vendredi 16 octobre 2020

La spoliation des Juifs : une politique d'État (1940-1944)

Le Mémorial de la Shoah a présenté l’exposition éponyme. Exemples historiques et photographies à l’appui, cette exposition a révélé « les bases et les rouages de cette politique d'État » visant à la spoliation des Juifs, « en la réinscrivant dans le contexte de l’Europe nazie ». Le 7 octobre 2020, Le Monde a publié la tribune "La moitié des dossiers de spoliation de biens juifs en France reste à ce jour non instruite" de Johanna Lehr, historienne, qui alerte sur les "milliers d’artisans et de petits commerçants juifs dépossédés en France sous l’Occupation [et qui ] risquent d’être les oubliés de la politique d’indemnisation des spoliations antisémites ».

Des huissiers de justice problématiques pour des Français Juifs
Le Musée de la Libération de Paris - Musée du Général Leclerc - Musée Jean Moulin 
Pierre Mendès France (1907-1982)

Romain Gary, des « Racines du ciel » à « La Vie devant soi »
Max Guedj (1913-1945), héros méconnu de la France libre 

Groupe de chasse Alsace 1941-2001   

« Ceux de Normandie-Niémen » d’Yves Donjon 

« Oriana Fallaci », par Marco Turco

Rose Valland (1898-1980) 
Des galeries d’art sous l’Occupation, une histoire de l’histoire de l’art 
« Le marché de l’art sous l’Occupation 1940-1944 »
« Main basse sur l’art. La méthode nazie » d’Oliver Halmburger et de Thomas Staehler 
« Le maquis des Juifs » par Ariel Nathan
« Les Juifs ont résisté en France 1940-1945 »
« Des « terroristes » à la retraite », de Mosco Boucault
« Les Juifs d'Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale » de Claude Santiago et Antoine Casubolo 
Depuis quelques dizaines d’années, les travaux historiques se multiplient sur les spoliations des Juifs, et pas seulement de leurs biens culturels - peintures, sculptures, tapisseries, bibliothèques, etc. -, mais aussi leurs objets quotidiens utiles tels leurs ustensiles de cuisine les plus modestes.

En 2007, le Passage du Désir avait accueilli l’exposition La spoliation des Juifs à Paris. Retour sur les lieux. « Situé au 85/87 rue du Faubourg Saint Martin, ce Passage est l’ancien immeuble Lévitan « aryanisé » par les nazis : il a abrité, entre juillet 1943 et août 1944, un camp de travail dont les détenus, choisis parmi les internés du camp de Drancy, étaient contraints de trier, réparer, emballer, les meubles et les objets pillés par les nazis dans les appartements des familles Juives de Paris. Faire mettre en caisse par des Juifs, dans un immeuble pris à un Juif, des objets venus d’appartements abandonnés par Des juifs partis pour la plupart en camps d’extermination, faire ainsi disparaître toute trace de leur existence et en tirer profit au passage en envoyant ces objets en Allemagne : le lieu jouait son rôle dans la mise en œuvre d’un projet vaste, précis, à la logique implacable. Parce que l'enfermement des détenus dans l’immeuble a fait l’objet d’une organisation très discrète, le quartier n'en a pratiquement pas conservé le souvenir. Parce que, pour des raisons complexes, les détenus survivants ont très peu parlé après la guerre, l’histoire est restée longtemps méconnue ».

En 2008, le MAHJ accueillait l’exposition À qui appartenaient ces tableaux ? Spoliations, restitutions et recherche de provenance : le sort des œuvres d'art revenues d’Allemagne après la guerre conçue à l’initiative de la Direction des musées de France. Y étaient présentées « 53 œuvres (Pieter Claesz, Petrus Christus, Pieter de Hooch, Vouet, Courbet, Delacroix, Ingres, Monet, Manet, Cézanne, Degas, Matisse, Ernst...) en grande majorité issues des œuvres d’art dites « MNR » (d’après l’abréviation des inventaires intitulés « Musées nationaux récupération »), œuvres rendues à la France par l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale et confiées, au début des années 1950, à la garde des Musées de France, faute d’avoir retrouvé leurs légitimes propriétaires ». Cette exposition relatait « le processus des spoliations nazies durant la Seconde Guerre mondiale, leur condamnation par les Alliés dès 1943, les opérations de restitution massives engagées à l’issue du conflit, et les nouvelles mesures individuelles de restitution rendues possibles ces dix dernières années ».

En 2009, l’exposition Le Louvre pendant la guerre Regards photographiques 1938-1947 au Louvre montrait 56 photographies de la vie quotidienne en puisant dans le fonds du photographe Pierre Jahan acheté par le musée en 2005 et des documents provenant des archives allemandes. Le célèbre musée réquisitionné avait alors été transformé alors en zone de tri des biens confisqués aux juifs.

En 2009-2010, au domaine de Chambord, l’exposition 1939-1945 Otages de guerre à Chambord a rappelé le rôle de Chambord dans la protection de 1938 à 1949 des chefs d’œuvre des musées français dont La Joconde.

En 2010, le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (CHRD) a présenté  l’exposition intéressante La dame du jeu de Paume, Rose Valland sur le front de d'art. Attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, Rose Valland a contribué à préserver des œuvres du patrimoine national convoitées par les nazis, a recueilli des informations sur celles pillées dans les collections de Juifs français. A la Libération, elle a été chargée de retrouver et a permis le rapatriement en France et la restitution aux ayants-droit d’une partie de ces œuvres.

En 2011, le Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère a présenté l’exposition Spoliés ! L’« aryanisation » économique en France 1940-1944 réunissant des documents d’archives : photographies de prospection, courriers, affiches de mise en vente, témoignages. Une synthèse du rapport (2010) sur les modalités et l’ampleur du processus antisémite et administratif « d’aryanisation » et de spoliations dont les Juifs ont été victimes à Grenoble, et plus généralement dans le département de l’Isère, et les restitutions ordonnées par la République.

En 2013, le Mémorial de la Shoah s’intéresse à la « politique d’exclusion économique contre les Juifs » dont les bases sont fixées par le régime nazi dès 1933.

Cette exposition entend « éclairer tant les bases de cette politique d'État » et « ses rouages, en la réinscrivant dans le contexte de l’Europe nazie. Comprenant de nombreux documents d’archives originaux, provenant notamment des fonds des Archives nationales et départementales, elle met également en avant huit exemples de biens touchés dans le département de l’Isère et dans la Ville de Grenoble, venant illustrer le propos central ».

Curieusement, toutes ces expositions ne traitent que de la France métropolitaine, oubliant que la France sous l’Occupation ne se limitait pas à la métropole, mais comprenait aussi les départements d’Outre-mer, les protectorats – Tunisie, Maroc -, etc. Bref, un empire colonial sur plusieurs continents où les statuts des Juifs se sont aussi appliqués, et avec vigueur. Citons notamment le cas de la famille de Max Guedj, (1913-1945), héros méconnu de la France libre. Bref, c'est tout un pan d'histoire qui est éludé par ces commissaires d'expositions et ces musées..

Par ailleurs, aucun commissaire de ces expositions ne dresse le parallèle entre cette politique de spoliation nazie et celle mise en œuvre dans des pays arabes, en Turquie, en Iran, dans la partie de Jérusalem conquise par la Transjordanie etc. et ayant causé l’exil généralement forcé d’environ un million de Juifs de ces contrées où ils étaient parfois implantés depuis des millénaires.

L’exposition au Mémorial de la Shoah omet un cas jugé pourtant en France et décrit par Monique Waitzfelder dans son livre L'Oréal a pris ma maison : l’immeuble de la famille dont a été spoliée la famille juive allemande Rosenfelder. Un bien situé à Karlsruhe et devenu temporairement le siège social de la célèbre firme de produits cosmétiques.

Une « politique d’exclusion économique »
« Dès la prise du pouvoir en 1933, les nazis jettent les bases de l’« aryanisation ». Ce néologisme de la LTI (Lingua tertii imperri, langue du IIIe Reich) désigne la politique de dépossession des entreprises appartenant aux Juifs (Arisierung, littéralement « aryanisation »).

Dès 1933, les « campagnes de boycott des entreprises appartenant aux Juifs et expropriations sauvages se multiplient avant qu’un dispositif législatif visant à déposséder les « entreprises juives » ne soit mis en place », explique Tal Bruttmann, commissaire de l’exposition.

« S’insérant parmi les autres mesures législatives antisémites adoptées par l’Allemagne, cette politique » vise notamment à obliger les Juifs à quitter le territoire allemand.

Elle « s’est peu à peu diffusée à l’échelle de l’Europe, au gré de l’accroissement de l’influence du IIIe Reich, de ses alliances et de ses conquêtes. Elle arrive sur le territoire français, à la suite de la défaite » de juin 1940 : appliquée par l’occupant allemand nazi dans un premier temps, elle « est ensuite reprise par le régime de Vichy, qui la fait sienne à compter de l’été 1941 ».

Et Tal Bruttmann ajoute : « Cette politique est exportée dans les territoires occupés et adoptée par les régimes alliés au Reich. L’État français en intègre les principes dans le cadre de sa politique antisémite. Appelée « aryanisation » économique, cette politique d’État a pour but la spoliation systématique des entreprises, des commerces et des biens appartenant aux Juifs sur l'ensemble du territoire français en vue « d’éliminer toute influence juive dans l’économie nationale » (loi du 22 juillet 1941) ».

En « France et plus largement en Europe, les spoliations furent un rouage essentiel du processus d’exclusion des Juifs, qui facilita ensuite la mise en œuvre de la « Solution finale de la question juive ». La spoliation systématique des entreprises et des biens appartenant aux Juifs est engagée dès 1941 sur l'ensemble du territoire français. De l’identification des Juifs et de leurs biens jusqu’à l’« aryanisation » de ces derniers par la vente ou la liquidation, c’est un processus administratif efficace basé sur un arsenal législatif légal, qui se met en place en France, impliquant non seulement un nombre important d’administrations, mais également de larges pans de la société ».


Le Cercle Bernard Lazare présenta le 20 novembre 2014 « Les indemnisations des spoliations, où en est-on ? » avec Pierre-Alain Weil, rapporteur général de la Commission pour l’indemnisation des victimes des spoliations durant l’Occupation.


Le 14 novembre 2019 à 18 h 30, le Centre d'histoire de la résistance et de la déportation (CHRD) organisa la conférence "L’État contre les juifs : Vichy, les nazis et la persécution raciale" par Laurent Joly, historien spécialisé dans l’étude de l’antisémitisme et directeur de recherche au CNRS (CRH-EHESS). "Pourquoi, dès l’été 1940, le régime du maréchal Pétain a-t-il impulsé une politique antisémite ? Pourquoi a-t-il accepté de contribuer aux déportations par les nazis en 1942 et d’assumer pleinement ces opérations, à Paris comme en zone libre ? Dans quelle mesure l’administration a-t-elle collaboré à la politique génocidaire ? S’appuyant sur de nombreuses sources inédites et restituant les marges de manœuvre des agents (du dirigeant étatique au simple gardien de la paix) et les effets concrets de leurs décisions, Laurent Joly livre une histoire incarnée, au plus près des exécuteurs, des victimes et des témoins. À travers son analyse, il montre que si toute la puissance de l’État a été mobilisée pour persécuter les juifs, les logiques propres à l’appareil étatique, ses objectifs contradictoires, ses pesanteurs et finalement les résistances ont contribué à ce que la majorité des juifs de France, frappés de plein fouet par la persécution, échappent malgré tout à la mort."

Le 7 octobre 2020, Le Monde a publié la tribune "La moitié des dossiers de spoliation de biens juifs en France reste à ce jour non instruite" de 
Johanna Lehr, historienne, qui alerte sur les "milliers d’artisans et de petits commerçants juifs dépossédés en France sous l’Occupation [et qui ] risquent d’être les oubliés de la politique d’indemnisation des spoliations antisémites » :
« L’Etat est le débiteur unique des spoliations matérielles, en reconnaissance de sa responsabilité à l’égard des juifs de France déportés », indiquait, en novembre 2001, le premier rapport d’activité de la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur durant l’Occupation (CIVS).
Créée en 1999 dans le sillage du discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 reconnaissant la responsabilité de la France dans la déportation des juifs de France, la CIVS a permis à près de 19 700 demandeurs d’obtenir de l’Etat réparation ou restitution au titre des persécutions économiques endurées par les juifs en France.
Si ce dispositif de demandes a connu un grand retentissement à son lancement, il présente depuis quelques années un net ralentissement de son activité, qui s’explique par la raréfaction des demandes individuelles qui lui sont adressées. Pourtant, la moitié des dossiers de spoliation en France (estimés à près 50 000 au total) reste à ce jour non instruite. Comment l’expliquer ?
Demander réparation implique que les victimes soient encore vivantes ou que leurs ayants droit connaissent l’existence d’une spoliation économique subie par leur aïeul. Or, la difficile transmission intrafamiliale des épreuves de l’Occupation, évoquée par l’historien Simon Perego, a souvent contraint les générations suivantes à vivre dans une totale ignorance du passé familial, devenu parfois tabou.
Des dizaines d’œuvres d’art restituées
Les recherches sur la spoliation des dirigeants de modestes sociétés de pompes funèbres israélites à Paris montrent l’enchaînement tragique qui les a pour certains menés, impuissants et apeurés, de la spoliation à la déportation, en passant parfois de surcroît par la prison pour n’avoir pas obéi aux lois antijuives françaises.
D’autres ont pu survivre, mais sans pouvoir raconter les difficultés affrontées ou demander réparation. En rendant ce qui leur est dû, la CIVS enclenche le processus mémoriel qui permet de restituer à ces familles meurtries un pan de leur histoire qu’elles ignorent.
En même temps que s’opère le tassement des demandes de réparations matérielles, on assiste depuis quelques années à l’essor d’un nouveau type de réparations touchant la spoliation des biens culturels. Une nouvelle Mission de recherche et restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 a ainsi été créée en 2019 en France sous l’impulsion du ministère de la culture.
Présentée comme le nouvel élan que le gouvernement souhaiterait donner à la politique de réparation de la spoliation des juifs en France, elle a déjà permis, parfois sous une forte lumière médiatique, la juste restitution de dizaines d’œuvres d’art volées à leurs propriétaires durant l’Occupation.
Pouvoir d’autosaisine
A cette occasion, le pouvoir d’autosaisine a été attribué à ce nouvel organe et introduit par une mesure réglementaire dans les statuts de la CIVS, mais seulement en matière de biens culturels. On se retrouve dès lors aujourd’hui dans une situation paradoxale avec, d’un côté, une commission confrontée à des milliers de dossiers de spoliation matérielle non instruits mais qui ne peut pas agir en l’absence de demandes introduites par les victimes spoliées ou leurs ayants droit et, de l’autre côté, la même commission, assistée de la récente mission dédiée à l’art, qui peut chercher à rendre justice sans attendre d’être saisie par les familles des propriétaires d’œuvres d’art spoliés.
La distinction introduite entre biens culturels et biens matériels a dès lors entraîné une rupture d’égalité de traitement des victimes de spoliations antisémites. Il serait étonnant qu’à la veille des quatre-vingts ans de la loi du 3 octobre 1940 « portant statut des juifs », une telle différence puisse perdurer.
Moins la CISV instruit de dossiers, plus l’idée – fausse – s’installe dans les esprits que son travail s’éteint de lui-même car l’ensemble de la spoliation économique a été réparée en France. L’autosaisine élargie à l’ensemble des dossiers de spoliation permettrait à la CIVS d’accéder à l’ensemble des dossiers non instruits et de rechercher les descendants qui n’avaient pas introduit de demande de réparation.
Les milliers d’artisans et de petits commerçants juifs qui ont été dépossédés en France de leurs biens et entreprises sous l’Occupation pourraient ainsi ne pas devenir aujourd’hui les oubliés de la politique d’indemnisation des spoliations antisémites sous l’Occupation".


Sous la direction de Tal Bruttmann, La spoliation des Juifs : une politique d’Etat 1940-1944. Ed. Mémorial de la Shoah-Ville de Grenoble, 2013. 236 pages. ISBN : 9 782916 966656


Jusqu’au 29 septembre 2013
Au Mémorial de la Shoah

17, rue Geoffroy-l'Asnier, 75004 Paris
Tél. : 01 42 77 44 72
Tous les jours, sauf le samedi, de 10 h à 18 h, nocturne le jeudi jusqu’à 22 h

A lire sur ce blog :

Les citations proviennent du dossier de presse. Cet article a été publié le 25 septembre 2013, puis les 20 novembre 2014 et 13 novembre 2019.

2 commentaires:

  1. Que pensez-vous de cette initiative : Des imams français place Saint-Pierre, initiative de Marek Halter sur http://www.zenit.org/fr ? Un mythe ?

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  2. Je trouve l'initiative inutile, dangereuse : elle tend à faire croire à tort que Jérusalem compte dans l'islam...
    Que connait Marek Halter au dialogue interreligieux, à l'islam, etc. ? Il parle bien du chabbat.
    Sur Tarak Ben Ammar : "Tarak Ben Ammar a distribué via sa société QuintaDistribution en France en 2004 de "La Passion du Christ" ("The Passion of the Christ"), film controversé de Mel Gibson en raison de sa représentation négative des Juifs et qui a suscité l'indignation notamment d'organisations américaines Juives et françaises, ainsi que celle du producteur et distributeur français Marin Karmitz, n'aurait pas été distribué en Israël selon The Los Angeles Times, mais a rencontré un succès public dans des pays arabes" (http://www.veroniquechemla.info/2012/06/la-problematique-ambassade-disrael-en.html).
    Je vous invite à lire sur le dialogue judéo-musulman mon article http://www.veroniquechemla.info/2009/10/la-conference-islamiquement-correcte-de.html

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