L’artiste limite chaque travail personnel à un lieu particulier, dont il a une très bonne connaissance. Cette parfaite maîtrise du terrain lui permet de trouver la forme la plus juste pour exprimer toute sa complexité. Si son approche documentaire le relie à des maîtres tels Dorothea Lange, Walker Evans, August Sander ou encore Eugène Atget, Goldblatt n’a jamais voulu adopter des solutions photographiques déjà existantes."

La "singularité de l’art de Goldblatt réside, plus largement, dans son histoire personnelle et sa vision de la vie. Né dans une famille d’immigrés juifs lituaniens fuyant les persécutions, il est élevé dans un esprit d’égalité, de respect et de tolérance vis-à-vis des personnes d’autres cultures et d’autres religions. Dans sa maison natale, remplie de livres, les différences d’opinions se discutent. Ses frères aînés le sensibilisent aux questions sociales et l’introduisent à la pensée de gauche. En témoignent ses premières photographies réalisées entre 16 et 18 ans - dockers, pêcheurs, ouvriers miniers. Le sujet de la mine l’intéresse tout particulièrement : devenu jeune photographe professionnel, il réalisera plus tard une série autour des mines en déclin, voire abandonnées, de sa région natale. Ces photographies constituent la matière de son premier livre photographique, On the Mines, qu’il signe avec Nadine Gordimer. À cela s’ajoutent sa curiosité et sa volonté de comprendre, plutôt que de bannir les attitudes qu’il ne partage pas. C’est ce qui l’a poussé, après l’avènement de l’apartheid, à poser son regard sur les petits agriculteurs afrikaners qu’il croisait dans la boutique de vêtements de son père. Ces images sont publiées en 1975 dans son deuxième livre, intitulé Some Afrikaners Photographed. Le désaccord avec la politique raciale de l’apartheid et les abus du gouvernement actuel sont à la source d’une longue série d’images entreprise il y a presque quarante ans, intitulée Structures. Les photographies des bâtiments et des paysages, accompagnées de légendes informatives détaillées, encouragent une réflexion sur le rapport que les formes de ces environnements entretiennent avec les valeurs sociales et politiques des individus ou des groupes sociaux qui les construisent et les habitent."

David Goldblatt "répète souvent que la photographie n’est pas une arme et qu’elle ne devrait se rapprocher d’aucune propagande, même dans un but louable. Le langage photographique qu’il a privilégié est, dans la lignée de cet esprit, à la fois simple et intense. En prenant le temps, en utilisant un appareil moyen format, en posant l’appareil sur le trépied, et en mettant ses opinions au second plan, Goldblatt donne un espace à la personne ou au lieu photographié, exprimant ainsi leurs idées et leurs valeurs."

"Des essais de jeunesse jusqu’aux images les plus récentes, l’exposition rétrospective que consacre le Centre Pompidou à l’œuvre de David Goldblatt offre, pour la première fois en France, un parcours inédit de plus de 50 ans de photographie. Réunissant plus de deux cents photographies, une centaine de documents inédits ainsi que des films où Goldblatt commente ses photographies, elle permet au public de plonger dans cet œuvre fascinant qui apprend à regarder avec un œil conscient et analytique. Comme l’écrivait Nadine Gordimer, grande auteure et amie du photographe : « La ‹ chose essentielle › dans les photographies de Goldblatt n’est jamais un morceau, ou le raccourci visuel d’une vie ; elle est empreinte par le désir de communiquer, grâce à la connaissance et la compréhension, la totalité du contexte de cette vie, dans laquelle ce détail, parmi et plus que tous les autres, est signifiant. Et c’est la présence de ‹ chose essentielle › – et non pas le détail en soi – qui maintient l’équilibre dans la totalité, entre la généralité de ce qui a été vu à de maintes reprises et ce qui est vu de manière singulière. »

« David Goldblatt ne saisit pas le monde avec l’appareil. Il cherche à se débarrasser des idées préconçues sur ce qu’il voit avant de les sonder davantage avec son instrument de prédilection – l’image photographique. » Nadine Gordimer, 1983


Jusqu’au 17 avril 2011
2, impasse Lebouis, 75014 Paris
Tél. : 01 56 80 27 00
Du mardi au dimanche de 13 h à 18 h 30, le samedi de 11 h à 18 h 45
Nocturne gratuite le mercredi de 18 h 30 à 20 h 30

David Goldblatt, Johannesburg Photographies 1948-2010. Contrasto, 2011. 316 pages. ISBN : 9788869652189

Visuels de haut en bas :
Couverture du catalogue
Elle lui dit : « Toi tu serais le chauffeur et moi je serais la madame », puis ils attrapèrent le pare-chocs et prirent la pose. Hillbrow, 1975

Le monument érigé par les vétérans boers de la guerre des Boers (1899-1902), en commémoration du centenaire du Great Trek (l’exode des Afrikaners du Cap vers l’intérieur des terres, entre 1834 et 1845), qui fut dévoilé le 3 décembre 1938, Vrederdorp


Yaksha Modi, la fille de Chagan Modi, dans la boutique de son père avant sa destruction conformément au Group Areas Act, 17th Street, Fietas. 1976

Articles sur ce blog concernant :

Les citations proviennent du dossier de presse et du catalogue.
Cet article a été publié en une version concise dans le n° 633 de février 2011 de L'Arche. Il a été publié le 5 avril 2011, puis le 28 février 2016.

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