lundi 19 décembre 2022

« C’est demain que nous partons ». Lettres d’internés, du Vel d’Hiv à Auschwitz

Le Mémorial de la Shoah, Drancy présente, dans le cadre de la 80e commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv’ (16 et 17 juillet 1942), l'exposition bouleversante « C’est demain que nous partons ». Lettres d’internés, du Vel d’Hiv à Auschwitz« Pour la première fois une grande sélection de lettres d’internés des camps de Drancy et du Loiret » qui, en français ou en yiddish, tentent de rassurer leurs proches concernant leurs conditions de vie, s'inquiètent pour eux, leur expriment leur affection... Souvent les derniers témoignages des déportés juifs assassinés dans les camps nazis d'extermination.


« J’ai choisi la marguerite à cause de ton nom ; il [Georges Horan] a choisi des soleils parce que ce sont de grandes marguerites, mais leurs couleurs sont plus vives, plus éclatantes. Il y a 7 fleurs, parce que cela fait 7 ans que nous nous sommes unis. Je voudrais aussi que ces fleurs te donnent un peu plus de courage, plus de résignation, car je suis effrayé de ton moral aussi bas. Je te croyais plus forte devant l’adversité, et plus philosophe, donc plus résignée. Car qu’est-ce que tout cela à côté de la mort ou de la maladie. Oh je me rends bien compte combien est pénible pour toi la séparation, donc la solitude. » 
« Extrait de la carte datée du 30 janvier 1943 adressée par Alphonse Joel, interné au camp de Drancy, à sa fiancée. A l’occasion de leur 7ème anniversaire de mariage, Alphonse Joel a demandé à Georges Koiransski dit Horan, interné également à Drancy, d’orner la carte de marguerites aux couleurs du soleil. Alphonse Joel est déporté le 16 juillet 1943 à destination des iles anglo-normandes d’où il revient. »

Au Mémorial de la Shoah de Drancy le titre fort de l’exposition « C’est demain que nous partons. » Lettres d’internés, du Vel d’Hiv à Auschwitz « dévoile une émouvante confession écrite dans l’une de ces lettres, ultime témoignage d’un destin brisé par la déportation ».

« Trésors des familles qui les ont confiés au Mémorial, ces lettres sont le témoignage bouleversant de l’humanité derrière les noms et les nombres. Écrites au Vel d’Hiv, à Drancy, dans le Loiret et dans d’autres camps d’internements ces lettres reviennent, 80 ans plus tard, sur ces lieux de mémoire, pour témoigner, à travers leurs auteurs, de la Shoah en France. »

« À partir de la fin de l’année 1940, des dizaines de milliers de Juifs se retrouvent enfermés dans les camps d’internement de la zone libre puis dans ceux de la zone occupée. Leur seul lien avec l’extérieur est alors la correspondance qu’ils peuvent parfois faire parvenir à leurs proches. »

« Avec le déclenchement de la « Solution finale » en 1942 et les déportations, ce fil ténu maintenu avec l’extérieur se transforme en adieux avant la déportation. Ces lettres constituent souvent les dernières traces laissées par les victimes à la veille de leur départ, ou même parfois écrites depuis les wagons qui les emmènent « vers l’Est ». Envoyées depuis les camps d’internement, depuis Drancy ou jetées des trains, ces billets et cartes postales sont les derniers mots des victimes de la Shoah parvenus à ceux qu’ils aimaient. »

« Traduits, retranscrits, les originaux et fac-similés seront étayés de photographies et d’objets liés à la correspondance. Des éléments historiques permettront de mettre en lumière l’importance de la correspondance dans la Shoah, pendant et après la guerre, et son rôle essentiel dans la transmission de la mémoire et de l’histoire du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. »

Les éditions Tallandier ont publié « Lettres de Drancy » dont l'introduction est signée par Denis Peschanski. Des textes réunis et présentés par Antoine Sabbagh, historien, éditeur et ancien enseignant à l'université Paris-3 (Sorbonne Nouvelle) et à Columbia University (programme parisien).
« Ma très chérie. Nous voici en route pour X. Aucune idée. Tous les tuyaux circulent, Allemagne, Pologne aussi bien que Pyrénées. On verra bien… Ça peut être très long. Mais on reviendra. Je ne crains qu’une seule chose, c’est de vous voir nous rejoindre. » 27 mars 1942, jeté du premier convoi Drancy-Auschwitz. Ce recueil de 130 lettres témoigne de l’internement et de la déportation des juifs en France entre 1941 et 1944. Une persécution dont l’été et le printemps 1942 constituent le tournant, avec la grande rafle du Vél’d’Hiv. Les internés, leur famille, de simples témoins disent leur angoisse, leurs préoccupations quotidiennes, leur incompréhension. Ils tissent un récit à plusieurs voix, issues de la France entière et convergeant vers le camp de Drancy, antichambre de la déportation et de l’extermination.  »

« DES LETTRES POUR RETRACER L’HISTOIRE
Les lettres recouvrent l’intégralité de l’histoire de la Shoah. De l’internement dans les camps et à Drancy, ultime étape avant la déportation, proches et déportés n’auront eu de cesse d’écrire. Après l’arrestation, à travers l’écriture à leur famille, leurs amis, leur employeur, leur logeur, les personnes internées tentent d’anticiper leur absence, dont la durée est incertaine. Si certaines lettres tentent d’obtenir une libération auprès des autorités administratives ou par le biais de proches, d’autres sont marquées par un sentiment d’adieu, à mesure que le départ approche. Après la guerre, la lettre administrative fera son retour, sous la plume des rescapés qui tenteront de retrouver la trace des membres de leur famille disparus. »

« LETTRES OFFICIELLES, MOTS CLANDESTINS
Pour les internés, dont le quotidien est marqué par l’incertitude, la lettre a un double rôle. Contrôlée, elle est l’unique moyen de se procurer des vêtements et de la nourriture. Censurée, elle sert à la fois à rassurer ses proches et à les avertir du danger. Brutalement coupé du monde extérieur, l’interné n’a que l’écriture pour tenter de répondre à l’incertitude réciproque quant au devenir de l’autre. Ecrites à Drancy la veille du départ ou jetées du train, elles sont, parfois consciemment, un adieu définitif. »

Carte adressée à Lina Rose Braunthal, internée au camp de Drancy par Mme Gouyon sa voisine. La carte est refusée par la censure et renvoyée à son expéditeur. Lina Rose Braunthal est arrêtée lors de la rafle du Vel d’Hiv et internée à Drancy le 16 juillet 1942. Elle est déportée par le convoi 34 du 18 septembre 1942 parti de Drancy. Elle est assassinée à Auschwitz. »

« ÉCRIRE A TOUT PRIX
Cette exposition permettra de comprendre comment les internés et les déportés écrivaient : quels moyens étaient utilisés pour se procurer du papier, pour faire parvenir le courrier, dans les circuits légaux et de manière clandestine. Le papier étant une denrée rare dans les camps d’internement, et plus rare encore à Auschwitz-Birkenau, la difficulté  à se procurer de quoi écrire pousse les internés à avoir recours à divers supports, certains conventionnels, comme les cartes postales, d’autres moins. Jusque dans les trains qui les emmènent à l’est, et au coeur-même d’Auschwitz, par besoin d’écrire à tout prix, pour les autres et pour soi, les déportés n’auront eu de cesse de chercher des supports et des moyens de faire parvenir leurs mots. »

« UN CONVOI, UNE LETTRE
73 convois partirent de France à destination des centres de mise à mort, majoritairement Auschwitz-Birkenau. A l’occasion de la commémoration du 80e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, conduite les 16 et 17 juillet 1942 avec la collaboration de la police française, le Mémorial de la Shoah commémora, notamment à travers cette exposition, les victimes de la Shoah. Chaque convoi a été rappelé par une lettre d’une des personnes déportées par ce convoi, le tout intégré au sein d’une frise, fruit d’un travail de recherche inédit.
« Nous t’écrivons en ce moment dans un wagon car depuis ce matin nous sommes en route vers une destination inconnue. »
Extrait de lettre datée du 6 août 1942 jetée du train par une inconnue déportée par le convoi 15 parti de Beaune-la-Rolande le 5 août 1942 à destination d’Auschwitz-Birkenau. »


QUESTIONS AUX COMMISSAIRES DE L’EXPOSITION

Le Commissariat scientifique est assuré par Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah, et Tal Bruttmann, historien, et la coordination générale et scénographie par Gaëlle Seltzer Studio.

« En quoi ces lettres sont-elles des sources indispensables à la compréhension du quotidien dans les camps, de l’incompréhension ou de l’incertitude, de l’espoir ou de la peur avant la déportation ?
Ces lettres sont le témoignage sur le vif de la réalité vécu par les personnes arrêtée, internée, avec pour seul filtre les précautions que l’on prend quand on s’adresse aux gens qui nous sont chers, pour ne pas les blesser, les inquiéter davantage. Leur contenu est parfois très pragmatique, terre à terre, avec des conseils sur la conduite à tenir, ou des demandes d’approvisionnement en tout genre. Parfois, elles sont pleines de réflexion sur le passé ou sur l’avenir, sur la foi ou les rapports entre les êtres humains. 
Chaque courrier est un instantané, pris sur le vif, qui renseigne précisément sur ce que les déportés savaient de la « destination inconnue » où on les envoyait.

Pensez-vous qu’elles constitueront les « témoignages » après la disparition inévitable des témoins ?
Leur conservation est indispensable pour rappeler l’histoire et la mémoire des personnes qui les ont écrites, elles sont la voix des milliers d’hommes de femmes et d’enfants qui ont disparu dans la Shoah. Mais elles sont aussi de véritables documents d’archives nécessaires aux historiens pour écrire l’histoire.

Quelles solutions trouvaient les déportés pour se procurer papier et crayon, denrées rares dans les camps ?
Tous les moyens sont bons. Plusieurs courriers font état de demande de papier et d’encre à ajouter dans la composition des colis. L’entraide, la débrouille sont au cœur du système. Mais parfois c’est un véritable commerce clandestin qui se met en place, les timbres, le papier et le passage des lettres clandestines se font au marché noir.

Comment êtes-vous parvenus à retrouver à quel convoi appartenaient chacune des lettres ?
La majorité des lettres nous ont été confiées par les familles des déportés. À partir du moment où nous avons le nom de celui qui écrit, il est malheureusement facile de retrouver le convoi par lequel il a été déporté puisque tous les juifs déportés de France sont aujourd’hui identifiés, leur noms gravés sur le Mur des Noms. Mais il arrive que des lettres soient trouvées seulement signées d’un prénom ou d’un surnom et dans ce cas, identifier l’auteur est bien plus difficile. Dans l’exposition seront présentées quelques lettres dont nous n’avons pu identifier les auteurs. Peut-être que des visiteurs seront en mesure de nous aider à les identifier.

À quelle fin les enfants et petits-enfants des auteurs de ces lettres vous confient-ils ces trésors familiaux, derniers souvenirs de leur parent ?
Ces dernières années, les archives privées ont été de plus en plus mises en avant, utilisées notamment par les historiens qui, quand ils se livrent à de la micro-histoire, vont s’appuyer sur ces documents. Il y a donc une prise de conscience de la part des familles que ces papiers, ces photos, ces objets qui sont leur patrimoine familial, sont aussi des documents historiques dont l’intérêt dépasse le strict cercle de la famille.
C’est aussi l’aboutissement d’un long travail de persuasion que nous menons auprès des enfants et petits-enfants de déportés, de les assurer que nous saurons nous monter dignes de conserver ces bouts de paires qui sont pour eux, comme pour nous, d’une valeur inestimable. Les conditions de conservation sont également un argument fort qui pèse quant au choix de nous confier les pièces originales plutôt que des copies. 
Et enfin, le fait que nous nous attachons, au quotidien, à rappeler le souvenir des disparus par la présentation de ces documents de mille et façon et dont cette exposition est le parfait exemple. Tous les donateurs de documents que nous avons contacté pour les prévenir de l’utilisation de leur lettre ont donné leur accord sans réserve. Notre seul regret, ne pas avoir pu en présenter davantage. »


« Lettres de Drancy ». Introduction de Denis Peschanski Textes réunis et présentés par Antoine Sabbagh. Tallandier, 2019. 10 €. 368 pages. EAN papier : 9791021038059

Du 27 mars au 22 décembre 2022
110-112 avenue Jean Jaurès. 93700 Drancy
Tél. : 01 42 77 44 72
Ouverture de 10h à 18h tous les jours, sauf le vendredi et le samedi
Visuels :
Zalma Wojakowski montrant la photo de sa femme et de ses enfants, camp de Beaune-la-Rolande (Loiret). France, 20/05/1942
© Mémorial de la Shoah/coll. Régine Betts

La dernière carte écrite par Louise Jacobson à son père, le 12 février 1943. Louise Jacobson est née à Paris le 24 décembre 1924.  Elle est arrêtée avec sa mère le 31 août 1942 suite à une dénonciation. Séparée de sa mère, elle est internée à Fresnes avant d’être transférée à Drancy d’où elle est déportée par le convoi 48 qui quitte Drancy pour Auschwitz-Birkenau le 13 février 1943. 
© Mémorial de la Shoah/coll. Nadia Kaluski

Dessin de David Brainin intitulé « départ massif » et daté du 4 juin 1942. Interné au camp de Compiègne puis au camp de Drancy, David Brainin a été déporté par le convoi 34 du 18 septembre 1942. Il est assassiné à Auschwitz. 
© Mémorial de la Shoah

© Dessin de Georges Koiranski dit Georges Horan, intitulé « la première lettre ». 
Interné au camp de Drancy le 12 juillet 1942, Georges Koiranski est libéré le 12 mars 1943 grâce aux démarches entreprises par son épouse non juive. En 1947, il publie une série d’estampes  pour illustrer l’histoire du camp de Drancy 
© Mémorial de la Shoah

Carte adressée à Lina Rose Braunthal, internée au camp de Drancy par Mme Gouyon sa voisine. La carte est refusée par la censure et renvoyée à son expéditeur. Lina Rose Braunthal est arrêtée lors de la rafle du Vel d’hiv et internée à Drancy le 16 juillet 1942. Elle est déportée par le convoi 34 du 18 septembre 1942 parti de Drancy. Elle est assassinée à Auschwitz. 
© Mémorial de la Shoah/coll. André Weisman

Lettre datée du 6 août 1942 jetée du train par une inconnue déportée par le convoi 15 parti de Beaune-la-Rolande le 5 août 1942 à destination d’Auschwitz-Birkenau. © Mémorial de la Shoah/coll. Monique Zylberberg

Abram Gryntuch et Pinhas Kaliksztajn avec d'autres internés au camp de Pithiviers (Loiret), 1942
© Mémorial de la Shoah/coll. Suzanne Topeza

Mot écrit par Edith Shuhova depuis le Vel d’hiv où elle est internée avec sa famille, et adressé à un camarade de classe pour qu’il lui porte un colis. Edith Shuhova a été arrêtée avec ses parents et ses deux sœurs. Transférés au camp de Pithiviers, ils seront tous déportés sans retour. Edith est déportée par le convoi 13 du 31 juillet 1942. 
© Mémorial de la Shoah/coll. Roland Crédeville

Papillon ajouté aux courriers retournés aux familles par ‘administration du camp de Drancy signifiant que l’interné a été déporté. 
© Mémorial de la Shoah

Jenny Ottenheimer, internée au camp de Gurs, a été déportée par le convoi 17 du 10 août 1942. Le courrier qui lui est adressé est retourné à son expéditeur.
© Mémorial de la Shoah/coll. de Villeroché

Carte datée du 30 janvier 1943 adressée par Alphonse Joël interné au camp de Drancy à sa fiancée. A l’occasion de leur 7 ème anniversaire de mariage, Alphonse Joel a demandé à Georges Horan, interné également à Drancy, d’orner la carte de marguerites aux couleurs du soleil. Alphonse Joel est déporté le 16 juillet 1943 à destination des iles anglo-normandes d’où il revient.
© Mémorial de la Shoah/coll. Melciolle

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Les citations sont extraites du dossier de presse.

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