jeudi 12 janvier 2023

Munch « Un poème de vie, d’amour et de mort »

Le Musée d’Orsay propose l’exposition Munch 
« Un poème de vie, d’amour et de mort ». « Cette exposition a pour ambition de montrer l’ampleur de la production artistique d’Edvard Munch (1863-1944), en explorant son itinéraire – soixante ans de création – dans toute sa durée et sa complexité ». Réduite souvent à tort au seul Cri, la peinture symbolique de Munch « occupe une place singulière dans la modernité artistique, plongeant ses racines dans le XIXe siècle pour s’inscrire pleinement dans le suivant. » La vision de Munch associe étroitement l’humanité et la nature « dans la construction même de son oeuvre où certains motifs reviennent de façon régulière dans un univers à la fois cohérent, voire obsessionnel, et en même temps toujours renouvelé. »


« On peut être célèbre et pourtant méconnu : force est de constater que la réception de l’oeuvre de Munch souffre de l’effet réducteur produit par sa cristallisation autour d’une seule image : Le Cri. Son élévation au rang d’icône en a fait une sorte d’écran derrière lequel s’efface l’oeuvre qui l’a permise et lui donne son sens. L’ambition de cette manifestation est de montrer l’ampleur de la production artistique de Munch, en explorant son itinéraire – soixante ans de création— dans toute sa durée et sa complexité. Près d’une centaine d’oeuvres seront exposées, dont environ cinquante peintures majeures et un ensemble important de dessins et d’estampes. »

« Cette exposition s’inscrit naturellement dans un des grands axes de programmation du musée d’Orsay qui s’attache, depuis sa création, à faire découvrir ou redécouvrir les grandes figures qui ont tracé la voie de la modernité, française mais aussi internationale. Plusieurs manifestations ont été ainsi consacrées à l’art du Nord de l’Europe, comme, en 2012, au grand peintre finlandais Akseli Gallen-Kallela (1865-1931), ou, plus récemment, au symbolisme dans les pays baltes (Ȃmes sauvages, 2018). En 1991 déjà, une première exposition avait été consacrée à l’artiste norvégien. Intitulée Munch et la France, elle s’attachait plus particulièrement à ses années parisiennes. La dernière exposition qui lui a été consacrée en France (Centre Pompidou - Musée national d’art moderne, 2011) abordait sa création en prenant pour prisme son « oeil moderne ». Cette présentation d’ampleur, plus de dix ans plus tard, assume une dimension rétrospective, et embrassera l’ensemble de la carrière de l’artiste. »

« L'œuvre de Munch occupe dans la modernité artistique une place charnière. Elle plonge ses racines dans le XIXème siècle pour s’inscrire pleinement dans le suivant. Plus encore, son œuvre tout entière, des années 1880 à sa mort, est innervée par une vision du monde singulière lui conférant une puissante dimension symboliste. Le symbolisme chez Munch ne se réduit pas en effet aux quelques chefs-d’œuvre qu’il a créés dans les années 1890. L'historiographie traditionnelle a eu tendance à élever au rang d’icônes indépassables ces quelques œuvres, quitte à dénigrer parfois sa production plus tardive, ou au contraire à voir en elles un expressionnisme précoce. Plutôt que d’opposer un symbolisme fin-de-siècle à un expressionnisme qui ancrerait Munch dans la scène moderne, sera proposée une lecture globale de son œuvre mettant en avant sa grande cohérence. »

« C’est pourquoi le parcours proposé ne s’astreind pas à une logique chronologique ; il se construit plutôt sur le principe du cycle, qui a joué un rôle clé dans sa pensée et son art. Fasciné par le concept de métabolisme, Munch exprime en effet fréquemment l'idée que l'humanité et la nature sont inexorablement unies dans le cycle de la vie, de la mort et de la renaissance. Dans ce cadre, il élabore une iconographie inédite, en grande partie inspirée par les philosophies vitalistes de Friedrich Nietzsche et d'Henri Bergson. Munch l’a lui-même souligné en parlant de sa Frise de la Vie : « ces toiles, il est vrai relativement difficiles à comprendre, seront […] plus faciles à appréhender si elles sont intégrées à un tout. » On peut relire dans une perspective analogue les grands projets qui l’ont occupé à d’autres moments de sa carrière, comme le décor réalisé pour la nouvelle Université d’Oslo (alors Kristiana). »

« La notion de cycle intervient ainsi à plusieurs niveaux dans l’oeuvre de Munch. Elle est un outil essentiel pour la compréhension globale de sa peinture, mais elle intervient aussi dans la construction même de ses toiles, où certains motifs reviennent de façon régulière. Seule cette lecture permet d’appréhender pleinement son processus créatif singulier, qui le conduit à réaliser régulièrement de nombreuses déclinaisons d’un même motif, mais aussi plusieurs versions d’un même sujet, passant sans rupture d’un médium à un autre. »

« L’exposition invite donc à revoir dans sa globalité l’œuvre de Munch en suivant le fil d’une pensée picturale toujours inventive : une œuvre à la fois foncièrement cohérente, voire obsessionnelle, et en même temps constamment renouvelée. »

L’exposition comprend environ 100 œuvres dont 47 peintures, réparties sur 9 salles.

Elle est organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie, Paris en partenariat exceptionnel avec le MUNCHMuseet, Oslo.

Le Commissariat est assuré par Claire Bernardi, Directrice du musée de l’Orangerie, avec la collaboration d’Estelle Bégué, Chargée d’études documentaires au musée d’Orsay.


« Cette exposition a pour ambition de montrer l’ampleur de la production artistique d’Edvard Munch (1863-1944), en explorant son itinéraire – soixante ans de création – dans toute sa durée et sa complexité. La peinture de Munch occupe une place singulière dans la modernité artistique, plongeant ses racines dans le XIXe siècle pour s’inscrire pleinement dans le suivant. Sa production tout entière, des années 1880 à sa mort, reflète une vision du monde marquée par une puissante dimension symbolique. »

Le musée propose « une lecture globale de son œuvre mettant en avant sa grande unité ». La vision de Munch associe étroitement l’humanité et la nature « dans la construction même de son oeuvre où certains motifs reviennent de façon régulière dans un univers à la fois cohérent, voire obsessionnel, et en même temps toujours renouvelé. »

L'exposition s'articule autour de huit thèmes : « Explorer l’âme humaine »« La Frise de la vie »« Les vagues de l’amour »« Reprises et mutations du motif »« Le drame du huis-clos »« Mise en scène et introspection »« Le grand décor » et « Epilogue ».

DE L’INTIME AU SYMBOLE
« Nous voulons autre chose que la simple photographie de la nature. Nous ne voulons pas non plus peindre de jolis tableaux à accrocher aux murs du salon. Nous voudrions un art qui nous prend et nous émeut, un art qui naîtrait du cœur. »
(Journal, 1889)
« Le jeune Edvard Munch (1863-1944) n’a pas suivi de formation artistique académique. Il pratique dès l’enfance le dessin et la peinture avec sa tante, Karen Bjølstad, qui l’élève depuis le décès prématuré de sa mère. À l’âge de dix-sept ans, il suit pendant quelques mois les cours du Collège royal de dessin à Oslo, alors appelé Kristiania, et expose pour la première fois deux ans plus tard. »
« En 1885, une bourse d’études lui permet de séjourner une première fois à Paris. Il s’y confronte aux œuvres des naturalistes, appréciés par les peintres norvégiens. Il s’intéresse aussi aux impressionnistes qui faisaient alors scandale en France. Il leur emprunte leur facture rapide et leur traitement libre des couleurs. »
« Munch se détourne très rapidement de la peinture de paysage pour peindre des portraits sensibles de ses proches, principalement ses sœurs Inger et Laura, ou ses amis de la bohème de Kristiania regroupés autour de l’écrivain Hans Jæger. La dimension symbolique de ces scènes intimes devient déterminante au tournant des années 1890, apportant à son oeuvre toute sa singularité. »

EXPLORER L’AME HUMAINE
« On ne doit plus peindre d’intérieurs, de gens qui lisent et de femmes qui tricotent. Ce doit être des personnes vivantes qui respirent et s’émeuvent, souffrent et aiment. Je vais peindre une série de tableaux de ce genre – Les gens en comprendront la dimension sacrée et ils enlèveront leur chapeau comme à l’église. »
(Carnet de notes, 1889-90)
« Les trois œuvres présentées dans cette salle annoncent ce qui sera au cœur de la création de Munch durant plusieurs décennies : l’exploration et l’expression des grands mouvements de l’âme – l’amour, l’angoisse, le doute existentiel. Il revient ainsi sa vie durant, de façon quasi obsessionnelle, sur un nombre resserré de thèmes dont il remanie sans cesse le sens, marquant l’évolution de sa peinture vers le symbolisme au tournant des années 1890. »
« Puberté occupe une place à part dans la peinture de Munch. Elle initie un questionnement majeur dans son oeuvre sur le passage entre deux âges, sur cet état d’instabilité caractéristique des moments déterminants de la vie. Dans Désespoir, le peintre livre avec une intensité rare l’une des clés de compréhension de son oeuvre : la projection du sentiment humain sur la nature environnante. Enfin, dans L’Enfant malade, réminiscence de la mort précoce de sa sœur aînée, il affirme la vocation universelle de ses œuvres, dépassant par leur force l’évocation d’un événement personnel. »

LA FRISE DE LA VIE
« La frise de la vie a été pensée comme une série cohérente de tableaux, qui doivent donner un aperçu de la vie. J’ai ressenti cette fresque comme un poème de vie, d’amour, de mort… »
(La Frise de la vie, 1919)
« Les premières présentations publiques des oeuvres de Munch suscitent critique ou étonnement. »
« Le peintre, soucieux de se faire comprendre, invente une nouvelle manière de présenter son art afin d’en souligner la grande cohérence. Il regroupe ainsi ses principaux motifs dans un vaste projet qu’il finit par intituler La Frise de la vie. Initiée au cours des années 1890, cette série de tableaux fait l’objet de plusieurs grandes expositions. Celle de la Sécession de Berlin en 1902 en constitue un jalon important : pour la première fois, Munch pense l’accrochage de ses oeuvres sous la forme d’un véritable discours, insistant sur le cycle perpétuel de la vie et de la mort. »
« Ce projet occupe à ses yeux une place résolument centrale au point qu’il pourrait résumer l’essentiel de sa carrière. Il travaille tout au long de sa vie sur les toiles qui le composent et en explore les possibilités. Dans les années 1900 et 1910, il se tourne par ailleurs vers des projets liés au théâtre ou au décor architectural dans lesquels il en intègre certains thèmes. »

LES VAGUES DE L’AMOUR
« J’ai symbolisé la communication entre les êtres séparés à l’aide de longs cheveux ondoyants. La longue chevelure est une sorte de fil téléphonique. »
(Projet de lettre à Jens Thiis, vers 1933-40)
« Parallèlement à ses peintures, Munch décline les motifs de La Frise de la vie dans de nombreux dessins et gravures. Il commence à les exposer au même titre que ses toiles, les intégrant pleinement à son discours, dès 1897 à Kristiania ou en 1902 lors de la Sécession de Berlin. »
« Cette salle est organisée autour du lien, sentimental ou spirituel, qui unit les êtres humains entre eux ; Munch le symbolise par la chevelure de la femme, qui relie, attache ou sépare. Ce motif devient un élément presque incarné, qui matérialise les relations entre les personnages et rend visibles leurs émotions. »
« Dans ses évocations du sentiment amoureux, l’artiste projette une vision complexe et toujours ambivalente de la femme. Les figures empreintes de sensualité sont toujours chez Munch une source de danger ou de souffrance potentielle. Alors qu’il fait de sa Madone une icône, un sujet de dévotion, il l’associe pourtant souvent au macabre. »

REPRISES ET MUTATIONS DU MOTIF
« Il y a toujours une évolution et jamais la même – je construis un tableau à partir d’un autre. »
(Projet de lettre à Axel Romdahl, 1933)
« Munch, comme beaucoup d’artistes de son temps, pratique l’art de la reprise. Il décline aussi bien les motifs que la composition générale de ses œuvres, au point que l’on peut considérer de nombreuses toiles ou gravures comme des variations de productions antérieures. Loin de se limiter à une simple question formelle, cette pratique est pour lui pleinement intégrée à la nature cyclique de son oeuvre. Les éléments communs d’une composition à une autre sont un véritable vecteur de continuité entre ses œuvres, quelle que soit leur date de création ou la technique utilisée. »
« Par ailleurs, cet art de la variation lui permet d’approcher à chaque fois un peu plus l’émotion qu’il cherche à provoquer. Grâce aux multiples versions de ses œuvres, il peut en outre garder près de lui un souvenir de sa production, creuset de réalisations futures. »
« Afin de diffuser toujours plus largement son art, Munch s’initie à la gravure au milieu des années 1890. Il trouve dans ce médium un vaste terrain d’exploration dont il s’approprie rapidement les techniques traditionnelles pour produire des œuvres à l’expressivité toujours plus poussée. »

LE DRAME DU HUIS-CLOS
« Pas un de ces tableaux ne m’a laissé une impression comparable à certaines pages d’un drame d’Ibsen. »
(Lettre à Olav Paulsen, 14 décembre 1884)
« Munch se confronte régulièrement au théâtre de ses contemporains, qu’il l’envisage comme source d’inspiration littéraire ou qu’il s’intéresse à la mise en scène moderne et son nouveau rapport à l’espace dramaturgique. Ses premières expériences avec le monde du théâtre datent de sa rencontre en 1894 avec Aurélien Lugné-Poe, directeur du nouveau Théâtre de l’Oeuvre. À l’occasion d’un séjour en France, il réalise en 1896 et puis 1897, les programmes illustrés de deux pièces du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, Peer Gynt et John Gabriel Borkman. »
« Dix ans plus tard, Munch s’investit dans la production d’une pièce, entamant ainsi sa première véritable collaboration avec un metteur en scène. L’allemand Max Reinhardt, fondateur des Kammerspiele, une salle de théâtre berlinoise qui renouvelle le rapport entre la scène et le public, fait appel à lui pour réaliser les éléments de décor d’une autre pièce d’Ibsen, Les Revenants. Cette collaboration se poursuivra pour le drame Hedda Gabler. » « Ces expériences ont une incidence immédiate dans l’oeuvre de Munch ; son approche de la construction de l’espace s’en trouve indéniablement transformée, notamment dans la série resserrée de toiles de 1907, « La Chambre verte ».

MISE EN SCENE ET INTROSPECTION
« La maladie, la folie et la mort étaient les anges noirs qui se sont penchés sur mon berceau. »
(Carnet de notes, non daté)
« Certains thèmes du théâtre d’Henrik Ibsen mais aussi du dramaturge suédois August Strindberg, comme la solitude ou l’impossibilité du couple, font directement écho à l’univers pictural de Munch. »
« Celui-ci va jusqu’à emprunter des scènes précises de leurs pièces dans la mise en scène de certains autoportraits. Il se représente ainsi à plusieurs reprises dans l’attitude de John Gabriel Borkman, un personnage issu du répertoire d’Ibsen, cloîtré dans sa chambre pendant de longues années et prisonnier de ses pensées obsédantes. Cette identification trouve d’autant plus de sens que l’artiste vit dans un certain isolement à partir de 1916, date de son installation à Ekely, au sud d’Oslo. »
« La pratique de l’autoportrait chez Munch ne se limite pas à son dialogue avec le genre dramatique. Au-delà de l’exercice proprement introspectif, s’y exprime un certain rapport de l’artiste aux autres et au monde, oscillant entre implication dans le monde extérieur et retrait intérieur. »
« Souvent augmentés d’une dimension allégorique, les portraits de Munch expriment également une conscience aiguë de la souffrance de la vie, de la difficulté à créer, et du caractère inéluctable de la mort. »

LE GRAND DECOR
« C’est moi, avec la frise Reinhardt il y a trente ans, et l’aula et la frise Freia, qui ai initié l’art décoratif moderne. »
(Lettre de Munch à la communauté des travailleurs d’Oslo, 6 septembre 1938)
« Dans les premières années du XXe siècle, Munch participe à plusieurs grands projets décoratifs et se confronte à la question de la peinture monumentale. Les programmes iconographiques qu’il élabore s’intègrent pleinement à ses réflexions en reprenant des thèmes et des motifs déjà présents dans ses œuvres. »
« En 1904, pour répondre à une commande de son mécène Max Linde, il réalise une série de peintures pour décorer la chambre de ses enfants. Il y reprend certains sujets constitutifs de La Frise de la vie et ajoute des évocations plus directes de la nature. Les œuvres lui sont finalement restituées par le commanditaire qui les juge, à regret, inappropriées.
Entre 1909 et 1916, Munch répond à un concours national organisé à l’occasion du centenaire de l’indépendance de la Norvège, et réalise son grand oeuvre en matière de décoration architecturale : un décor pour la salle d’honneur de l’université de Kristiania. Munch joue dans ce projet à dimension politique une grande part de sa renommée internationale. Il lui faudra de nombreuses années pour convaincre le jury et réaliser plusieurs essais avant d’arriver au résultat final, toujours en place de nos jours. »

EPILOGUE
« Nous ne mourons pas, c’est le monde qui meurt et nous quitte. »
(Carnet de croquis, 1930-1935)

Repères chronologiques

« 1863 : 12 décembre, naissance d’Edvard Munch à Løten en Norvège, fils de Christian Munch, médecin militaire, et de Laura Cathrine, née Bjølstad.
1868 : 29 décembre, la mère de Munch décède de la tuberculose. Sa tante maternelle, Karen Bjølstad, se charge dès lors d’élever la fratrie. Pratiquant elle-même la peinture, elle initie Edvard au dessin.
1877 : 9 novembre, Sophie, la sœur aînée d’Edvard, meurt à quinze ans de la tuberculose.
1880 : En décembre, Munch entre pour quelques mois au Collège royal de dessin.
1883 : Munch participe à ses premières expositions collectives : l’Exposition norvégienne de l’Industrie et de l’Art et le Salon d’automne de Kristiania.
1884 : Munch rencontre l’homme de lettres Hans Jaeger et noue ses premiers contacts avec le milieu de la bohème de Kristiania.
1885 : Premier séjour de Munch à Paris. Au début de l’été il débute une relation passionnée avec Milly Thaulow, importante figure de l’émancipation féminine en Norvège, et belle-sœur du peintre Frits Thaulow.
1886 : Le tableau L’Enfant malade (1885-1886) provoque un scandale au Salon d’automne de Kristiania.
1889 : Munch s’installe à Paris. Il y réside principalement jusqu’en 1892 avec de fréquents séjours en Norvège et au Danemark.
1892 : En novembre, exposition personnelle au Verein Berliner Künstler. Ses œuvres choquent profondément le public berlinois et l’exposition doit fermer une semaine après l’ouverture.
1893 : Munch, installé à Berlin, fréquente le cercle littéraire du café Zum Schwarzen Ferkel. Il y côtoie des personnalités telles qu’August Strindberg et Stanislaw Przybyszewski.
1894 : Munch s’initie à la gravure et réalise ses premières eaux-fortes. Il expérimente les années suivantes les techniques de la lithographie et de la gravure sur bois.
1896 : Munch participe pour la première fois au Salon des indépendants à Paris. Il réalise l’affiche de Peer Gynt d’Henrik Ibsen pour le Théâtre de l’Oeuvre et quelques illustrations pour Les Fleurs du Mal de Baudelaire.
1898 : Munch publie plusieurs illustrations de textes de Strindberg dans un numéro spécial de la revue allemande Quickborn. Il rencontre pendant l’été Tulla Larsen et débute avec elle une relation tourmentée qui dure près de quatre ans.
1902 : Munch expose à la Sécession de Berlin un ensemble de vingt-deux tableaux sous le titre « Présentation de plusieurs tableaux de vie ». Il s’agit de la première présentation complète du cycle de la Frise de la vie.
1903 : Munch présente l’exposition de la Frise de la vie à Leipzig en février et mars.
1904 : Le docteur Max Linde, mécène de Munch, lui commande un décor pour la chambre de ses enfants à Lübeck. Il refuse les tableaux mais ne cesse pas de soutenir le peintre.
1906 : Le metteur en scène Max Reinhardt commande à Munch des décors pour les pièces d’Ibsen Les Revenants (1881) et Hedda Gabler (1890).
1908 : À l’automne, en raison d’une profonde et brutale dépression nerveuse, Munch demande à être interné à la clinique du docteur Jacobson à Copenhague. Il y séjourne jusqu’au printemps 1909.
1909 : Munch commence à travailler pour le concours des décors de l’Université de Kristiania (Aula).
1914 : Les projets présentés pour l’Université de Kristiania sont enfin acceptés le 29 mai, après plusieurs refus et modifications.
1916 : Munch achète la propriété d’Ekely, près d’Oslo, où il résidera jusqu’à sa mort. Les décorations de l’Aula sont finalisées et inaugurées le 19 septembre.
1918 : Munch organise l’exposition La Frise de la vie à la galerie Blomqvist de Kristiania. Il publie quelques mois plus tard un livret où il retrace son travail sur la frise.
1937 : Quatre-vingt-deux œuvres de Munch sont confisquées aux musées allemands et à certains collectionneurs privés, car jugées « dégénérées » par les nazis.
1944 : Décès de Munch à Ekely le 23 janvier. Conformément à son testament, rédigé en 1940, l’ensemble de ses biens, dont toutes les œuvres de son atelier et ses manuscrits, sont légués à la ville d’Oslo. »

Citations

« On ne doit plus peindre d’intérieurs, de gens qui lisent et de femmes qui tricotent. Ce doit être des personnes vivantes qui respirent et s’émeuvent, souffrent et aiment – Je vais peindre une série de tableaux de ce genre. Les gens en comprendront la dimension sacrée et ils enlèveront leur chapeau comme à l’église. »
Edvard Munch, 1889-1890

« Dans mon art, j’ai cherché à m’expliquer la vie et son sens – j’ai aussi eu l’intention d’aider les autres à comprendre leur propre vie. J’ai toujours mieux travaillé avec mes peintures autour de moi – je les ai arrangées ensemble et j’ai senti que certaines des images étaient liées les unes aux autres dans le contenu – lorsqu’elles étaient placées ensemble, il y avait immédiatement une résonance entre elles […]. C’est devenu une symphonie. »
Edvard Munch, 1930-1934

« La Frise de la vie a été pensée comme une série cohérente de tableaux, qui doivent donner un aperçu de la vie. Toute la fresque est traversée par la ligne diffuse du rivage, au-delà de laquelle déferle la mer toujours en mouvement ; les diverses formes de la vie se déploient sous le couvert des grands arbres, avec leurs soucis et leurs joies. J’ai ressenti cette fresque comme un poème de vie, d’amour, de mort… »
Edvard Munch, Octobre 1919

« Je ne crois pas à l’art dont l’expression n’est pas contrainte par le besoin qu’a l’homme d’ouvrir son coeur. Tout art – littérature comme musique – doit etre produit avec notre coeur sanguinolent – L’art est notre coeur sanguinolent. »
Edvard Munch, 1890 - 1892

« Mon art est une confession – J’y cherche à clarifier mon rapport au monde. Donc une sorte d’egoisme – Pourtant j’ai toujours pense et senti que mon art permettra aussi d’aider d’autres hommes dans leur recherche de la vérité. »
Edvard Munch, 1927-1934

« L’art est le contraire de la nature. Une oeuvre d’art ne peut surgir que de l’intérieur de l’être humain. – L’art est la forme que prend l’image une fois passée à travers les nerfs de l’être humain – son coeur – son cerveau – son oeil. – L’art correspond chez l’homme à son besoin de cristallisation. La nature est le royaume éternellement vaste d’où l’art tire sa nourriture. »
Edvard Munch, 1907-1908

« Il y a toujours une évolution et jamais la même – je construis un tableau à partir d’un autre. »
Edvard Munch, 1933

Quelques cartels développés

De l’intime au symbole
Nuit d’été, Inger sur la plage
1889
Huile sur toile, 126,5 × 161,5 cm
Bergen, KODE Art Museum (collection Rasmus Meyer)
« Inger était la plus jeune soeur de Munch. Le peintre la représente ici sur la plage d’Åsgårdstrand, un petit village de pêcheurs au sud du fjord d’Oslo où la famille séjourne régulièrement. Le paysage aux rochers arrondis permet d’identifier ce lieu, même si Munch s’éloigne d’une représentation naturaliste en simplifiant les contours. La silhouette blanche d’Inger se détache sur un arrière-plan plus sombre, projection de ses pensées mélancoliques. »

Autoportrait à la cigarette
1895
Huile sur toile
110,5 × 85,5 cm
Oslo, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design
Photo : Nasjonalmuseet/Høstland, Børre
« À Berlin, où il séjourne régulièrement depuis 1893, Munch fréquente les cercles de l’avant-garde littéraire. Il en adopte les codes vestimentaires dans cet autoportrait en dandy, costume sombre et cigarette à la main. »
« Il abandonne ici tout arrière-plan figuratif pour insister sur la dimension symbolique de cet autoportrait. La figure du peintre, au regard halluciné, se détache d’un fond sombre rapidement brossé qui renforce l’impression d’instabilité psychologique et d’inquiétude générale. »

Explorer l’âme humaine
Désespoir. Humeur malade au coucher de soleil.
1892
Huile sur toile
103 x 98 cm
Stockholm, Thielska Galleriet
Photo : © Thielska Galleriet, Tord Lund
« Il s’agit de la première peinture aboutie d’une série consacrée à un motif devenu iconique, celui du Cri. Il qualifia lui-même ce tableau de « premier Cri ». On en retrouve en effet tous les éléments constitutifs : le ciel rougeoyant, aux lignes sinueuses, la forte diagonale de la balustrade, le personnage au premier plan. Ce tableau trouve son origine dans un événement biographique. Munch dit en effet dans un poème l'angoisse qui l’a saisi alors que, malade et fatigué, il observait un coucher de soleil et que le ciel devint rouge sang. »

Puberté
1894-1895
Huile sur toile
151,5 × 110 cm
Oslo, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design
Photo: Nasjonalmuseet/Høstland, Børre
« Ce tableau suscitant un certain sentiment de malaise laisse place au doute sur son interprétation. Munch semble y suggérer toute la complexité émotionnelle du passage de l’adolescence à l’âge adulte. L’ombre de la jeune fille projetée sur le mur, agrandie par l’éclairage latéral, forme un motif étrange qui constitue presque un deuxième personnage dans le tableau. Cette présence menaçante peut être lue comme une projection des angoisses de la jeune fille. »

L’enfant Malade
1896
Huile sur toile
121,5 x 118,5 cm
Göteborgs Konstmuseum, Suède
Prêt exceptionnel
© Göteborgs Konstmuseum. Photo : Hossein Sehatlou
Munch, qui accompagne régulièrement son père médecin dans ses visites, rencontre une jeune malade dont les souffrances lui font revivre le décès de sa propre soeur Sophie, morte quand il n’avait que treize ans. Pour tenter de conjurer ce moment, il reprend le motif toile après toile, rendant la violence de la scène dans sa manière même de peindre. La première version de ce tableau déclenche un scandale lors de sa présentation publique en 1886.

La Frise de la vie
Vampire
1895
Huile sur toile
91 × 109 cm
Oslo, Munchmuseet
Photo : © CC BY-NC-SA 4.0 Munchmuseet
« Ce tableau s’intitulait initialement Amour et douleur. Un ami de Munch, l’écrivain polonais Stanislaw Przybyszewski, y voit l'image de la femme-vampire qui aspire la force vitale de l’homme. Munch reprend à son compte cette interprétation et en modifie le titre. »
« L’ombre projetée à l’arrière-plan dessine une forme menaçante qui se retrouve dans les multiples variations gravées de l'oeuvre. »

Mélancolie
1894-1896
Huile sur toile
81x101 cm
Bergen, KODE Art Museum (collection Rasmus Meyer)
© Dag Fosse / KODE
« Munch puise certains des sujets abordés dans La Frise de la vie dans sa propre expérience et celle de ses amis de bohème. Mélancolie décrit ainsi les sentiments aigus de jalousie et d’amertume qu’éprouve l’écrivain Jappe Nilssen lorsque son amante Oda le quitte pour rejoindre son mari, le peintre Christian Krohg. Le couple est d’ailleurs visible à l’arrière-plan du tableau, s’apprêtant à embarquer au bout de la jetée.  »

Soirée sur l’avenue Karl Johan
1892
Huile sur toile
84,5 × 121 cm
Bergen, KODE Art Museum (collection Rasmus Meyer)
Photo : © Dag Fosse / KODE
« Munch évoque ici l’habitude prise par la bourgeoisie de la ville de Kristiania de se promener chaque après-midi sur l’artère principale de la ville, l’avenue Karl Johan. Il confère à cette scène pourtant banale une dimension angoissante : les passants deviennent de simples silhouettes aux yeux fixes et exorbités, masse anonyme convergeant vers le spectateur. Un seul homme marche à rebours au centre de l’avenue, probable représentation du peintre lui-même. »

Près du lit de mort
1895
Huile et détrempe sur toile non appretée, 90 × 120,5 cm
Signé en bas à gauche : ≪ E Munch ≫
« Bergen, KODE Art Museum (collection Rasmus Meyer)
Munch évoque dans plusieurs de ses œuvres le décès de sa sœur aînée Sophie, ici allongée sur le lit blanc. Il rassemble autour d'elle tous les membres de sa famille. Au premier plan, il convoque le souvenir de leur mère, pourtant décédée depuis près de dix ans. Son teint verdâtre et ses yeux enfoncés donnent à son visage un aspect cadavérique. À ses côtés, le père de Munch, en prière, les mains jointes, son jeune frère Andreas, ses sœurs Laura puis Inger. »

Métabolisme. La vie et la mort
1898-1899
Huile sur toile
172,5 × 142 cm
Oslo, Munchmuseet
Photo: © CC BY-NC-SA 4.0 Munchmuseet
« Ce tableau est intégré pour la première fois à La Frise de la vie lors de l'exposition de la Sécession à Berlin en 1902. Munch le place symboliquement à l’articulation entre le début et la fin de sa frise. » 
« L’homme et la femme, Adam et Ève, sont séparés par un arbre qui se prolonge dans le cadre sculpté par l’artiste. Les branches semblent soutenir une ville, et les racines puisent leur sève dans la terre rendue fertile par la mort que symbolisent deux crânes, l’un humain, l’autre animal. Munch a remanié cette toile en 1918 : le couple était initialement séparé par un buisson, sur lequel reposait un nouveau-né, illustration plus littérale du cycle de la vie. »

Le Cri
1895
Lithographie imprimée en noir. Coloriée à la main en rouge, bleu et jaune
The Gundersen Collection, Oslo, Norvège
Photo: The Gundersen Collection/Morten Henden Aamot
« Munch a décliné à de multiples reprises le motif du Cri. Il s’agit ici de la première version imprimée de l’oeuvre, dont chaque exemplaire était rehaussé à la main. L’inscription reprend quelques mots du texte qu’il a composé autour de ce thème : « j’ai ressenti comme un grand cri infini à travers la nature ».
« Le Cri reprend le motif de Désespoir, mais transforme le personnage au premier-plan en une silhouette hurlante indéfinie. L’oeuvre n’est plus alors la représentation d’une expérience personnelle mais une allégorie universelle des sentiments de peur et d’angoisse. »

Vampire dans la forêt
1924-1925
Huile sur toile, 200 × 138 cm
Oslo, Munchmuseet
Photo : © CC BY-NC-SA 4.0 Munchmuseet
« Munch reprend plusieurs décennies plus tard un motif élaboré à la fin des années 1890. Dans cette variation, le couple est représenté en pied, dans un paysage luxuriant et presque étouffant. Ce même arrière-plan se retrouve dans d’autres tableaux peints au même moment, mettant en scène des couples désunis. L’atmosphère anxiogène de ces oeuvres centrées sur le thème de l’amour destructeur est renforcée par l’évocation de cette forêt primitive. »

Reprises et mutations du motif
Les jeunes filles sur le pont
1927
100 × 90 cm
Huile sur toile
Oslo, Munchmuseet
Photo ©: CC BY 4.0 Munchmuseet
« Ce motif est à l’origine de très nombreuses œuvres peintes et gravées entre la fin des années 1890 et le milieu des années 1930. Il illustre les différents aspects du travail de reprise de Munch. Le groupe de jeunes filles se déplace au fil des versions et évolue en âge. Il s’oppose parfois à un groupe de figures masculines, dont les habits noirs contrastent avec les robes colorées. La dimension symbolique des couleurs fait de ces toiles autant d’allégories du passage de la puberté à l’âge adulte. »

Nuit d’été à Åsgårdstrand
1904
Huile sur toile, 99 × 103,5 cm
Paris, musée d’Orsay
« Munch isole ici l’un des éléments de composition des toiles des Jeunes Filles sur le pont pour en faire le sujet principal de son tableau. Il s’intéresse à l’un des plus beaux bâtiments du port d’Åsgårdstrand : la villa Kiøsterud, que l’on devine à peine tant le large tilleul occupe l’espace de la toile et domine le mur qui en clôture le jardin. »

Le drame du huis-clos
La Mort de Marat
1907
Huile sur toile
153 × 149 cm
Oslo, Munchmuseet
Photo : CC BY-NC-SA 4.0 Munchmuseet
« Le choix de ce sujet est étonnant dans l’œuvre de Munch, où les références historiques sont quasiment absentes. Il transpose dans son univers intime l’épisode de l’assassinat du révolutionnaire Marat par Charlotte Corday en 1793. Il donne à la jeune femme les traits de Tulla Larsen, son ancienne compagne avec qui les relations étaient très conflictuelles. Le peintre fait ici allusion à leur dernière dispute, particulièrement violente, au cours laquelle il a été blessé à la main gauche par un tir de revolver. »

La Meurtrière
1907
Huile sur toile, 89 × 63 cm
Oslo, Munchmuseet
« Cette oeuvre fait partie d’une série homogène de six tableaux intitulée « La Chambre verte ». Elle a pour cadre une pièce exiguë dont les motifs du papier peint viennent saturer l’espace, accentuant le sentiment de claustrophobie qui s’en dégage. Le pan de table au premier plan semble se prolonger à l’extérieur du tableau, impliquant le spectateur dans la scène. Munch reprend ici les partis pris scénographiques de Reinhardt et de son théâtre intimiste. »

Mise en scène et introspection
Autoportrait au bras de squelette
1895
Lithographie imprimée en noir
Collection Gundersen, Oslo, Norvège
Photo: The Gundersen Collection/Morten Henden Aamot
« Munch donne à cet autoportrait graphique la signification d’un memento mori : « souviens-toi que tu vas mourir », nous rappelle-t-il. Le crâne souvent utilisé dans cette iconographie traditionnelle est ici remplacé par le bras de squelette fermant la composition. En inscrivant en miroir deux lettres de son nom, dans le bandeau supérieur, Munch insiste sur la dimension réflexive de cette oeuvre et matérialise ses interrogations sur son identité. »

August Strindberg
1896
Lithographie
60 × 49,5 cm
Oslo, Munchmuseet
Photo : CC BY-NC-SA 4.0 Munchmuseet
« Strindberg et Munch sont amis depuis le début des années 1890, et leurs réunions au café Zum Schwarz Ferkel, où se retrouvaient artistes et intellectuels berlinois. Ce portrait est toutefois probablement à double sens : la faute d’orthographe (Stinberg au lieu de Strindberg) pouvant se traduire par « imbu de lui-même ».
Ce jeu de mots serait en réaction au texte assez critique publié par Strindberg dans La Revue Blanche à propos de l’une des expositions de Munch. »

Autoportrait en enfer
1903
Huile sur toile, 82 × 66 cm
Oslo, Munchmuseet
« Peu de temps après sa rupture tragique avec Tulla Larsen, Munch se représente dans une grande souffrance affective. Le tableau est construit selon le même procédé que l’Autoportrait à la cigarette (présenté dans la première salle de l’exposition) où la silhouette du jeune artiste émerge à mi-corps d’un fond coloré nébuleux. L’effet produit est pourtant radicalement différent, sa nudité renforçant l’impression de profonde vulnérabilité. »

Le grand décor
La Montagne humaine
1909-1910
Huile sur toile, 70 × 125 cm
Non signé
Oslo, Munchmuseet
« La Montagne humaine fait partie du projet de décor initial pour l’université de Kristiania, finalement rejeté par le jury. Munch choisit cette iconographie, un enchevêtrement de corps s’élevant vers le ciel, pour symboliser l’élévation progressive de l’espèce humaine vers le savoir. Elle prend tout son sens quand elle est mise en regard de Vers la lumière, une figure face au soleil levant : l’Homme nouveau au sommet de la montagne, éclairé par la connaissance. »

Hommes se baignant
1907-1908
Huile sur toile
206 × 227 cm
Finnish National Gallery, Ateneum Art Museum, collection Antell
Helsinki, Finnish National Gallery, Ateneum Art Museum. 
Photo : Finnish National Gallery / Jaakko Holm
« En parallèle de son travail sur ses grands programmes décoratifs, Munch réalise plusieurs toiles de baigneurs peintes en plein air sur la plage de Warnemünde, station balnéaire au bord de la mer Baltique. En exaltant la puissance créatrice du corps, Munch témoigne de son intérêt pour la philosophie vitaliste de Friedrich Nietzsche telle qu’elle était comprise à cette époque. »

Epilogue
La Nuit étoilée
1922-1924
Huile sur toile
120.5 × 100 cm
Oslo, Norvège, Munchmuseet
Photo ©: CC BY 4.0 Munchmuseet
« Munch réalise entre 1890 et 1930 plusieurs tableaux portant ce titre, probable écho à La Nuit étoilée (1888) de Van Gogh découverte lors d’un séjour à Paris. Munch exprime ici avec force un thème central de son oeuvre, l’inscription de l’homme dans la nature. Il projette son ombre dans le tableau non pas une, mais trois fois : deux silhouettes et le profil de son visage se découpent sur la neige déposée au pas de sa porte.
Par ce procédé, le peintre fusionne ainsi littéralement avec la nature. »

Extraits du catalogue de l’exposition

Préface de Christophe Leribault, Président des musées d’Orsay et de l’Orangerie
« La réception de l’œuvre du peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944) s’est rapidement cristallisée autour d’une seule image, Le Cri. Son élévation au rang d’icone en a fait une sorte d’écran derrière lequel s’efface l’œuvre qui l’a permise et lui donne son sens. L’exposition présentée au musée d’Orsay comme le catalogue qui l’accompagne ont pour ambition de montrer l’ampleur de la production artistique de Munch, en explorant son itinéraire – soixante ans de création – dans toute sa durée et sa complexité. La peinture de Munch occupe une place singulière dans la modernité artistique, plongeant ses racines dans le XIXe siècle pour s’inscrire pleinement dans le suivant. Sa production tout entière, des années 1880 à sa mort, fut, en effet, innervée par une vision du monde marquée par une puissante dimension symboliste. Plutôt que d’opposer un symbolisme fin de siècle a un expressionnisme qui ancrerait Munch dans la scène moderne, l’exposition, sous l’impulsion de sa commissaire, propose une lecture globale de son œuvre mettant en avant sa grande cohérence.
La notion de cycle est en cela essentielle pour la compréhension de sa peinture. Fasciné par le concept de métabolisme, Munch exprime en effet fréquemment l’idée que l’humanité et la nature sont inexorablement unies dans le cycle de la vie, de la mort et de la renaissance. Elle participe aussi de la construction même de ses toiles, et permet de mettre au jour un processus créatif singulier, qui le conduit à réaliser de nombreuses déclinaisons d’un même motif. Il multiplie les versions d’un même sujet, passant sans rupture d’un medium à un autre. Nous sommes donc invités à revoir dans son ensemble un oeuvre à la fois foncièrement cohérent, voire obsessionnel, et en même temps constamment renouvelé au sens propre.
Cette exposition a été organisée grâce au partenariat exceptionnel noué avec le Munchmuseet d’Oslo. Elle n’aurait pu advenir sans le prêt exceptionnel de plus de soixante chefs d’œuvre de l’impressionnante collection monographique de ce musée, issue du legs par l’artiste de son fonds d’atelier à la ville d’Oslo. Tous nos remerciements vont à son directeur, Stein Olav Henrichsen, ainsi qu’à Jon-Ove Steihaug et à toutes les équipes qui ont si généreusement donné accès à l’ensemble de leurs ressources, alors même que ce projet s’est développé dans des circonstances particulièrement complexes. Outre la crise sanitaire que nous avons tous traversée, cette période fut suivie par le déménagement des collections et l’ouverture du magnifique nouveau bâtiment du musée sur le port d’Oslo.
Nous souhaiterions également exprimer notre sincère gratitude aux institutions publiques et privées qui ont eu l’immense générosité de prêter leurs œuvres pour l’exposition, et tout particulièrement au Nasjonalmuseet d’Oslo et au KODE, le musée d’art de Bergen.
Nous tenons à remercier aussi les auteurs de ce catalogue, spécialistes internationaux de l’artiste, qui par leurs contributions passionnantes participent à la meilleure connaissance de son œuvre en France et à sa relecture.
Ce projet ambitieux et exigeant n’aurait pu voir le jour sans la grande implication de l’ensemble des équipes du musée d’Orsay, qui ont grandement contribué à sa réussite. Que tous en soient chaleureusement remerciés, ainsi que les commissaires, Claire Bernardi, conservatrice en chef au musée d’Orsay devenue depuis directrice de l’Orangerie, avec la collaboration d’Estelle Bégué, chargée d’études documentaires.
Enfin, il convient de souligner la générosité des mécènes français et norvégiens qui ont soutenu avec enthousiasme le projet : Natixis, Yara, Art Mentor Foundation Lucerne, Nexity et Ponticelli. »
Christophe Leribault
Président des musées d’Orsay et de l’Orangerie 

« Faire oeuvre : Munch et le récit de soi » par Claire Bernardi, commissaire de l’exposition
« Dans mon art, j’ai cherché à m’expliquer la vie et son sens – j’ai aussi eu l’intention d’aider les autres à comprendre leur propre vie. J’ai toujours mieux travaillé avec mes peintures autour de moi – je les ai arrangées ensemble et j’ai senti que certaines des images étaient liées les unes aux autres dans le contenu – lorsqu’elles étaient placées ensemble, il y avait immédiatement une résonance entre elles […]. C’est devenu une symphonie. »
Pas plus que Munch n’est le peintre d’une oeuvre unique comme on le dit parfois, son art ne relève d’un expressionnisme impulsif. Un même souci l’anime tout au long de sa vie artistique : expliquer ses oeuvres, aider à les comprendre en rendant manifeste le double lien qui les unit, celui d’une syntaxe commune et d’une composition suivie. On peut y voir sans doute la volonté de peser sur la réception de son travail, mais il faut y reconnaître aussi l’idée profondément symboliste d’une correspondance entre les œuvres, d’une création qui se répond à elle-même comme en musique une symphonie. En suivant l’itinéraire artistique de Munch, on le voit guider la lecture de ses œuvres en élaborant les éléments d’un discours, d’un langage, et faire de leur présentation une narration. Se faisant pour ainsi dire commissaire d’exposition, il invente ses propres dispositifs scénographiques, met en évidence le fi l qui relie les œuvres entre elles, valorise l’idée d’un « nouveau dans le même » en donnant à son travail un rythme cyclique. La conduite de sa carrière artistique elle-même relève de la mise en récit. Des études récentes ont souligné le côté businessman de l’artiste, la part active qu’il prend à l’organisation de ses expositions3, mais aussi le souci de la réception posthume de ses œuvres qui marque les dernières décennies de sa carrière. On peut reconnaître une intention similaire dans cette stratégie de monstration et de legs à la postérité : la prise en compte, à toutes les étapes de la vie de l’œuvre, de la réaction du public, jusqu’à vouloir en exercer la maîtrise.
Mise en récit et mise en scène • Les premières présentations publiques des œuvres de Munch, dans les années 1890, ont joué un rôle central dans sa réflexion et la définition de son programme pictural, en lui faisant concevoir la nécessité de rendre compréhensibles les unes par les autres des images difficiles à décrypter lorsqu’elles sont vues séparément. À chaque nouvel accrochage, Munch modifie l’agencement de ses tableaux et l’intitulé des différentes sections, sa réflexion progressant par essais successifs : il n’existe ainsi pas une Frise de la vie, comme il nommera plus tard cet ensemble d’oeuvres central dans son univers artistique, mais plusieurs séries de peintures, chacune avec sa propre narration visuelle. On dénombre ainsi 10 à 12 présentations de sa « frise » entre 1893 et 1918, sous des titres changeants, avec des contenus divers, des différences de style importantes et des installations variant d’une exposition à l’autre. Enfin, le nombre de tableaux exposés variant de 6 à 22, pas un seul ne fait partie de toutes les séries. Mai Britt Guleng, qui a proposé une analyse de l’évolution de cette présentation, ébauche un rapprochement avec l’analyse syntaxique, qu’il nous paraît intéressant de développer. Les 6 toiles que Munch expose à Berlin, en 1893, sous le titre Étude pour une série appelée « Amour », sont toutes centrées sur ce thème qui est au coeur de son vécu du moment, sorte de métonymie du projet futur. Mais il s’attache très vite à le développer et à l’inscrire dans un tout cohérent : ainsi, pour sa présentation à Copenhague en 1893, après le décrochage anticipé de l’exposition qui avait fait scandale à Berlin, Munch demande à Johan Rhode, peintre et ami danois, de mettre en évidence les œuvres qui ont particulièrement fait sensation et ont été citées dans la presse allemande pour leur style « hâtif » et leur insanité. Surtout, il lui expose sa nouvelle stratégie, les récents événements l’ayant amené à repenser sa façon de montrer ses œuvres, mais aussi de faire œuvre : « Eh bien, ce que je vais faire maintenant sera différent. Je dois m’efforcer à plus de cohérence. » Son exposition à la Sécession de Berlin en 1902, sous le titre « Présentation de plusieurs tableaux de vie », correspond à l’aboutissement d’un processus. Le terme de « frise » est d’ailleurs utilisé à cette occasion. Munch pense une installation beaucoup plus complète, insistant sur le lien entre les œuvres, les 22 peintures, divisées en quatre ensembles, étant accrochées en haut du mur dans un passe-partout en toile. Alors que les thèmes de l’amour et de l’angoisse sont présentés dans les séries précédentes, celui de la mort est introduit dans cette exposition. Surtout, il y présente Métabolisme. La vie et la mort pour la première fois un tableau qui établit un lien entre le début et la fin de la série et dont le titre est donné par Munch lui-même.
Une nouvelle exposition à Leipzig, en 1903, reproduit presque à l’identique celle de la Sécession. À la demande de Munch, une série de photographies est réalisée, qui nous permet de connaître le dispositif d’exposition et les œuvres sélectionnées. Cette demande est intéressante à plus d’un titre : elle vise à garder témoignage de ce moment historique, mais aussi, en fixant la trace de cette présentation, à la faire passer à la postérité. À cette époque, Munch, qui est sensible à ce médium et à son utilité, commence lui-même à pratiquer la photographie.
La scénographie cherche clairement à lier entre elles les oeuvres exposées, les peintures étant disposées une fois encore dans un passe-partout, et les motifs repris dans l’ensemble des gravures présentées en registre bas.
Après plusieurs autres expositions aux contours différents, l’exposition de Kristiania présentée en 1918 à la galerie Blomqvist revêt un caractère particulier. Munch y présente 20 tableaux, datant des années 1890 à 1918, entre lesquels apparaît un écart stylistique important. La frise occupe le haut du mur, la plupart des œuvres représentant une plage avec des arbres. Métabolisme a été retravaillé : le buisson et l’embryon sont recouverts, Adam et Ève figurent dans un bois. Cette exposition intervient alors que Munch réfléchit activement à la présentation de son grand œuvre : entre 1910 et 1916, il exécute une série de dessins, retravaillant les motifs de la frise dans une volonté explicite de cycle décoratif, et non plus comme un ensemble d’œuvres individuelles.
En témoigne notamment un dessin retrouvé dans les archives de Munch : un véritable plan d’accrochage pour La Frise. Les scènes sont étroitement liées par des décorations représentant des arbres aux feuilles caduques.
Bien que le lien causal qui unit ces séries de tableaux ne soit jamais explicite, et qu’aucune corrélation ne soit établie entre les événements, un ordre évolutif selon les présentations donne à voir la structure de la série, et l’atmosphère générale de l’ensemble suggère que l’homme est entraîné par des forces qui le dominent. Mais en ce point précisément intervient l’importance attribuée par Munch au texte. Parallèles à la narration visuelle, les titres donnés aux œuvres dans les catalogues sont une table des matières concentrée des expositions. Ils forment comme un second récit, une séquence d’événements, avec un sujet, une atmosphère, et préparent une « lecture » de la frise par le spectateur par la seule lecture de la liste des œuvres et de leur séquençage. Une cohérence est ainsi acquise peu à peu, que Munch explicite dans une brochure éditée en 1919, Les Origines de « La Frise de la vie », pour trouver une commande : « La Frise de la vie a été pensée comme une série cohérente de tableaux, qui doivent donner un aperçu de la vie. Toute la fresque est traversée par la ligne diffuse du rivage, au-delà de laquelle déferle la mer toujours en mouvement ; les diverses formes de la vie se déploient sous le couvert des grands arbres, avec leurs soucis et leurs joies. J’ai ressenti cette fresque comme un poème de vie, d’amour, de mort… ».
Une stratégie d’exposition maîtrisée • On a pu parler, s’agissant de Munch, d’une politique d’expositions répondant à une stratégie. Cette représentation heurte la doxa de l’histoire de l’art, l’icône répandue dès le début de sa carrière d’un artiste isolé, maudit, vivant uniquement pour créer, et refusant toute activité marchande. Le travail mené ces dernières années par Patricia Berman a contrebattu cette image d’Épinal, en mettant au jour son « business of being Munch » et l’aide de son réseau. (…) On notera surtout que Munch adopte très vite, alors que ce ne sont pas les usages, le mode de l’exposition personnelle, et refuse de participer à nombre d’expositions collectives. Ayant privilégié ce type d’exposition dès 1902, il vit plus des billets d’entrée que de la vente de ses œuvres. Il fait quelques exceptions cependant pour des expositions qui lui permettent d’élargir sa notoriété : ainsi, il continue d’exposer au Salon des indépendants, en raison de l’importance de la scène française, et participe aux expositions internationales, notamment en 1912 à Cologne (où tout de même une salle entière lui est consacrée), à San Francisco, ou encore à New York, à l’Armory Show en 191315. De la même façon, en abandonnant très vite ses contrats avec ses marchands (Paul Cassirer pour les gravures, la galerie Commeter pour les peintures), Munch cherche manifestement à maîtriser la diffusion de ses œuvres. »


Du 20 septembre 2022 au 22 janvier 2023
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing. 75007 Paris
Grand espace d’exposition temporaire
niveau 0
Tél. : 01 40 49 48 14
Mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche de 9 h 30 à 18 h
Jeudi de 9 h 30 à 21 h 45

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