jeudi 27 décembre 2018

« Quelque part dans le désert » de Ron Amir


Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris propose l’exposition politisée « Quelque part dans le désert » du photographe et vidéaste israélien Ron Amir. Des photographies d’immigrés illégaux originaires « du Soudan et de l’Erythrée alors qu’ils étaient retenus dans le centre de détention de Holot, situé dans le désert du Néguev et aujourd’hui fermé » après plus de quatre ans d'activité. Un dossier pédagogique problématique accompagne l’exposition.


« Né en 1973, Ron Amir est une personnalité singulière sur la scène de la photographie contemporaine en Israël. Connu pour ses projets à long terme de photographie engagée socialement, Ron Amir a présenté son travail dans de nombreuses expositions individuelles et collectives, en Israël et à l’étranger. Ron Amir vit et travaille à Tel Aviv ». Il « s’inspire de la vie quotidienne de groupes marginaux pour prendre des photographies mises en scènes de manière rigoureuse, ce qui reflète les relations dynamiques entre ses sujets et » lui.

Dans le cadre de la Saison France-Israël 2018, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente l’exposition itinérante « Quelque part dans le désert » du photographe israélien Ron Amir, montrée en 2016 au Musée d’Israël à Jérusalem. Les commissaires en sont Noam Gal et Emmanuelle de l'Ecotais.

Par trente photographies grand format en couleurs et six vidéos, l’exposition « évoque les conditions de vie de réfugiés venus du Soudan et de Érythrée alors qu’ils étaient retenus dans le centre de détention de Holot, situé dans le désert du Néguev et aujourd’hui fermé. Ron Amir dépeint la vie de plus de 3 500 réfugiés venus du Soudan et d’Érythrée détenus à Holot, un centre de rétention actif entre 2013 et 2017. Ces migrants avaient fui vers Israël pour échapper à la terreur et à l’oppression dans leur pays d’origine et n’étaient pas autorisés à vivre ou travailler légalement en Israël. Bien qu’ils pouvaient se déplacer librement hors du centre d’Holot pendant la journée, ils étaient tenus de pointer matin et soir ». Dirigé par Fabrice Hergott, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris assimile à tort les « migrants » aux « réfugiés », n’explique pas le choix d’Israël comme destination, allègue que le choix de ces immigrés illégaux aurait été entre l’exil en Israël ou l’oppression dans leur pays natal, et feint de s’étonner qu’ils n’aient pas été « autorisés à demeurer et travaille » dans un Etat souverain, dont les lois fixent les conditions d’entrée et de séjour des étrangers. 

Les « photographies de Ron Amir datant de 2014-2016 documentent les activités de journée de ces réfugiés ». Non, il s’agit d’immigrés en situation irrégulière, dont un certain nombre ont sollicité le statut de réfugié, et dont un nombre plus réduit l’a peut-être obtenu.

Ron Amir fixe les traces de la vie, du passage de ces immigrés clandestins : couvertures, etc.

Ces clichés « montrent comment, en plein désert, et sans ressources, ils ont tenté de développer une vie commune et quotidienne. Utilisant des bâtons, du sable, des pierres et toutes sortes d’objets abandonnés, ils sont parvenus à construire des huttes communautaires ainsi que des salons de thé, des bancs, des salles de sport, des fours improvisés et d’autres équipements qui viennent compléter les équipements sommaires prévus à Holot ». Quid de l’aide d’ONG israéliennes à ces immigrés illégaux ? 

« Alors que les réfugiés eux-mêmes ne sont pas visibles sur les photographies, leur créativité, leur instinct de survie et leur sensibilité sont évidents dans les représentations de Ron Amir. « Ce qui ressemble de prime abord à une photographie de paysage se révèle dans un second temps être une photo témoin, empreinte de l’attente avant la libération, du vivre ensemble et de l’espoir d’un foyer ».

« L’une des caractéristiques du travail de Ron Amir tient dans son implication active dans la vie de la communauté qu’il choisit de photographier – généralement aux marges de la société qui nous entoure. Il a ainsi entamé son projet photographique à Holot par des visites sans but prédéfini, si ce n’est de faire connaissance avec les migrants. Dès ses premières visites, les frontières entre action politique et art ont commencé à se brouiller. Contrastant avec la photographie documentaire ou de presse traditionnelle, les photographies de Ron Amir véhiculent plusieurs messages simultanément. Elles témoignent de la détresse sociale tout en racontant la créativité foisonnante des personnes qui la subissent. Elles sont à la fois un document et une métaphore ».

« L’autre caractéristique de son travail est qu’il s’abstient de documenter des événements ou des incidents qui feraient de ces images du reportage pur ». 

« Pour bien regarder ces images, il faut vouloir s’attarder devant chacune d’entre elles plutôt que de chercher à les comprendre toutes d’un bloc, leur consacrer du temps plutôt qu’essayer de les interpréter ».

« Je pense que cette exposition parvient à faire comprendre à chacun qu'il ne s'agit pas de leur histoire mais de notre histoire à tous, dans nos différences. Nous vivons dans un monde où les gens se déplacent d'un endroit à l'autre, parfois par choix, souvent parce qu'ils n'ont pas le choix », souligne Ido Bruno, le directeur du Musée d'Israël à Jérusalem. C’est évacuer les conditions de ces « déplacements » - trafic lucratif d’êtres humains, endettement pour payer les passeurs, etc. - et des questions qu’ils suscitent : droit d’un Etat à décider des conditions et procédures d’immigration sur son territoire, coût de l’accueil, risque d’arrivée de terroristes islamistes parmi cette vague de « migrants », etc. Certains ont improvisé une mosquée avec son mihrab montrant la direction de La Mecque (Arabie saoudite). Pourquoi ces musulmans ont-ils choisi un Etat juif, à la culture si différente de la leur, en refusant de demeurer dans des pays essentiellement musulmans de la région, dont l’Egypte ?

Les « vidéos présentées dans l’exposition renforcent le thème de l’attente, très implicite dans les photographies ». Le temps y est dilué, ou suspendu. Peut-être pour exprimer la perception du temps par des immigrés illégaux attendant une réponse administrative à leurs demandes. Parmi ces vidéos : « DON’T MOVE (ne bougez plus, 2014) ».

Le musée organise des visites-conférences et des activités pour le jeune public, notamment un stage Image et Son. « Que fait Ron Amir lorsqu’il se livre à son activité photographique, s’agit-il d’un travail documentaire ou artistique ? L’artiste regarde les signes de vie laissés par les activités des migrants dans le paysage désertique qui les entoure. En atelier de 3 jours et accompagnés d’un intervenant plasticien et d’une designer, les adolescents expérimentent l’idée de trace à l’aide de différentes techniques et médiums (dessin, collage, photo, captation sonore, montage sonore, vidéo, etc.) et deviennent créateurs et créatrices d’une oeuvre et exceptionnellement curateurs et curatrices du profil Instagram du musée ! »

Au sommaire du catalogue bilingue français-anglais (Éditions Paris Musées) : Avant-propos signé Ido Bruno (Directeur du Musée d’Israël, Jérusalem) et Fabrice Hergott (Directeur du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris), Ron Amir, engagé en photographie, par Noam Gal (Responsable du département de la Photographie du Musée d'Israël à Jérusalem et commissaire de l'exposition), Ron Amir, un photographe agissant, par Emmanuelle de l’Écotais (Commissaire de l’exposition, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris), Nation, migration, médiation, par Arjun Appadurai (Anthropologiste), À propos des demandeurs d’asile en Israël, par Reut Michaeli (Directrice de la Hotline pour les Réfugiés et les Migrants en Israël), et une chronologie. 

Dossier pédagogique
Quant au dossier pédagogique, s’il souligne qu’« il s’agit avant tout d’un projet artistique et d’une collaboration culturelle avec une institution internationale de renom », il indique : « est un artiste engagé en faveur de la paix qui a pris le temps de connaitre et comprendre les migrants. Il a par ailleurs mené un travail auprès de palestiniens (l’interview diffusée dans l’exposition en témoigne). Cette exposition fait écho, elle nous interroge sur une problématique universelle et rappelle le défi que représente l’accueil des migrants ». De manière plus choquante et problématique, ce dossier pédagogique interroge dans le cadre de « Réflexions au cœur de l’actualité » : « Comment les artistes peuvent-ils être des remparts contre les extrémistes de tous bords ? - Faut-il présenter leur travail en faisant abstraction des considérations politiques ? - Comment appréhender les oeuvres de Ron Amir ? Au travers de leur qualité plastique ou parce-que leur sujet est au coeur de l’actualité internationale ? Est-ce une occasion de débattre ? - La situation politique du Proche Orient peut-elle conduire à un boycott des artistes ? » Ces « questionnements » s’avèrent non pertinents - les immigrés illégaux en Israël ne sont pas « au cœur de l’actualité internationale » -, et choquants : le boycott est illégal en France. Quels artistes ce dossier suggère-t-il de boycotter ? Les artistes israéliens ? Après de tels clichés et vidéos de cet artiste engagé, et à part Israël, quel autre pays est visé par cette question ?

On frémit dans la section suivante du dossier intitulée « Les mots pour l’écrire ». Citation : « La jeune romancière Ayelet Gundar-Goshen s’est depuis longtemps intéressée au sujet des migrants africains et au dilemme moral qu’il soulève tout particulièrement en Israël, pays d’immigration bâti par des réfugiés venus d’Europe, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ». D’une part, c’est donner l’impression que le monde artistique israélien est politisé, que la question de l’immigration illégale occuperait une place prépondérante dans les œuvres artistiques. D’autre part, ce dossier dresse un parallèle infondé entre des immigrés africains illégaux et les Juifs – que ce dossier omet de nommer – contraints de fuir l’antisémitisme nazi et du monde Arabe ou/et musulman – un contexte historique tragique omis aussi par ce dossier - et bénéficiant eux, après 1948, de la loi du Retour. En outre, le dilemme moral ne concernerait pas les Etats riverains qui ont refusé d’accueillir ces « migrants africains » ?

Et ce dossier d’ajouter : « Dans Réveiller les lions, son deuxième roman, dont la traduction française est parue à l’automne (aux Presses de la Cité), elle narre l’histoire du Dr Ethan Green, dont la vie bascule lorsqu’il percute un Érythréen à la sortie d’un virage, dans le désert ». 

Suit un extrait de l’interview de la femme de lettres (Télérama, 23/01/2018) : « Au cours de ces dix dernières années, près de soixante-dix mille personnes sont entrées illégalement en Israël pour y trouver refuge. Pour un petit pays, c’est énorme. Ces migrants, qui, pour la plupart, ont droit au statut de réfugiés, sont arrivés par le désert, empruntant le même chemin que les Hébreux de la Bible lors de l’exode d’Egypte. Ce voyage mythologique des réfugiés du peuple hébreu est de facto devenu aujourd’hui celui des réfugiés d’Afrique, aspirant à arriver en Terre promise. Une fois en Israël, beaucoup d’entre eux ont été arrêtés et placés dans un centre de détention ouvert dans le désert. Ils ne peuvent pas travailler, étudier de manière régulière ou mener une vie normale. Beaucoup sont donc repartis, et le gouvernement israélien veut inciter ceux qui sont restés à faire de même… L’histoire de Réveiller les lions se déroule dans le Néguev. C’est l’arrière-cour d’Israël, où les taux de pauvreté et de délinquance sont plus élevés qu’à Tel-Aviv ou Jérusalem. Le désert n’est pas seulement éloigné sur le plan géographique, il est aussi distant sur le plan psychologique : on ne pense pas aux Bédouins ou aux réfugiés africains, ils se trouvent dans un coin de notre tête. En plus d’être une périphérie géographique et sociale, le désert est une métaphore de ces lieux de notre conscience auxquels on ne touche pas, que l’on a supprimés, et auxquels on n’ose réfléchir. Les deux personnages, Ethan et Liat, doivent faire face à des aspects de leur âme auxquels ils n’avaient jamais été confrontés. »

Et d’ajouter : 
« Le 18 janvier dernier, un appel signé de trente-cinq écrivains majeurs d’Israël dénonçait le sort fait aux réfugiés africains dans un pays construit par des réfugiés. Un paradoxe dont se saisissent depuis plusieurs années de nombreux créateurs.
La situation des migrants d’Afrique orientale, qui ont traversé à pied le Sinaï égyptien pour échapper aux persécutions, à la conscription militaire ou aux tortures, interpelle régulièrement le monde de la culture en Israël. Jeudi 18 janvier 2018, trente-cinq des écrivains les plus importants du pays, dont Amos Oz, David Grossman, A.B. Yehoshua, Zeruya Shalev ou Etgar Keret, ont adressé une lettre au Premier ministre israélien pour l’exhorter à renoncer au plan d’expulsion des demandeurs d’asile.
« Nous vous demandons d’agir avec la moralité, l’humanité et la compassion qui font la valeur du peuple juif. Faute de quoi nous n’aurions pas de raison d’exister. »
Pour les quelques quarante mille migrants africains résidant dans l’Etat hébreu, le couperet est tombé le 3 janvier 2018. Ce jour-là, le gouvernement de Benyamin Netanyahou lançait un programme destiné à imposer à ces réfugiés en situation irrégulière – principalement érythréens et soudanais – le choix entre l’exil ou leur incarcération pour une durée indéterminée. »
Le dossier pédagogique contient aussi un lexique : apatride, demandeur d’asile, émigration, immigration, liberté de circulation, migrant. Pas de définition de « réfugié », ni d’un Etat souverain.

A aucun moment ce dossier pédagogique ne donne la parole au gouvernement israélien, aux partisans du contrôle des frontières, d’une politique de l’immigration maîtrisée. Cette absence de voix discordante surprend dans un établissement culturel public régi par la neutralité du service public.

Il élude certaines statistiques qui contrarient sa présentation biaisée des faits : "en 2011, Israel a absorbé 95 fois plus d'immigrés illégaux que ne l'a fait l'Espagne, et plus d'immigrés érythréens que tout autre pays au monde, y compris l'Ethiopie. Les immigrés illégaux se sont installés surtout dans les quartiers pauvres de Tel Aviv. Le nombre de crimes violents dans ces zones est monté en flèche avec leur arrivée. Le nombre d'agressions sexuelles dans les quartiers à pourcentage élevé de migrants africains était 3,5 fois plus élevé que celui dans la population générale. Celui des crimes violents était 2,5 fois plus élevé. Les vols survenaient six fois plus souvent. Un sondage auprès des habitants de ces zones par la police israélienne en 2015 a montré que seulement 38% se sentaient en sécurité hors de leur maison à la nuit tombée. Seulement 43% se sentaient en sécurité dans leur maison le soir". Cela ne méritait-il pas d'être noté dans les dossiers de presse et pédagogique du musée ? Les victimes de ces violences, les habitants israéliens terrorisés vivant dans cet environnement devenu dangereux, n'ont pas eu l'heur d'intéresser Ron Amir...

En outre, la "Cour administrative fédérale de la Suisse en 2017, et des délégations officielles de Grande-Bretagne et du Danemark ont conclu que les Érythréens, qui représentent les trois-quarts des migrants, peuvent  retourner chez eux en toute sécurité, sans aucune crainte de  punition. Des cours européennes et le Haut Commissaire onusien pour les réfugiés (UNHCR) ont conclu que ces migrants pouvaient retourner dans leur pays d'origine sans peur de sanction. C'est dans ce contexte que la Knesset a voté une loi imposant leur expulsion d'Israël".

Qui a élaboré et validé ce « dossier pédagogique » ?

C’est d’autant plus inquiétant que d’une part cet événement se présentant comme artistique s’intègre dans la Saison France-Israël, et d’autre part, que le musée d’art moderne de Paris, déjà dirigé par Fabrice Hergott, avait présenté l'exposition controversée et choquante Gaza 2010 de Kai Wiedenhöfer, premier Prix Carmignac Gestion du photojournalisme 2009.

On ne peut que constater la simultanéité entre cette manifestation artistico-politique et la signature du Pacte onusien mondial sur les migrations sûres, ordonnées et régulières.

L'IMA (Institut du monde Arabe) a publié sur son site Internet une page d'information sur la conférence "Main basse sur Israël. Netanyahou ou la fin du rêve sioniste" qui aura lieu le 3 janvier 2019 à l'IMA, présidé par Jack Lang, ancien ministre socialiste. Un dessin illustrait la présentation de cette conférence avec Jean-Pierre Filiu, professeur des universités en histoire du Moyen-Orient, Sciences Po Paris, Dominique Vidal, historien et journaliste, spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient, collaborateur au Monde diplomatique, et Stéphanie-Latte Abdallah, historienne et politiste, chargée de recherche au CNRS-CERI, d’abord spécialisée dans le domaine des réfugiés et de l’histoire des femmes dans les camps palestiniens de Jordanie. Un dessin montrait des personnages affublés de masques à l'effigie du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et aux mains rougies. Aliza Bin Noun, ambassadrice d'Israël en France, a exprimé son indignation sur son compte Twitter : "Intolérable et scandaleux qu’un institut public diffuse de tels visuels diffamatoires et attisant la détestation d’#Israël pour présenter un soi-disant “débat” déjà à charge. L’@imarabe a franchi la limite de la critique objective et se rend coupable d’incitation à la haine". Le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) s'est indigné aussi. L'IMA a retiré ce dessin infamant de son site Internet.

Alors pourquoi l'ambassade d'Israël en France, les responsables de la Saison France-Israël, le CRIF et d'autres organisations juives françaises n'ont-elles pas réagi contre la politisation de cette exposition, notamment par son dossier pédagogique ?

Don’t move (Ne bougez plus, 2014)
Ron Amir « travaille à l’ancienne, avec un appareil photographique à plaques de large ou de moyen format considéré comme classique, voire obsolète, et particulièrement contraignant. Dans la vidéo Ne bougez plus, l’artiste peine à garder ses modèles immobiles suffisamment longtemps pour les photographier, le processus de création étant particulièrement fastidieux. Le travail à la chambre nécessite en effet un matériel lourd et encombrant, ainsi qu’un long temps d’exposition. Pendant la prise de vue, les modèles chassent l’ennui en photographiant le photographe avec leur téléphone portable. Cette interaction dure jusqu’au coucher du soleil, tandis que l’image devient difficilement visible sur l’écran et que les réfugiés doivent retourner au camp de détention. »

La « vidéo montre à quel point une séance de pose avec un tel matériel est laborieuse. Ron Amir photographie un groupe de réfugiés dans les alentours de Holot, et le temps nécessaire aux différentes mesures de lumière, instructions de placement et changements des plaques semble rivaliser avec le déplacement du soleil. Quand le jour s’assombrit et que la nuit tombe dans le désert, tous doivent quitter les lieux, mais l’artiste leur demande encore de ne pas bouger, l’attente interminable de leur libération du centre de Holot se superpose avec l’attente du « moment décisif » du photographe. C’est toute la relativité du temps que l’on observe dans le travail de Ron Amir : le temps du projet, le temps de la prise de vue, le temps qui s’écoule en rétention, le temps qui passe, le temps qu’il faut pour créer une image, et la capacité de la vidéo à enregistrer tous ces temps. Ces différentes échelles du temps invitent et incitent le spectateur à s’attarder. Cette vidéo induit un dialogue à propos de l’histoire de la photographie, juxtaposant l’appareil photographique grand format généralement considéré comme obsolète, et les technologies plus modernes ».

L’organisation du centre de détention
Les « demandeurs d’asile, qui sont retenus à Holot pour des périodes allant de trois mois à un an, sont autorisés à quitter le centre pendant la journée. Parmi ceux qui choisissent de sortir, certains passent leur temps à errer dans les plaines de Nitzana. Les photographies de Ron Amir nous éclairent sur les activités organisées par les réfugiés hors du centre. Utilisant les maigres ressources à leur disposition telles que des bâtons, du sable et des pierres trouvés dans le désert du Néguev environnant, ils construisent des huttes dans le style africain : salons de thé, salles de sport, ou des fours improvisés viennent agrémenter les équipements sommaires prévus dans le camp. »

Les « réfugiés se réunissent parfois aux points de rencontre pour préparer des plats africains avec des produits achetés aux marchands bédouins, dîner ensemble ou simplement s’asseoir, fumer, écouter de la musique ou prier ». 

« Tout ce qu’ils trouvent dans le voisinage peut leur servir, à cela ou à autre chose – et Ron Amir documente les traces de leurs activités. Beaucoup d’endroits photographiés servent de lieux de stockage ; d’autres nous permettent d’identifier leur propriétaire ».

Ron Amir « photographie tôt le matin, avant l’ouverture du centre et le commencement de l’activité. Mais plutôt que de photographier les hommes, Ron Amir a choisi d’évoquer leur vie quotidienne à travers leurs constructions fragiles et éphémères. Absents des photographies, leur créativité, l’instinct de survie et la sensibilité culturelle des réfugiés apparaissent de manière évidente dans ces images ».

« Ce qui ressemble de prime abord à une belle photographie de paysage se révèle comme une photographie de traces. Les traces d’un emprisonnement en pleine nature, les traces d’une attente interminable, celle de la libération. »

Biographie

Ron Amir est né dans le kibboutz de Yehi’am, Israël en 1973 ; vit et travaille à Tel-Aviv.
Licence d’arts plastiques, école des beaux-arts Hamidrasha, université de Beit Berl
Master d’arts plastiques, département d’Art, université de Haïfa
2005-2009 Enseignant au lycée de Jisr al-Zarqa
2009-2014 Enseignant à l’école de photographie Musrara, Jérusalem
2010-2015 Enseignant à l’école d’art Minshar, Tel-Aviv
Depuis 2006 Enseignant à l’école des beaux-arts Hamidrasha, université de Beit Berl

Expositions personnelles
2004 « Mer/Terre » (avec Amar Darbas), Galerie d’art israélien, kibboutz Cabri
2006 « Entre les deux », Centre Weil, Kfar Shmaryahu ; commissaire : Ester Beck
2007 « Barzach », Galerie Hamidrasha, Tel-Aviv ; commissaire : Doron Rabina
2009 Galerie d’art Dana, kibboutz Yad Mordechai
2011 « Aïd al-Fitr », Galerie Hamidrasha, Tel-Aviv ; commissaire : Boaz Arad
2012 « Présence invisible », Galerie des Ateliers d’artistes, Tel-Aviv ; commissaire : Vered Zafran Gani
2013 « Laine d’acier », Galerie Hezi Cohen, Tel-Aviv ; commissaire : Ofra Harnam
2014 « Jisr al-Zarqa, aller et venir », musée d’Art de Haïfa ; Centre israélien d’Art numérique, Holon
2016 « Doing Time in Holot », musée d’Israël, Jérusalem ; commissaire : Noam Gal
2017 « As It Seems », Galerie Hezi Cohen, Tel-Aviv ; commissaire : Ofra Harnam
2018 « Quelque part dans le désert », Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, commissaires : Noam Gal et Emmanuelle de l’Écotais

Expositions collectives (sélection)
2002 « Croire que le jour viendra », Galerie d’art Um El Fahem et Galerie Rosenfeld, Tel-Aviv
2003 « Grains », musée de la Ville de Haïfa ; commissaire : Yehudit Matzkel
« Diplômés des écoles de photographie », musée de la Photographie en plein air, Tel Hai ; commissaire : Naama Haikin
2004 « Vaisseaux reliés », projet artistique présenté au Festival Acco ; commissaire : Drora Dekel
« Photographies », Galerie Hamidrasha, Tel-Aviv ; commissaire : Doron Rabina
2005 « Art du territoire 4 : énergie », Centrale électrique Reading, Tel-Aviv ; commissaire : Doron Rabina
2007 « L’Autre Mer », Maison des Artistes, Jérusalem ; commissaires : Ketzia Alon, Dalia Markovitz
2008 « Rencontre », Galerie Dvir, Tel-Aviv
« Paysages panoramiques », musée d’Art contemporain de Herzliya ; commissaire : Dalia Levin
« La vaste région », Galerie Agora, Jaffa ; commissaire : Sari Golan.
2009 « 29 km », Galerie d’art d’Umm al-Fahm ; commissaire : Shlomit Bauman
« Lauréats des Prix du ministère de la Culture et de l’Éducation », musée d’Art d’Eïn-Harod ;
commissaire : Galia Bar Or
« Kol Yisrael Haverim », la Galerie Sociale, Musrara, Jérusalem ; commissaire : Dafna Ichilov
« Marchés en éveil », théâtre Tmuna, Tel-Aviv ; commissaire : Maayan Amir
2010 « Voisins », Galerie du Körnerpark, Berlin ; commissaire : Reviva Regev
2011 « Maisonnée : projet d’art communautaire », kibboutz Ourim et kibboutz Beeri ; commissaire : Sari Golan
« Blowing on a Hairy Shoulder / Grief Hunters » (« Souffler sur une épaule poilue / Chasseurs de chagrin »), Institut d’Art contemporain, Philadelphie ; commissaire : Doron Rabina
« Numérateur & Dénominateur », musée d’Art contemporain de Herzliya ; commissaires : ZaliGurevich, Tsibi Geva, Dalia Levin, Tal Bechler
2012 « La Voie du professeur », Active Space, Centre Amiad, Jaffa ; commissaire : Ayelet Hashachar Cohen
« Provenance », Galerie Hezi Cohen, Tel-Aviv ; commissaire : Ofra Harnam
« Il y a des boulettes de viande dans le réfrigérateur », Galerie Hamidrasha, Tel-Aviv ;
commissaire : Boaz Arad
2013 « Ce qui adviendra », Galerie Binyamin, Tel-Aviv ; commissaire : Etty Schwartz
« Tatouages : représentations du tatouage dans l’art contemporain », Galerie du sénat, faculté d’art, université Ben Gourion du Néguev ; commissaires : Yasmine Bergner, Haim Maor
« La femme de Lot : le regard photographique », musée de la Photographie en plein air, Tel Hai ; commissaire : Naama Haikin
La Biennale méditerranéenne à Sakhnin ; commissaires : Belu Simion Fainaru, Avital Bar-Shay
2014 « Lauréats 2013 des prix d’Art et de Design du ministère de la Culture et des Sports », musée d’Art de Haïfa ; commissaire : Orit Bulgaru
2015 « Feu et Oubli. De la Violence », KW Institut d’Art contemporain, Berlin ; commissaires : Ellen Blumenstein et Daniel Tyradellis
« La Mer postérieure », musée d’Art d’Ashdod ; commissaires : Yuval Biton et Roni Cohen Binyamini
2016 « En armes. Feu et Oubli 2 », musée des Arts appliqués, Francfort ; commissaires : Ellen Blumenstein et Daniel Tyradellis
« Sur le fil », Galerie d’art de l’université Sapir, Sdérot ; commissaire : Maayan Sheleff
2017 « Mauvais goût », galerie Minus 1, Tel-Aviv ; commissaire : Efrat Livny
2017 « Blueprints I », The Lobby – Art space, Tel-Aviv ; commissaire : Orit Mor
2017 « Destinée manifeste », galerie Hezi Cohen, Tel-Aviv ; commissaire : Ofra Harnam
2018 « Achète ! », musée d’Art de Haïfa, commissaire : Svetlana Reingold

Bourses et récompenses
2003 Prix d’Excellence, département de photographie, école des beaux-arts Hamidrasha, université Beit Berl
2005-2009 Bourse d’artiste enseignant, ministère de l’Éducation et ministère de la Culture et des Sports
2008 Prix du Jeune Artiste, ministère de la Culture, Israël
2011 Bourse d’artiste en résidence, ministère de l’Éducation et ministère de la Culture et des Sports
2013 Prix d’Encouragement à la création, ministère de la Culture et des Sports
2014 Programme de résidence de la fondation Artport, Tel-Aviv
2015 Prix Landau pour les Arts et les Sciences de la Loterie israélienne

Collections
Musée d’Israël, Jérusalem
Musée d’Art de Tel-Aviv
Musée d’Art d’Ashdod
Musée d’Art contemporain de Herzliya
Musée d’Art de Haïfa
Musée d’Art Mishkan, Eïn-Harod
Collections du journal Haaretz
Collections particulières

Extraits du catalogue

Avant-propos
Ido Bruno et Fabrice Hergott
« Le musée d’Israël de Jérusalem et le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris sont fiers de présenter en collaboration Doing Time in Holot / Quelque part dans le désert, la première exposition internationale consacrée au photographe et artiste vidéaste Ron Amir, issue d’un vaste projet mené à Holot, un centre de détention créé par le gouvernement israélien dans le désert du Néguev, où résidèrent des demandeurs d’asile africains entre 2013 et 2018. Depuis plus de dix ans, le travail documentaire de Ron Amir rend compte de situations sociales complexes qui tendent à rester hors de notre champ de vision habituel. Son appareil photographique explore la vie quotidienne des individus qu’il photographie sur des périodes de temps prolongées, tout en demeurant pleinement consciente de sa mission esthétique – beauté de la couleur et beauté formelle. Si nous avons décidé de présenter cette oeuvre unique, c’est parce que nous nous sommes engagés à nous intéresser au contexte culturel et sociologique de notre époque, notamment s’agissant des problèmes auxquels les individus sont communément confrontés dans le contexte plus général de la région méditerranéenne, problèmes qui resserrent les liens entre l’Europe et l’Afrique. Ces dernières années, la migration et les déplacements sont des sujets qui occupent, dans le monde entier, une place prépondérante dans le domaine de l’art contemporain et des activités muséales, et le travail stimulant d’Amir contribue de manière significative à ce discours. Nous espérons que cette publication amplifiera la portée de l’exposition en se penchant sur le phénomène plus large des migrations mondiales actuelles, tel qu’on peut l’observer à travers le prisme de la photographie contemporaine ainsi qu’à travers celui des médias populaires.
Les photographies de Ron Amir révèlent de nombreuses et subtiles strates de l’existence humaine dans le camp de détention de Holot ; l’une d’entre elles offre une leçon fascinante, méritant que l’on y prête une attention particulière : bien que tenus à l’écart de tous les aspects d’une vie humaine normale, les migrants incarcérés à Holot ont continué d’organiser leur existence et leur environnement, concevant divers espaces et objets avec une créativité et un sens de l’improvisation impressionnants. Une mosquée, une cuisine, une salle de gym, un banc, une parcelle de sorgho deviennent des lieux personnalisés exprimant une affirmation de propriété et une déclaration de responsabilité, là où tous les autres avaient laissé un vide. Le travail de Ron Amir met en évidence une manifestation unique d’humanité : la volonté de créer et de s’exprimer. En ce sens, Ron Amir finit par ne faire plus qu’un avec la communauté qu’il décrit, si bien qu’ensemble ils prônent le droit fondamental à la liberté et à la dignité et deviennent l’un des étendards d’une société meilleure.
Au début de l’année 2017, alors que le travail d’Amir était présenté au musée d’Israël de Jérusalem, des milliers de demandeurs d’asile originaires de l’Érythrée et du Soudan étaient détenus à Holot. Depuis la fermeture du centre de détention en mars 2018, le sort de ces réfugiés demeure encore incertain. Ces changements dramatiques sont présentés dans cette nouvelle édition de l’exposition consacrée à Ron Amir à Paris, rendant plus poignantes encore sa circulation internationale et son expression immédiate de la « condition contemporaine ». Le travail collaboratif du musée d’Israël et du Musée d’Art moderne sur ce projet a dynamisé le fort potentiel de la diffusion de récits locaux auprès de cercles plus vastes, incitant à des interprétations plus larges d’histoires qui pourraient sembler, à première vue, strictement spécifiques.
Nous remercions chaleureusement Ron Amir, à la fois pour sa collaboration fructueuse avec le musée et pour son empressement à partager avec nous son activité artistique quotidienne, devenue l’oeuvre de toute sa vie. Nous tenons également à remercier la Saison France-Israël, qui a généreusement parrainé la tournée de l’exposition, ainsi que les Amis français du musée d’Israël qui parrainent cette nouvelle édition français-anglais du catalogue de l’exposition. Nous remercions Emmanuelle de l’Ecotais, chargée des collections photographiques du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, pour sa collaboration dévouée, laquelle a permis à ce projet de se concrétiser à Paris, ainsi que pour sa généreuse contribution à ce catalogue. Pour finir, nous sommes reconnaissants aux nombreux et talentueux membres du personnel du musée d’Israël qui ont contribué à la réalisation de ce projet et en premier lieu son Directeur Emérite Director Emeritus James S. Snyder qui a joué un rôle fondamental en faveur de la présentation de l’exposition Ron Amir à Paris. Nous souhaitons rendre hommage à ce qu’a accompli Noam Gal, conservateur Horace et Grace Goldsmith du département de la photographie Noel et Harriette Levine, à qui l’on doit la conception d’une combinaison créative entre idées théoriques et sensibilité curatoriale, et la supervision à la fois de l’exposition originale au musée d’Israël et de cette nouvelle édition au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. »

Ron Amir, engagé en photographie
Noam Gal
(…) « Parmi les photographes en activité en Israël ces dernières décennies, Ron Amir propose une oeuvre singulière, fidèle au camp de la photographie documentaire politiquement engagée. Pourquoi « engagée » ? En quoi ses actions artistiques sont-elles « engagées » dans le sens le plus profond du terme ? Est-ce parce qu’il ne s’agit pas simplement d’un autre sous-genre de la photographie documentaire ou de la photographie en général, mais d’une pratique artistique qui traverse les médiums et questionne la nécessité d’établir des catégories dans le domaine photographique, lequel relève de l’art contemporain ?
Il est important pour Ron Amir de placer son appareil, les spectateurs et lui-même face à une réalité complexe, souvent douloureuse, dont la plupart d’entre nous ne sommes pas conscients. Ainsi, par exemple, dans les années 2010-2011, il visita régulièrement deux chantiers de construction de la ville de Kfar Saba où étaient employés des « étrangers illégaux » (des Palestiniens qui travaillaient en Israël mais n’avaient pas les papiers nécessaires pour franchir chaque jour le mur de séparation). Dans la série intitulée Présence invisible, qu’il a créée dans ce lieu, les ouvriers sont photographiés à l’intérieur d’espaces clos de béton – des « pièces sécurisées » aménagées, de nos jours, dans chaque appartement. Ces espaces sont dépourvus de fenêtres, ce qui empêche les illégaux qui y séjournent d’être vus le soir ou le week-end. Le travail d’Amir se fonde ici sur un simple engagement qui en constitue le point de départ : un renversement de notre attitude commune face aux franges de la réalité qui nous entoure, attitude qui consiste à les ignorer, à justifier l’ordre existant, à nous concentrer sur nous-mêmes. De fait, son travail artistique s’inspire bel et bien des principes humanistes de Cornell Capa, sans pourtant présumer qu’il est du devoir de l’art d’améliorer la condition du sujet photographié ou d’atteindre un objectif concret dans le monde.
L’engagement de Ron Amir en faveur de la photographie est avant toute chose une déclaration de l’acte même de se rendre sur le terrain, à la rencontre de ce qui s’y trouve, peu importent les conséquences. En outre, engagement ne signifie pas identification, et nous aurions tort d’identifier à une doctrine politique bien réglée l’engagement en faveur des marges du champ de vision et de la vie en Israël. Ce déplacement vers les marges débute par une expérience élémentaire : tendre une main vers l’autre – un simple geste d’ouverture afin de lier connaissance.
Chaque nouveau chapitre du travail d’Amir – le projet mené au centre de détention de Holot, par exemple – commence par une longue série de visites qui visent à tisser des liens avec les gens dans l’environnement qu’il souhaite photographier ; et cela brouille déjà la frontière entre action et observation, frontière sur laquelle se fondent tant de conventions sur la représentation et sur le lien entre l’art et son éventuel horizon politique. (…) 
(…) À l’instar d’autres artistes qui ont commenté l’oeuvre de Ron Amir, Rabina mentionne un autre aspect hybride de la photographie engagée : lorsque le photographe s’abstient délibérément de créer des images qui se rapportent à un événement majeur ou qui ont un centre d’attention bien défini. « Ces photographies ne capturent aucun événement extrême, écrit Rabina, elles contiennent tout au plus un “événement”. Leur puissance s’explique par l’exigence d’une observation persistante, soutenue, et par la valeur de la “durée”. Le “moment décisif” cède la place à la patience, et à l’image forte se substitue un ensemble de qualités qui s’accumulent peu à peu. »
Les photographies d’Amir, qu’elles représentent des paysages ou des intérieurs, donnent l’impression de véhiculer plusieurs messages simultanés : l’histoire de la détresse sociale dont on rend compte, l’histoire de l’incessante créativité des gens qui subissent cette détresse, et l’histoire du photographe lui-même dans cet environnement.
Ainsi, ses visites répétées des ateliers de réparation de moteurs ou des cabanes de pêcheurs de Jisr al-Zarqa ont conduit Ron Amir à photographier des gribouillages sur les murs, des objets et divers bibelots appartenant aux gens qu’il photographie et grâce auxquels ils organisent leur cadre de vie. Il n’y a dans ces photographies aucun sujet unique précis, et le cadre empêche pour ainsi dire le regard de se détourner de l’espace qui contient à la fois le travail d’Amir et celui des individus photographiés. L’observation de chacune de ces images composites, qui n’orientent pas vers un message unique et particulier, exige en soi que l’on consente à « séjourner », à s’attarder face à une photographie plutôt que de chercher une conclusion – et nous aborderons de nouveau plus loin cette nécessité d’investir du temps. Ce type d’images est dépourvu de foyer narratif défini, et Amir les construit méticuleusement. Son travail n’a rien de commun avec le geste journalistique du cliché réalisé sur commande, du mouvement du photographe s’efforçant de se retrouver en première ligne de l’événement ou de capturer l’instant décisif. Apparaît ici une frontière explicite entre les caractéristiques de la photographie d’Amir (relevant de la « photographie de l’après » telle que Campany la définit), et celles des traditions du photojournalisme ou de la photographie humaniste (que promouvait Cornell Capa, entre autres). (…)
(…) Ces deux caractéristiques – l’abondance d’informations fournie par ce format et le temps qu’exige un travail réalisé dans ledit format – sont à la base de la surprise que nous éprouvons face à cette série de photographies en couleur qu’Amir a rapportée de Holot : on n’y voit en effet ni être humain ni le moindre signe d’incarcération ou de restriction de liberté ou de mouvement. Amir s’abstient de photographier le camp lui-même – ses barrières, ses grilles, ses containers tenant lieu de logements – et ne rend compte que de son environnement extérieur. La présence humaine est pourtant extrêmement palpable dans ces photographies « vides », ce qui les exclut du genre de la « photographie de paysage ». On y voit des lieux désertiques, des parcelles de terre aride agrémentées d’un arbre, d’un buisson ou d’un monticule de pierres ; chacune laisse entrevoir les signes d’une activité ayant eu lieu la veille au soir et qui sans nul doute reprendra le lendemain. Amir photographie ces endroits alors que les réfugiés sont emprisonnés dans l’enceinte du camp ; pour cette raison, le court laps de temps qui lui est imparti pour réaliser, dans la lenteur, ces prises de vue se focalise sur la zone de tension. Il photographie à l’extérieur, de telle sorte que l’espace situé « autour de Holot » se retrouve au coeur du projet, une base adéquate pour élaborer une critique contemporaine de la situation de la liberté humaine en Israël (un pays qui, au passage, ne paraît plus si familier dans ces photographies en « extérieur » de Holot). (…) »

Ron Amir, un photographe agissant
Emmanuelle de l’Ecotais
« (…) Pendant trois ans, Ron Amir est allé à la rencontre des réfugiés soudanais et érythréens installés dans le désert du Néguev, dans le camp de rétention de Holot. La photographie, qui n’était pas alors un objectif en soi, s’est insérée progressivement dans sa démarche comme un moyen de communication, une source de dialogue et d’interaction. Ron Amir s’impliquait ainsi totalement en tant qu’être humain, non pas seulement comme un photographe qui rend compte d’une situation, mais comme une personne qui se sent concernée par ce qui se passe et désire agir concrètement sur le terrain.
L’accueil de migrants fuyant des conditions de vie misérables pour aller dans des pays limitrophes ou plus lointains dans l’espoir d’y trouver refuge et hospitalité est un sujet de préoccupation commun à tous les pays occidentaux aujourd’hui. Les exemples sont en effet innombrables à travers le monde, et il n’existe pas encore de politique gouvernementale qui fasse l’unanimité en la matière. Savoir qu’il s’agit précisément de Holot ici n’est donc pas indispensable, et le titre français de l’exposition « Quelque part dans le désert », exprime bien à la fois l’aspect universel de la question (ces photographies auraient pu être prises n’importe où) et le sentiment profond de vide qui nous habite devant l’ampleur du problème et l’absence d’une stratégie mondiale commune.
C’est donc avec l’intime conviction qu’une solution aberrante a été mise en place que Ron Amir commence à se rendre régulièrement dans le camp de Holot durant l’été 2014, peu de temps après son ouverture.
Nous sommes actuellement dans une période charnière de l’histoire de la photographie, qui voit renaître le mouvement d’une photographie concernée par son temps, mais d’un nouveau genre : il n’est plus question ici du choc des photos (pour reprendre le fameux slogan de Paris Match), car la violence, banalisée, ne constitue plus le meilleur moyen de faire passer un message. À travers la quantité des images, vraies ou fausses, déversées sur le Web, on voit surgir une nouvelle manière de photographier, qui prend ses distances avec son sujet, interroge, questionne, et attire ainsi l’attention. Chez Ron Amir, au-delà d’une apparente simplicité, en l’occurrence une forme de paysage, une multitude de détails – relevés avec minutie grâce à la chambre photographique – appellent la réflexion. L’homme est absent de ces images, et c’est cette absence même qu’il faut questionner. L’homme a-t-il disparu ? S’est-il littéralement « perdu » – au sens où ses actes l’auraient mené à sa propre perte ? L’artiste nous pousse en effet à nous concentrer sur chaque élément qui forme sa composition, afin d’y trouver les traces du passage de cette humanité, et de nous interroger sur sa survie ou sa disparition. Nous devenons ainsi un peu archéologues, parfois même au sens propre du terme, décryptant chaque indice quand des objets apparaissent à moitié enterrés/déterrés.
C’est tout à la fois la fragilité de l’existence et la précarité de l’errance qui sont évoquées à travers ces constructions éphémères et instables, ces objets et ces installations dont la fonction reste mystérieuse. (…)
(…) Ron Amir se révèle ainsi véritablement et sincèrement empathique. Il affiche en outre une volonté d’agir sur le monde. Car c’est par l’action que cet artiste se distingue : il ne se contente pas de photographier l’actualité, il prend réellement part aux événements, en entrant en contact avec les migrants, en faisant connaissance avec eux, en échangeant – notamment des photographies –, en restant connecté avec certains pendant des années et même bien après leur libération, ou en les accueillant au musée de Jérusalem. Il crée ainsi des liens, une proximité, dont on sait qu’ils sont essentiels pour les hommes et les femmes déracinés. Il est important de souligner cette implication personnelle, qui dépasse de loin le travail d’un simple photoreporter pour se confondre avec celui des volontaires travaillant pour les organisations humanitaires. Car l’artiste photographe, désormais, non content de rendre compte, désire jouer un rôle, et nous invite à le suivre. Son but est clair : apporter sa pierre à l’édifice pour changer le monde et le rendre meilleur. Cette caractéristique proactive de la création contemporaine se développe actuellement de façon significative. On la retrouve chez les jeunes ou les moins jeunes, tant en France (où Yann Arthus-Bertrand en est un des exemples les plus significatifs, avec sa fondation Good Planet) qu’à l’étranger (citons la canadienne Rita Leistner, avec sa série The Tree Planters) ; le prix Pictet, consacré au développement durable, en témoigne régulièrement. Le monde culturel, ses institutions, ses acteurs, sont entraînés, presque malgré eux, dans ce mouvement. Parions qu’eux aussi auront une action à mener, car on attend de la culture qu’elle aussi s’engage ».


Du 14 septembre au 2 décembre 2018
Entrée côté Seine
12-14, avenue de New York. 75116 Paris
Tél. : 01 53 67 40 00
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Nocturne le jeudi de 18 h à 22 h 
Fermeture le lundi et le 1er janvier 2019.
Visuels :
Affiche
Ron Amir, Bisharah and Anwar's Tree (L'arbre de Bisharah et .Anwar), 2015, photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Abdelrazik's Bench (Le banc d'Abdelrazik), 2014,
photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Stall (closed) (Stand (fermé)), 2014,
photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Untitled (line) (Sans-titre (Ligne)), 2015,
photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Khamis's Kitchen (La cuisine de Khamis), 2015,
photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Ephrem and Molo (Ephrem et Molo), vidéo
© Ron Amir

Ron Amir, Don't move (Ne bougez pas), vidéo
© Ron Amir

Ron Amir, Storage (Stockage), 2015, photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Ibrahim Tuayisha's Gym (La salle de sport d'Ibarhim Tuayisha), 2015, photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Oven (four), 2015, photographie
© Ron Amir

Ron Amir, If You Ask Me I Will Stay ("Si vous me le demandez, je resterai"), 2015, photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Mosque (Mosquée), 2016, photographie
© Ron Amir

Ron Amir, Dining corners (coins repas), 2016,
photographie © Ron Amir

Ron Amir, Roof (Toit), 2016, photographie ©
Ron Amir

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