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dimanche 15 mai 2016

De Delacroix à Matisse. Dessins du musée des Beaux-arts d'Alger


Dans le cadre de Djazaïr, une année de l’Algérie en France, le Louvre a présenté en 2003-2004 une soixantaine de dessins méconnus ou inédits du musée des Beaux-arts d'Alger, et signés de Delacroix, Chassériau, Degas, Matisse (XIXe-début XXe siècles). Un joli catalogue accompagnait cette exposition qui montrait notamment des Juifs d'Alger et de Constantine. Arte diffusera les 15 et 21 mai 2016 Trésors oubliés de la Méditerranée. Le musée des Beaux-arts d'Alger, documentaire de Jérôme-Cécil Auffret.


  Pour le centenaire de l’Algérie française, est inauguré en 1930 ce Musée édifié sur une colline près du Jardin d’Essai et dominant la baie. Il vise à monter « un vaste panorama de l'art français du XIXe et du début du XXe siècle ».


"Enserrée dans un musée art déco des années 1930, dominant mer et jardins de la ville blanche, la collection de toiles et de sculptures du musée des Beaux-Arts d'Alger est réputée être "la plus grande collection du continent africain et du Moyen Orient".

Le "musée des Beaux-Arts d'Alger est le lieu de rencontre de l'art d'Orient avec celui d'Occident. Injustement méconnue, sa collection de toiles et de sculptures raconte une histoire de l'art universelle. Delacroix, Renoir, Rodin, Belmondo, Matisse, Maillol et Monet... La présence à Alger de tant de grands maîtres fascine l’œil. Ces artistes y côtoient les peintres algériens modernes, tels Racim ou Khadda. Guidés par la voix du maître miniaturiste Mohammed Racim, nous voyageons à travers les chefs-d'oeuvre..." Le documentaire évoque une miniature sur l'islam et la "guerre de libération", un djihad. En 1963, les œuvres du réalisme socialiste sont montrées dans ce musée. En 1975, Mohammed Racim est assassiné. Khadda et une nouvelle générale d'artiste allient la graphie arabe et l'abstraction.

   De "détails en détails, d’œuvres en œuvres, notre voyage dans les cultures et l'esthétique des rivages de Méditerranée se termine dans le surréalisme révolutionnaire des artistes algériens modernes. Leurs toiles éclatent des valeurs de l'art universel - cet art où Orient et Occident s'enrichissent mutuellement, se nourrissant l'un l'autre d'amour et de liberté".

L’exposition soulignait les deux principaux axes des collections du musée, à partir d'œuvres significatives de son Cabinet des estampes. Mis en place en 1949, ce cabinet « s'enrichit rapidement grâce à des dons et des legs importants et une politique d'acquisitions soutenue ».

Cette exposition du département des arts graphiques du musée du Louvre a obtenu le soutien de Total, et le partenariat de RMC Moyen-Orient. Parallèlement l'Institut du monde arabe (IMA) a présenté l’exposition De Delacroix à Renoir, l’Algérie des peintres.

Son catalogue « étudie pour la première fois les feuilles les plus importantes des collections graphiques du musée, privilégie les artistes ayant travaillé en Afrique du Nord mais aussi les figures majeures du dessin français moderne », tels Dehodencq et Matisse.

Aux côtés des « Orientalistes » du XIXe siècle et du début du XXe - artistes ayant séjourné ou vécu en Algérie, Chassériau, Delacroix, Sintés… -, certaines des figures majeures du dessin français à cette époque : Degas, Derain, Puvis de Chavannes…

Une « sévère discipline »
« Rien ne vaut le dessin pour convaincre ceux qui s’adonnent au difficile métier de peintre ou de graveur de la nécessité d’une sévère discipline », écrivait son directeur Jean Alazard.

L’Orient nourrit l’imagination des artistes qui y séjournent, et y renouvellent leur inspiration ainsi que leur passion pour les couleurs, tels Delacroix (« La Juive de Tanger »), Degas, Matisse, Dufy...

En 1846, Théodore Chassériau est charmé par les attitudes des Juives de Constantine et d’Alger.

De « la Palestine de 1861, Alexandre Bida rapporte une moisson d’études destinées à son grand œuvre, l’illustration d’une Bible commandée par la maison Hachette ».

La Biche morte
Le Président François Hollande s'est rendu en visite officielle en Algérie les 19 et 20 décembre 2012. La Biche morte de Gustave Courbet est un "M.N.R., c’est-à-dire un bien Juif volé pendant la " Seconde Guerre mondiale "mais dont on n’a pas réussi à retrouver le propriétaire. Bien que revendiquée également par l’Algérie - à laquelle elle n’appartient pourtant pas - elle est restée en France, au Musée d’Orsay, demeurant disponible pour une éventuelle restitution aux descendants des collectionneurs spoliés pendant la guerre".



Juives d’Alger au balcon de Théodore Chassériau

Après avoir peint le portrait d’Ali Ben Ahmed (1845), « intermédiaire entre l'armée française et la féodalité de l'est algérien qui l'invite à Constantine », le peintre séjourne en Algérie en 1846, en une période de « tensions politico-militaires » dans une région conquise militairement en 1837.
« Contrairement à Alger, déjà européanisée, la capitale de l'est algérien conserve encore le caractère arabe et turc que l'artiste ne manque pas de noter.
Théodore Chassériau voit dans Constantine encore intacte l'incarnation des Mille et une Nuits et de la Bible. « Ce beau et singulier pays si près de perdre son originalité pour devenir tout à fait français» (lettre du 30 juin 1846) ».
De retour à Paris, Chassériau dessine en puisant dans ses souvenirs « une chose vigoureuse ».
La « scène représentée dans le tableau est localisée à Alger d'après les croquis sur le vif annotés de la main de l'artiste et qui ont servi pour sa composition ». Ensoleillée, la ville visible à travers les jours du parapet, pourrait être Alger. La « tenue des deux modèles, différente de celle des Femmes d'Alger de Delacroix, dont le sarouel (pantalon turc) constitue la pièce maîtresse, est typique de Constantine ». Les « gandoura, robes à panneaux, cintrées et évasées vers le bas, en soie verte, croisillons et rosaces, ou rouge à bandes et fleurs obliques, brochés or, sont de l'est algérien. Elles se portent avec des manches en gaze blanche brodée d'or, d'argent ou de soie, libres ou cousues à un bustier, relevées sur les épaules, nouées dans le dos pour tenir sous la robe. Le croquis de la femme de gauche est réutilisé sans modification. La chéchia, demi-tronc de cône, portée sous les foulards, n'est pas en usage à Alger selon G. Marçais. Les femmes de Tlemcen ou d'Annaba l'arborent en or ou en argent mais apprêtée autrement. «Les citadines les plus distinguées des villes autres qu'Alger qui ont accueilli un grand nombre d'émigrés andalous ou morisques [...] ont conservé quelquefois jusque dans le costume cérémoniel actuel, des chéchias de forme conique» (Leila Belkaid). Coiffe, koufia, elle vient en Méditerranée avec les carthaginois ; elle disparaît aux époques grecque et romaine et revient avec les Omeyyades. De velours ou satin, collée sur une âme rigide, maintenue sur la tête par une mentonnière brodée d'or ou appliquée de soltani, monnaie califale, ou de louis d'or, elle assujettit le foulard qui enveloppe les cheveux. La mentonnière, visible au dessus de l'oreille de la femme de droite, se mêle à la mèche qui, selon la mode, s'échappe de la coiffe. La tête est ceinte d'un foulard, açaba. Masculine à l'origine, utile contre le froid et symbole royal, la sarma exhausse la taille et donne de la majesté. Les cheveux tressés sur le dos, entortillés dans une terrada, kardounou ruban de soie rouge, sont mêlés à de fausses tresses d'étoffes fines et colorées, comme en Grèce et en Turquie. Les foulards orange, modestes ceintures autour de leur taille, font partie de la tenue d'intérieur tout comme la chéchiaà pans longs de la femme de droite. C'est une bnika, bonnet fait dans un tissu plié en deux, cousu au sommet de manière à y encoller un cône et à envelopper les cheveux. L'écharpe de soie, portée au-dessus du cône et flottant sur les épaules de la femme de gauche, est réservée aux femmes mariées ».
L'embrasure d'une arcade géminée revêtue de céramique au décor à peine esquissé. Les femmes accoudées au premier plan, dans « l'ombre et la demi-teinte »,à la balustrade de bois sculpté, conversent à l'ombre, indifférentes à la ville qu'elles dominent de loin et au ciel mi-pur, mi-opale. Le regard intense souligné au khôl rappelle celui de L'Odalisque couchée (1853, collection privée) et Desdémone écoutant Othello (gravure de la suite pour Othello, 1844). Le motif romantique des femmes au balcon est espagnol, parisien ou vénitien. Il n'est pas habituel en Algérie à cette époque. Le seul univers féminin ouvert est centré sur le cloître, autour d'une cour ou d'un jardin... Cette maison luxueuse ne sert pas à cloîtrer les femmes. Elle traduit dans l'espace miniaturisé et privatisé l'esprit d'harmonie qui doit régner entre l'homme et les éléments, comme à Rome… La fenêtre est aussi bien arabe qu'ottomane. Tout comme la vue de femmes au balcon est rare, le mot balcon même n'est pas approprié car il ne s'agit pas d'une terrasse entourée d'une balustrade, suspendue en saillie sur un mur. C'est une embrasure ouverte dans l'épaisseur d'une loggia, dans les appartements privés, à l'abri du soleil et des regards, qui permet aux femmes et aux hommes de prendre l'air sans être vus de l'extérieur. Ce « balcon » rappelle plutôt les loggias de Venise. Même adaptée au contexte, la présence au sol, à leurs pieds, du récipient en argent est insolite ; utilisé en cuisine ou pour conserver friandises et divers objets, il est généralement posé sur une étagère libre ou encastrée dans une niche… Il n'y a pas dans le tableau de détails exclusivement juifs. L'identité supposée des figures est une déduction des mœurs de l'époque. Les juives, contrairement aux musulmanes, ne sortaient pas voilées et avaient la possibilité de recevoir des hommes étrangers à leur foyer, donc éventuellement des artistes ». Les  citations sont de Malika Bouabdellah.


De Delacroix à Matisse, dessins français du musée des Beaux-arts d’Alger. Ed. Somogy/musée du Louvre/musée des Beaux-Arts d’Alger, 2003. 120 pages. ISBN-13: 978-2850567087
« Juives d’Alger au balcon de Théodore Chassériau, un sujet d’élection », par Malika Bouabdellah. Le tableau du mois, n°104 (gratuit)

Trésors oubliés de la Méditerranée. Le musée des Beaux-arts d'Alger, par Jérôme-Cécil Auffret
ARTE F, France, 2013, 26 min
Sur Arte les 15 mai à 11 h 20 et 21 mai 2016 à 5 h

Visuels : © Les Bons Clients

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 Cet article avait été publié en une version concise par Actualité juive,  et sur ce blog le 20 décembre 2012.

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