jeudi 10 décembre 2020

Henry Bernstein (1876-1953)

Henri Bernstein ou Henry Bernstein (1876-1953) était un dramaturge et metteur en scène juif français dont les pièces sont classées dans le « théâtre de boulevard », ont été parfois adaptées avec succès au cinéma et interprétées par des comédiens prestigieux : Le Voleur (1906), Samson (1907), Israël (1908), Judith (1922), Le Bonheur (1933),  Espoir (1936), Elvire (1939), Victor (1950)... Un mondain et un amateur d’art. Arte diffuse sur son site Internet « Mélo » (Melo) d’Alain Resnais d’après sa pièce (1929).

Raymond Aron (1905-1983) 
« ENS : L'école de l’engagement à Paris » par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel
Archives de la vie littéraire sous l'Occupation 

Henri Bernstein ou Henry Bernstein (1876-1953) nait à Paris dans une famille juive bourgeoise française : le père, Marcel Bernstein, est négociant et amateur d'art, ami des Rothschild et des Ephrussi, et la mère, Ida Seligman, est la fille du banquier américain William Seligman.

Adolescent, il fréquente les casinos et joue aux courses hippiques.

Homme à femmes, il collectionne les tableaux des impressionnistes, postimpressionnistes et nabis : Renoir, Bonnard, Vuillard, Cézanne...

Durant son service militaire en 1900, Henry Bernstein déserte après sept mois d’activité comme infirmier à l’hôpital de Saint-Mandé. Non par antimilitarisme, mais parce qu’il s’était épris d’une comédienne. 

Il fuit à Bruxelles (Belgique).

Grâce à l’entremise de Madame Simone (1877-1985), comédienne, professeur au Conservatoire d’art dramatique et femme de lettres née Pauline Benda, et du ministre de la guerre, le Général André, Henry Bernstein est autorisé à revenir en France et est dispensé d’effectuer les dix-sept mois de service militaire restant à effectuer.

A Paris, Madame Simone joue dans diverses pièces d’Henry Bernstein « Le Détour » (1902) et « La Rafale » (1905) au théâtre du Gymnase, « Le Voleur » (1906), qui rend célèbre son auteur, et « Samson » (1907) au théâtre de la Renaissance.

Avec Pierre Veber (1869-1942), dramaturge beau-frère de Tristan Bernard et grand-père du réalisateur, scénariste et dialoguiste Francis Veber, Henry Bernstein écrit « Frère Jacques », comédie en quatre actes créée au théâtre du Vaudeville en 1904.

En 1911, à la Comédie-Française, la pièce « Après moi » d’Henry Bernstein suscite une polémique teintée d’antisémitisme : certains, comme les manifestants ayant répondu à l’appel de Léon Daudet de l’Action française, lui reprochent d’être juive, et d’avoir pour auteur  un « juif déserteur ». 

Il s’engage pendant la Première Guerre mondiale, durant laquelle il fait jouer « L’Elévation » sans susciter de troubles.

En 1915, Henry Bernstein épouse Claire Marie Antoinette Martin. L'année suivante, le couple a une fille prénommée Georges. Pourquoi ce prénom ? Mystère.

De 1926 à 1939, ce dramaturge dirige le théâtre du Gymnase, et y met en scène ses œuvres les plus renommées : Samson, La Rafaie, La Galerie des Glaces, Mélo avec Gaby Morlay, Charles Boyer et Pierre Blanchar, Le Bonheur (1933), Le Messager et Elvire (1939) - joué par Elvire Popesco, le personnage de la réfugiée juive autrichienne Elvire Siersberg, permet d’évoquer les dangers du nazisme et les camps de concentration.

Au printemps 1932, Eve Curie (1904-2007), alors pianiste, fait la connaissance d'Henry Bernstein,  pour lequel elle écrit 145, Wall Street, adaptation de Spread Eagle de George S. Brooks et Walter B. Lister, pièce créée le 25 octobre 1932. Elle devient la compagne d'Henry Bernstein (1932-1940).

En 1938, Henry Bernstein se bat en duel contre Edouard Bourdet (1887-1945), dramaturge célèbre (Le Sexe faible, Fric-Frac) et administrateur de la Comédie-Française.

La célébrité d’Henry Bernstein a été démultipliée par les adaptations cinématographiques de ses pièces : Mélo par Paul Czinner (1932, 1937) puis Alain Resnais (1986), Le Bonheur (1934) par Marcel L’Herbier avec Gaby Morlay, Charles Boyer et Michel Simon, Samson par Maurice Tourneur (1936) avec Harry Baur, Gaby Morlay, Gabrielle Dorziat et Suzy Prim, Le Messager par Raymond Rouleau (1937), Orage par Marc Allégret (1938) avec  Charles Boyer, Michèle Morgan, Lisette Lanvin et Jean-Louis Barrault…

« La trajectoire de Bernstein est rien moins que simple et rectiligne : Juif proclamé il veut à tout prix l’assimilation à la bonne société française. On le renvoie cependant constamment à sa « race », et il réagit ambigument puisque en 1908 son Israël, écrit dans le climat suscité par l’affaire Dreyfus, reprend tout un argumentaire antisémite sur la « puissance juive » qui a pu faire passer cette pièce pour antisémite… À partir de 1937 et d’un voyage que font sa mère et sa fille Georges en Allemagne, la conscience de ce qu’est le nazisme se fait jour pour lui. Il renvoie à Mussolini sa décoration depuis que l’Italie fasciste a adopté des mesures anti-juives et il envisage de partir pour les États-Unis tout en prenant la direction du théâtre des Ambassadeurs. En juin 1940 il embarque pour New York avec sa maîtresse (laissant sa femme et sa fille à Paris) via Londres où il rencontre le général de Gaulle. Il participera depuis les États-Unis à des campagnes de dénonciation du régime de Vichy dans la presse et à la radio », a écrit François Albera (« Le double jeu d’Henry Bernstein : « Violences et passions, retour de Bernstein » », 1895, 2018/3 (n° 86), p. 213-215).

Henry Bernstein écrit « Portrait d’un défaitiste » sur le maréchal Pétain. En 1941, il est dénaturalisé.

En 1946, il divorce. 

Et François Albera d’observer : « À son retour est-il occulté, marginalisé ? Il a retrouvé son théâtre et il y met en scène ses pièces dont La Soif en 1949 qui est un succès pour lui et pour Jean Gabin. Celui-ci remonte sur les planches pour jouer le peintre Jean Galone, aux côtés de Madeleine Robinson et de Claude Dauphin, dans une pièce écrite expressément pour lui. Gabin avait déjà joué dans une adaptation cinématographique du Messager (Raymond Rouleau, 1937) du même auteur qu’il avait croisé à New York pendant leur exil commun. Il joue encore du Bernstein au cinéma en reprenant le rôle créé par Bernard Blier au théâtre dans Victor de Claude Heymann (1951) ».

À la mort d'Henry Bernstein, le général de Gaulle envoie  une lettre à sa fille afin de rappeler l'engagement patriotique du dramaturge durant la Deuxième Guerre mondiale : 

« Votre père, madame, je l’admirais, bien sûr ! Dans son extraordinaire talent d’écrivain et de dramaturge. Mais aussi je l’aimais, parce que, dans le grand drame français que nous traversions, son cœur et son esprit étaient venus à moi, tout de suite, à fond magnifiquement… »

En 2009, les éditions L’Harmattan ont publié « Le théâtre d'Henry Bernstein » de  Johannes Landis. « Le Théâtre d'Henry Bernstein est une Atlantide de l'Histoire du théâtre : un continent perdu fait de drames âpres, vénéneux et violents, qui auscultent la face nocturne de la bourgeoisie. Cet ouvrage, première étude d'ensemble du drame bernsteinien, s'attache à l'analyse de son contexte de création, de ses structures dramaturgiques et thématiques, avant de se consacrer à l'examen de quelques pièces significatives, pour tenter de cerner la spécificité de l'écriture de Bernstein ».

« Mélo »

« Chef de file de l’opposition à l’entrée des metteurs en scène de films à la SACD9, Henry Bernstein ne fait guère figure, dans les années 1920, d’ami du cinéma. Pourtant, tout comme l’argument économique joue un rôle décisif dans l’ouverture finale de la SACD à cette profession en 1929, les enjeux financiers poussent certainement l’auteur à considérer alors avec plus d’attention les adaptations dont ses pièces peuvent faire l’objet... L’intérêt de Bernstein envers le cinéma n’est pourtant pas seulement financier. Il s’exprime aussi au niveau de l’écriture dramatique », a analysé Myriam Juan, maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’université de Caen Normandie, dans « Démêlés autour d’un Mélo » (Double jeu, 14 | 2017, 101-119).

Et Myriam Juan de poursuivre
« À l’automne 1932, il lance une véritable campagne de presse dans les pages de Candide [contre Mélo par Paul Czinner]. Les arguments qu’il expose sont de plusieurs ordres. Il s’agit d’abord d’arguments juridiques et moraux... L’auteur mobilise également des arguments esthétiques en se présentant comme un défenseur du cinéma contre le théâtre filmé dont relèverait, selon lui, le film de Czinner. Enfin, il recourt abondamment à des arguments nationalistes et même antisémites. Il insiste sur le fait que son texte a été remplacé par la traduction d’une pièce allemande constituant une parodie de Mélo (son avocat parle lors du procès de « germanisation de l’œuvre d’un auteur français »). Surtout, Bernstein se livre dans Candide à une violente attaque ad hominen contre les frères Natan, en particulier Bernard Natan, alors à la tête de Pathé-Cinéma. On trouve dans ses propos tout ce qui s’apprête à nourrir l’affaire Natan, dont l’issue finale sera la mort de Bernard Natan, devenu apatride, à Auschwitz. Ainsi Bernstein débute-t-il le portrait du producteur :
Le 10 juillet 1880 naissait à Jassy un charmant bébé roumain, qui se trouvait être un futur grand homme français. Ses parents, qui s’appelaient Tanenzapf […], donnèrent au nouveau-né le nom de Nathaniel.
En quelle année Nathaniel Tanenzapf vint-il à Paris ? Je ne sais. Ni en quelle année il commença de préférer à son nom véritable celui de Natan. Car, vous l’aurez compris, il s’agit de M. Natan, le maître de l’Écran français. En tout cas, dès 1911, Nathaniel Tanenzapf, dit Natan, rendait à la cinématographie des services personnels et remarqués.
Après les inévitables difficultés du début, et un temps d’arrêt, commença un assez prodigieux roman – l’ascension du petit homme de Jassy.
Le seul Balzac a perçu dans la vie moderne, a décrit avec la force et la divination du génie ces phénomènes de succion [sic], le drame d’un individu agrippé au corps social et se nourrissant de lui.
La suite de l’article est du même acabit. S’il n’est guère étonnant de lire un tel texte dans Candide, que celui-ci soit signé d’Henry Bernstein ne laisse pas de surprendre en revanche. L’auteur, peu au fait des réalités de l’industrie du film, s’est probablement renseigné à ce sujet à l’occasion de l’affaire Mélo. Avec une violence mêlée de naïveté, ses propos reflètent la xénophobie et l’antisémitisme qui gangrènent alors les milieux du cinéma. Sans doute peut-on y voir aussi le rejet de la part d’un juif intégré – et néanmoins victime lui-même d’attaques antisémites –, membre de surcroît de la haute société, d’un autre juif dont l’immigration et la fortune sont beaucoup plus récentes, alimentant soupçons et fantasmes…. Au tribunal, la plainte déposée par Henry Bernstein est rejetée fin juillet 1933. Si le tribunal a décidé de faire primer sur le droit moral de l’auteur la clause de son contrat par laquelle Bernstein accordait à la firme cinématographique « le droit d’apporter dans l’établissement du film tous changements à l’ouvrage original qu’elle trouvera[it] nécessaires », le substitut du procureur puis les juges reconnaissent que le film a déformé éhontément la pièce… Bernstein n’a pas fait appel du jugement prononcé en 1933 ».
Arte diffuse sur son site Internet « Mélo  » (Melo) d’Alain Resnais.

« Un soir de juin 1926. Marcel Blanc, grand violoniste  qui parcourt le monde pour faire apprécier son talent, dîne chez son vieil ami Pierre Belcroix, musicien plus modeste que Marcel a connu au Conservatoire. Dans son petit pavillon de Montrouge, Pierre vit une vie beaucoup moins exaltante, aux côtés de sa charmante femme Romaine. Ce soir-là, Marcel rencontre Romaine pour la première fois... »
  
« Un vaudeville amoureux qui prend des allures de tragédie antique, léger comme une partition musicale et profond comme le théâtre, tourné par Alain Resnais en 1986 ». Et qui distille une émotion délicate et grave.

« Le tout interprété à merveille par Sabine Azéma, Pierre Arditi, Fanny Ardant et André Dussolier ».

« J'ai un critère : le plaisir. Et moi qui suis très sensible au son, à la musique des mots, j'ai toujours trouvé chez Bernstein une mélodie particulière, rigoureuse, malgré les apparences. On ne peut modifier une réplique sans que le rythme en souffre... " Oui, mais pourquoi Mélo ? " Parce que j'aime tourner, ou, plutôt, je déteste ne pas tourner », a confié au Monde (30 janvier 1986).

En 1987, le film a été distingué par deux César récompensant Sabine Azéma (Meilleure actrice) et Pierre Arditi (Meilleur second rôle).

CITATIONS

« L'intuition, c'est l'intelligence qui commet un excès de vitesse. »

« En amour, comme d'ailleurs en art, l'intelligence toute sèche, toute nue, est une disgrâce. »

«Un ménage n'est plus un ménage lorsque c'est le chien qui apporte les pantoufles et la femme qui aboie.»

« Il y a du génie, du génie partout à Hollywood. Si seulement il y avait du talent. »

« J'ai trop d'ennemis pour penser que je n'en mérite pas quelques-uns ».


« Mélo » (Melo) d’Alain Resnais

France, 1986, 106 min

Auteur : Alain Resnais

Producteurs : Marin Karmitz, Mk2 Productions

Image : Charles Van Damme

Montage : Albert Jurgenson

Musique : Philippe-Gérard

Avec Sabine Azéma (Romaine Belcroix), Fanny Ardant (Christiane Levesque), Pierre Arditi (Pierre Belcroix), André Dussollier (Marcel Blanc)

Disponible du 17/08/2020 au 16/12/2020


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Les citations sur le film d'Alain Resnai proviennent principalement d'Arte.

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