mardi 2 juin 2020

Ruth Beckermann, documentariste


Ruth Beckermann est une réalisatrice, productrice et femme de lettres juive autrichienne née en 1952 à Vienne (Autriche). Arte diffusera le 4 juin 2020 « L'affaire Waldheim » (Waldheims Walzer ; The Waldheim Waltz) de Ruth Beckermann. Un scandale qui a démythifié la vision autrichienne de son passé récent, notamment de l'Anschluss (annexion par le IIIe Reich).
   
Ruth Beckermann, documentariste    
                    
Ruth Beckermann est née à Vienne (Autriche) où elle a passé son enfance.

Après avoir étudié le journalisme, la photographie et l’Histoire de l’art à Vienne, Tel Aviv et New York, elle obtient en 1977 un doctorat de l’université de Vienne.

Elle collabore comme journaliste à des magazines autrichiens et suisses.

En 1978, elle co-fonde avec Josef Aichholzer la société de distribution Filmladen.

Depuis 1985, elle a réalisé des films - Wien Retour (1983), Die Papierene Brücke (1987) et Nach Jerusalem (1990) - et écrit des livres. Leurs thèmes ? L’identité juive et l’Histoire de l’Autriche, notamment durant la Deuxième Guerre mondiale.

Son film « The Dreamed Ones » a été sélectionné dans de nombreux festivals et a été distingué par des Prix.

Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) lui a rendu hommage par la rétrospective « Ruth Beckermann - Filmer le devenir invisible »  (4-7 avril 2019) au mahJ et à la Maison Heinrich Heine. Programme réalisé avec le soutien de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), en partenariat avec Le Forum Culturel Autrichien et la Maison Heinrich Heine - Fondation de l’Allemagne, avec le concours de Ruth Beckermann Filmproduktion, SixPack Films, Chancellerie fédérale autrichienne (BKA), Wide House. Le titre « Filmer le devenir invisible » est emprunté avec son amicale autorisation à Hélène Cixous, qui intitula ainsi l’article consacré en 2006 au film « Pont de Papier » (disponible sur mahJ.org)

« Dans la filmographie de Ruth Beckermann, riche d’une quinzaine de documentaires réalisés entre 1977 et 2018, le passé bouge encore. Dans ce panorama doux-amer de l’Europe, son œil benjaminien accorde aux êtres qu’elle filme une dimension mythologique, qui les anime du « souffle de ceux qui les ont précédés ». Ceux qui les ont précédés, ce sont les Juifs de l’empire austro-hongrois, où ont vécu ses parents et ses aïeux. Beckermann naît à Vienne, où la bataille mémorielle victimaire fait rage. Les autrichiens s’affirment victimes de l’occupation nazie et nient leur responsabilité dans la destruction des juifs du pays. L’ambivalence liée à l’impossible combinaison de ces deux identités, autrichienne et juive, va nourrir le cinéma de Ruth Beckermann, comme une quête existentielle à travers ce siècle sans fin.  Loin de tout enfermement identitaire, son cinéma se nourrit autant de son activisme au sein d’un groupe viennois d’intellectuels de gauche que de son désir de sauvegarde d’une culture juive. Dans Retour à Vienne (1983), Franz Weintraub témoigne sur sa vie de juif en Autriche dans les années 1920 et 1930 et de son engagement politique. A la fin du film, il sort le radio-cassette sur lequel il a enregistré, dans la solitude de son intimité, le récit des disparitions de sa famille. Nous l’entendons et nous entrons dans le regard de Ruth Beckermann et Josef Aichholzer, son co-réalisateur, qui l’écoutent : au gré des arrêts et des départs du train qui avance dans la nuit, la voix de Weintraub se fait entendre depuis le radio cassette pour ne plus jamais disparaître : Depuis Vienne, il raconte le meurtre de sa mère, quelque part dans l’holocauste nazi de la Pologne. Il soupire. C’est bien de parler de cela, pour rappeler aux gens le genre de temps que c’était », a analysé Joanna Grudzinska.

Et de poursuivre : « Retour à Vienne, Le pont de papier et Vers Jérusalem forment une trilogie. Suivront dix autres films, dans un cinéma qui continuent d’explorer les mouvements avec les réfugiés d’aujourd’hui, comme dans Ceux qui vont, ceux qui restent, et les voyages dans le temps au présent, avec le magnifique Rêveurs rêvés, incarnation incandescente de la correspondance amoureuse de Paul Celan et Ingeborg Bachmann. Déjà présent dans Le pont de papier (1987), quête filmique des Juifs de Bucovine, l’homme politique Kurt Waldheim est le personnage principal de son dernier film La valse Waldheim, récompensé en 2018 par le Grand prix du documentaire historique des Rendez-vous de l’Histoire de Blois. Cet ex-secrétaire général des Nations Unies, qui se présente en 1986 sous le drapeau de l’OVP (chrétiens-démocrates), provoque alors une libération de la parole de la part de ses opposants, qui se souviennent que Waldheim a été lieutenant de la Wehrmacht, impliqué dans des crimes de guerre. A travers cette rétrospective choisie de ses films, on regarde Ruth Beckermann regarder, survivre aux survivants, les « sur-voir » comme dirait Hélène Cixous et recueillir la réalité, la part hétérogène et nomade de son identité juive ».

« Retour à Vienne »
« Retour à Vienne » est réalisé par Josef Aichholzer et Ruth Beckermann (1983). « Né à Vienne dans une famille juive orthodoxe, engagé très tôt aux côtés du mouvement ouvrier, le journaliste Franz Weintraub (1909-1985) livre un témoignage unique et vertigineux sur l’histoire de l’Autriche au XXe siècle, entrelacé d’images d’archives et de films de propagande ». Séance suivie d’un échange avec Ruth Beckermann

« Le pont de papier »
« Le pont de papier » est réalisé par Ruth Beckermann (1987). « De Vienne à la Bukovine, Ruth Beckermann voyage à travers l’histoire de sa propre famille et explore le destin tragique des juifs d’Europe centrale ». Séance suivie d’une rencontre avec Ruth Beckermann et Christa Blümlinger, université Paris 8. Rencontre animée par Céline Leclère, France Culture.

En 2006, Hélène Cixous a écrit
« Hagazussa, vous connaissez?" dit la Voix du film. Hagazussa, dit la Voix, était une sorcière qui à force d’aller d’un village à un autre par les chemins – comme la charrette à cheval dont nous suivons les roues sur le ruban de route qui s’enfonce dans le brouillard au fond de l’écran au rythme de la disparition – est devenue invisible, et il ne restait d’elle que les traces de son invisibilité, les traces et l’invisibilité. N’est invisible, n’est-ce pas que ce qui est doué d’invisibilité. Présence, puissance spectrale. La Voix du film est douce, enchantante, monocorde, tendrement spectrale. Invisible. Présente. Puissante présence de la Voix qui évoque.
"Ruth Beckermann, vous connaissez?". Je (Hélène Cixous) ne la connais pas dis-je. Mais sitôt que je prends LE PONT DE PAPIER, DIE PAPIERNE BRÜCKE, ses chemins, ses voix, ses brumes, ses rivières, ses passages, je m’aperçois que je la reconnais, que je l’ai toujours déjà connue. C’est avec joie que je la re-connais et la salue, poète en images, peintre en mots, Voix qui écoute les voix d’antan, les voix des temps, aujourd’hui. Lorsque tout est effacé, lorsque tout est parti en fumées depuis des cheminées de camps, ou enfoui, enterré dans des fosses ou des cimetières à leur tour en voie de disparition, restent les voix – les innombrables voix de toutes les couleurs, tons, timbres, accents, qui volaient dans l’air de l’Empire austro-hongrois où la famille de Ruth Beckerman comme ma famille (les Klein, les Jonas) prospérait et commerçait, comme les Klein, les Gross, les Juifs de " Conversations sur la montagne " de Paul Celan, tous ces parleurs musicaux dans la langue allemande relevée d’accents délicieux, les Roumains, Ruthènes, Juifs, Arméniens, Hongrois, Polonais, Ukrainiens, tous coexistant et pataugeant dans les rues de Bucovine, cette province tantôt austro-hongroise, tantôt roumaine, puis russe, comme tant d’autres pays emportés par l’histoire glissant sur les ponts d’une rive à l’autre, d’une nationalité à l’autre. C’est l’histoire de la famille de Ruth Beckermann. C’est l’histoire de la famille Klein, qui fut hongroise allemande, tchécoslovaque et aujourd’hui slovaque – et demain ? — Tous parlent un allemand soit le " Hoch ", le beau, le noble, le pur, soit un alliage pigmenté de yiddish ou de viennois.
O les peuples de voix, qui s’éloignent, deviennent invisibles. Quand elles ne seront plus là, qui sera " le témoin du témoin ? " Alors vient la voix de Ruth Beckermann, vient la voix qui écoute, qui regarde, et qui enregistre. Avec magnétophone et caméra invisibles. Non ce n’est pas un documentaire, c’est une œuvre vive, qui pousse l’art filmique au-delà de ses mitoyennetés avec la poésie, le récit, l’introspection, en mettant les ressources les plus subtiles de la métaphore et de la métonymie au service du désir de Sauvegarder. Garder quoi ? Les signes, les traits, l’esprit sublimé des Vies d’un certain monde, d’une certaine culture, très précis, et en même temps synonyme du genre humain. Il faudrait penser une anthropologie aimante exemplaire. La représentativité merveilleuse d’un individu valant pour l’univers.
Avec métaphore et métonymie, par transport, déplacement, condensation, avec charrette, et ferry, en voguant sur terres et eaux, l’espace est ininterrompu, le temps est ininterrompu. Aujourd’hui vient en visite chez hier. Ruth Beckermann née à Vienne revient à Vienne, son voyage circulaire, celui de la vie même passe par Israël, la Palestine, Radautz, la boutique du tailleur d’astrakan donne sur la boutique du commerçant chemisier, le père de Ruth Beckermann, derrière je vois la fabrique de sacs de mon arrière-grand-père, l’usine de jute de mon grand-père, les peaux touchent le cœur, les mains se touchent. On voyage. Pas pour arriver. Même pas pour partir. Pour être à la fenêtre et regarder les êtres et les villes se passer.
La fenêtre : la première fenêtre : est-ce celle de la maison de Vienne par laquelle Ruth Beckermann ne regarde pas, dit la voix ? Mais alors qui regarde ? Qui voit le carrefour de la noble ville de Vienne par la fenêtre voilée ? Si ce n’est pas elle, Ruth Beckermann, alors c’est le chat. Car il n’y a pas que des Juifs qui regardent dans ce film, pas seulement des voix. Il y a aussi : le chat. Au commencement à la fenêtre, il y a le chat. À la fin, il y a le chat à la fenêtre.
Je regarde ce film sublime. Mon chat vient regarder avec moi l’écran magique du présent éternel. Elle se met (c’est une chatte) devant le chat du film.
Ainsi va le film : de chat en chat. Une fenêtre renvoie à une autre fenêtre. Un pont mène à un autre pont. Un pont de fer se fait pont de papier. Une légende raconte une histoire. Le rouleau de papier devient pellicule. On tourne. La première fenêtre cristallise la deuxième fenêtre. La Voix est à la fenêtre. On ne voit pas l’intérieur cette fois-ci. Le regard voyage dehors, c’est la Ville qui défile. Le dehors fait le dedans : le dedans invisible est un bus. Dehors, Vienne. On va et vient. À l’aller du film on voyage vers l’ouest de Vienne. Au retour du film on prend le Bus invisible qui regarde, en sens inverse, vers l’Est.
Le Bus est une métaphore. Bien sûr. Métaphore aussi ou supplément de la caméra. La Voix est dans le Bus comme l’âme est dans la caméra. On prend le bus pour regarder la ville passer, glisser. La charrette emmène le regard, qui suit son dos, dans l’évanoui ici bas.
Le grenier : c’est là-haut que tout se passe, dans la sublimation. Il est " dit " par image que la mémoire est le point de vue du haut, d’en haut.
Le procédé : une mise en abyme, mais naturelle, toute en profondeurs successives, comme dans la vie recollectée, recueillie : la vie est un récit, le récit fait la vie.
La caméra du cœur regarde chaque scène avec intensité. Je suis venue de loin, dit-elle, la Voix, la Caméra, pour regarder par la lentille, par le trou de la serrure du temps, en écartant légèrement les rideaux, car pour voir ce qui est si résistant et si précaire, ce qui reste, il faut comme une petite machination qui fait apparaître, un charme optique. On aura reconnu le travail du Voile, des Voiles, Rideaux, brumes, épaisseur de vitres. Vapeurs. " Vapeurs " sur la mer gelée qui par sa surface hybride, liquide, solide – vient mêler la Roumanie à la Yougoslavie.
Vapeur – Voiler, dévoiler. Dévoiler. Dé-voile. Dévoiles vaporeuses épaisses de la Mikva. Ah ! la Mikva. Elle est un peu dévoyée, la Mikva de Czernowitz. Maintenant les corps que l’on discerne dans ses buées opaques, ce sont des paysannes de Bucovine, qui ont bien raison d’utiliser ce drôle de sauna désaffecté. Ce ne sont plus les corps des femmes juives. La Mikva, vous connaissez ?
En Angleterre, dit ma tante Eri (quatre-vingt douze ans, voyage de vie : Osnabrück, Paris, Osnabrück, Turquie, Haïfa – Palestine, Köln, Manchester), en Angleterre toutes les filles encore aujourd’hui, 2006, si elles se marient elles vont à la Mikva. C’était, c’est donc, le bain rituel de purification pour la femme juive. Après les règles, avant la noce. Maintenant ces corps robustes, emmêlés, ce sont les paysannes.
Un enfant marche dans la mémoire du père Beckermann, un enfant dans la Voix, un enfant dans la longue rue de Czernowitz, dans le film.
Qui parle ? Tantôt je, tantôt tu. Qui regarde. Comme un enfant qui regarde avec la plus vivante des curiosités.
Ma mère Eve (quatre-vingt quinze ans Strasbourg Allemagne Osnabrück Paris Oran Algérie Paris) Eve Klein regarde Ruth Beckermann regarder. Comme des enfants qui regardent.
Je suis assise dans la salle à manger et je regarde LE PONT DE PAPIER. Je suis assise avec ma mère Eve Klein et sa sœur Eri. Eve ma mère allemande a quatre-vingt quinze ans, ma tante la petite a quatre-vingt douze ans. Nous regardons. D’un côté je regarde Ruth Beckermann regarder la vie des siens, ses parents, les Juifs, ceux de Vienne, ceux de Bucovine, d’Israël, de Russie, ceux de partout appelés " les survivants ". Je regarde Ruth Beckermann survivre aux survivants, les suivre les vivre, les survoir.
De l’autre côté je regarde mes deux vieilles déesses regarder ces autres Juifs, du Pont de Papier, les mêmes, pas tout à fait les mêmes, mes deux vieilles déesses voyageuses, d’abord l’Allemagne au commencement Osnabrück de là en Algérie, en Palestine, la Hongrie, l’Austro-Hongrie, la Tchécoslovaquie, de là en Allemagne, en France, en Angleterre, aux USA, de là en Israël, en France.
Selon le manège sans fin de ces éléments humains à la mémoire toujours rallumée comme les bougies de Hanuka.
En même temps je me regarde regarder d’un côté et de l’autre.
Les regards s’engagent d’une rive à l’autre, prennent les ponts qui mènent du visible au spectral, du présent au passé, reviennent chargés de temps, le passé bouge encore, hésite à devenir du passé passé, Il a la consistance incertaine des fleuves.
Le passé marche tantôt d’un pas d’enfant tantôt d’un pas de vieillard, dans les rues de Radautz, dans les boues de Czernowitz. Czernowitz, ville sans âge, comme s’il n’y avait qu’un siècle, très ancien et qui continue. Czernowitz ville natale du père de Ruth Beckermann. Et de Paul Celan, le plus grand poète de langue allemande de ce siècle sans fin. Son nom n’est pas prononcé par la Voix. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être est-ce comme le nom de Dieu ? Il est Partout nulle part.
Ruth Beckermann pense à Oma Rosa, sa grand-mère viennoise qui a survécu pendant la guerre en faisant la muette, cachée dans les toilettes de Vienne.
Oma allait de temps à autre dans la forêt parler à sa Voix avec sa Voix. Peut-on oublier sa propre voix ? C’est une vraie question. C’est la question de la Voix du Film. La propre voix d’Oma est aussi la voix de la Voix de Ruth Beckermann : une voix survit si elle est entendue.
C’est aussi la voix d’Omi Rosi, ma grand-mère la mère de Eve et Eri. De voix en voix. Nous, échos. Comme dit la Voix, Ruth Beckermann, " tout est simple ", d’un certain point d’ouïe. Tout est si simple dans ce film, si sublimement subtil et attentionné, qu’on pourrait ne pas remarquer, tout est si délicat.
Par exemple : les trois paysannes avec leurs foulards, gênées, juives (ça ne se voit pas) avec la poule. La femme caresse la poule. C’est sa poule. Ensuite elle la fait égorger. Tout est si simple. L’égorgement est rituel. J’ai fermé les yeux dès que j’ai vu le couteau. Je sais. Ma tante regarde les poules plumées. On plume. Encore un dévoilement. " Je me rappelle quand on a fait ça, dit ma tante Eri. Ma mère elle a reçu les poulets comme ça et la bonne le fait. " L’égorgeur. " Le Schauchet, dit Eri, ça c’est un mot un peu yiddish. Schauchet : celui qui a fait les choses Kasher, et aussi les circoncisions " Ce rabbi-là a beaucoup à faire dans ce reste de pays où les juifs oscillent dans l’impossible : ils veulent à la fois partir et rester. Partirrester. – " Yiddisches deutsch " dit Eri. Au début, mes deux allemandes vacillaient : le viennois ce n’est pas de l’allemand. Puis elles ont glissé doucement dans le film par la fenêtre. Tout est simple et entêté. Comme je connais cette obstination, cette endurance. L’endurance du cimetière aux mille tombes moussues, Herbert Gropper qui fait faire la visite des morts, en profite : c’est qu’il passe à l’immortalité, par la grâce du film que tourne Ruth Beckermann. Son image gouailleuse, sa voix cordiale, son humour vont survivre. En voilà encore un qui a le chic (chic : Geschick l’habileté, Schicksal le destin) pour passer d’une rive à l’autre. Quant au cimetière, il va être encerclé pour résister au temps. Au moins deux cents ans. Ensuite on verra.
L’endurance et l’obstination de Frau Rosenheck, qui se rengorge : n’a-t-elle pas deux, encore deux, élèves. De quoi ? Mais d’Ivrit naturellement. Ses élèves émigrent. Elle aussi va devenir invisible. Sauf le film.
La Voix écoute, ne dit rien, laisse vivre. Trésors, humbles perles de l’humanité. On va pleurer. On rit. " J’aime la Roumanie dit-elle doucement, parce que tout le monde est corruptible : aucun système ne peut s’y maintenir. " Eri dit : " les juifs de Roumanie quand ils sont venus en Israël, on a dit : il faut fermer les portes à clé. Ce sont des voleurs, même s’ils sont juifs ". Je ris.
Qui est quoi ? Un visage, au pinceau. Surprise : un visage peint à l’aquarelle. Voilà que commence l’extraordinaire Scène de Theresienstadt. On ne sait plus où on en est, qui on est. Ces juifs sont des imitations de juifs, plus juifs que juifs. Ils jouent les morts, ils jouent les survivants, ils se jouent eux-mêmes. Ils vont être filmés dans une reconstitution !!! Quelles différences y a-t-il entre des juifs, des juifs qui font les juifs, des post-juifs, des juiffilmés, des juifs qui filment etc. C’est vertigineux. La cruauté fait son nid grotesque et magnifique dans les coulisses. Coup de génie de Ruth Beckermann on reste à la frontière. Pas de pathos. Theresienstadt où les sœurs et frère d’Omi sont morts.
Ne sommes-nous pas des acteurs, des spectateurs du théâtre du monde ?
C’est ainsi que l’on sauve, et que l’on est sauvé : la réalité atroce devient théâtre, récit à condition : il faut un regard qui est doux comme une voix qui garde le calme de l’immortalité. Les différentes espèces de vivants et survivants sont prêts à se quereller, à s’injurier, chacun selon sa vérité ou son truquage.
Et cette minime saga terrifiante se termine par un voile : la nappe blanche avec les gobelets de plastique renversés. Les chaises jaunes sont vides. Nous sommes peut-être de frêles gobelets résistants renversés sur la nappe du monde ? La nappe est devenue une mer glacée. Ou bien nous sommes ces glaçons si durs, qui peuvent fondre… Tout dépend de la douceur méditative de l’être qui regarde.
Monde vu par les yeux sans violence, les yeux justes de Ruth Beckermann, que tu es beau.
Ce regard n’est pas inné : la Voix nous confie être arrivée à ce regard, c’est le seul voyage, finalement qui sera arrivé quelque part. À une réconciliation sereine avec tous les aspects cruels, blessants et honteux de la réalité, comme avec les figures de l’amour et de la fidélité, également. Ce Regard de Ruth Beckermann a dû se regarder : il fut un temps où il regardait avec honte les commerçants juifs de Vienne, donc avec un regard de Juif honteux. Maintenant ce Regard en est arrivé à Voir. Simplement voir : la Vie. Qui est belle, et qui fait rire.
À la fin, il y a le Silence, le suspens du tourment. Le silence des Photos qui se laissent regarder et nous regardent. Arrêt sur visages humains. Voici une petite fille. Photos de la Voix. C’est sa signature : regarder avec l’intensité et l’innocence d’une petite fille.
Ou d’un chat.
À la fin, devant la fenêtre, il y a le chat : " Suis-je juif ? Ou juive ? " pense le chat, qui est peut-être une chatte.
À la fin je pense à Ruth Beckermann, à la Voix régulière de son Regard. À la grâce de son attention. Passion sans passion. Compassion. Je pense qu’on lui doit un moment de bonté ». 
« Fugue orientale »
« Fugue orientale » de Ruth Beckermann (1999) sera projetée à la Maison Heinrich Heine. « Quand la caméra, depuis le pont du bateau, regarde l’horizon infini de la Méditerranée, il se dessine l’image d’une femme qui parcourut inlassablement le monde. Elisabeth, impératrice d’Autriche, sortait continuellement de l’image : à partir de sa trente-et-unième année, elle refusa même de se laisser photographier. Ruth Beckermann part à la recherche de cette femme qui ne voulut pas se laisser enfermer dans le corset de sa société, donnant naissance à un mythe où se superposent l’image d’une Cendrillon de conte de fées et celle d’une marionnette dépressive de la monarchie ». Séance suivie d’un échange avec Ruth Beckermann.

« Vers Jérusalem »
« Vers Jerusalem » est réalisé par Ruth Beckermann en 1990.

« Troisième volet de la réflexion entamée par Ruth Beckermann avec Retour à Vienne et Pont de papier, Vers Jérusalem est un road-movie documentaire : des camions, des stations-service, des ouvriers sur un chantier, des immigrants russes, des chauffeurs de taxi, des agents de sécurité. Sur une distance d’à peine 60 kilomètres, on traverse des paysages variés et des histoires individuelles tout en s’interrogeant : qu’est devenu ce rêve d’une patrie juive ? »

Au mahJ, la séance a été suivie d’un échange avec Ruth Beckermann. 

« La bar-mitsva de Zorro »
« La bar-mitsva de Zorro » est réalisé par Ruth Beckermann en 2005. "A Vienne, André est spécialisé dans le tournage de vidéos familiales de cérémonies juives. Du clip à thème "Zorro" commandé par une famille de Juifs géorgiens aux préparatifs d'une famille orthodoxe, il traverse différentes formes d'un rite de passage à l'âge adulte riche de sens contrastés".

« Les familles de Sharon, Tom, Moishy et Sophie préparent la bar ou la bat mitzva de leurs enfants. Voyage solennel puis festif dans une tradition et un judaïsme aux multiples facettes ».

La séance au mahJ a été présentée par Ruth Beckermann et Catherine Zins, monteuse et réalisatrice.

« Ceux qui vont, ceux qui restent »
Ruth Beckermann a réalisé « Ceux qui vont, ceux qui restent » en 2013. « Demandeurs d’asile nigérians en Sicile, musicien arabe en Galilée, nationalistes viennois, jeunes femmes voilées à Alexandrie... Le long des routes, une histoire de mouvement, de voyage et de refuge ».

Séance au mahJ suivie d’un échange avec Ruth Beckermann et Alice Leroy, Université de Paris Est.

« Rêveurs rêvés » de Ruth Beckermann
« Rêveurs rêvés » de Ruth Beckermann est un documentaire distribué en 2016. « Les poètes Ingeborg Bachmann et Paul Celan se sont rencontrés dans la Vienne d’après-guerre, et entretinrent une correspondance intense. Deux jeunes comédiens se retrouvent dans un studio d’enregistrement pour lire leurs lettres, et se passionnent pour les émotions tumultueuses des poètes ». Séance suivie d’un échange avec Ruth Beckermann et Raymond Bellour, écrivain et théoricien du cinéma.

« La Valse Waldheim »
En 2018, Ruth Beckermann a présenté son documentaire « La Valse Waldheim  » qui a remporté parmi d’autres prix le Prix Glashütte du meilleur documentaire au Festival international du film de Berlin.

Arte diffusera le 4 juin 2020 « L'affaire Waldheim » (Waldheims Walzer ; The Waldheim Waltz) de Ruth Beckermann. « En 1986, l’Autriche s’enflamme pour ou contre le candidat conservateur à la présidentielle Kurt Waldheim (1918-2007), rattrapé par son passé d'officier de la Wehrmacht. Une saisissante plongée dans la mêlée. »

L'Organisation des Nations unies (ONU) présente ainsi un partie des réalisations de Kurt Waldheim, Secrétaire général des Nations unies (1972-1981) :
"Au cours de son premier mandat (1er janvier 1972-31 décembre 1976), M. Waldheim a participé de très près à toutes les principales activités de l'Organisation des Nations Unies - politique, économiques, sociales et administratives. En quête de solutions pacifiques aux problèmes internationaux, il s'est rendu dans le sous-continent sud-asiatique, au Moyen-Orient, à Chypre, au Sahara occidental, en Namibie et dans d'autres zones de crise. Il a organisé et supervisé la mise en place et les opérations au jour de jour des forces de maintien de la paix en Egypte et sur les Hauteurs du Golan. A la recherche d'un règlement de la situation au Moyen-Orient, il a maintenu des contacts constants avec toutes les parties au conflit, tant en se rendant dans les pays intéressés qu'en engageant des consultations à New York avec leurs ambassadeurs. Il a également présidé à Genève, en décembre 1973, la Conférence de la paix sur le Moyen-Orient."
« Quelques mois avant l’élection présidentielle autrichienne du 4 mai 1986, qu’il espère remporter dès le premier tour, le candidat du parti conservateur OVP", Kurt Waldheim, ministre fédéral des Affaires étrangères (1968-1970), "se voit rattrapé à 67 ans par un passé qu'il avait jusqu’alors soigneusement tu ».

« L’hebdomadaire autrichien "Profil" - sous la plume du journaliste Hubertus Czernin, qui a aussi enquêté sur les oeuvres d'art spoliées à des collectionneurs juifs -, puis le "New York Times" "révèlent que celui qui fut aussi de 1972 à 1981 le secrétaire général de l’ONU a gommé dans son autobiographie des faits significatifs : son adhésion, en 1938, à la fédération étudiante nazie et au corps à cheval de la SA, et surtout sa qualité d’officier de la Wehrmacht dans les Balkans, notamment à Salonique - durant la déportation des Juifs saloniciens au camp nazi d'Auschwitz - en 1943, sous les ordres d’un criminel de guerre exécuté en 1947 », le général Löhr. Officier de renseignement de la Wehrmacht, Waldheim a contribué au succès de l’opération Kozora contre les résistants et les civils au Monténégro et en Macédoine.

« En 1986, la candidature de Kurt Waldheim à la présidence autrichienne provoque un scandale lorsque son passé de lieutenant de la Wehrmacht refait surface. Le pays se divise entre partisans de l’oubli et défenseurs de la mémoire ».

« Un petit groupe d’intellectuels autrichiens, dont fait partie la réalisatrice Ruth Beckermann, dénonce les non-dits du candidat et l’appelle à se retirer ». Ruth Beckermann "fut de ceux qui allèrent crier « Waldheim, nein ! » dans les rues de Vienne, sans succès". 


« Ce mouvement est relayé par le Congrès juif mondial depuis son siège new-yorkais. Tandis que Kurt Waldheim ("Un Autrichien en qui le monde a confiance", selon l’un des slogans de l’OVP) se mure dans le déni, son parti, soutenu par une large partie de l'opinion, prend sa défense avec virulence dans une contre-campagne aux relents antisémites ». Kurt Waldheim ne cesse de mentir sur son passé.

« Le 8 juin 1986, au second tour, Kurt Waldheim est élu avec une majorité confortable de 53,9 %. "


"L’année suivante, il est placé sur la liste noire des personnes interdites d’entrée sur le territoire américain. » Il n'a pas été ostracisé par l'URSS, les Etats Arabes et le Vatican - le pape Jean-Paul II le fait en 1994 chevalier de l'ordre de Pie IX pour ses actions à l'ONU -, ainsi que par le président tchécoslovaque Václav Havel qui le rencontra.

Le 8 février 1988, le Comité international de six historiens militaires - un Suisse, un Allemand, un Belge, un Israélien, un Américain et un Britannique -, nommé par le gouvernement autrichien en 1987 afin d'examiner les accusations visant Kurt Waldheim et ses fonctions de 1938 à  1945, a communiqué ses conclusions concernant des crimes qu'il savait être perpétrés alors en Yougoslavie et en Grèce :

"La commission n'a trouvé aucune indication d'objections, de protestations ni d'interventions faites par Waldheim contre un ordre intimant la réalisation de ce qu'il savait certainement être une injustice, afin d'empêcher ou du moins entraver l'exécution de cette injustice. Au contraire, à plusieurs reprises il a apporté son aide à la réalisation de ces actions illégitimes, facilitant ainsi leur perpétration.
En faveur de Waldheim, il y a le fait qu'il n’avait que de faibles possibilités d'agir contre les injustices commises. Les actions contre celles-ci, en fonction du niveau où la résistance se produisait, étaient d'importance très différente. Pour un jeune officier, qui n'avait pas d'autorité militaire au niveau du groupe d'armée, les possibilités pratiques de résistance étaient très limitées et en toute probabilité n'auraient pas mené à des résultats tangibles. La résistance n'aurait pas dépassé la protestation formelle ou le refus de servir plus longtemps dans l'armée, ce qui aurait semblé être un acte courageux, mais ne se serait soldé par aucun résultat dans les faits".
« Au travers de Kurt Waldheim, c’est toute l’Autriche qui se voit confrontée au passé nazi qu’elle a jusque-là choisi d’occulter en s'arrangeant pour croire qu’elle a d’abord été victime du IIIe Reich » par l'Anschluss ("rattachement"), annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie dirigée par le Führer Adolf Hitler.  Une annexion accueillie avec enthousiasme par de nombreux Autrichiens.

« À l’opposé d’une analyse savante, Ruth Beckermann restitue la manière dont ce combat cathartique s’incarne dans la parole publique, de la rue aux institutions ».


« Trente-quatre ans après, les passionnantes archives qu’elle a choisies, dont nombre de scènes qu’elle a tournées elle-même en cinéma direct, en marge des manifestations dont elle était partie prenante, donnent le sentiment d’assister à une histoire qui s’écrit au jour le jour. »

"En revenant trente ans plus tard sur ce scandale", Ruth Beckermann "entreprend en fait l’archéologie de la vie politique autrichienne actuelle, où l’extrême droite revient régulièrement au pouvoir. La force d’un montage fait d’associations libres produit bien autre chose qu’un portrait de salaud. Les deux temporalités (celle, haletante, de mars à juin 1986, celle du passé nazi de Waldheim) se nouent pour tisser un tableau culturellement et historiquement chargé, ainsi qu’un regard sur l’histoire des média – la deuxième guerre mondiale a bel et bien accouché des alternative facts et autres « post-vérités ». (Charlotte Garson)


Dans son testament, Kurt Waldheim a exprimé ses regrets d'avoir pris position tardivement, partielle, concernant les crimes nazis.

"Début octobre 2018, quatre jours après sa sortie, « La Valse Waldheim » avait déjà attiré plus de 5 000 spectateurs désireux de participer aux nombreux débats organisés avec son auteure à l’issue des projections" en Autriche. "Si la plupart des protagonistes du documentaire – en lice pour représenter l’Autriche aux Oscars – sont aujourd’hui décédés, l’ancien directeur de campagne du candidat, Heribert Steinbauer, est venu récemment donner son point de vue, lors d’une soirée très animée. « Il s’est malheureusement montré incapable de condamner les propos antisémites tenus par Alois Mock », ancien président de l’ÖVP (mort en 2017). A l’époque, il avait demandé au Congrès juif mondial de « cesser sa campagne, afin de ne pas réveiller des sentiments que plus personne ne veut voir resurgir. » Quant aux membres du gouvernement actuel, ils brillent par leur discrétion. « Gernot Blümel [le ministre ÖVP chargé des affaires européennes, des arts, de la culture et des médias] a vu le film lors d’une projection à Berlin, relève la réalisatrice. Et, dans le cadre d’une réception par la suite, il a affirmé, comme l’a relaté la presse autrichienne, qu’il avait appris énormément de choses en le regardant, parce qu’il n’avait que 5 ans en 1986. Il aurait malgré tout pu lire un ou deux livres. » La nécessité d’une conscience historique critique semble également étrangère au chancelier conservateur, le trentenaire Sebastian Kurz. « On l’a vu lorsqu’il a défendu, en juin, la création d’un “axe des bonnes volontés” entre les ministres de l’intérieur autrichien, italien et allemand sur les questions migratoires. Il ne semblait pas se souvenir de “l’axe Rome-Berlin” scellé, en 1936, entre Hitler et Mussolini », estime l’historienne Lucile Dreidemy, spécialiste de l’Autriche"


Distinctions remportées par ce documentaire :

2018 : Images en bibliothèques - Paris (France) - Film soutenu par la Commission nationale de sélection des médiathèques
2018 : Les Rendez-vous de l'Histoire - Blois (France) - Grand prix du documentaire historique
2018 : Doclisboa - Festival Internacional de Cinema Documental - Lisbonne (Portugal) - Film d'ouverture
2018 : Sheffield Doc/Fest - Sheffield (Royaume-Uni) - Sélection
2018 : DOK.FEST Internationales Dokumentarfilmfestival München - Munich (Allemagne) - Sélection
2018 : Cinéma du réel - Paris (France) - Compétition Internationale

2018 : Festival international du film de Berlin - Berlinale - Berlin (Allemagne) - Prix Glashütte Original – Meilleur Documentaire

Pourquoi Arte diffusera-t-elle ce documentaire passionnant en pleine nuit ?

La séance au mahJ a été suivie d’une rencontre avec Ruth Beckermann et Barbara Lambauer, historienne. Rencontre animée par Joanna Grudzinska, réalisatrice.

Décembre 2017

"Kurt Waldheim’s lapse of memory concerning his Nazi past was the beginning of a process which saw the Austrian narrative – that the country was the first victim of National Socialism – eventually eroded. His campaign for the 1986 presidential election polarised the country. Ruth Beckermann, an activist at the time, has now edited Austrian and international archive material for THE WALDHEIM WALTZ to create a film which, from a distance of 30 years, revisits the conflicts in collective and individual memory and traces the roots of the current situation in this historical context.

KS:      In 1986 Kurt Waldheim is elected President of Austria. In 2000 the first Black/Blue coalition (between the conservative Austrian People’s Party and the right-wing Freedom Party of Austria) rules the country. We meet for this interview two days after the Kurz/Strache government is sworn in – 17 years after the first Black/Blue coalition. It seems as though Austria's political landscape goes in cycles, shifting in a right-wing direction about every 15 years. To what extent do you regard the Waldheim affair as symptomatic of the political landscape in Austria, and is that why you wanted to raise the subject again?

RB:      I actually started research for this film before Die Geträumten (The Dreamed Ones), and then I put the project on hold. I was prompted to return to the subject when I looked at some footage I had shot myself in 1986, and people who were not even born at the time encouraged me to make a film. No matter how absurd it sounds, the political landscape of Austria is still dominated by National Socialism. The Waldheim affair and the Hofer/Strache phenomenon are two sides of the same coin. The scandal surrounding Waldheim was an attempt to come to terms with the past at last, in some halfway honest manner, and dismantle the victim lie: the claim that Austria merely a victim during the Nazi era. Finally Austrian involvement in National Socialism was examined from a different perspective. What Hofer and Strache are doing today is actually the opposite: they are employing elements from Nazi ideology in order to shape the future. And to conceal what they're doing, they adopt an aura of innocence. That’s the worst thing about the current situation.

KS:      THE WALDHEIM WALTZ establishes a link to your film East of War from the year 1996, where you observe the reactions of visitors to an exhibition entitled Vernichtungskrieg (War of Extermination) which documented atrocities committed by the Wehrmacht on the Eastern Front. What you observed collectively 10 years after the Waldheim affair you have now placed under the microscope in association with the individual Kurt Waldheim, as a symbolic figure. Is this your way of approaching one of the crucial questions which dominates your filmmaking: how do we human beings construct our memories?

RB:      I think memories constantly become reconstructed. That applies to our individual memories, depending on the priorities we impose in the present. And collective, national stories are constantly being modified and rewritten, depending on the requirements of the present. In that sense it wasn't just interesting for me to see my own material after a period of 30 years; it was also fascinating to re-examine my own memories and take a look at myself overall, in the international context of the material that was filmed at the time about the Waldheim affair. Individual memories can also be deceptive.

KS:      The sequence where Gerhard Waldheim attempts to defend his father in a hearing and is reduced to silence by the arguments of the person opposite him is among the strongest moments of the film. Do you regard this moment as symbolic of the division that emerged in post-war Austria between the war generation and subsequent generations, which permitted a new perspective on the past for the first time?

RB:      Gerhard Waldheim is a son who exposed himself to an incredible extent by defending his father. After all, the division we're talking about also runs within the generation of the sons; there were people of that generation who were hugely critical of their fathers, precisely because of the Waldheim affair. The footage of that hearing is absolutely fascinating. It was never broadcast, but it has been preserved uncut, in the original length; that alone makes it a curiosity, and of course it's the heart of the film. Due to the dramatic setting of a hearing, both sides are represented in the same room. From my perspective today I see the Waldheim affair as a conflict of generations which demonstrates how differently sons behave towards fathers. On the one hand Gerhard Waldheim was quite offensive in his defence of his father, while on the other hand the staff of the Jewish World Congress are the same generation as him, and they're also sons. In some cases sons of fathers who arrived in the USA as refugees from Europe, or of families who felt guilty because they didn't do enough to rescue their brothers and sisters. On both sides there was a process of coming to terms with the Nazi past. In THE WALDHEIM WALTZ it's also about teasing out the completely different agenda pursued by the Americans. They were concerned with Waldheim's career as General Secretary of the United Nations; they wanted to smear the UN as a humanitarian institution and its policies in the 1970s, while in Austria it was all about the victim lie.

KS:      You make reference in the film to nature and also to "laws of nature" like the concept of the family. What role does the idea of nature play in THE WALDHEIM WALTZ?

RB:      In the conservative value system that Waldheim advocates, the family is considered natural – but only in the traditional form of husband, wife and child. People get married and stay together until death. That is a "law of nature". Of course, I also make reference to the Heimat film (the patriotic "homeland film" with a rural setting and sentimental story) and, in addition to that, to Austria's tactic – which functioned wonderfully for a while – of conflating its claim of innocence and its natural beauty. Depicting nature as something innocent is a lie. But this has been done again and again on a sort of mythological level, in order to distort history and present nature as a pure, original force. Austrian films like Sissi practice this technique: the film was made during the post-war period, and it fabricated an earlier past epoch (of the Austro-Hungarian Empire) by featuring very young actors, implying that there was nothing between that past and the present of the film – by skipping the Nazi period entirely. A brilliant tactic. Of course, you do get evil in Heimat films, but – entirely in keeping with Nazi ideology – it comes from the modern-day, from the city, and it is contrasted with innocent nature in the form of the countryside, the family, folk costumes, farming communities and tradition. All this is reflected in the atmosphere created for Waldheim's election campaign: brass bands, the whole family coming forward to support him, the Christian values he places such emphasis on.

KS:      Where did your extensive archive research begin, and in which medium?

RB:      I started to view material at ORF (Austrian state TV) on a very broad basis, meaning everything from 1986 to the 1988 Historical Commission. But the archive contains virtually nothing except the material that was broadcast. Remembering is always connected with forgetting, and it's very illuminating to see exactly what was broadcast. In that sense THE WALDHEIM WALTZ is also a statement about media history. The most interesting aspect of the archive research is that you can work in a very analytical way – in fact, you have to – and that means rearranging the pieces of the puzzle. You end up in a kind of double position in that you're looking at something from the past, but you set yourself the task of re-editing it so it's relevant to the present.

KS:      Alongside your ORF research you also startled looking beyond the borders of Austria. What was your approach there? 

RB:      I did further research in Great Britain, the USA, Israel and France in order to place the Austrian material in a critical context. Incidentally, several documentary films were broadcast on ORF in 2016 to mark the 30th anniversary of the Waldheim affair, but oddly enough they were only from a national perspective, even though that had become critical. For me, one of the most fascinating aspects of THE WALDHEIM WALTZ was to present the events in an international context and to see how differently various media had reported the affair.

KS:      Since you didn't film any new footage at all for THE WALDHEIM WALTZ but instead created a film purely from existing material, the montage process with Dieter Pichler must have been different than in previous projects. 

RB:      In the summer of 2016 we sat down to look at about 150 hours of ORF material chosen by me and Sebastian Brameshuber. On top of that there was material accessed via the Internet. Actually, I often went into the archives myself, partly to get over the chill of the Internet. I wanted to develop a feeling for the archive. Archive material is very cold, and viewing material that you haven't shot yourself is a completely different working process. For a long time I was fixed on the concept of dealing with a much longer period. It was only when we actually sat down to do the editing that I re-evaluated that concept and decided we would concentrate on the months of the election campaign. Since we are dealing with the chronology of the short period from March to June 1986, the film becomes very fast paced. The chronology is interrupted by associative excursions to various periods and different cases, in order to present the character of Kurt Waldheim and the affair itself in a larger context.

KS:      At the beginning of the film we see images that you yourself filmed in 1986 as an activist during the Waldheim affair. To what extent did those images prompt in you a process of reflecting on your own filmmaking? 

RB:      I come from a period when shooting a film was still something extraordinary. Filming is quite special for me, connected with an approach and a mood. I've never been able to integrate a camera into my life permanently. That's why I film quite rarely. Then the material comes to have a special value for me. My perspective and my focus haven't really changed, and I was pleased to see that – especially because it took me a very long time to take my own visual work seriously. I didn't really present my own images until Those who go Those who stay (2014). At that time I simply filmed spontaneously. From the present perspective I'm very proud of my extended pan from the demonstrators shouting "Waldheim, no!", with me spending a very long time on them, to the man calling out "Waldheim, yes!". I only regret that I didn't capture more material during my period as an activist.

KS:      In the beginning of the film you refer to your role at that time as being "half demonstrating and half documenting". Is that a premise that still dominates your work?

RB:      I'm somebody who gets good ideas from the emotions that arise while I’m working, much more than at a desk. I think both are necessary, but I very much like action to be involved. I don't want to observe a demo in a long shot from the sidewalk; I want to be right in the middle of it, close to the people and the faces. And especially in the light of Fake News I regard this film as a manifestation of the fact that documentaries like this – which don't promote themselves with stars or spectacular images – have an import function, so they have to be shown in cinemas to give people a place where they can come together and discuss what's going on these days. I regard it as very important to present the past in such a way that we are forced to think today of Charlottesville, Donald Trump, Hungary or the current Austrian government."


Hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, 75003 Paris 
Tél. : 01 53 01 86 48
« La Valse Waldheim  », Autriche, documentaire, 2018, 93 min, VOSTF : 4 avril 2019, 19h30-21h30
« Retour à Vienne », Autriche, documentaire, 1983, 95 min, VOSTF : 6 avril 2019, 11h00-12h45
« Le pont de papier », Autriche, documentaire, 1987, 95 min, VOSTF : 6 avril 2019, 15h00-17h00
« Vers Jérusalem », Autriche, documentaire, 1990, 87 min, VOSTF, 16 mm : 6 avril 2019 à 18 h
« Ceux qui vont, ceux qui restent », Autriche, documentaire, 2013, 75 min, VOSTF : 7 avril 2019 à 11 h
« La bar-mitsva de Zorro », Autriche, documentaire, 2005, 90 min, VOSTF, 35 mm : 7 avril 2019 à 15 h
« Rêveurs rêvés », Autriche, documentaire, 2016, 89 min, VOSTF : 7 avril 2019 à 16 h 30

Fondation de l’Allemagne
27C, boulevard Jourdan. 75014 Paris
« Fugue orientale », Autriche, documentaire, 1999, 82 min, VOSTF : 5 avril 2019 à 19 h 30

« L'affaire Waldheim » de Ruth Beckermann
Autriche, Ruth Beckermann Filmproduktion, ORF - Österreichischer Rundfunk, avec la participation de l'Austrian Film Institute - Österreichischen Filminstitutes (ÖFI), du Filmstandort Austria - FISA, du Filmfonds Wien, 2018, 93 minutes
Sur Arte le 4 juin 2020 à 00 h 30
Disponible du 02/06/2020 au 31/08/2020
Visuels : 
© Ruth Beckermann Filmproduktion
© Lukas Beck

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Les citations sont du mahJ. Cet article a été publié le 3 avril 2019.

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