jeudi 20 mars 2025

« Modigliani / Zadkine. Une amitié interrompue »

Le Musée Zadkine présente l’exposition très intéressante « Modigliani / Zadkine. Une amitié interrompue ». « Près de 90 œuvres, peintures, dessins, sculptures et photographies d’époque évoquent l'amitié féconde et d'exception » - visages ovales, motif de la cariatide, fréquentation des « Montparnos » tels Max Jacob, Chana Orloff ou André Salmon - entre les deux artistes juifs sculpteurs lors de leur rencontre en 1913 dans le quartier Montparnasse à Paris, puis leurs chemins artistiques divergents - Amadeo Modigliani (1884-1920) avait renoué avec la peinture - et leur séparation lors de la Première Guerre mondiale, au décès prématuré de Modigliani, ainsi que la contribution d'Ossip Zadkine (1888-1967), par ses témoignages, dans l'édification du mythe Modigliani.


« À deux pas du jardin du Luxembourg et de Montparnasse, le musée Zadkine est dédié à l’oeuvre du sculpteur d’origine russe Ossip Zadkine (1888-1967), maître de la taille directe, figure majeure de l’École de Paris et de la modernité en sculpture. Le musée, niché dans la verdure de son jardin peuplé de sculptures, fut le lieu de vie et l’atelier de l’artiste et de sa femme Valentine Prax. La présentation de ses collections met en valeur le travail de la matière et fait dialoguer sous la lumière des verrières, bois et pierres taillées, terres cuites et plâtres. »

« Après l’exposition dédiée à Chana Orloff, le musée Zadkine continue d’explorer les liens artistiques tissés par Zadkine au cours de sa vie. Cette exposition est la première à s’intéresser à une amitié artistique jamais explorée jusqu’alors, celle qui unit le sculpteur Ossip Zadkine au peintre Amedeo Modigliani. »

« À travers près de 90 œuvres, peintures, dessins, sculptures mais également documents et photographies d’époque, elle propose de suivre les parcours croisés de Modigliani et Zadkine, dans le contexte mouvementé et fécond du Montparnasse des années 1910 à 1920. Bénéficiant de prêts exceptionnels de grandes institutions - le Centre Pompidou, le musée de l’Orangerie, les musées de Milan, Rouen et Dijon – ainsi que de prêteurs privés, le parcours fait se confronter, comme au temps de leurs débuts artistiques, deux artistes majeurs des avant-gardes, et permet de renouer les fils d’une amitié interrompue. »

« Ossip Zadkine rencontre Amedeo Modigliani en 1913 : les deux artistes, fraîchement débarqués à Paris, rêvent chacun de devenir sculpteurs et partagent alors le « temps des vaches maigres » comme l’écrira Zadkine dans ses souvenirs. Cette amitié, aussi brève que féconde sur le plan artistique, est interrompue par la Première Guerre mondiale. Modigliani abandonne la sculpture pour la peinture, sur le conseil de marchands. Zadkine s’engage comme brancardier en 1915, avant d’être gazé et d’entamer une longue convalescence. Les deux artistes se retrouvent brièvement au sortir de la guerre, avant que leurs voies ne divergent à nouveau. Modigliani connaît un succès croissant avec ses peintures, mais il meurt prématurément à 35 ans, en 1920, tandis que Zadkine entame une longue et fructueuse carrière de sculpteur. Zadkine n’oubliera pas Modigliani et conservera précieusement le portrait fait par son ancien camarade, dont la gloire posthume ne fait que croître, à tel point que « Modi » devient l’une des figures mythiques de l’art moderne. »

L’exposition fait dialoguer, pour la première fois, les œuvres de Modigliani et de Zadkine, mettant en évidence leur parenté d’inspiration mais également leurs divergences. Le parcours retrace, en cinq sections, les étapes d’une amitié d’exception, depuis les débuts parisiens des deux artistes jusqu’à la mort de Modigliani en janvier 1920. Il met en avant les cercles de sociabilité communs des deux artistes à Montparnasse, ainsi que le rôle pris par Zadkine dans l’édification posthume du mythe Modigliani. La dernière section interroge le rapport des deux artistes à l’architecture et offre une évocation spectaculaire du projet de temple à l’Humanité, rêvé par Modigliani.

L’exposition s’articule en cinq parties dans le musée constitué de la maison et de l'atelier de Zadkine.

Modigliani / Zadkine : des débuts à Paris sous le signe de la sculpture
« L’exposition débute en présentant côte-à-côte une sélection d’œuvres de Modigliani et Zadkine réalisées entre leurs arrivées respectives à Paris – 1906 pour Modigliani, 1910 pour Zadkine – et les débuts de la Première Guerre mondiale. Lorsque Zadkine rencontre Modigliani en 1913, celui-ci s’adonne pleinement à la sculpture, depuis sa rencontre avec Brancusi en 1909. La parenté de leur quête artistique ne peut que rapprocher les deux artistes : tous deux veulent rompre avec l’esthétique académique et se tournent vers de nouveaux modèles, puisés dans l’Égypte ancienne, les arts khmers et africains. Modigliani cherche un type de visage idéal, à l’ovale accusé et aux yeux en amande dont Zadkine se souviendra encore dans les années 1920, lorsqu’il sculptera à son tour une magnifique série de têtes idéales. »

Une amitié interrompue (1918-1920)
« Dessins et portraits peints de Modigliani, accompagnés d’une magnifique sélection de gouaches de Zadkine, illustrent ici les chemins divergents qu’empruntent Zadkine et Modigliani au sortir de la Première Guerre mondiale. La guerre met un terme brutal à l’amitié des deux artistes. Trop fragile pour s’engager, Modigliani est réformé et renonce définitivement à la sculpture, sur le conseil de son marchand Paul Guillaume. Zadkine s’engage dans la Légion étrangère : affecté à l’ambulance russe en 1915 comme brancardier, il est gazé en 1916, puis définitivement réformé en octobre 1917. Les chemins des deux artistes se croisent à nouveau brièvement à la fin de la guerre, avant la mort prématurée de Modigliani en janvier 1920. »

À Montparnasse, les affinités électives
« Un magnifique ensemble de « portraits d’amitié » dessinés par Modigliani, met en scène les « Montparnos » que Zadkine et Modigliani fréquentèrent tous deux au temps de leur amitié, tels Max Jacob, Chana Orloff ou André Salmon. Modigliani était en effet célèbre pour les portraits qu’il croquait rapidement, à la terrasse des cafés, en échange d’un verre ou d’un café, ou simplement en gage d’amitié et de reconnaissance. Le portrait qu’il fit de Zadkine, l’un des chefs-d'œuvre de la collection, s’inscrit indubitablement dans cette veine et constitue l’un des fleurons de l’ensemble. »

Zadkine et le mythe Modigliani
« Ici, documents, films et photographies, témoignent de l’ampleur du « mythe Modigliani » et montrent la part active prise par Zadkine dans l’édification de la légende. La mort de Modigliani, emporté par une méningite tuberculeuse le 24 janvier 1920, constitue un traumatisme pour la communauté d’artistes installés à Montparnasse. Dès les années 1920, la légende s’empare de cet artiste au destin tragique. Ceux qui l’ont connu et admiré de son vivant, livrent tour à tour leur témoignage. »

Une amitié interrompue
« Zadkine ne fait pas exception : dès 1930, le sculpteur évoque son ami dans un numéro spécial dédié à Modigliani. Dans ses souvenirs, publiés un an après sa mort en 1967, Zadkine brosse un éloquent portrait, haut en couleurs, de « Modi » et apporte ainsi sa pierre à l’édification de la légende du « prince de Montparnasse ».
« Pour évoquer cette amitié artistique, le plasticien Ange Leccia a choisi de réaliser un film, intitulé Adelia, Zadkine et Modigliani. Il met en scène une adolescente d’aujourd’hui en train de regarder des portraits photographiques des deux artistes, dont les images fantasmatiques se superposent et s’estompent, en écho à la légende qui entoure les deux artistes. »
« Des extraits d’une émission de 1953 avec Blaise Cendrars et du film Montparnasse 19 par Jacques Becker, avec Gérard Philippe dans le rôle de Modigliani, viennent enrichir cette partie illustrant le mythe. »

Un temple pour l’humanité
« Avec sa scénographie volontairement immersive et spectaculaire, la dernière partie met en scène le rapport qu’entretinrent chacun des deux artistes à l’architecture et au sacré, à travers le motif du Temple. Les têtes sculptées par Modigliani dans les années 1910 sont en effet conçues comme un ensemble décoratif devant s’intégrer dans un spectaculaire « temple de volupté »* soutenu par des « colonnes de tendresse »*qu’auraient symbolisé de souples femmes-cariatides. Ce motif de la cariatide, inlassablement dessiné par Modigliani est également repris à maintes reprises par Zadkine et donne lieu à certains chefs-d’oeuvre du sculpteur, dont la réputation avant-guerre tient largement à ses grands bois sculptés, avatars modernes des divinités antiques. »
* Comme l’écrivait le marchand Paul Guillaume

Le commissariat de l’exposition est assuré par Cécilie Champy-Vinas, conservatrice en chef du patrimoine, directrice du musée Zadkine, et Thierry Dufrêne, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Paris Nanterre, avec la collaboration d’Anne-Cécile Moheng, attachée de conservation au musée Zadkine.

La scénographie
« La scénographie signée par Joris Lipsch (Studio Matters) se construit autour d’un double objectif. Premièrement, il s’agit d’une mise en valeur et d’une mise en contexte des œuvres, par des regroupements de sculptures, par le dessin de socles à la fois circulaires, rectangulaires ainsi que cannelés qui évoquent la présentation des sculptures dans l’atelier de Zadkine du vivant de l’artiste. Les photographies d’époque de l’atelier de Zadkine montrent en effet une accumulation de sculptures, chacune sur leur socle individuel de forme et de hauteur très différentes les uns des autres. La scénographie sobre et épurée n’en est pas moins ainsi évocatrice de « l’esprit d’atelier », au cœur de l’identité du musée Zadkine. »
« L’organisation des salles et l’accrochage des œuvres cherchent à confronter et à rendre lisible les inspirations communes de Modigliani et Zadkine, mais également leurs différences. Dans la deuxième partie de l’exposition, un emplacement majeur pour les tableaux de Modigliani est suivi d’un ensemble important de dessins de Zadkine. »
« Dans la dernière salle, des dessins de Modigliani font écho à un groupement de sculptures de Zadkine, illustrant de façon spectaculaire l’amitié des deux artistes. La disposition des œuvres tire parti de l’espace de cet ancien atelier, transformé en une sorte d’abside qui permet de présenter certains des plus beaux dessins de Modigliani sur le motif de la cariatide. »
« Flanquées de chaque côté de l’abside, des cariatides de Zadkine accueillent les visiteurs. La référence à l’architecture sacrée, induite par la forme semi-circulaire de l’abside, évoque le projet titanesque et jamais réalisé de temple en hommage à l’humanité, rêvé par Modigliani. »
« La ligne graphique souligne également cette amitié. Une typographie sobre et linéale, jouant sur un contraste entre lignes droites et formes arrondies s’inspire du travail de la pierre et des œuvres des artistes. Les «bras» des lettres s’orientent en diverses directions, symbolisant les liens tentant de se rejoindre. »

AUTOUR DE L’EXPOSITION
Des outils de médiation
« Dans la dernière section de l’exposition, une table tactile permet de découvrir les lieux et les personnalités de Montparnasse que fréquentèrent Modigliani et Zadkine, sur le modèle de celle déjà déployée dans l’exposition Chana Orloff. Sculpter l’époque organisée au musée Zadkine en 2023. 
Un parcours enfant a d’autre part été conçu avec le service des publics du musée Zadkine. Le jeune public est ainsi invité à découvrir l’exposition sur les pas d’une mascotte empruntée à l’univers de Zadkine et Modigliani. »

Programmation
« L’exposition du musée Zadkine est accompagnée d’une programmation culturelle ambitieuse. Un cycle de rencontres a été organisé en partenariat avec l’Institut culturel italien et la Bibliothèque André Malraux (Paris 6e). À l’Institut italien a eu également lieu en janvier 2025 une table-ronde sur le thème Modigliani et l’Italie. Des évènements sont en préparation avec la Cité Falguière (Paris, 15e) où se trouvait l’atelier de Modigliani. »

DES OUTILS DE MÉDIATION SUR MESURE
Un parcours jeune public et famille
« Un parcours conçu spécifiquement rend accessible aux enfants et au plus grand nombre une sélection d’œuvres. Ces cartels signalés par un visuel donnent à tous les clefs de lecture de l’oeuvre de Modigliani et de Zadkine, parcourant les thèmes qu’ils ont tous deux explorés – la figure humaine, la femme-cariatide, les portraits… »



LE PARCOURS DE L’EXPOSITION

Première partie
LES DÉBUTS À PARIS
« Pratiquement contemporains, Modigliani, né en 1884 à Livourne, et Zadkine, né en 1888 à Vitebsk, sont arrivés à Paris l’un après l’autre, Modigliani début 1906 et Zadkine fin 1910. Avant 1910, le Livournais peignait à la manière d’Henri de Toulouse-Lautrec. En 1909-1910, il se mit à sculpter en taille directe des têtes archaïsantes qu’il exposa au Salon d’automne de 1912. Ce sont des têtes très stylisées, allongées ou ovoïdes dans l’esprit de Brancusi qu’il avait rencontré en 1909. Il emprunte à l’art africain, à l’Égypte et à la sculpture khmère. Zadkine se fait connaître par des sculptures qu’il qualifie lui-même de « primitives » lors de ses premières participations aux salons. »

« Dans l’esprit de Zadkine, « archaïsme » veut dire un retour aux formes et à l’esprit des arts égyptien ou grec qu’il a découverts au cours de sa période anglaise au British Museum, mais aussi de l’art asiatique, de la sculpture romane et des sculpteurs africains et océaniens. Il est marqué par le style de Modigliani dont il fait la connaissance en 1913 et réalise des têtes et des figures humaines caractérisées par l’idéalisation et la frontalité des formes. Une expressivité singulière et son sens des matériaux distinguent cependant le sculpteur d’origine russe. Peu avant la Première Guerre mondiale, les deux artistes évoluent vers le cubisme sous l’influence de rencontres, notamment celle avec Picasso qui habitait alors rue Schoelcher à Montparnasse. Mais leur personnalité artistique déjà bien affirmée reste irréductible à ce que Zadkine appelle le « monachisme cubiste ».

« Tête héroïque a été taillée par Zadkine dans un bloc de granit rose sur lequel il se souvient dans ses Mémoires avoir cassé « tous [ses] ciseaux ». La forme du bloc inspire le sculpteur qui utilise les irrégularités de la pierre pour suggérer les yeux et la bouche : faire avec la nature est la marque de Zadkine. Modigliani taille sa Tête de femme dans un calcaire plus tendre, mais il veut obtenir le dessin parfait qu’il a dans l’esprit et l’imposer à la matière. Les traits stylisés comme les yeux en amande et le nez en trapèze donnent un effet de haut-relief.

« En 1914, sous l’influence de son marchand, Paul Guillaume, Modigliani renonce à la sculpture et redevient peintre avec passion. Il n’oublie cependant pas ce que la pratique de la sculpture lui a appris. La Femme au ruban de velours possède ainsi un visage-masque qui évoque les sculptures africaines que Modigliani admirait tant, tout comme Zadkine. Avec ses yeux en amande, aux orbites pleines, incrustées de marbre gris, la Tête de femme, réalisée par Zadkine presque dix ans plus tard présente une physionomie très proche. »

« Entre 1912 et 1914, Modigliani réalise près d’une centaine de dessins préparatoires à ses têtes sculptées. Perfectionniste acharné, il reprend inlassablement le même motif de tête, dont les traits symétriques et stylisés évoquent les masques africains. Pour cette remarquable étude, l’artiste a recours au crayon de couleur, beaucoup plus rare que le crayon noir dans sa production à cette période. »

« Ce dessin, daté de 1914, fait partie des rares œuvres de jeunesse de Zadkine encore conservées. Avec ses lignes souples et son tracé sûr, ce nu féminin tout en courbe fait penser aux nombreux dessins de cariatides réalisés par Modigliani à la même période. Les deux artistes sont alors très proches et se voient régulièrement, dans les cafés de Montparnasse et dans l’atelier de Modigliani. »

« La poétesse Beatrice Hastings a été présentée à Modigliani par le poète Max Jacob en 1914 – mais Zadkine, qui la connaissait également, prétend dans ses Mémoires avoir été à l’origine de la rencontre. Entre 1914 et 1916, la passion tumultueuse de Modigliani pour la « belle Anglaise » lui inspire des portraits peints et nombre de dessins. La peinture de 1915 montre plusieurs traits hérités de la période où Modigliani pratique la sculpture : style sévère, visage ovale sur un long cou, larges orbites en amande des yeux sans pupille, nez droit, bouche pincée. »

L’AMITIÉ INTERROMPUE
« En 1914, la Première Guerre mondiale met fi n à la période de fraternité artistique et d’insouciance que Zadkine et Modigliani ont partagée. Quoique étrangers tous les deux, ils tentent de s’engager dans l’armée française, mais seul Zadkine y parvient, son ami étant réformé à cause de sa santé fragile. Envoyé en Champagne, Zadkine est victime d’une attaque au gaz et réformé en 1917. De retour à Paris, il retrouve Modigliani, mais ce dernier a renoncé à la sculpture. Rattrapé par la « dame spéculation », selon les mots de Zadkine, il est en passe de devenir un peintre célèbre, soutenu par les marchands Paul Guillaume puis Léopold Zborowski qui l’encouragent à peindre des portraits et des nus. En 1918, les deux artistes quittent Paris : Modigliani part dans le sud de la France avec sa compagne Jeanne Hébuterne ; Zadkine se réfugie dans le Quercy. Ce n’est qu’au printemps 1919 qu’ils se recroisent à Paris, mais leur complicité d’autrefois n’est plus. Lorsque Modigliani meurt, le 24 janvier 1920, Zadkine ne participe pas aux funérailles, organisées par une poignée d’amis. Il vient alors de rencontrer Valentine Prax, sa future femme, et sa carrière prend enfin son envol : il suit sa voie sans renoncer à l’idéal d’une sculpture nouvelle que Modigliani a fi ni par abandonner. Si certaines de ses sculptures portent encore la marque du cubisme, il s’en éloigne bientôt, empruntant la voie ouverte par Modigliani, dont l’influence se lit en particulier dans ses dessins. »

« En 1909, Modigliani a pour voisin de chambre à Montmartre un violoncelliste qui s’exerce avec assiduité. L’artiste décide d’en faire son portrait et réalise plusieurs études préparatoires dont l’une est présentée ici. Dix ans plus tard, Zadkine sculpte de son côté une figure de musicienne qui enserre étroitement son instrument : la stylisation des formes, qui dénote l’influence du cubisme, laisse toutefois bien perceptible la forme du violoncelle. Zadkine aimait la musique et jouait lui-même de l’accordéon, n’hésitant pas à rythmer de son instrument les soirées artistiques de Montparnasse. »

« Comme Modigliani, Zadkine reprend ici le thème traditionnel du nu féminin couché dans un intérieur qui évoque l’atelier. Le drapé à l’arrière-plan, le lit garni d’un coussin, la tête reposant sur un bras replié, répondent aux conventions du genre. L’influence du cubisme se fait toutefois discrètement sentir : le corps massif paraît contraint dans cet intérieur tout en obliques. Comme taillé par les aplats de gouache blanche, le modelé puissant évoque la dureté de la pierre, loin de la sensualité des nus de Modigliani. »

« Le thème du nu féminin revient comme un leitmotiv dans l’oeuvre de Modigliani, tant dans ses dessins que dans sa peinture. De nombreux dessins de nus ont été conservés, dont les plus anciens remontent aux débuts parisiens de l’artiste. Ici, une jeune femme de profil est représentée nue devant un cierge, la tête cernée de deux lustres qui font peut-être référence à une mise en scène vue dans un théâtre ou un cabaret de Montmartre. »

« La maîtrise du dessin, qui permit à Modigliani sculpteur de créer les visages épurés devenus emblématiques, se retrouve dans cette peinture. Le tracé sûr du pinceau noir se distingue ainsi nettement sur les larges arcades sourcilières et au niveau du renflement de la lèvre inférieure. À l’ovale sans surprise du visage, la frange et les mèches de cheveux ajoutent une certaine individualisation et une touche d’époque. »

Troisième partie
À MONTPARNASSE, LES AFFINITÉS ÉLECTIVES
« Zadkine comme Modigliani appartiennent au monde des « Montparnos », ces artistes et intellectuels qui firent de Montparnasse leur terre d’élection. Dès les années 1910, Montparnasse est en effet près de détrôner Montmartre comme centre artistique de la capitale. Modigliani, qui s’installe d’abord à Montmartre, découvre Montparnasse en 1909 lorsqu’il travaille à la Cité Falguière, près de Brancusi. De son côté, Zadkine s’installe à Montparnasse dès son arrivée à Paris et reste sa vie durant fidèle au quartier. À l’époque de son amitié avec Modigliani, le sculpteur vit rue Rousselet dans le VIe arrondissement, mais il fréquente assidûment le carrefour Vavin et ses célèbres cafés, le Dôme et la Rotonde, où il retrouve Modigliani. »

« Les personnalités que fréquentèrent en commun Modigliani et Zadkine, tels les poètes et écrivains Max Jacob et André Salmon, mais aussi le peintre Chaïm Soutine et la sculptrice Chana Orloff, sont évoqués grâce à des photographies et des portraits. Tous exécutés par Modigliani – qui avait pour habitude de dessiner ses amis à la terrasse des cafés - ils illustrent magnifiquement l’effervescence artistique qui régnait alors. »

« Ce portrait a sans doute été dessiné peu de temps après la rencontre de Zadkine et Modigliani au printemps 1913. Il fait partie des portraits d’amitié réalisés par Modigliani qui, toujours à court d’argent, avait coutume d’échanger ses dessins contre un verre ou un repas. Modigliani parvient à saisir les traits du jeune sculpteur, coiffé d’une épaisse frange lui donnant une allure bohème. Ce dessin, précieusement conservé par Zadkine jusqu’à la fin de sa vie, fait partie aujourd’hui des chefs-d’œuvre du musée. »

« Fuyant les ghettos de l’Empire russe, Chaïm Soutine (1893-1943) arrive à Paris en 1912. Modigliani le considère comme son protégé et le recommande à Léopold Zborowski, son marchand. » 

« Ce premier portrait de son ami, datant de 1915 est étonnant de vérité. La pupille des yeux reflète la lumière, la bouche laisse entrevoir les dents et le nez est large et épaté. »

« D’autres portraits suivront, qui témoignent tous d’une chaleur amicale passionnée. »

« Dans ce dessin sans doute préparatoire à son portrait peint (aujourd’hui conservé à la Kunstsammlung de Düsseldorf), on reconnaît le peintre et poète Max Jacob à son visage ovale au nez busqué, et à son allure de dandy portant cravate et chapeau haut-de-forme. Son œil gauche n’est pas représenté, comme pour signifier sa capacité à voir au-delà du visible. Le croissant de lune tracé à droite évoque peut-être l’œil spirituel guidant le poète, mais aussi le monocle qu’il avait coutume de porter. »

Quatrième partie
LE MYTHE MODIGLIANI
« Après la mort prématurée de Modigliani en 1920, se constitue rapidement une légende autour du peintre, alimentée par sa réputation sulfureuse. Le succès posthume du « prince de Montparnasse » ne fait que croître, soutenu par l’engouement du marché de l’art pour ses peintures. Revers de la célébrité, les œuvres de Modigliani, extrêmement recherchées, suscitent également une production de faux dont certains sont difficiles à démasquer. Les anciens compagnons de bohème du peintre, dont fait partie Zadkine, assistent à la « revanche du mort » pour reprendre les mots du journaliste Francis Carco en 1920. Le peintre qu’ils ont connu pauvre et méconnu devient après son décès l’un des artistes mythiques de l’art moderne. »

« Dans ce contexte, Zadkine est amené à plusieurs reprises à évoquer Modigliani et ce dès les années 1930. Le sculpteur a manifestement gardé toute sa vie un intérêt particulier pour son ancien camarade qu’il décrit dans ses Mémoires comme un « authentique bourgeon montparnassien qui n’a pas duré longtemps ». Au côté de photographies et d’archives, pour certaines inédites, sont rassemblés ici des œuvres évoquant le mythe Modigliani. Des extraits d’archives filmées permettent d’entendre les voix de Zadkine et Cendrars évoquant le Modigliani qu’ils ont connu dans leur jeunesse. »

« Man Ray photographie ici le masque mortuaire qui fut moulé sur le visage de Modigliani par Moïse Kisling, assisté de Jacques Lipchitz et du médecin Conrad Moricand. Man Ray ne connut pas Modigliani, mais le choix de cet objet laisse penser qu’il fut sans doute fasciné par le personnage. Sa mise en scène transfigure l’effigie émaciée aux yeux clos, qui semble émerger des ténèbres comme une icône. »

« Les recherches menées lors de la préparation de l’exposition ont mis en lumière un ensemble de documents concernant Modigliani dans les archives du musée Zadkine, pour certains inédits. Ces documents sont présentés dans l’exposition et publiés dans le catalogue, notamment les pages manuscrites des Mémoires de Zadkine concernant Modigliani et la photographie du peintre, précieusement conservée par le sculpteur. Des notes inédites de Zadkine, ainsi que des lettres adressées au sculpteur par l’écrivain et critique d’art André Salmon, auteur d’une biographie de Modigliani, complètent l’ensemble. »

Cinquième partie
UN TEMPLE POUR L’HUMANITÉ
« La relation de la sculpture à l’architecture passionne Modigliani et Zadkine. Au Salon d’automne de 1912, Amedeo Modigliani présente un « ensemble décoratif » de sept têtes sculptées qu’il dispose lui-même dans l’espace. »

« Dans son esprit, il s’agit des prémisses du projet de « temple en l’honneur de l’Humanité » dont il a parlé à son marchand Paul Guillaume. En 1912, le sculpteur britannique Jacob Epstein, qui travaille au monument d’Oscar Wilde au cimetière du Père-Lachaise, rapporte avoir vu son ami placer des bougies la nuit sur les têtes sculptées de son atelier de la cité Falguière, rituel qui transformait le tout en une sorte de « temple primitif ».

« Modigliani rejoint les rêves de sculpteurs-architectes comme Henri Gaudier-Brzeska, Jacob Epstein, Eric Gill, Paul Landowski ou Constantin Brancusi. Il imagine des centaines de cariatides sculptées formant autant de « colonnes de tendresse* » ! Il n’en réalisa que deux. En revanche, il en dessine et en peint d’admirables qui évoquent le Cambodge ou l’Inde des danses rituelles. Quant à Zadkine, s’il taille volontiers des cariatides en bois, voyant plutôt leur groupement comme une forêt, cela ne l’empêche pas, dès avant son voyage en Grèce en 1931, de penser, comme son ami Modi, au rythme et au décor de l’architecture pour mettre en scène ses sculptures. Splendeur classique pour l’un, sens dramatique pour l’autre si l’on considère par exemple sa sculpture L’Esprit de l’Antiquité (1927) qui a servi d’inspiration pour la scénographie de cette salle. »

« Si la tête de cette cariatide est bien celle d’une sculpture, la finesse du torse et l’arabesque qui anime bras et jambes montrent que l’artiste donne très vite une entière autonomie à ses dessins, d’abord pensés comme des études pour des sculptures. Agenouillées comme des anges de l’Annonciation ou dansantes comme les sculptures khmères, ses cariatides s’élèvent jusqu’à une abstraction qui fait penser aux œuvres de Frantisek Kupka sans pourtant perdre la sensualité qu’on retrouve plus tard dans les nus de l’artiste. »
* Comme l’écrivait le marchand Paul Guillaume 

« Pendant les années que Modigliani consacre à la sculpture, entre 1909 et 1914, l’artiste réalise de multiples dessins sur le thème de la cariatide. Certains sont de véritables chefs-d’œuvre, comme cette cariatide agenouillée, qui provient de l’ancienne collection du docteur Paul Alexandre, ami et premier collectionneur de Modigliani. L’œuvre témoigne de l’admiration que portait Modigliani à la sculpture khmère, découverte au musée du Trocadéro. Chez Zadkine, lorsqu’il sculpte son Torse agenouillé quelques années plus tard, se devine davantage l’influence de la sculpture grecque, mais le sculpteur partage avec le peintre une même fascination pour la beauté du corps féminin. »

« Ce magnifique dessin à la plume fait partie des dessins les plus aboutis de Modigliani. Il se rattache à une série d’études préparatoires à l’exécution de têtes taillées par l’artiste dans la pierre. Le délicat profil de cette figure féminine, expression de la forme idéale que recherchait inlassablement Modigliani, est surmonté d’un élément architectural qui la rattache au projet de temple en hommage à l’humanité que rêvait d’exécuter l’artiste. »

« Au centre de l’atelier sont présentées trois têtes taillées par Zadkine en 1918 et 1919. Leurs visages allongés, leurs traits stylisés et leurs orbites pleines évoquent fortement les têtes sculptées par Modigliani avant 1914. Leur disposition dans l’espace rappelle volontairement la présentation des sept têtes exposées en 1912 par Modigliani au Salon d’automne, « échelonnées comme des tuyaux d’orgue pour réaliser la musique qui chantait dans son esprit », selon le sculpteur Jacques Lipchitz. »


ENTRETIEN AVEC ANGE LECCIA ET THIERRY DUFRÊNE, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION

« À l’occasion de l’exposition, l’artiste contemporain Ange Leccia a réalisé une oeuvre vidéo où il réinterprète l’amitié interrompue entre Modigliani et Zadkine en activant des archives documentaires. Dans cet entretien, extrait du catalogue de l’exposition, l’artiste revient sur la conception et sur le sens de son oeuvre. »

« Thierry Dufrêne. Votre oeuvre de sculpteur installateur se singularise par la répétition d’un dispositif de confrontation, de mise face à face d’objets. L’œuvre créée a ainsi une unité duale, dont les deux éléments conversent à l’infi ni sous l’œil du spectateur qui est en tiers. Est-ce dans cet esprit que vous avez conçu l’oeuvre vidéo présentée dans l’exposition ? 

Ange Leccia. Je suis parti du matériel documentaire qui m’a été fourni, des photographies, mais je n’ai pas voulu faire un documentaire. Ce qui m’a intéressé, ce sont les regards des artistes, puisque moi-même, avec la vidéo, je présente un regard, je cadre, j’aiguise un périmètre de vision. C’est exactement ce que j’ai voulu faire, moins les mettre face à face que de confronter leur regard sur le monde.
Il s’agit d’histoire de l’art, du souvenir, mais je veux réinterpréter ce que j’imagine être leur vision, et ce qui émerge des archives. Je veux réanimer, réactiver l’archive.

Thierry Dufrêne. Vous avez toujours aimé la sculpture et réalisé une oeuvre vidéo remarquable sur Bourdelle. Diriez-vous que pour vous, la vidéo est la sculpture poursuivie par d’autres moyens ?

Ange Leccia. La sculpture … ou la peinture. En somme les artistes font toujours la même chose : ils se concentrent sur leur vision et la cadrent. C’est la même chose pour Modigliani et Zadkine. C’est alors, quand elle est saisie, qu’elle peut être sublimée, transcender les limites, la peur, ouvrir sur des questions philosophiques.

Thierry Dufrêne. La captation de la lumière du projecteur joue un rôle décisif dans vos vidéos. En ce qui concerne la sculpture, elle fait naître une double sensation de dessin dans l’espace et de fusion, comme dans l’opération de fonte d’un bronze. Comment définiriez-vous ce travail sur la lumière ?

Ange Leccia. Je déteste la projection vidéo qui me fait l’effet d’un encéphalogramme plat. Je préfère le projecteur de cinéma qui vibre, qui donne une pulsion vitale, comme un rythme cardiaque. Et la pale de refroidissement projette une ombre : tout cela joue, est vivant. C’est en un sens le flux de la vie, qui consume, consomme, qui opère une sorte de fusion. La lumière du projecteur de cinéma revitalise et même sculpte l’image, lui redonne une intensité vivante. »

Ange Leccia (né en 1952), « Zadkine-Modigliani », 2024, vidéo, durée 8’20.

ZADKINE – MODIGLIANI : CHRONOLOGIE D’UNE AMITIÉ

« 1884
Amedeo Modigliani naît à Livourne (Italie) dans une famille juive séfarade.

1888
Ossip Zadkine naît à Vitebsk, dans l’Empire russe (actuelle Biélorussie), dans une famille juive nombreuse.

1906
Modigliani arrive à Paris en janvier.
Il loge à Montmartre, non loin du Bateau-Lavoir dont il fréquente les artistes.

1907
Modigliani emménage rue du Delta, au pied de Montmartre, grâce au soutien du Dr Paul Alexandre, son ami et premier mécène.

1909
Brancusi, rencontré grâce à Paul Alexandre trouve à Modigliani un atelier cité Falguière, près de la gare Montparnasse.

1910
Zadkine arrive à Paris à l’automne. Il rencontre le sculpteur Jacques Lipchitz. Modigliani rencontre la poétesse russe Anna Akhmatova.

1911
Zadkine s’installe à la cité d’artistes La Ruche (au sud de l’actuel 15e arrondissement). Au Salon des Indépendants, en avril, Zadkine et Modigliani présentent chacun 6 œuvres.

1912
Zadkine emménage au 114 rue de Vaugirard.
Modigliani au 216 boulevard Raspail.

1913
Zadkine s’installe dans un nouvel atelier au 35 rue Rousselet. Il rencontre Modigliani mais aussi Brancusi, Apollinaire, Blaise Cendrars, Robert et Sonia Delaunay.

1914
Modigliani rencontre Paul Guillaume qui devient son marchand et lui loue un atelier à Montmartre.
Il abandonne la sculpture et entame une liaison avec la poétesse anglaise Beatrice Hastings.
Zadkine expose à Berlin, Londres, Amsterdam.
Il illustre le recueil de poésies de la Russe Véra Inber, amie d’Anna Akhmatova. Zadkine et Modigliani fréquentent la Rotonde ou le restaurant Chez Rosalie. En août, la France entre en guerre.

1915
Zadkine s’engage dans la Légion étrangère.
Paul Guillaume loue pour Modigliani un logement au Bateau-Lavoir.

1916
Incorporé dans une section d’infirmiers militaires, Zadkine est envoyé en Champagne. Modigliani rencontre Léopold Zborowski qui devient son marchand. Il expose aux soirées de l’association « Lyre et palette ». En novembre, Zadkine est victime d’une attaque au gaz et hospitalisé.

1917
Zadkine est soigné à Paris puis aux environs de Reims. Modigliani s’installe chez Zborowski, rue Joseph Bara. Il entame une liaison avec Jeanne Hébuterne. En octobre, Zadkine est réformé. Il expose à « Lyre et Palette ».

1918
En avril, Modigliani et Jeanne Hébuterne séjournent sur la Côte-d’Azur. Leur fille naît à Nice.
Zadkine passe son été à Bruniquel, un village du Tarn-et-Garonne. Le 11 novembre, l’armistice est conclu.

1919
Zadkine rencontre Valentine Prax, sa voisine d’atelier rue Rousselet. Modigliani rentre à Paris avec Jeanne Hébuterne et leur fille.
Ils s’installent rue de la Grande-Chaumière.

1920
Mort de Modigliani le 24 janvier à 35 ans.
Le peintre Moïse Kisling qui organise ses funérailles.
Jeanne Hébuterne, âgée de 22 ans, se donne la mort le 26 janvier. En mai, Zadkine organise sa première exposition personnelle rue Rousselet.
En juillet, il épouse Valentine Prax.

1928
Zadkine et Prax s’installent au 100 bis rue d’Assas, non loin du dernier appartement de Modigliani rue de la Grande Chaumière.

1967
Zadkine meurt à l’âge de 79 ans. »

ZADKINE RACONTE MODIGLIANI

Lumière de Paris
Manuscrit inédit d’Ossip Zadkine, non daté (années 1950-1960 ?) 
« Modi était arrivé à Paris en 1911. Je l’avais rencontré devant la grille des jardins du Luxembourg. Il portait une barbe taillée sur un menton très italien. Il avait l’air d’un seigneur dans son costume de velours nacré.
Il parlait le français beaucoup mieux que moi, achevant ses phrases ironiques par un rire sourd. Nous sommes vite devenus des amis. J’allais souvent le chercher le matin à l’atelier de photographe qu’il avait loué, à l’emplacement actuel du cinéma Raspail.
A cette époque déjà, il ne travaillait que la nuit. Je le trouvai étendu sur son lit, le visage caché dans sa barbe noire. Il avait épinglé aux carreaux mal joints de l’atelier les dessins qu’il avait réalisés avant l’aube et qui frémissaient sous le courant d’air persistant. Nous n’avions pas besoin d’argent pour nous inviter à déjeuner à tour de rôle. Vers midi trente, nous sortions et nous attendions au carrefour Raspail de rencontrer des copains qui nous prêteraient de quoi régler Rosalie. Si personne ne passait et si nos ardoises étaient déjà lourdes, nous allions quand même au restaurant et Modi laissait des cartons pleins de dessins. Rosalie haussait les épaules et la serveuse les jetait dans la cave.
Le soir, après 21 heures, on fermait les portes mais quelques habitués et moi, nous restions dans la salle. Encore une faveur. Combien de fois ai-je vu les rats surgir du sous-sol, tenant dans leurs dents aiguës des morceaux de dessins de Modi. Rosalie ne savait pas qu’elle laissait peu à peu ronger une fortune colossale ».

1918 : Avec Modigliani
Extrait du Maillet et du Ciseau, mémoires d’Ossip Zadkine publiés en 1968
« La peinture de Modi commençait à se vendre. La dame spéculation s’emparait de cet homme gentil, épris de haschisch et de vin. Je commençais à le voir moins souvent. A la gargote, sorte de restaurant pour artistes, que tenait Marie Vassilief, femme peintre originaire de Smolensk, il venait encore et, passablement saoul, il y récitait la Divine Comédie à qui voulait l’entendre. Rue Joseph-Bara, au numéro 3, il se rendait aussi chez Zborowski qui lui trouvait des modèles. Au bout d’un certain temps, on commença à voir des nus féminins dans les galeries. Visiblement, la clientèle exigeait des nus : cela se vendait bien et Modi suivit la mode.
Cependant, le caractère de mon ami s’assombrissait. Modigliani devenait de plus en plus nerveux et buvait toujours davantage. Vers 1920, il se mit à tousser et, pour cacher sa toux, il s’inventait un rire presque hystérique.
Un jour d’automne, revenant de Bruxelles où s’était ouverte ma première exposition personnelle, j’appris sa mort et le suicide de sa femme.
Depuis, la vanité a poussé beaucoup de ceux qui l’ont approché à donner chacun sa brique de souvenirs à l’édification d’une légende. Peu de gens cependant l’ont connu suffisamment pour dire l’être qu’il fut : simple au fond de lui mais fier, primesautier mais exalté. Personnellement, je crois qu’authentique bourgeon montparnassien qui n’a pas duré longtemps, il portait au cœur un don qu’il n’a su ou voulu cultiver ou approfondir ».


Du 14 novembre 2024 au 30 mars 2025
100 bis, rue d’Assas - 75006 Paris
Tél. : 01 55 42 77 20
Du mardi au dimanche de 10h à 18h.
Fermeture du musée le lundi et certains jours fériés.
Visuels :
Modigliani Zadkine1@muséeZadkine-ParisMusées Nicolas Borel

Ossip Zadkine (1888-1967)
Nu assis, 1914
Plume, encre brune sur papier
Collection particulière

Amedeo Modigliani (1884-1920)
Beatrice Hastings, 1915
Huile sur carton marouflé sur bois
Milan, Museo del Novecento

Amedeo Modigliani (1884-1920)
Portrait de Zadkine, vers 1913
Graphite sur papier
Paris, musée Zadkine, legs de Valentine Prax, 1981

Amedeo Modigliani (1884-1920)
Portrait de Chaïm Soutine, 1915
Huile sur bois
Stuttgart, Staatsgalerie

Amedeo Modigliani (1884-1920)
Max Jacob, 1915
Graphite sur papier
Quimper, musée des Beaux-Arts

Marc Vaux,
Portrait photographique de Modigliani
Contretype avec retouches de Zadkine
Paris, archives du musée Zadkine

Amedeo Modigliani (1886-1920)
Cariatide, vers 1913-1914
Graphite, lavis d’encre et pastel sur papier
Paris, musée d’Art Moderne


mardi 18 mars 2025

« Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie »

Le Mémorial de la Shoah présente, sur son site à Drancy, en partenariat avec Têtu, l'exposition partiale « Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie » (
Homosexuals and lesbians in nazi Europeassociée à un catalogue et à un mini-site bilingue français-anglais. Une exposition « chronologique et thématique retraçant l’histoire de la persécution des homosexuels et lesbiennes sous le Troisième Reich ». Ce discours victimaire omet la judéité de certains homosexuels, parfois résistants, et est contredit par la présence d'homosexuels parmi les collaborateurs des nazis, notamment en France, voire parmi les nazis. Sous un titre neutre, l'exposition évoque essentiellement les persécutions des homosexuels et lesbiennes en Europe sous domination nazie.

Des dirigeants communautaires français et l'homosexualité 

« Enjeu de mémoire, le destin des “triangles roses” a longtemps été invisibilisé. Cette exposition entend rendre compte, grâce à de nombreux documents originaux, du sort des homosexuels et des lesbiennes sous le régime nazi, entre stigmatisation, persécution et lutte pour la reconnaissance. »
Florence Tamagne, commissaire scientifique de l’exposition, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Lille, 
Spécialiste de l’histoire de l’homosexualité

A Paris, le Mémorial de la Shoah a présenté, en partenariat avec Têtu, l'exposition partiale « Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie » (Homosexuals and lesbians in nazi Europeassociée à un catalogue et à un mini-site bilingue français-anglais. "Cette exposition replace la persécution des homosexuels sous le régime nazi dans un cadre européen, tout en privilégiant les cas allemand et français, des premiers mouvements homosexuels de la fin du xixe siècle jusqu’aux processus mémoriels les plus récents. Des parcours de vie témoignent du destin hétérogène des hommes et des femmes homosexuels durant cette période, alors qu’ils étaient parfois aussi juifs, résistants, voire sympathisants du régime."

« Le sort des homosexuels et lesbiennes pendant la Seconde Guerre mondiale a longtemps été méconnu, et largement ignoré du grand public. Ce n’est que depuis quelques dizaines d’années qu’ont été publiées des recherches historiques de premier plan qui permettent d’en connaître davantage. Et c’est le discours de Lionel Jospin en 2001 qui a permis d’initier le début d’une reconnaissance officielle de la déportation homosexuelle. C’est pourquoi le Mémorial de la Shoah, en tant que musée et premier centre de recherches européen sur les génocides, se devait en 2021 de présenter au public une exposition sur ce thème qui explique la politique et l’attitude des nazis à l’encontre des femmes et hommes homosexuels dans le cadre de leurs théories raciales », a écrit Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah. Quel rapport avec les génocides ?

« En 2021, pour la première fois en France, un musée d’histoire retrace de manière chronologique et thématique l’histoire de la persécution des homosexuels et lesbiennes sous le Troisième Reich en s’appuyant sur une riche sélection de documents pour la plupart jamais présentés en France. » Quid d'Ernst Röhm, chef des  SA (Sturmabteilung, en allemand), organisation paramilitaire, éliminé pour des raisons politiques par Hitler lors de la Nuit des longs couteaux en 1934  ? Des collaborateurs du régime nazi ont aussi été homosexuels, et ont contribué à la persécution des Juifs.

« Longtemps tabou, le destin des “triangles roses”, s’il est, depuis une trentaine d’années, l’objet de recherches historiques de premier plan, reste encore méconnu du grand public. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, rares furent les hommes et femmes homosexuels à témoigner du sort qui fut le leur sous le régime nazi. En Allemagne, ils se virent nier le statut de victimes, du fait notamment du paragraphe 175 du Code pénal allemand, criminalisant les relations sexuelles entre hommes, qui resta en vigueur après 1945. »

« Ce n’est qu’à la faveur du mouvement de libération gay et lesbien des années 1970 que le sujet commença à être débattu, soulevant de nombreuses questions, constituant autant d’enjeux mémoriels : quelle fut la nature des persécutions ? Combien de personnes furent touchées ? Tous les homosexuels furent-ils visés ? Quel fut le sort des lesbiennes ? Quels furent les territoires concernés par la répression, notamment en France ? Comment honorer le souvenir des victimes ? »

« S’appuyant sur une variété de documents, la plupart jamais présentés en France, cette exposition se propose de répondre à ces multiples interrogations en replaçant la persécution des femmes et des hommes homosexuels sous le régime nazi dans un cadre géographique large - même si l’Allemagne et la France seront privilégiées - et dans le temps long. »

« Si le début du XXe siècle avait vu l’épanouissement d’une subculture homosexuelle dans les grandes capitales européennes (comme Berlin et Paris) et la naissance des premiers mouvements militants, les préjugés homophobes, relayés notamment par les discours religieux et médicaux, étaient fortement ancrés et de nombreux pays pénalisaient l’homosexualité masculine – plus rarement féminine. Le discours nazi prit racine sur ce terreau fertile, avant de trouver sa concrétisation dans la mise en place d’un système répressif de plus en plus radical et foisonnant. »

« Les femmes et les hommes homosexuels ont connu des destins hétérogènes. Certains choisirent l’exil, d’autres menèrent une double vie. Sur près de 100 000 homosexuels fichés par le régime, 50 000 environ firent l’objet d’une condamnation ; entre 5 000 et 15 000 furent envoyés en camp de concentration, où la plupart périrent, même si leur sort put varier considérablement en fonction du camp lui-même, mais aussi de leur date d’internement. Les lesbiennes restaient quant à elles hors du champ de la loi, sauf dans certains territoires, comme l’Autriche, et certaines furent déportées comme “asociales” ou “communistes”. Le paragraphe 175 ne s’appliquait qu’aux ressortissants du Reich, allemands et habitants des territoires annexés, comme par exemple l’Alsace-Moselle. Dès lors, le sort des homosexuels dans les pays alliés de l’Allemagne, comme l’Italie, ou occupés par elle, a pu différer de manière sensible. »

« Des parcours de vie permettent de saisir ces questions dans toute leur complexité, alors que des femmes et des hommes homosexuels étaient aussi selon les cas, juifs, résistants, voire sympathisants du régime nazi. Une section rendra compte du lent processus de reconnaissance, depuis les projets de monuments et de plaques à la mémoire des victimes, qui se sont multipliés depuis les années 1980, jusqu’aux mesures institutionnelles, qui ont enclenché un processus de réhabilitation et d’indemnisation de celles-ci. »

« Un cycle de conférences, en prolongement de l’exposition, permet d’approfondir ces différentes thématiques. »

La commissaire scientifique de l’exposition est Florence Tamagne, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Lille. Spécialiste de l’histoire de l’homosexualité, elle a notamment publié Histoire de l’homosexualité en Europe, Berlin, Londres, Paris, 1919-1939 (Seuil, 2000), Mauvais genre ? Une histoire des représentations de l’homosexualité (La Martinière, 2001) et Le Crime du PalaceEnquête sur l’une des plus grandes affaires criminelles des années 1930 (Payot, 2017). Elle prépare actuellement un livre sur Rock, jeunesse et politique en France, Grande-Bretagne, Allemagne (1956-1976). Avec les contributions de : Arnaud Boulligny, chercheur à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Suzanne Robichon, essayiste et militante lesbienne et féministe. Jean-Luc Schwab, président Natzwiller-Struthof. Frédéric Stroh, docteur en histoire contemporaine. Mickaël Studnicki, docteur en histoire contemporaine. La coordination est assurée par Sophie Nagiscarde, responsable du service des activités culturelles du Mémorial de la Shoah.

Au début du vernissage presse dans le site parisien, Florence Tamagne a évoqué de manière vague la Hongrie contemporaine. Un parallèle choquant, infondé : la Hongrie veut préserver les enfants de la propagande LGBT dans les établissements scolaires qui doivent transmettre des savoirs, pas un enseignement imprégné d'idéologies. 

En outre, les points communs entre les IIe et IIIe Reichs en matière d'homosexualité auraient mérité d'être davantage explicités. 

Par ailleurs, certains homosexuels ayant résisté au nazisme, ont-ils été persécutés en raison de leur judéité, de leurs œuvres artistiques ou de leur homosexualité ? 

Enfin, quelles étaient les motivations d'homosexuels ayant admiré ou/et choisi la collaboration avec les Nazis ? Et pourquoi les Nazis ont-ils admis ces homosexuels comme collaborateurs, certes zélés, de leurs actions ?
 
Citer le nom d'Abel  (1883-1968) sans indiquer ses fonctions et son parcours me semble insuffisant. Journaliste, écrivain et poète élu membre de l'Académie française en 1932, Abel Bonnard était aussi un politicien sympathisant du fascisme dans les années 1930, et proche du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot. Favorable au rapprochement franco-allemand, il est ministre de l'Éducation nationale (25 février 1942-20 août 1944) du gouvernement de Vichy et Conseiller municipal de Paris dans le XVIe arrondissement (La Muette) du 16 décembre 1942 au 20 août 1944. Parallèlement, il participe aux émissions de Radio-Paris. Eminente figure des « ultras », il s'exile à Sigmaringen en 1944. 

En novembre 1942, Abel Bonnard crée une chaire d'ethnologie et d'histoire du judaïsme à la Sorbonne, confiée à un antisémite, Henri Labroue, et un Institut anthropo-sociologique. Il veille à l'application des lois antisémites du régime de Vichy en révoquant tous les Juifs travaillant dans l'Éducation nationale, en particulier l'inspecteur général de l'instruction publique Jules Isaac, célèbre co-auteur des manuels scolaires d'histoire Malet et Isaac, en affirmant le 13 novembre 1942 : « Il n'était pas admissible que l'histoire de France soit enseignée aux jeunes Français par un Isaac. »

A l'été 1943, Abel Bonnard a "donné un ordre de mission à un certain Jean-François Lefranc de laisser revenir à Paris — donc de livrer à l'Occupant qui la convoitait de longue date — la précieuse collection (mise en caisses) de 333 tableaux anciens d'Adolphe Schloss, dont ce marchand d'art parisien avait été désigné « administrateur ». Transférée en 1939 de Paris au château corrézien de Chambon, la collection y fut localisée le 10 avril 1943, emballée en cinq ou six jours et dérobée par les hommes de main de la Gestapo".

À la Libération, Abel Bonnard est condamné à la peine de mort par contumace et exclu de l'Académie française. Exilé en Espagne, il est rejugé en 1960 et sa peine est commuée. Il s'établit à Madrid, où il décède. 

En 2023, les éditions Perrin ont publié "Abel Bonnard. Plume de la Collaboration" de Benjamin Azoulay. "Normalien de l’ENS Paris-Saclay, Benjamin Azoulay a consacré son mémoire de recherche en histoire politique à Abel Bonnard. Avec Benoît de Courson, il a développé le logiciel de lexicométrie Gallicagram, un outil novateur de big data historique. Il est officier de la Marine nationale et haut fonctionnaire d’État, administrateur des Affaires maritimes". "S’appuyant sur de nombreuses sources inédites, Benjamin Azoulay retrace sans manichéisme le parcours inattendu d’une figure aujourd’hui tombée dans l’oubli, mais ô combien complexe, fascinante et sulfureuse. Quand l’étoile montante de la scène littéraire française devient le soleil noir de la France de Vichy... En 1932, Abel Bonnard est élu à l’Académie française. À quarante-huit ans, le plus brillant causeur des salons de l’entre-deux-guerres est au faîte de sa carrière littéraire. Poète précoce, délicat moraliste et grand voyageur, « l’exquis Bonnard » va pourtant se muer en tribun flamboyant et en essayiste fulgurant au service du fascisme. Comment ce cosmopolite méditatif – qui écrivait encore, en revenant de Chine en 1924, que « le voyage donne plus de liberté à nos rêves » – est-il devenu l’idéologue le plus méthodique de la Collaboration avec l’Allemagne nazie ? Quel rôle a-t-il joué durant l’Occupation ? Comment les tribunaux l’ont-ils jugé ?"

"L’itinéraire extraordinaire du poète est ici brossé avec maestria : ses jeunes années en province, ses débuts littéraires, son entrée fracassante dans le Tout-Paris de la Belle Époque, son engagement politique dans les années 1930 puis sa conversion immédiate et sans retour à la Collaboration qui lui vaudra le portefeuille de l’Éducation nationale en 1942 dans le gouvernement Laval. Mais le ministre n’accomplira jamais la Révolution pédagogique qu’il avait théorisée : criblé d’épigrammes par la Résistance qui fustige son homosexualité présumée, « la Belle Bonnard » – tantôt appelé « Gestapette » – est chassée par la Libération. Ce pilier du collaborationnisme trouve alors refuge en Allemagne puis en Espagne. Radié de l’Académie, jugé deux fois et deux fois condamné, Abel Bonnard meurt en 1968 à Madrid."

"Dans l’article « Qu’est-ce qu’un collaborateur ? », Sartre (1949 : 58) remarquait que les auteurs de la collaboration – Châteaubriant, Drieu, Brasillach – ont pensé la relation entre la France et l’Allemagne comme une « union sexuelle où la France joue le rôle de la femme ». (Jean-Christophe Corrado, « Les amours d’Hitler et de Jeanne d’Arc : les représentations sexualisées de la France et de l’Allemagne dans Pompes Funèbres de Jean Genet », Itinéraires, 2019-2 et 3 | 2019).

Quid
de l'écrivain, poète, dessinateur et dramaturge homosexuel Jean Cocteau (1889-1963), qui formait un couple avec l'acteur Jean Marais (1913-1998) ? Au début de l'Occupation, il écrit dans l’hebdomadaire collaborationniste La Gerbe. Dans son Journal (5 mai 1942 ), il considère :  « L'honneur de la France sera peut-être, un jour, d'avoir refusé de se battre ». Il connait Arno Breker, sculpteur officiel du IIIe Reich. Ses pièces de théâtre - La Machine à écrire est interdite en 1941 par le préfet de police, mais autorisée par la Propaganda Abteilung - sont jouées à Paris. A la Libération, le Comité national du cinéma et le Comité national des écrivains l'acquittent de collaboration.

Quid de l'acteur Jean Marais (1913-1998) qui poursuit sa carrière de comédien, entre à la Comédie française et met en scène "Britannicus" de Racine. Il est choqué par l’arrestation de son ami poète juif converti au catholicisme Max Jacob, le 24 février 1944 par la Gestapo et son internement à Drancy et participe aux combats pour la libération de Paris en août 1944. Il s'engage dans l'armée française et rejoint la 2e DB du général Leclerc et lutte jusqu'en avril 1945. Il est distingué par la Croix de guerre 1935-1945.

Quid de Jean Genet (1910-1986), écrivain et dramaturge qui ne cachait pas son homosexualité, thème important de son oeuvre ? Dans "Jean Genet, sa part d'ombre" (Le Monde, 14 avril 2006), Ivan Jablonka, historien, auteur des "Vérités inavouables de Jean Genet" (Seuil, 2004), a écrit : 
"La fascination pour Hitler et le dégoût des juifs demeurent des constantes dans l'oeuvre de Jean Genet. Pompes funèbres, écrit en septembre 1944 et publié anonymement en 1947, comporte toutes les vingt pages une apologie des SS, d'Hitler, de la Milice ou d'une tuerie commise par les trois précédents. Dans L'Enfant criminel (1949), Genet "tire son chapeau" devant les "peaux tatouées, tannées pour des abat-jour", qu'on a retrouvées dans les camps de la mort. L'Etrange mot d'... (1967), texte peu connu, décrit un univers où les kibboutzim utiliseraient comme engrais des cadavres brûlés dans un crématoire "comme celui de Dachau".
Dans Un captif amoureux (1986), Genet absout Hitler "d'avoir brûlé ou fait brûler des juifs". Quant à Israël, il a porté "la guerre au cœur même du vocabulaire afin d'annexer, pour débuter - Golan provisoire - le mot holocauste et le mot génocide". Le délinquant des années 1940 a conçu pour Hitler, victorieux de la France, une admiration qui ne s'est plus démentie."

En 2015, a été publié "Le Rose et le Brun : Quel rôle ont joué les homosexuels dans la montée du nazisme au pouvoir ?" de Philippe Simonnot, alors professeur d'Economie du Droit à Paris-Nanterre et chroniqueur au journal Le Monde. "L'auteur a consacré une partie de son oeuvre à l'Allemagne, à la relation franco-allemande et aux rapports entre christianisme et judaïsme. "La montée du nazisme en Allemagne, puis son triomphe, restent une énigme qui hante la « civilisation » occidentale. Seize ans après avoir publié Juifs et Allemands, Préhistoire d’un génocide, Philippe Simonnot propose ici une deuxième clef d’interprétation : le Reich, depuis la fin du XIXe siècle, était largement en « avance » sur tous les autres pays, à la fois sur le plan des mœurs et sur le plan de la réflexion homosexuelle. Une grande partie de cette homosexualité était marquée de « caractères secondaires » : germanisme, hellénisme, paganisme, racisme, culte de la virilité, jeunisme, eugénisme, anti-christianisme et antisémitisme – autant de caractères qui seront repris par le nazisme d’autant plus facilement qu’ils avaient été acclimatés. D’autres pays étaient touchés, tels la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, par cet « homosexualisme »-là, ce qui a facilité le rayonnement international du nazisme. L’arrivée au Pouvoir d’Hitler a dès lors été perçue, par toute une partie de la société allemande et par certaines élites étrangères, comme le triomphe d’une révolution sexuelle qui ne disait pas son nom. Par une ruse dont l’Histoire est coutumière, pour consolider son pouvoir, Hitler a renié et même massacré par milliers une partie de ceux qui l’avaient aidé dans sa « résistible ascension », tout en récupérant les caractères secondaires précités."

Suzy Solidor (1900-1983) est une chanteuse, actrice et romancière française ouvertement bisexuelle. A la fin de la Première Guerre mondiale, elle sert comme chauffeur des états-majors, des ambulances sur le front de l'Oise, puis de l'Aisne. Dans l'entre-deux-guerres, à Paris, cette "Garçonne" est la compagne durant onze ans d'Yvonne de Bremond d'Ars, célèbre antiquaire, qui assure sa promotion, notamment auprès des artistes : Tamara de Lempicka, Raoul Dufy... Elle se lie ensuite notamment avec le pilote Jean Mermoz. Dotée d'une voix grave, surnommée « l'Amiral », réputée pour son registre de chansons maritimes, elle dirige rue Sainte-Anne « La Vie parisienne », cabaret « chic et cher », lieu de rencontres homosexuelles, où chante notamment le jeune Charles Trenet. Durant l’Occupation, elle rouvre en septembre 1940 son cabaret dont la clientèle est en particulier composée par des officiers allemands. Suzy Solidor interprète une adaptation française de Lili Marleen, une chanson allemande adoptée par les soldats de la Wehrmacht, qu'elle chante aussi à Radio-Paris. « Elle mériterait un brevet d'endurance pour l'inlassable activité qu'elle mena pendant l'Occupation, car elle passe d'un cabaret à l'autre, d'une radio à l'autre, d'un music-hall à l'autre », a écrit le journaliste André Halimi. A la Libération, elle comparait devant la commission d'épuration des milieux artistiques, qui la sanctionne d'un blâme et l'interdiction de 5 ans d’exercer. Elle transmet la direction de son cabaret à la chanteuse Colette Mars, qui y avait débuté, et se produit aux États-Unis.


Amateurs d’art éclairés, Léo, Gertrude (1874-1946), écrivain d’avant-garde, Michael et son épouse Sarah Stein s’installent à Paris entre 1902 et 1904. 

Là, ces collectionneurs au regard averti découvrent, soutiennent ou/et font apprécier Manet, Degas, Cézanne, Matisse, Picasso, Braque... Bref, les avant-gardes artistiques de la première moitié du XXe siècle. Gertrude Stein « est devenue une figure populaire, célébrité qui ne fait que croître avec la publication en 1933 de L’Autobiographie d’Alice Toklas. Celle-ci (1877-1967) était la compagne à Paris de Gertrude Stein.

En 1933, L’autobiographie d’Alice B. Toklas, récit de Gertrude Stein sur sa vie de collectionneuse et d’écrivain, rencontre un grand succès. Gertrude Stein effectue en 1934 une tournée de conférences aux Etats-Unis – elle est reçue à la Maison Blanche - et préface préface des catalogues d’expositions.

Cette exposition itinérante, dense, passionnante et didactique a suscité une polémique aux Etats-Unis en raison de l'occultation par cette exposition des relations entre Gertrude Stein et Bernard Faÿ, collaborationniste, et de l'hommage rendu par le président Barack Obama, lors du Mois du patrimoine Juif, à cette collectionneuse Juive admiratrice d'Adolf Hitler. 
 
Gertrude Stein manifeste de l'enthousiasme quand le maréchal Pétain signe l'armistice avec le IIIe Reich. De 1941 à 1943, à l'initiative de l'administrateur général de la Bibliothèque nationale de France (BN) Bernard Faÿ qu'elle connait depuis 1926, Gertrude Stein a traduit en américain 32 discours du maréchal Pétain, chef de l'Etat français qui a mené la collaboration avec la puissance occupante allemande nazie sous l'Occupation. Des discours où Pétain évoquait sa politique discriminatoire, antisémite, anticommuniste, hostile aux francs-maçons, etc. Des discours destinés au public américain. Proche de Pétain, Bernard Faÿ (1893-1978), est nommé administrateur général de la BNF après la destitution antisémite à ce poste de Jules Cain, agrégé d'histoire qui sera déporté à Buchenwald. A la BN, Bernard Faÿ met en oeuvre avec ardeur et zèle la politique de Vichy. Il a exercé un ascendant intellectuel sur Gertrude Stein qui a bénéficié, de la part de son protecteur, d'une protection élargie à sa compagne Alice Toklas et à sa collection d'œuvres d'art. A la libération, bien que soutenu par Gertrude Stein, Faÿ est condamné aux travaux forcés à perpétuité, mais parvient à se réfugier en Suisse en se dissimulant sous l'habit d'un prêtre et est gracié en 1959. Gertrude Stein n'a jamais été inquiétée pour ses écrits sous l'Occupation.

Des faits révélés par la professeur Barbara Will dans son livre Unlikely Collaboration. Gertrude Stein, Bernard Faÿ and the Vichy Dilemna (2011).

C'est aux Etats-Unis que des carences informatives sur les actions de Gertrude Stein à l'égard d'Adolf Hitler et du régime de Vichy ont été relevées dans l'exposition au Metropolitan. Ce qui a amené ce musée fameux à ajouter, plusieurs mois après l'ouverture au public de cette exposition et après de nombreuses protestations, un court texte pour éclairer les visiteurs sur cette facette sombre de Gertrude Stein.

La polémique avait éclaté le 1er mai 2012 aux Etats-Unis. Lors de son discours inaugurant le Mois du patrimoine Juif, le président Barack Obama a loué des Juifs américains pour leur contribution à la société américaine, leur persévérance et leur foi en un avenir meilleur, de "Aaron Copland à Albert Einstein, Gertrude Stein au juge Louis Brandeis". Devant le tollé suscité par la mention de Gertrude Stein, la Maison Blanche a reconnu avoir commis une erreur et a publié sur son site Internet le discours expurgé de... ces quatre noms.

Dans la revue Algemeiner, l'éminent juriste Alan Dershowitz s'était indigné d'occultations et de minorations par ce musée de cette "vérité affreuse" sur Gertrude Stein : son admiration dès les années 1930 pour Hitler qu'elle souhaitait voir distingué par le Prix Nobel de la Paix, etc. Il a reproché au célèbre musée de déformer la réalité historique.

Ce musée lui a répondu que l'exposition portait sur l'action artistique de Gertrude Stein. Mais a rapidement décidé de présenter ces faits dans son exposition et de mettre en vente dans sa librairie le livre de Barbara Will.

Curieusement, une telle polémique n'avait pas surgi en France...

"Ratifiée par 145 États parties", la "Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, définit le terme « réfugié » et énonce les droits des personnes déracinées, ainsi que les obligations juridiques des États pour assurer leur protection." Elle ne prévoyait pas l'homosexualité parmi les raisons de l'exil. Elle visait les persécutions religieuses - la Shoah demeurait présente dans l'esprit des rédacteurs - ou politiques. Pourquoi n'a-t-elle pas visé les homosexuels si, comme cette exposition l'allègue, tous les homosexuels ont été persécutés en raison de leur orientation sexuelle ? En 2002, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a ajouté, parmi les motifs d'octroi du statut de réfugié, les persécutions en raison de l’orientation sexuelle. Ainsi, les homosexuels persécutés dans leur pays figurent désormais comme un "groupe social" justifiant du droit d'asile. 

Tous ces faits historiques ne justifiaient-ils pas de leur consacrer une partie spécifique et entière ? 

On peine à comprendre la raison de cette vision unidimensionnelle victimaire des homosexuels dans l'Europe nazie.


PARCOURS DE L’EXPOSITION

« Le parcours de cette exposition s’organise autour de quatre parties au sein desquelles les cas allemands et français sont volontairement privilégiés. »

« Débutant par l’évocation des premiers mouvements homosexuels de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1930, l’exposition aborde ensuite la persécution des homosexuels, principalement sous le régime nazi et dans un cadre européen et présente un panorama des répressions dans d’autres pays européens tels que l’Italie, l’Autriche et la France, pour se terminer sur les questions de mémoire et de reconnaissance depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux périodes le plus récentes. »

« À l’intérieur de chaque partie, des parcours de vie témoignent du destin hétérogène des hommes et des femmes homosexuels durant cette période, alors qu’ils étaient parfois aussi juifs, résistants, voire sympathisants du régime. »

PARTIE 1 : HOMOSEXUELS ET LESBIENNES DANS LES ANNÉES 1920
• L’espoir d’une émancipation
« Les premiers mouvements homosexuels se créent en Allemagne à la fin du XIXe siècle, à l’instar du Comité scientifique humanitaire (Wissenschaftlich-humanitäres Komitee, 1897) de Magnus Hirschfeld, qui demande l’abrogation du §175. Ils publient des journaux (Die Freundschaft, Die Freundin…), organisent des conférences, font signer des pétitions, sans succès probant. En France, la revue Inversions (1924) est rapidement censurée. Durant les années folles, homosexuels et lesbiennes se retrouvent dans des salons privés, comme celui de la poétesse américaine Natalie Barney à Paris, mais aussi dans des bars, des cabarets, tels l’Eldorado à Berlin ou Le Monocle à Paris, ainsi que dans de grands bals travestis comme celui de Magic-City à Paris. La visibilité homosexuelle s’affirme également dans l’art (Christian Schad, Jeanne Mammen…), la littérature (André Gide, Corydon, 1924 ; Klaus Mann, Der fromme Tanz, 1926 ; Radclyffe Hall, The Well of Loneliness, 1928 ; Colette, Ces plaisirs, 1932 ; Christopher Isherwood, Goodbye to Berlin, 1939…) et le cinéma (Richard Oswald, Anders als die Andern, 1919 ; Leontine Sagan, Mädchen in Uniform, 1931). »

« Pour une majorité d’hommes et de femmes, la discrétion reste cependant de mise. Certains contractent des mariages de raison (voire des mariages blancs) et mènent une double vie. L’usage de codes (mots d’argot, couleurs affichées, comme le violet ou le mauve) permet de lier des relations dans une société encore majoritairement hostile. »

• Le poids de l’homophobie
« En 1791, la France abroge l’ancien crime de sodomie, passible de la peine de mort, y gagnant une réputation durable de tolérance. Si certains pays, comme l’Italie ou la Belgique, font de même sous l’influence du Code pénal napoléonien, d’autres continuent de pénaliser les relations sexuelles entre hommes d’une peine de prison (Allemagne, Grande-Bretagne…), plus rarement entre femmes (Autriche, Suède, certains cantons suisses…) car le lesbianisme reste invisibilisé. Néanmoins, même dans les pays qui ne condamnent pas l’homosexualité, les lieux de drague homosexuels, tels les urinoirs, les jardins publics ou les bars, font l’objet d’une surveillance policière, et il est possible d’être poursuivi pour outrage public à la pudeur, ou dans le cadre d’affaires impliquant des mineurs. »

« De plus, alors que l’homosexualité est considérée par beaucoup comme un péché, nombre de médecins y voient une forme de dégénérescence ou une perversion qui pourrait, sous certaines conditions, être « guérie ». Les stéréotypes dominent : « l’inverti » serait efféminé ; la lesbienne, parfois confondue avec la « garçonne », masculine. Les homosexuels, qui formeraient une « franc-maçonnerie du vice », sont vus comme des traîtres en puissance, d’autant que l’homosexualité est présentée comme une importation étrangère (le « vice allemand » en France). Les lesbiennes, quant à elles, noyauteraient les mouvements féministes. Tous seraient responsables d’une « corruption de la jeunesse ».

MAGNUS HIRSCHFELD (1868-1935)
« Le sexologue Magnus Hirschfeld fonde, le 14 mai 1897, à Berlin, le Wissenschaftlich-humanitäres Komitee (WhK, Comité scientifique humanitaire), premier mouvement homosexuel au monde. En 1907, il témoigne comme expert lors de l’affaire Eulenburg, conseiller de Guillaume II, accusé d’homosexualité. Dans l’entre-deux-guerres, il participe à la création de la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle (1921-1932), qui milite pour le contrôle des naissances, le droit au divorce et la dépénalisation de l’homosexualité. »

« Il publie de nombreux ouvrages et revues, donne des conférences et devient une figure internationalement connue. Juif, homosexuel, connu pour ses sympathies de gauche, Hirschfeld est honni par les nazis. Il est heureusement en voyage lors de l’attaque, en mai 1933, de son Institut de sexologie. Il meurt en exil à Nice. »


PARTIE 2 : HOMOSEXUALITÉ ET NAZISME : DISCOURS, FORMES ET ÉTAPES DE LA RÉPRESSION
• Des discours ambigus et contradictoires
« Le positionnement du NSDAP – le parti nazi – sur l’homosexualité resta longtemps ambigu. Les organisations nazies, telles que la SA, la SS, ou les Jeunesses hitlériennes, valorisaient l’amitié entre hommes, selon le principe du Männerbund, l’État viril. Ernst Röhm, chef de la SA, était lui-même un homosexuel notoire. Le régime nazi usait par ailleurs d’une esthétique homoérotique, bien visible par exemple dans les sculptures monumentales d’Arno Breker ou celles de Joseph Thorak, ou dans la production cinématographique de Leni Riefenstahl. »

« La propagande communiste, à partir de 1934, associa ainsi l’homosexualité à une « perversion fasciste », cliché repris par les exilés allemands, et qui perdura jusqu’après la guerre (Luchino Visconti, Les Damnés, 1969). »

« Certains dirigeants nazis, en premier lieu Heinrich Himmler, développèrent cependant très tôt une rhétorique homophobe radicale, dénonçant l’homosexualité comme une conséquence du mélange des races. Le NSDAP s’était opposé, en 1927 et 1928, à l’abrogation du §175 et Magnus Hirschfeld, lors de ses meetings à Munich, fut à plusieurs reprises victime d’agressions. Dans la perspective nazie, l’homosexuel n’avait pas de valeur sociale. S’il refusait de se plier aux exigences de la nation allemande (se marier, faire des enfants), dans un contexte d’angoisse démographique et de lutte pour la conquête de l’espace vital, il devait être mis au pas, « guéri », « rééduqué », sinon éliminé. »
Extraits du discours aux officiers SS prononcé par Heinrich Himmler à Bad Tölz, le 18 février 1937

« Si j’admets qu’il y a un à deux millions d’homosexuels, cela signifie que 7 à 8% ou 10% des individus de sexe masculin sont homosexuels. Et si la situation ne change pas, cela signifie que notre peuple sera anéanti par cette maladie contagieuse. (…)
L’homosexuel est naturellement un objet idéal de pression, d’abord parce qu’il est lui-même passible de sanctions, deuxièmement parce que c’est un type malléable, et troisièmement parce qu’il est veule et dépourvu de toute volonté. (…)
Aujourd’hui encore, il se présente tous les mois un cas d’homosexualité dans la SS. Nous avons de huit à dix cas par an. J’ai donc décidé la chose suivante : dans tous les cas, ces individus seront officiellement dégradés, exclus de la SS et traduits devant un tribunal. Après avoir purgé la peine infligée par le tribunal, ils seront internés sur mon ordre dans un camp de concentration et abattus pendant une « tentative d’évasion ». (…) J’espère ainsi extirper ces gens de la SS - jusqu’au dernier. Je veux préserver le sang noble que nous recevons dans notre organisation et l’œuvre d’assainissement racial que nous poursuivons pour l’Allemagne. »
Publiés dans Heinrich Himmler, Discours secrets, Paris, Gallimard, 1978.

« Dans son discours aux officiers SS du 18 février 1937, à Bad Tölz, le Reichsführer-SS Himmler, à rebours des idées d’Hans Blüher, liste les dangers que l’homosexualité fait peser sur l’Allemagne : dénatalité, trahison, décadence de la race… La menace est plus grave encore dans la SS, supposée incarner l’élite de la nation et régénérer le pays. La mise à mort apparaît alors comme l’ultime solution. »

• Une mise en oeuvre différenciée
« Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, en février 1933, les revues homosexuelles sont interdites, les clubs fermés, les mouvements militants dissous. La répression touche d’abord Berlin, la province étant inégalement et parfois tardivement touchée. Suite à un décret du 10 février 1934, les arrestations visent alors en priorité les prostitués, travestis, « corrupteurs de la jeunesse » et récidivistes, d’abord incarcérés à la Columbia-Haus, à Berlin-Tempelhof. Certains sont ensuite envoyés en camp de concentration (Lichtenburg, Dachau…), parfois sans avoir été jugés. »

« La Nuit des longs couteaux (29-30 juin 1934), avec l’élimination de Röhm, marque un tournant. Le 1er septembre 1935, un nouveau §175, remanié, entre en vigueur. Tout acte sexuel, ou même toute expression de désir entre hommes, tombe désormais sous le coup de la loi. Les cas les plus graves sont passibles de dix ans de travaux forcés. » N'y avait-il pas un mobile politique à ce meurtre d'un rival d'Hitler ?

« Le 10 octobre 1936, sur ordre d’Himmler, est créé au sein du bureau de la police criminelle du Reich (Reichskriminalpolizeiamt, RKPA) l’Office central du Reich pour combattre l’homosexualité et l’avortement (Reichszentrale zur Bekämpfung der Homosexualität und Abtreibung), avec pour mission d’enregistrer et de ficher tous les cas d’homosexuels qui lui sont rapportés. Il est dirigé par l’Obersturmführer Josef Meisinger, également à la tête du bureau spécial de la Gestapo chargé de ces affaires. La surveillance des lieux de rencontre est renforcée, les dénonciations encouragées, la répression accentuée. »

ERIKA (1905-1969) ET KLAUS MANN (1906-1949)
« Figures de la vie intellectuelle et artistique de la République de Weimar, Erika et Klaus Mann, deux des enfants de Thomas Mann, s’illustrent dans la littérature et le journalisme, mais aussi, pour Erika, dans le théâtre. Tous deux homosexuels, engagés à gauche, ils fuient l’Allemagne en 1933. En exil à Amsterdam, Klaus publie la revue antinazie Die Sammlung, tandis qu’Erika, en Suisse, poursuit les activités antifascistes de son cabaret satirique Die Pfeffermühle [Le Moulin à poivre]. Ils émigrent tous deux aux États-Unis entre 1937 et 1938. Erika devient correspondante de guerre, tandis que Klaus s’engage dans l’armée américaine. En pleine guerre froide, réputés communistes et homosexuels, ils font l’objet d’une enquête du FBI. Klaus Mann, usé par la drogue, isolé, déprimé, se suicide en 1949 à Cannes. Erika Mann s’installe en Suisse en 1952. » Pourquoi omettre leur judéité ?

PARTIE 3 : LES « TRIANGLES ROSES » ET LA DÉPORTATION HOMOSEXUELLE
• Le sort des triangles roses dans les camps
« Les condamnés au titre du §175 connurent des destins hétérogènes. »
« Si une majorité d’entre eux subit une peine de prison, une minorité fut envoyée en camp de concentration, avant ou après avoir purgé sa peine, afin d’y être « rééduquée » par le travail. Certains, jugés « guéris », furent ensuite intégrés à la Wehrmacht. D’autres furent envoyés en hôpital psychiatrique, et parfois « euthanasiés ». Ceux qui étaient condamnés par les tribunaux militaires étaient exécutés ou envoyés dans des missions suicides. D’autres, en revanche, furent exceptionnellement relâchés. Il ne fut cependant jamais question d’« exterminer » les homosexuels dans leur ensemble. »
« Dans les camps, les triangles roses durent affronter des conditions de détention inhumaines. Ils étaient fréquemment assignés à la compagnie disciplinaire et aux tâches les plus difficiles, comme dans la carrière d’argile à Sachsenhausen. Certains furent castrés, d’autres soumis à des expériences médicales. Ces tortures étaient accentuées par l’isolement. »
« Les triangles roses ne constituaient, au maximum, que 1 % de l’effectif global des camps, et ils étaient souvent isolés dans des blocs à part, par crainte de la « contagion », alors que les autres détenus, qui les assimilaient aux kapos qui extorquaient des faveurs sexuelles aux prisonniers, leur étaient souvent hostiles. Ils étaient de fait, à certaines périodes, au plus bas de la hiérarchie des camps, juste au-dessus des Juifs. »

• Le cas des lesbiennes
« Phénomène jugé secondaire et facilement contrôlable par le régime nazi, le lesbianisme ne fut pas criminalisé lors de la refonte du §175. Si les lesbiennes virent leur subculture détruite, la majorité d’entre elles échappa à la répression, à condition de rester discrètes et de se conformer aux normes de genre en vigueur. Dans ce climat hostile, certaines s’exilèrent ou contractèrent un mariage blanc. Les femmes arrêtées le furent souvent sous un autre prétexte, même si leur homosexualité put constituer une circonstance aggravante. En Autriche, qui pénalisait le lesbianisme, la période après l’Anschluss vit une forte hausse des condamnations. »
« Déportées, ces femmes ne portaient pas le triangle rose, mais étaient enregistrées selon les cas comme juives, politiques, asociales et/ou criminelles. On ne trouve que de rares traces de leur présence dans les camps, où elles furent souvent victimes d’humiliations et de viols ; certaines furent forcées de se prostituer dans le bordel du camp, sous la promesse d’être ensuite libérées. »
« Dans les camps, par exemple à Ravensbrück, si des amitiés homosexuelles purent se nouer entre femmes, elles étaient sévèrement punies si découvertes. Les prisonnières lesbiennes pouvaient également souffrir de l’ostracisme de la part de leurs codétenues, d’autant que les femmes kapos et certains triangles noirs (« asociales ») ou verts (« droits communs ») étaient elles-mêmes virilisées (« julots ») et accusées d’être homosexuelles (Germaine Tillion, Le Verfügbar aux enfers, 1944-1945). »

EVA KOTCHEVER (1891-1943)
« Chawa Złoczower est née en 1891 à Mława (Pologne, alors sous domination russe). À 21 ans elle émigre aux États-Unis, change son nom en Eve Adams et rencontre Emma Goldman et d’autres activistes et intellectuels anarchistes. »
« En 1925, elle ouvre à New York l’Eve Adams’ Tearoom, un café-salon littéraire fréquenté par de nombreuses femmes, dont des lesbiennes. La police arrête Eve Adams et ferme le lieu. Accusée de « turpitude morale » et d’avoir publié un « livre indécent », Lesbian Love, elle est condamnée à dix-huit mois de prison et expulsée vers la Pologne en 1927. »
« Eva Kotchever (son nouvel alias) vit à Paris pendant les années 1930 et se lie avec Hella Olstein, immigrée juive polonaise. En 1943, elles sont arrêtées à Nice, et déportées par le convoi no 63 du 17 décembre vers Auschwitz. »
• L’Europe nazie
« Le sort des homosexuels dans les pays alliés de l’Allemagne, annexés ou occupés par elle, a pu différer de manière sensible. »
« Le §175 ne s’appliquait ainsi qu’aux ressortissants du Reich, allemands et habitants des territoires annexés. Les nazis voyant l’homosexualité comme une forme de dégénérescence, sa présence dans des populations jugées « inférieures » était indifférente, sinon bénéfique.
Dans l’ancien Empire austro-hongrois, la situation était très complexe : le §175 s’appliquait dans les Sudètes annexées, mais le protectorat de Bohême-Moravie, créé en 1939, prenait en compte, selon les zones, mais aussi l’ethnicité, les droits allemand, autrichien ou hongrois – moins sévères –, voire le droit polonais, qui ne pénalisait pas l’homosexualité. »

LE PARAGRAPHE 175
« Le §175 du Code pénal allemand est resté en vigueur de 1871 à 1994. De 1871 à 1935 n’était pénalisée que la « débauche contre nature », comprise par la jurisprudence comme les « actes ressemblant au coït », que ce soit entre hommes, ou entre hommes et animaux. À partir de 1935, la « débauche » en général tombe sous le coup de la loi, élargissant le champ d’application. »
« Le §175a pénalise alors les actes sexuels « aggravés » entre hommes (« séduction » d’un mineur de moins de 21 ans par un majeur, prostitution, usage de la force, de l’autorité) jusqu’à dix ans de travaux forcés. La version de 1935 fut conservée par la RFA jusqu’en 1969 tandis que la RDA revint à la version de 1871 et ce jusqu’en 1968. Une discrimination sur l’âge de la majorité sexuelle fut maintenue jusqu’en 1994. »
« Au total, la seule période nazie compte pour près de 40% du nombre de condamnations, avec des peines en moyenne plus sévères. Il faut cependant rappeler que la grande majorité des homosexuels ont réussi à survivre durant cette période, même s’ils furent des cibles permanentes du régime. »
« Aux Pays-Bas, le §175 fut introduit en 1940, aux côtés de la Section 248 bis du Code pénal néerlandais qui pénalisait déjà les relations homosexuelles avec des mineurs, mais il ne fut pas appliqué de manière systématique. En Italie, où l’homosexualité n’était pas pénalisée, l’exil d’une centaine de « pédérastes passifs » vers les îles Tremiti fut néanmoins organisé à partir de 1938. Certains virent leur peine commuée en 1940, d’autres furent évacués en juillet 1942. »
« Chez les alliés, la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’URSS (depuis 1934), entre autres, pénalisaient aussi les relations sexuelles entre hommes. Trois pays neutres, l’Islande, en 1940, la Suisse, en 1942 (sauf dans l’armée), et la Suède, en 1944, dépénalisèrent alors les relations homosexuelles entre adultes consentants. »

• La France
« La situation française est complexe. »
« Le 6 août 1942, le régime de Vichy met en place une loi fixant l’âge de la majorité sexuelle à 21 ans pour les relations entre personnes de même sexe, contre 13 ans pour les relations hétérosexuelles, mais son impact reste alors limité. Une vie homosexuelle clandestine se poursuit sur le territoire, notamment à Paris, autour de bars, de clubs, et dans l’entourage de certaines personnalités (Jean Cocteau, Suzy Solidor…). »
« Si les milieux de la collaboration fustigent les « invertis », jugés avec d’autres responsables de la défaite, la Résistance impose après-guerre la figure du collaborateur homosexuel (Abel Bonnard, dit « la Gestapette », Robert Brasillach, Maurice Sachs, Violette Morris…), invisibilisant dès lors la présence d’homosexuels et de lesbiennes dans ses propres rangs (Roger Stéphane, Pascal Copeau, Daniel Cordier, Claude Cahun…). » Roger Stéphane et Claude Cahun étaient juifs. 
« En France occupée, seule la justice militaire allemande peut poursuivre au titre du §175. »
« En Alsace-Moselle, annexée au Reich, le Code pénal français continue d’être appliqué jusqu’en 1942, même si le §175 est introduit progressivement à partir de 1941. Les procès sont donc rares jusqu’en 1942, même si les poursuites peuvent être rétroactives et les peines sévères. Pour autant, la répression extrajudiciaire de l’homosexualité est intense dès l’été 1940 en Alsace : fichage ; expulsion d’homosexuels vers la France « de l’intérieur » ; détention au camp de sûreté de Schirmeck. Certains sont libérés, d’autres expulsés, d’autres, enfin, envoyés en camp de concentration après une peine de prison. »

PARTIE 4 : UNE LONGUE QUÊTE DE RECONNAISSANCE
• Des témoignages ignorés, une répression continue
« Au lendemain de la guerre, rares sont les homosexuels à témoigner du sort qui fut le leur sous le régime nazi, même si certains témoins, comme Eugen Kogon (L’État SS, 1946), évoquent la présence des triangles roses dans les camps, et si des revues homophiles, à l’instar d’Arcadie (1954-1982) en France, y font ponctuellement allusion. »

« C’est qu’en Allemagne les homosexuels se voient non seulement nier le statut de « victimes du nazisme », mais ils sont toujours susceptibles d’être condamnés au titre du §175, en vigueur jusqu’en 1969 en RFA, et jusqu’en 1968 en RDA. En Angleterre, la dépénalisation a lieu en 1967, après des années de répression (suicide d’Alan Turing en 1954). En France, la loi de 1942 n’est abrogée qu’en 1982. La psychiatrisation de l’homosexualité s’accroît, à l’Ouest comme à l’Est. »

« Il faut attendre les années 1970 pour que la déportation pour motif d’homosexualité soit ouvertement débattue, sous l’influence des mouvements de libération gay et lesbien. Les chiffres, incertains, sont alors souvent exagérés. Le témoignage d’Heinz Heger (1972), triangle rose autrichien, fait date, comme plus tard, en France, celui de Pierre Seel (1994).
Avec Bent (1979), pièce de Martin Sherman portée au cinéma en 1997, la déportation homosexuelle commence à être connue du grand public. »
« Le triangle rose, parfois inversé, s’impose comme un référent identitaire LGBT, utilisé par exemple par Act Up dans la lutte contre le sida. »

• Le temps long de la reconnaissance officielle
« Dès 1975, à Dachau, en RFA, et dès 1983, à Buchenwald, en RDA, des associations homosexuelles tentent de déposer des gerbes à la mémoire des triangles roses. En mai 1985, le président ouest-allemand Richard Von Weizsäcker reconnaît publiquement la persécution des homosexuels sous le régime nazi. Le 17 mai 2002, le Bundestag vote finalement la réhabilitation – pour beaucoup posthume – des hommes condamnés au titre du §175 durant la période nazie, ouvrant la voie à leur indemnisation. »

« En France, lors des cérémonies du Souvenir de la Déportation, les associations homosexuelles se heurtent aux associations d’anciens combattants, dans un climat parfois tendu. Il faut attendre le discours de Lionel Jospin du 26 avril 2001, confirmé par celui de Jacques Chirac, du 24 avril 2005, pour amorcer le début d’une reconnaissance officielle. »

« Aujourd’hui, des monuments (Homomonument, Amsterdam, 1987 ; Tiergarten, Berlin, 2008…) et des plaques (Neuengamme, Hambourg, 1985 ; Natzweiler-Struthof, 2010…) honorent la mémoire des victimes homosexuelles du nazisme. Des documentaires (Paragraphe 175, de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, 2000) relaient la parole des survivants. La recherche scientifique s’est emparée du sujet, proposant des analyses du cas allemand, et de plus en plus des pays alliés et occupés. En France, les travaux se sont multipliés depuis les années 2000, permettant de préciser la nature et l’ampleur de la répression sur son territoire. »


QUESTIONS À FLORENCE TAMAGNE

« Pouvez-vous nous expliquer la réflexion et les enjeux autour du titre de l’exposition Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie ?
L’exposition entend rendre compte des persécutions dont ont été victimes les personnes homosexuelles sous le régime nazi. Il a paru essentiel, même si les homosexuels ont été particulièrement visés, d’éclairer le cas des lesbiennes, souvent invisibilisées, et de montrer qu’elles ont pu subir, elles aussi, même si c’est de manière plus ponctuelle, une stigmatisation. Par ailleurs, il fallait rappeler que l’Allemagne ne fut pas le seul pays touché, mais que ces persécutions ont pu concerner, là encore à des degrés divers, des territoires occupés ou annexés par le Reich. L’inscription de l’exposition dans le temps long permet enfin de ne pas isoler la période nazie comme une parenthèse incompréhensible, mais de montrer qu’elle s’inscrit dans une longue histoire de répression de l’homosexualité en Europe.

Comment s’est construit dans le temps le témoignage des persécutions en-vers les homosexuels et les lesbiennes depuis la Shoah ?
Au lendemain de la guerre, rares sont les homosexuels à témoigner du sort qui fut le leur sous le régime nazi, même si certains témoins, comme Eugen Kogon (L’État SS, 1946), évoquent la présence des « triangles roses » dans les camps, et si des revues homophiles y font allusion. C’est qu’en Allemagne les homosexuels se voient non seulement nier le statut de « victimes du nazisme », mais ils sont toujours susceptibles d’être condamnés au titre du §175 du code pénal, qui punit les relations sexuelles entre hommes. Il faut attendre les années 1970 pour que le sujet soit ouvertement débattu, sous l’influence des mouvements de libération gay et lesbien. Le témoignage d’Heinz Heger (1972), triangle rose autrichien, fait date, comme plus tard, en France, celui de Pierre Seel (1994).

Cette exposition s’inscrit dans un processus mémoriel long. Qu’illustre-t-elle de la reconnaissance de ces histoires singulières ?
La reconnaissance s’est faite par étapes, d’abord sous la pression des associations homosexuelles, qui font du triangle rose un symbole des luttes LGBT, dans un processus de réappropriation du stigmate, à la manière d’Act Up par exemple. A partir des années 1980, les publications scientifiques sur le sujet sont plus nombreuses et une reconnaissance institutionnelle s’amorce, avec des monuments, des plaques mais aussi des gestes forts, comme le vote, en 2002, par le Bundestag, de la réhabilitation des hommes condamnés au titre du §175 durant la période nazie, ce qui ouvre la voie à leur indemnisation, souvent posthume hélas.

Quelles furent les différentes formes de réactions à ces persécutions ?
Pour les homosexuels et lesbiennes allemands, l’arrivée d’Hitler au pouvoir se traduisit par un retrait dans la sphère privée, alors que leurs lieux de rencontre étaient fermés, leurs journaux interdits et les mouvements militants dissous. Certains choisirent l’exil ou contractèrent des mariages blancs, à la manière de Klaus et Erika Mann. Une majorité des lesbiennes échappa à la répression, à condition de rester discrètes et de se conformer aux normes de genre en vigueur. L’exposition évoque certains parcours exceptionnels, comme celui de l’artiste juive Gertrude Sandmann qui échappa en 1942 à la déportation en simulant son suicide, et qui survécut grâce à l’aide d’une famille communiste, puis de son amante.

Qu’espérez-vous apprendre ou faire comprendre aux visiteurs avec cette exposition ?
En montrant l’ampleur des persécutions nazies, mais aussi la richesse des subcultures gay et lesbiennes qui existaient déjà au début du XXe siècle, l’exposition répond à un enjeu de mémoire. Il y a aussi un enjeu scientifique, car il faut lutter contre les contre-vérités qui continuent parfois de circuler, par exemple sur la situation française. Il y a enfin un enjeu pédagogique, car cette histoire reste encore largement ignorée du grand public et notamment des jeunes générations. L’exposition nous invite de fait à la vigilance, alors que la lutte contre les LGBTphobies reste d’actualité tant à l’échelle nationale que mondiale.
D’où l’intérêt que cette exposition se tienne au Mémorial de la Shoah qui a fait de la lutte contre le retour des haines l’un de ses objectifs. »


Du 18 février au 30 mars 2025
110-112, avenue Jean-Jaurès. 93700 Drancy
Tél : + 33 (0)1 42 77 44 72
Ouvert du dimanche au jeudi, de 10h à 18h.
Fermé vendredi et samedi.

Du 17 juin 2021 au 22 mai 2022
3e étage
17, rue Geoffroy–l’Asnier. Paris 4e
Tél. : 01 42 77 44 72
Tous les jours, sauf le samedi, de 10 h à 18 h. Nocturne jusqu’à 22h le jeudi.
Entrée libre et gratuite
Visuel :
Affiche

Photographie d’identité judiciaire de Willy Hadrossek condamné au titre du §175 et déporté à Sachsenhausen. Il est assassiné en juillet-août 1942 dans le camp annexe de Klinkerwerk. 
Coll. Landesarchiv, Berlin.


Les citations sur l'exposition proviennent du dossier de presse. Cet article a été publié le 18 mai 2022.