vendredi 5 février 2021

« L’université de Strasbourg sous le IIIe Reich » par Kirsten Esch

Arte rediffusera le 9 février 2021 « L’université de Strasbourg sous le IIIe Reich » (Forschung und Verbrechen: die Reichsuniversität Straßburg) par Kirsten Esch. « Créée par les nazis en 1941, l’université du Reich de Strasbourg est restée tristement célèbre pour les expériences menées par un professeur de la faculté de médecine sur des victimes de camps de concentration. À cette époque, le doyen du corps médical était Johannes Stein, le grand-père de la réalisatrice de ce documentaire. Que savait-il ? »


« Au XVIe siècle, la réforme gagne Strasbourg qui est convertie au protestantisme. En 1524, Martin Luther réclame l'ouverture d'écoles latines et grecques. Jean Sturm, enseignant au collège de France réfugié à Strasbourg, fonde en 1538, dans l'ancien couvent des Dominicains, le Gymnase, un collège où l'on forme des citoyens et des orateurs. Le blason de l'école est : Eloquence, Sagesse et Piété. En 1566, le Gymnase connaît un vif succès et devient une Académie, promue au rang d'université en 1621. On peut alors y former des bacheliers, des licenciés et des docteurs. Au XVIIème siècle, durant les guerres de Cent ans, la culture et l'enseignement sont relégués au second plan. Cette période marque une coupure dans l'histoire de l'Université ».

« En 1681, Strasbourg devenue française, remet son sort entre les mains du vainqueur, Louis XIV ». Le « Roi-Soleil » vise à « opposer au Gymnase protestant un collège catholique. Il fait transférer à Strasbourg, en 1685 le collège Jésuite de Molsheim qui, en 1617, avait été érigé en université  par une bulle du Pape Paul V pour « empêcher d'accroître l'hérésie de Luther en Alsace ». Ces deux établissements vont cohabiter jusqu'à la Révolution française. En 1793, les collèges et les Facultés sont supprimés. Seule l'Université Luthérienne se maintient un temps par décret de l'Assemblée nationale. Mais la Révolution n'est pas favorable aux institutions de l'ancien régime et la supprime ».

« L'Université reparaît sous l'Empire. Pour le Conseil d'Etat de Napoléon, l'enseignement constitue une priorité. Il regroupe les unités éparses en une nouvelle structure, l'Université Impériale. Le Gymnase est conservé et continue à donner une formation de base. L’Université rayonne au-delà des frontières grâce à des étudiants honorables tels que Gerhardt qui invente l'aspirine, Louis Pasteur pour ses recherches en médecine, Fustel de Coulanges pour ses recherches sur la cité antique ».

« En 1871, la ville est annexée par l'Allemagne. Le Kaiser veut faire de Strasbourg une vitrine de l'excellence allemande. Il crée pour cela une université qui doit servir de modèle. Dans un premier temps, elle occupe les anciens locaux puis le palais des Rohan. De gros travaux sont entrepris : le bâtiment de médecine, derrière l'hôpital civil et le quartier universitaire, dans la nouvelle ville allemande, qui regroupe le palais universitaire et les huit bâtiments des instituts de la faculté des sciences (ainsi que la serre, l'observatoire, le musée zoologique…) »

Après la Première Guerre mondiale, « l'Alsace revient à la France en 1919. L'Université préserve, fait unique alors, une chaire d'histoire des religions ». En 1929, avec notamment Lucien Febvre, l’historien Marc Bloch (1886-1944) crée la revue Annales d'histoire économique et sociale et l'Ecole des annales.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, l'Alsace et la Moselle sont annexées par le IIIe Reich.

« L'Université nazie s'installe à Strasbourg et les facultés de théologie sont supprimées. Les étudiants en médecine trouvent refuge à Clairevivre, les autres à Clermont-Ferrand où certains entrent en résistance à partir de 1942. De nombreux étudiants et personnels de l'Université seront arrêtés et déportés. Clermont-Ferrand est libérée Le 27 août 1945, Strasbourg, le 22 novembre ». C’est ainsi que le site Internet de l’université de Strasbourg évoque la période de l’Occupation. Rectifions : la capitale historique de l’Auvergne et la cité alsacienne sont libérées en 1944.

« Créée par les nationaux-socialistes en 1941, très importante dans la mise en œuvre du projet d’Adolf Hitler, l’université du Reich de Strasbourg (Reichsuniversität Straßburg) a joué un rôle particulier pendant la Seconde Guerre mondiale : bastion de l’identité nationale allemande, elle était censée diffuser l’idéologie nazie en Occident en faisant de l’ombre à la Sorbonne parisienne ».

A la Reichsuniversität Straßburg « se bousculèrent pendant trois ans les savants zélés du régime. La faculté de droit, par exemple, fut mise en place par le juriste Ernst Rudolf Huber, inspirateur des fondements constitutionnels de la dictature nazie ». Ernst Rudolf Huber (1903-1990) était membre, comme Georg Dahm et Karl Larenz, de "l'Ecole Kiel" de droit constitutionnel qui voulait légitimer le Führerstaat, la dictateur du Führer Adolf Hitler, en édifiant une structure légale pour l'ancrer dans l'Etat allemand comme source de pouvoir légitime. Ce qui a mené à son exclusion de l'association des universitaires en droit public en... 1956. Ernst Rudolf Huber a trouvé un poste de professeur en 1962, à Göttingen. Il est l'auteur d'une histoire du droit constitutionnel allemand, notamment prussien, de 1789 à 1933, publiée en huit volumes de 1957 à 1990.

« À cette époque, le doyen du corps médical était Johannes Stein, le grand-père de la réalisatrice de ce documentaire. Que savait-il exactement des crimes commis au sein de sa faculté ? Comment douter que Johannes Stein, n’était pas lui aussi un nazi dévoué, puisqu’il a été choisi pour être le doyen de la faculté de médecine ? »

« C’est donc la moindre des choses que de s’interroger sur ce que savait le doyen Johannes Stein, qui enlevait sa casquette militaire tous les soirs en rentrant dans la maison cossue que lui et sa famille occupaient rue Schiller à Strasbourg. Casquette qu’il avait portée toute la journée : à la Reichsuniversität, il était le seul à donner tous ses cours en uniforme ».

« Sur les bancs des amphithéâtres, les étudiants en médecine étaient eux aussi en tenue militaire. La médecine étant considérée comme stratégique pour la guerre mais aussi pour les « recherches » idéologiquement orientées sur la race, cette faculté de médecine concentrait la moitié des étudiants de la Reichsuniversität de Strasbourg ».

« Dans cette faculté a aussi exercé August Hirt, médecin, SS de la première heure, directeur de l’institut d’anatomie, et bien plus célèbre que son patron. Son nom reste dans l’histoire de Strasbourg, et dans celle du nazisme, pour ses expériences sur des détenus du camp de concentration du Struthof, et surtout pour la « collection de squelettes juifs » qu’il avait en projet, sous couvert de recherches universitaires : pour la constituer, il avait fait venir au Struthof 86 déportés d’Auschwitz qui furent gazés et pour la plupart démembrés. Leurs corps, dont certains portaient encore les numéros tatoués témoignant de leur déportation, furent retrouvés dans des cuves de formol à la libération de Strasbourg, en 1944  ».

« Je n’ai que de bons souvenirs avec mon père. C’est pour ça que j’ai du mal à croire qu’il ait été nazi à ce point… », soupire la mère de la réalisatrice, interrogée dans le film ».

« Elle n’est pas la seule, et de loin, à parler face caméra : des historiens allemands, le professeur d’histoire de la médecine de l’Université de Strasbourg Christian Bonah, la directrice du CERD-Struthof Frédérique Neau-Dufour, le médecin strasbourgeois Raphaël Toledano, apportent tous les éléments historiques nécessaires à la description non plus d’une famille mais bien d’une époque, d’un moment noir ». 


Allemagne, 2017
Sur Arte les 6 juin 2018 à 0 h 05, 8 juin 2018 à 10 h 55, 9 juin 2018 à 16 h 30, 9 février 2021 à 22 h 30
Disponible du 09/02/2021 au 10/03/2021

Visuels :
© SWR/Roland Breitschuh
© SWR/privat/Kirsten Esch
© SWR/Bundesarchiv Berlin

Les citations non sourcées sur le documentaire sont d'Arte. Cet article a été publié le 4 juin 2018.

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