« Insaisissable, le terme « banlieue » désigne une réalité toujours mouvante, en construction et en rénovation permanentes depuis le XIXe siècle. Le mot et les lieux qu’il recouvre charrient mille et un fantasmes, heureux ou malheureux, dans lesquels se fondent les équivalences et les raccourcis, les clivages et les polysémies. »
« En effet, historiquement, la banlieue, « à une lieue du ban », est l’espace mis sous la protection juridique de la ville, inféodée économiquement à un centre, et il faut attendre la fin du XIXe siècle pour qu’elle commence à s’en affranchir. »
« Pourtant, il existe autant de banlieues que de personnes qui l’habitent, qui la traversent ou qui la désignent de loin, au gré des titres de presse ou des programmes électoraux. Des longues barres aux hautes tours, des maisons cossues aux lotissements pavillonnaires, des grandes avenues aux larges dalles, en passant par les chemins de traverse, les cités-jardins ou les jardins ouvriers, les banlieues ont mille façades et abritent autant de réalités sociales, économiques et géographiques. Autant d’imaginaires aussi. »
« L’exposition propose une histoire sensible des banlieues françaises, en particulier des banlieues populaires, dans ce qu’elles ont d’ordinaire et d’extraordinaire, de singulier et de collectif. »
« Guidé par des oeuvres d’art, des témoignages intimes et des archives, le visiteur suit une chronologie affective. Sans prétendre à une impossible exhaustivité, les « banlieues chéries » dont il est ici question sont explorées comme des lieux de mémoire et de transmission où se croisent histoires intimes et histoire du monde, où les tensions, les fractures et les relégations façonnent et accompagnent les luttes, politiques et artistiques. Portée par l’art, Banlieues chéries fait une place à la pluralité des points de vue et aux personnes qui créent et imaginent, vivent et revendiquent, construisant dans ces territoires une réalité dense et vivante. »
Banlieues douces-amères
« Le mot « banlieue », installé depuis le Moyen Âge dans la langue française, ne prend véritablement son sens géographique de périphérie urbaine qu’au XVIIIe siècle. À partir de là, il se charge progressivement de toutes sortes de connotations sociopolitiques. La littérature s’en empare à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, sous les plumes notamment de Victor Hugo, d’Émile Zola, puis de Louis-Ferdinand Céline dans les années 1930. Au XXe
siècle, artistes, auteurs et autrices de diverses générations explorent les différentes strates de cette histoire très française des banlieues au pluriel. »
« Du patrimoine naturel ou boisé qui attira les peintres impressionnistes aux guinguettes dans lesquelles les urbains venaient se prélasser, des lieux de relégation aux immeubles collectifs ou à l’urbanisation rapide du tout-béton, les banlieues actuelles gardent les traces des vies et des pratiques qui continuent de s’y épanouir aujourd’hui, entre paradis perdu et nouvel eldorado. »
Douce banlieue
« Sous l’Ancien Régime, « banlieue » désigne la campagne qui forme les environs d’une ville. »
« Jusqu’au début du XXe siècle, le terme renvoie à des notions complexes et mal cernées d’alentours. C’est l’espace des maraîchers qui nourrissent la bête urbaine, mais aussi le lieu des villégiatures princières puis bourgeoises, le refuge de personnes fuyant la vie citadine et la destination pour des promenades agréables. Avec la révolution industrielle, cet au-delà proche devient lieu de délassement à petits prix. Dans La Banlieue, texte publié en 1878, Émile Zola décrit bien cette « campagne » dans laquelle les Parisiens viennent profiter d’une promenade dominicale, ces boucles de la Seine où les canotiers s’ébrouent et où les guinguettes fleurissent. »
« Aujourd’hui, dans ces mêmes lieux, les fleurs doivent se frayer un chemin à travers le béton, mais les artistes, de Claude Monet à Rayane Mcirdi, continuent de chanter leurs couleurs. »
Théophile Alexandre Steinlen, Bal de barrière, 1898. Bibliothèque nationale de France
Argenteuil par Claude Monet et Rayane Mcirdi
Claude Monet, Argenteuil, 1872
Paris, musée d’Orsay © Grand Palais Rmn (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
« Pour des raisons économiques et afin de profiter de l’air de la campagne, de nombreux peintres impressionnistes choisissent la banlieue parisienne pour planter leur chevalet. Le développement des chemins de fer et la commercialisation de la peinture en tube favorisent leur désir de plein air et leurs déplacements. »
« Claude Monet s’installe à Argenteuil en décembre 1871 par l’intermédiaire d’Édouard Manet, qui connaît le maire de la commune. Désireux de peindre la Seine, l’artiste se fait aménager un bateau-atelier, qui lui permet de peindre directement sur le motif. »
Rayane Mcirdi, Le Croissant de feu, 2021
Vidéo, 35 min 46 sec. Courtesy de la Galerie Anne Barrault, Paris. © ADAGP, Paris 2025
« À la lisière des Hauts d’Asnières-sur-Seine, à l’intersection avec Gennevilliers, le quartier des Mourinoux et sa « cité des Fleurs » construite dans les années 1960 ont vu passer trois générations de la famille du réalisateur Rayane Mcirdi. La destruction de la barre des Gentianes en 2011 signe la fin d’une époque, ainsi que le début d’une nouvelle ère urbanistique pour le quartier, la croissance exponentielle du coût de la vie ayant fait déménager plus loin certains habitants. La trilogie du Croissant de feu documente les regards de trois générations sur l’évolution de la cité. Ce volet est dédié à celle née dans les années 1990, qui se demande : « S’il faut partir, où aller ? »
La Zone
« Dans son texte La Banlieue, Émile Zola parle de l’espace qui ceinture Paris, cette zone « sinistre et boueuse » qui se situe « entre les rues qui finissent et l’herbe qui commence ». Véritable no man’s land, la Zone tient son nom de la zone de tir de canon, bande de terre située au-devant des fortifications de Paris construites au début des années 1840. Il était alors interdit de construire sur cet espace, appelé « glacis militaire », même après l’abandon de son usage militaire en 1871. Peu à peu, une population urbaine pauvre, délogée de Paris par la hausse des loyers sous le Second Empire, y rejoint des paysans chassés par l’exode rural. Ils y construisent des habitats de fortune. Ces habitants surnommés « zoniers », puis « zonards » de façon péjorative, deviennent pour beaucoup le symbole de la pauvreté et de la précarité urbaine. »
« Malgré de nombreux projets visant à transformer cet espace en « ceinture verte », les deux guerres mondiales empêchent leur réalisation. La Zone a fini par disparaître pour faire place à une nouvelle séparation entre Paris et ses banlieues : le boulevard périphérique. »
La Zone par Eugène Atget et Louis Chifflot
Eugène Atget (tirage Bérénice Abbott),
Zoniers, Porte d’Italie, 1913
Galerie Françoise Paviot
« Entre 1900 et 1913, Eugène Atget arpenta la Zone à plusieurs reprises, produisant des « documents » qu’il vendait à des artistes ou à des institutions. »
« Dans la filiation des petits métiers photographiés auparavant, Atget s’intéresse aux chiffonniers, nombreux dans la Zone, et aux guinguettes, deux thèmes qui séduisirent également les peintres. Il traite ses sujets de façon directe, sans artifice ni misérabilisme. S’il se défendait de faire du reportage social, Atget éprouvait une sympathie pour les quartiers populaires et leurs habitants, en accord avec sa conscience politique. Une partie de ces clichés fut intégrée à la série « Paris pittoresque ».
Louis Chifflot, La Zone, 1938
Collection du Musée national de l’histoire de l’immigration © EPPPD-MNHI
« Espace non constructible autour des fortifications de Thiers, la Zone fut très tôt investie par des personnes qui n’avaient pas les moyens de se loger dans Paris ou en proche banlieue. Un monde marginal s’y développa, vivant dans un habitat précaire. Jusqu’à sa disparition totale vers 1960, lors de la construction du boulevard périphérique, les zoniers furent immortalisés par les chroniqueurs, les photographes ou les cinéastes. »
« Moins connu qu’Eugène Atget, Henri Manuel ou les frères Séeberger, le photographe Louis Chifflot a réalisé en 1938 un reportage singulier sur les conditions de vie des zoniers du côté de Gentilly. »
Banlieues populaires
« Les banlieues d’aujourd’hui naissent de l’expansion des grandes villes comme Paris et les métropoles françaises. À la fin du XIXe siècle, le modèle urbain d’Haussmann considère la banlieue comme un espace à « coloniser », selon les journaux de l’époque. Ces espaces libres étaient destinés à accueillir ce dont la ville ne voulait pas : entrepôts, grandes usines, cimetières, hôpitaux, prisons, terres d’épandage, logements sociaux. Le paysage urbain se stratifie et se diversifie. Aux petits immeubles de la Belle Époque se mêlent des bidonvilles où les conditions de vie sont souvent difficiles, des lieux précaires qu’un peintre comme Jürg Kreienbühl illustre. »
« À la différence des suburbs anglo-américains où les classes moyennes construisent leur pavillon avec jardin, les banlieues françaises et les logements collectifs qui y fleurissent à partir de la première moitié du XXe siècle ont d’abord accueilli le prolétariat urbain, puis l’exode rural, enfin l’immigration internationale, composant une vaste fresque humaine, que les photographies de Monique Hervo et de Jean Pottier contribuent à documenter. »
Nanterre par Jean Pottier et Monique Hervo
Jean Pottier, La Folie, rue de la Garenne, série « Bidonville de Nanterre », 1964
Galerie Françoise Paviot
« Au milieu des années 1960, environ 75000 personnes, dont de nombreux étrangers venus travailler en France (Algériens, Portugais, Italiens, Marocains ou Espagnols), habitent dans des baraquements précaires au sein des bidonvilles construits dans l’urgence et la nécessité aux portes des grandes villes françaises. »
« Jean Pottier, photojournaliste pour Panorama, puis Le Nouvel Observateur ou L’Express et habitant de Courbevoie, capture pendant près de dix ans le bidonville de Nanterre : « Je voyais des baraques en tôle, en bois, protégées par de la toile goudronnée, des roulottes usagées, des bâtiments en parpaings » (J. Pottier). »
Monique Hervo, Enfants sur un vélo, bidonville de la Folie, Nanterre, 1962
Tirage d’exposition © Monique Hervo « Collection La contemporaine »
« Le bidonville de la Folie est le plus grand mais aussi le plus isolé et le moins bien équipé des bidonvilles de Nanterre. Au milieu des années 1960, il regroupe environ 10000 personnes, dont plus de 1 000 familles. »
« Monique Hervo, née en 1929, s’y installe en 1959 en tant que membre du Service Civil International. Jusqu’à la « résorption » du bidonville de Nanterre en 1971, elle contribue à l’amélioration de l’habitat en mettant en place une coopérative de matériaux et d’outillages. »
« Ses photographies témoignent de la réalité du quotidien à la Folie dans les années 1960. »
De l’intime à l’esprit de quartier
« La photographie permet souvent de combler les lacunes des récits de la « grande histoire ».
« Donnant un visage aux destinées de chacun, elle met en lumière les histoires de famille et les parcours individuels qui reflètent des dynamiques plus larges. À travers des archives personnelles conservées dans les collections publiques, il est possible de retracer les différentes vagues migratoires qui ont façonné la France au XXe siècle. À rebours des clichés véhiculés par les grands médias, cinéastes et artistes contemporains s’attachent à donner corps et voix à ces expériences intimes. Ils racontent les trajectoires familiales et les manières d’habiter ensemble un territoire donné, dans l’espace public comme dans la sphère privée. Dans ces lieux en perpétuelle transformation que sont les zones urbaines en rénovation ou les « quartiers politiques de la ville », des vies se construisent, des mémoires se créent. L’art permet de préserver cette mémoire et ces expériences intimes du territoire avant qu’elles disparaissent. »
L’intimité dans les banlieues par Yanma Fofana et Neïla Czermak Ichti
Yanma Fofana, Doudou bleu, 2023
Collection de l’artiste
« Inspirée par des photographies souvenirs et des gestes de la vie quotidienne, la peinture de Yanma Fofana compose un art du quotidien et du banal, où la beauté se cache dans les détails les plus anodins d’une main servant le thé ou enlaçant son doudou chéri. Diplômée des Beaux-arts de Paris en 2023 après être passée par une classe préparatoire à Gennevilliers, l’artiste fait circuler dans sa pratique picturale et dans le monde de l’art contemporain des références intimes et familiales, des morceaux de vie passés entre ce que l’on désigne là comme le « centre », ici comme la « périphérie ». Autant de notions de hiérarchie et de frontières que la touche de l’artiste entend effacer, au profit de la grâce trouvée dans le simple quotidien. »
Neïla Czermak Ichti, Chorba glacée, 2019
Acquisition 2024. Centre national des arts plastiques © Neïla Czermak Ichti / Cnap. Crédit photo : Aurélien Mole
« Née à Bondy en 1993, Neïla Czermak Ichti dessine et peint les visages de ses proches, les hybride à des références aux cultures populaires et fantastiques, avant de les mettre en scène dans des intérieurs familiers ou des environnements fantasmés ensemble. Ce faisant, elle mêle les genres et les références pour composer un art en forme de journal intime, où se mêlent vérité et fiction, archives familiales, conte et témoignage, où le banal devient sublime et le quotidien merveilleux. »
« Dans cette série de dessins sur papier, l’artiste représente des membres de sa famille dans le salon de sa grand-mère, où ils avaient l’habitude de se retrouver chaque semaine pour déjeuner. »
Banlieues engagées
« La crise du logement est aiguë en France au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et elle ne fait que s’aggraver avec la croissance économique des Trente Glorieuses et les mouvements de population qui font suite aux décolonisations et qui convergent vers les métropoles. »
« Construire est le maître mot de l’État en ce milieu du XXe siècle. Il bâtit de nombreux logements en vingt-cinq ans à peine, mais cette urbanisation rapide pose vite problème : elle crée des phénomènes d’exclusion et de ghettoïsation. En 1973, la circulaire Guichard met fin à la construction de grands ensembles. À partir de là, le vocabulaire de la « rénovation urbaine » s’impose dans le débat public, en réponse à la dégradation rapide des habitations construites à la hâte et au sentiment d’abandon ressenti par de nombreux habitants. En 1981, ce mal-être atteint un point critique : le quartier des Minguettes, à Vénissieux, s’embrase. »
« Ce soulèvement met en lumière ce qui sera pudiquement appelé « le malaise des banlieues ».
« Face à un racisme croissant, la jeunesse s’organise et imagine une réponse forte : une marche pacifique à travers la France pour défendre les droits des enfants de l’immigration. Inspirée des actions non violentes des indépendantistes indiens et des mouvements états-uniens pour les droits civiques, cette initiative marque le début d’une série de mobilisations où l’inventivité politique va de pair avec la créativité plastique. Quelles sont l’histoire et la géographie de ces luttes ? Quelles sont les traces – physiques, médiatiques, politiques, spirituelles et artistiques – que laissent ces rêves lorsqu’ils se mettent en mouvement ? »
Cindy Bannani, Clichy-sous-Bois, 27 octobre 2006, Série «15 octobre — 3 décembre 1983», 2023. Collection de l’artiste
Banlieues rouges
« Les lotissements, ces quartiers de pavillons apparus dans les années 1920 sur des terrains bon marché, découpés par certains promoteurs peu scrupuleux au hasard des opportunités foncières, incarnent le rêve populaire d’accès à la propriété autant que les dérives de la spéculation immobilière. Ces terrains laissent souvent leurs habitants, appelés « mal-lotis », privés des services essentiels : électricité, eau, gaz, routes et tout-à-l’égout. Face à ces injustices, le jeune Parti communiste se fait rapidement le porte-parole des revendications d’une grande partie de ces mal-lotis. Dès les élections municipales de 1925, une « ceinture rouge » s’installe dans les périphéries les plus démunies. Ce mouvement s’enracine jusqu’aux années 1980, porté par une alliance forte avec le nouveau prolétariat des grandes usines qui se sont développées après la Première Guerre mondiale, auquel les nombreux maires communistes, issus de la classe ouvrière, promettent un monde meilleur avec des politiques sociales et des habitations bon marché – ancêtres des HLM. »
« Le communisme municipal repose sur une organisation locale où travail, habitat et loisirs cohabitent, comme à la cité de la TASE de Vaulx-en-Velin. Malgré quelques initiatives en faveur de la solidarité avec les populations issues de l’immigration postcoloniale, il se délite dans les années 1980 avec la désindustrialisation et la paupérisation de la population au sein des banlieues. »
La Courneuve par Boris Taslitzky
Boris Taslitzky, Entrée de l’usine Rateau, La Courneuve, 1968
© Ville de La Courneuve © ADAGP, Paris, 2025
« Au sein d’une « banlieue rouge » en pleine mutation sociale, politique et culturelle jusque dans les années 1970, de nombreuses municipalités communistes font appel à des artistes engagés pour affirmer le rôle moteur de l’art dans la fabrique d’une histoire commune. Boris Taslitzky, adhérent au Parti communiste français depuis 1935, est ainsi invité à réaliser une série d’œuvres représentant des communes du nord-est parisien. »
« En 1968, l’artiste dessine quinze vues de La Courneuve. Adoptant le point de vue d’un passant ou d’un habitant, depuis l’entrée de l’usine Rateau à une fenêtre de la cité Vercors, il dépeint dans une touche quasi photographique une ville en pleine transformation. »
Planifications et rénovations urbaines
« Le mouvement moderne, et par extension l’invention de la ville moderne, pose la question du logement collectif comme mode de vie, mais aussi comme projet idéologique. Les réflexions menées sur la rationalisation de l’habitat populaire et le fonctionnalisme architectural naissent dans l’entre-deux-guerres, mais prennent pleinement leur essor après la Seconde Guerre mondiale. »
« En France, les grands ensembles ont de multiples visages : la Cité des 4000 (La Courneuve), la Grande Borne (Grigny), les Courtillières (Pantin), le Neuhof (Strasbourg), les Minguettes (Vénissieux), la Péralière (Villeurbanne)... Leur spécificité réside notamment dans la vitesse de construction de ces logements, des années 1950 à 1973, pour résorber au plus vite la précarité des bidonvilles et des cités de transit. Pour les décideurs, la banlieue est un sujet tant d’étude et de préoccupation que d’expériences architecturales et économiques. La France incarne un modèle singulier : intervention de l’État et aménagement du territoire sont plus étroitement liés que dans n’importe quel pays européen ou occidental. »
Les Grands ensembles par Mathieu Pernot
Mathieu Pernot, Meaux, 24 avril, 2004, Le Grand Ensemble - Les Implosions (série), 2004
Collection du Musée national de l’histoire de l’immigration © EPPPD-MNHI © ADAGP, Paris, 2025
« Le Grand Ensemble » réalisé par Mathieu Pernot est une série composée de trois types d’oeuvres.
« Les cartes postales, éditées jusqu’aux années 1980, que l’artiste collectionne et agrandit, reflètent autant un idéal du progrès social qu’un fantasme de la modernité urbaine. »
« L’agrandissement de ces cartes laisse apparaître la trame d’impression des personnages, telles des silhouettes ressurgies du passé, les témoins d’une mémoire oubliée. Enfin, les implosions d’immeubles, photographiées en noir et blanc, accentuent le caractère dramatique de cette technique de démolition – aujourd’hui abandonnée tant elle était violente pour les habitants, qui voyaient leurs souvenirs partir en poussière avec les lieux. »
Pierrefitte-sur-Seine par Alexia Fiasco
Alexia Fiasco, Bushra, série « Les dernières Fauvettes », 2023
Impression sur papier, vernis sur aluminium et cadre recyclé. Alexia Fiasco / Collection départementale de la Seine Saint Denis
« Les dernières Fauvettes » est un projet photographique, social et participatif, mené par Alexia Fiasco avec des habitants du quartier des Fauvettes-Joncherolles, à Pierrefitte-sur-Seine, où la cité éponyme est en cours de démolition depuis trois ans. Les visages de certains habitants, occupants ou voisins des Fauvettes ont été imprimés sur un ensemble de morceaux de béton, de bâtiments et autres détritus trouvés dans la cité laissée à l’abandon, ou presque, en attente de sa destruction. Comme une cérémonie d’adieu au long cours, le projet met en lumière une histoire tragique de l’habitat social autant que de celles et ceux qui continueront d’habiter sa mémoire, une fois la fin venue. »
« Répondant à un appel à projets lancé par la ville en 2021, Alexia Fiasco et Claire Lapeyre Mazérat, travailleuses culturelles et sociales de l’association Maestra, accompagnent les habitants des Fauvettes vers la démolition de leur cité. »
Des luttes en héritage
« Les grands ensembles, qui devaient faire entrer la France dans la modernité, ont permis de résoudre en partie la crise du logement. Cependant, ces quartiers souvent vétustes, mal desservis par les transports publics, peu connectés au reste du tissu urbain et aux structures municipales, ont progressivement vu se cristalliser des situations de relégation territoriale et de ghettoïsation sociale, alimentant des revendications citoyennes mêlant aspiration à la dignité des conditions de vie et à l’égalité des droits, et demande de justice liée à un sentiment de révolte contre les discriminations et le racisme. »
« Des années 1970 et 1980 jusqu’à l’été 2024 s’écrit dans ces espaces en marge une histoire des luttes et des contestations symbolisées par des lieux comme les Minguettes ou Clichy-Montfermeil, et par des morts tragiques comme celles de Zyed Benna et Bouna Traoré, Amine Bentounsi, Adama Traoré, Cédric Chouviat ou Nahel Merzouk. »
« Ce sont dans les espaces associatifs et médiatiques mais également dans les champs artistiques et culturels que se formulent les luttes et les mobilisations, à la croisée de l’histoire sociale, ouvrière et migratoire. »
Clichy-sous-Bois par Mohamed Bourouissa
Mohamed Bourouissa, La République, série « Périphérique », 2006
Collection du Musée national de l’histoire de l’immigration © EPPPD-MNHI © ADAGP, Paris, 2025
« La mise en scène photographiée est réalisée à Clichy-sous-Bois en décembre 2005, peu de temps après les révoltes qui secouent la ville à la suite de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. En hors-champ se situe l’émeute : celle sur le point d’advenir, ou qui a déjà eu lieu. »
« Là prend place le travail d’équilibriste de Mohamed Bourouissa. S’emparant des codes de la peinture d’histoire, il réinterprète La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix (1830). »
« Le drapeau bleu-blanc-rouge, au centre, fait figure d’allégorie de la Liberté : « À l’époque de Delacroix, on aspirait à la liberté ; aujourd’hui, c’est plutôt à l’égalité. Nous ne sommes pas dans des sociétés justes. Les émeutes viennent de là » (M. Bourouissa). »
Bureau de presse
« L’année 1983 marque un tournant. En quelques mois, plusieurs événements tragiques se succèdent : Habib Grimzi, touriste algérien, est assassiné par défenestration du train dans lequel il voyageait ; Toumi Djaïdja, jeune président de l’association SOS Avenir Minguettes, se fait tirer dessus et est grièvement blessé dans la nuit du 19 au 20 juin 1983 en tentant d’empêcher le chien d’un vigile de s’en prendre à un jeune de son quartier. »
« C’est dans ce contexte qu’est initiée la Marche pour l’égalité et contre le racisme qui se déroule du 15 octobre au 3 décembre 1983 entre Marseille et Paris, alors que la gauche est au pouvoir, mais que parallèlement le Front National gagne en influence. Cette marche, composée d’habitants de plusieurs banlieues françaises sillonnant le pays, rend visibles aux yeux du grand public et des médias majoritaires les revendications de toute une génération, qui se fait l’écho des engagements de ses aînés, souvent oubliés ou passés sous silence. »
« De la Marche de 1983 aux mouvements citoyens actuels, de Zaâma d’banlieue à l’agence IM’média, L’Étincelle ou le Bondy Blog, se construisent et se structurent dans les banlieues des réponses militantes et politiques aux violences institutionnelles et policières, contrepoints à la partialité des grands médias et à l’arbitraire du pouvoir. »
« Dans notre bureau de presse, nous vous invitons à (re)découvrir ces médias, ces films et des fanzines qui ont marqué l’histoire et qui continuent d’influencer l’opinion et d’inventer le journalisme de demain. »
Le Red Star Football Club par Elea-Jeanne Schmitter et Le Massi
Elea-Jeanne Schmitter et Le Massi, Les U13 féminines du Red Star FC sur le chantier du stade Bauer, janvier 2022
Tirage d’exposition © Collection archives redstar.fr © ADAGP, Paris, 2025
« Le Red Star FC et quatre photographes diplômés de l’école Kourtrajmé se sont lancés dans le projet de casser les codes de la photographie d’équipe traditionnelle. Pour l’occasion, les U13 féminines ont posé sur le chantier de rénovation du stade Bauer situé à Saint-Ouen. »
« Celui-ci occupe une place particulière dans le coeur des supporters de l’Étoile Rouge, dont il a accompagné le rayonnement et l’évolution depuis 1909. Plus de 110 ans après, le nouveau Bauer, dont l’ouverture est prévue en 2026, disposera d’un peu moins de 10 000 places, garantissant la continuité d’un football populaire accessible à tous et permettant au club d’évoluer dans un stade conforme aux normes du monde professionnel. »
Banlieues centrales
« Des berges de Seine d’Argenteuil, qui avaient conquis les peintres impressionnistes, au Palacio d’Abraxas de Noisy-le-Grand, qui a séduit les équipes du film Hunger Games et de maisons de couture, les banlieues n’en finissent pas de fasciner. »
« Cependant, la désindustrialisation du pays depuis les années 1970, les politiques successives de réaménagement urbain depuis les années 1980 et la gentrification induite par l’extension des grandes métropoles françaises depuis le début des années 2000 ont profondément remodelé le paysage, remettant en question la place des habitants des banlieues populaires qui ne sont pas devenus propriétaires. »
« Dans ce contexte, comment rendre compte de l’impermanence des lieux en faisant justice à celles et ceux qui les habitent ? Quels récits construire autour de, à partir de mais surtout avec elles et eux ? Si des films grand public, des shootings de mode et des revues de presse à sensation ont dessiné depuis plusieurs décennies autour des banlieues des imaginaires souvent éloignés des réalités pragmatiques, il est apparu essentiel à quelques générations d’artistes et d’acteurs culturels de reprendre en main leurs propres récits et de donner à voir, à entendre et à ressentir d’autres vécus, plus intérieurs, banals et intimes. »
« Les pratiques réunies dans cette dernière section présentent autant de manières d’habiter le monde, d’exprimer une nécessité intérieure et artistique et de lutter contre des clichés trop largement implantés dans l’inconscient collectif. En brisant les frontières traditionnelles entre centre et périphérie, ces nouvelles images ne demandent qu’à circuler plus encore. »
Le grand déplacement
« L’arrivée du train au milieu du XIXe siècle marque la naissance des banlieues sous leur forme contemporaine. Permettant la séparation entre lieu de vie et lieu de travail, le rail et plus tard l’autoroute s’imposent comme des symboles de la modernité. La multiplication des modes de transport a modifié les déplacements et l’organisation de l’habitat, entraînant une forte croissance du périurbain, et transformant l’espace ainsi que les dynamiques de peuplement. Les transports restent aujourd’hui un enjeu majeur des politiques d’aménagement, tant pour faciliter les déplacements que pour répondre aux défis environnementaux et sanitaires. Toutefois, la distance entre Paris et ses banlieues n’est pas uniquement kilométrique : elle est également sociale et imaginaire, comme le montrent avec humour et poésie les artistes présentés ici. »
2 questions à Safya Fierce, vidéaste et comédienne
Pourquoi avoir choisi cette thématique des transports ?
« Car ils font partie intégrante de mon quotidien. »
« J’ai une relation d’amour-haine avec le RER B, car s’il me permet de me déplacer et d’avoir une vie sociale, il est aussi marqué par des problèmes récurrents qui ont un impact direct (économique, sociale et psychologique) sur la vie des usagers. Je vois ces problèmes comme le reflet d’une marginalisation des banlieues et d’un certain classisme dans la gestion des infrastructures. Avec cette vidéo, je voulais à la fois dénoncer cette injustice et offrir une satire à laquelle de nombreux usagers peuvent s’identifier. »
Quel est le lien entre banlieues et transports selon toi ?
« Les transports sont le trait d’union entre les banlieues et Paris. Ils conditionnent notre accès aux opportunités – qu’il s’agisse du travail, des études, de la culture ou des loisirs. »
« Mais cette connexion est souvent fragile, et sa qualité dépend fortement du territoire où l’on vit. Finalement, le lien entre banlieue et transport, c’est aussi une question d’appartenance et de reconnaissance. Qui mérite un réseau efficace et fluide ? Pourquoi certains territoires sont-ils mieux desservis que d’autres ? Derrière la simple question du déplacement, il y a un enjeu social et politique majeur. »
S’approprier la ville
« La question du patrimoine est au coeur de nombreux projets de réaménagement urbain. En France, au fur et à mesure de la démolition des grands ensembles construits dans les années 1950 et 1970, remplacés par de nouveaux types d’habitation, et de l’extension des métropoles du pays, se pose la question : que faut-il remplacer et que faut-il conserver ? »
« Au-delà des démarches officielles de classement et d’inventaire du patrimoine, des formes non officielles de patrimoine émergent dans les espaces urbains. Sur les façades des chantiers et le long des terrains vagues, à l’intérieur des bâtiments délaissés, voire abandonnés, mais aussi en écho à ceux qui sont restés, des pratiques artistiques se déploient pour inventer de nouvelles façons de vivre et pour donner du sens à ces lieux. »
« Que ce soit à travers le graffiti, l’urbex (exploration urbaine), la photographie ou la peinture, des artistes utilisent leurs outils – sprays, pinceaux et appareils photographiques – pour marquer l’espace public. Les oeuvres de Guillaume Mathivet, qui peint sur des grillages, les paysages vitriotes emblématiques de Lassana Sarre, les anamorphoses secrètes de Georges Rousse, les GIF de Quentin Chaudat et Benjamin Laading, les interventions urbaines de Katre ou de Lek & Sowat, ou encore l’archéologie du futur d’Aleteïa sont autant de manières de transformer les villes par leurs interstices. Ce faisant, c’est la notion même de patrimoine qu’elles participent à construire avec leurs habitants. »
Aubervilliers par Willy Vainqueur
Willy Vainqueur, Fort d’Aubervilliers, graffeur du collectif Bomb Squad 2 TCA,
série « Fêtes et Forts », 1984
Collection du Musée national de l’histoire de l’immigration © EPPPD-MNHI
« L’association Banlieue 89, dirigée par l’architecte Roland Castro et l’urbaniste Michel Cantal-Dupart, est créée en 1983 dans le but d’améliorer l’urbanisme et l’action sociale en banlieue. »
« Grâce à l’opération « Fêtes et Forts », une riche programmation de manifestations culturelles (cinéma, théâtre, danse et concert) est déployée dans les anciens bastions militaires entourant Paris, créant une synergie entre la capitale et les villes qui l’entourent, en préfiguration d’une réflexion sur le « Paris métropole urbaine ».
« En juillet 1984, le premier événement consacré au breakdance est organisé dans le fort d’Aubervilliers. »
L’art de se représenter
« Depuis les années 1980, des émissions comme Enquête d’action ou Zone interdite, ainsi que des films comme La Haine ou Athéna ont souvent dépeint les « banlieues » comme des lieux dangereux, associés à la violence et à la révolte. Ces territoires ont été réduits à des clichés, qualifiés de zones à « nettoyer au karcher » par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy en 2005, ou de « no go zones » dangereuses à pénétrer, invisibilisant de ce fait les habitants de ces quartiers. Disparaissent ainsi dans le fracas médiatique des vies quotidiennes joliment banales, faites d’anecdotes personnelles et familiales autant que d’histoire collective et de logiques systémiques. De multiples voix s’attachent aujourd’hui à les raconter artistiquement. »
« Nombreux sont les artistes et les initiatives culturelles qui viennent proposer des images de fierté et de réussite en réponse aux archétypes réducteurs et aux raccourcis. Que ces images prennent la forme de récits, de reportages photographiques ou de peintures, de lieux ou de manifestations festives et culturelles, elles s’attachent à montrer des visages et des trajectoires intimes bien éloignées des clichés. »
« Ces propositions vont au-delà des contre-récits – qui seraient pensés en opposition avec les grands discours ayant fondé des stéréotypes vivaces : elles révèlent des aspects de la vie ordinaire qui se déploie dans ces lieux pluriels que cache le singulier de la notion de « banlieue ». Elles sont une ode à la banalité de quotidiens souvent bien moins sensationnalistes que certaines voix voudraient le faire croire. »
Vitry-sur-Seine par Lassana Sarre
Lassana Sarre, Courir pour être curieux, 2022
Acrylique sur toile © Lassana Sarre – Galerie Polaris Paris
« Dans la peinture de Lassana Sarre, souvent de grand format, se mêlent les références personnelles et les anecdotes, les lieux vécus et traversés, les proches de l’artiste et les figures tutélaires. La ville de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), où il a grandi, est un personnage et un paysage récurrents de ses toiles. Le peintre se représente ici dans un paysage inachevé, courant sur une piste d’athlétisme installée devant l’emblématique mairie de Vitry-sur-Seine construite en 1978, métaphore des injonctions sociales à fournir deux fois plus d’efforts lorsque l’on vient des marges. »
Le studio de musique
« Quand on prononce le mot « banlieue », le mot « rap » vient souvent immédiatement à l’esprit. »
« D’où vient cette identification, qui s’avère hâtive et inexacte quand on se penche quelques instants sur la question ? S’il est vrai que le rap français plonge ses racines dans les périphéries urbaines et les quartiers populaires, il ne représente pas le seul genre musical qui y soit produit ou écouté. Depuis l’avènement de l’enregistrement sonore, on chante la banlieue, ses paysages, les aventures que l’on peut y vivre... et on chante aussi depuis la banlieue, vers le monde qui écoute et qui se laisse surprendre par des vécus passés ailleurs sous silence. Tous les styles musicaux – la chanson réaliste, le rock, le punk, la variété, le rap – ont fait écho au vécu d’une grande partie de la population, qui peut enfin trouver là, dans la musique populaire, une image poétique qui la représente avec justesse. »
« Au travers de plus de cinq heures de musique soigneusement choisie, nous vous proposons un voyage sonore au coeur de nos banlieues chéries. Nous avons accordé une attention particulière aux musiciennes, chanteuses et rappeuses de tous horizons, afin de donner de la voix à des récits et des manières de dire trop souvent négligés dans la culture mainstream. »
« Le studio de musique a été conçu avec le Centre National de la musique / What the France. »
Accéder à la playlist de l’exposition
https://whatthefrance.lnk.to/banlieues-cheries
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