lundi 2 juillet 2018

« Femmes photographes de guerre » par Sigrid Faltin


Arte diffusa le 4 juillet 2018 à 22 h 40 « Femmes photographes de guerre » (Kriegsfotografinnen, Women War Photographers) par Sigrid Faltin. « Portrait de plusieurs générations de femmes photographes de guerre, de l'Autrichienne Alice Schalek à la Française Camille Lepage, assassinée en 2014, en passant par l’Allemande Gerda Taro, l'Américaine Lee Miller et la Française Christine Spengler. »


« En 2014, deux femmes sont mortes en exerçant leur métier de photographe en zone de guerre : l’Allemande Anja Niedringhaus, abattue par un policier afghan, et, quelques semaines plus tard, la Française Camille Lepage, tuée lors d'un reportage en Centrafrique ». Elle vivait avec les gens, et "espérait changer les choses".

« Il y a aujourd’hui plus de femmes – souvent jeunes – que d’hommes prêtes à partir en reportage dans les zones de conflit ».

« Elles ont d'ailleurs accès à des lieux interdits à leurs confrères masculins ».

« Le film entrecroise les portraits de celles qui ont documenté diverses guerres au cours des XXe et XXIe siècles".

Alice Schalek
Alice Schalek (1874-1956), née dans une famille Juive viennoise, a fréquenté le lycée pour filles (Lyzeum) de la Wiener Frauenerwerbsverein (association viennoise pour la promotion du travail des femmes). Elle a débuté comme romancière - elle a publié à l'aube du XXe siècle son premier roman sous le pseudonyme Paul Michaely -, auteur de nouvelles, conférencière, et journaliste notamment pour Neue Freie Presse. Elle était membre du Verein der Schriftstellerinnen und Künstlerinnen in Wien (Association pour les auteurs et les artistes à Vienne). Elle s'était convertie au protestantisme à l'âge de 30 ans.

Sur ses voyages au Japon et en Asie (1903-1914), notamment au Moyen-Orient, Alice Schalek a publié des livres. Parmi les personnalités qu'elle a interviewées : Einstein, Gandhi, Tagore et George Bernard Shaw. En 1914, quand a éclaté la Première Guerre mondiale, elle travaillait pour Schwarz-Gelbes Kreuz, une organization charitable fournissant des repas aux enfants nécessiteux. Alice Schalek a publié peu dans les journaux. A l'été 1915, elle a tenté d'être accréditée comme correspondante de guerre auprès du Kriegspressequartier (KPQ; Bureau de presse de guerre) de l'Empire austro-hongrois. Elle « choqua ses contemporains en photographiant des soldats autrichiens au front » dans leur vie quotidienne.

La première mission d'Alice Schalek ? Le front alpin au sud du Tyrol. Elle se différencie de ses collègues masculins en "donnant un sens à la guerre, décrite comme force pour la modernisation". En octobre 1915, Karl Kraus (1874-1936) l'a critiquée dans Fackel. Selon certains, le fait que Schalek était une femme a joué un rôle dans ses attaques. En mars 1916, Schalek est allée au Front Isonzo. Elle a rassemblé ses photographies en des diapositives pour illustrer ses conférences dans plus de vingt villes. En février 1917, Schalek a été distinguée en étant décorée de la Médaille d'or du Courage (Goldenes Verdienstkreuz mit der Krone) pour sa couverture médiatique. Le succès de ses conférences sur Isonzo a suscité l'ire de politiciens. A la fin de 1916, des parlementaires chrétiens sociaux ont réclamé sa démission comme correspondante de guerre. Comme son mentor, Maximilian von Hoen (1867-1940), avait quitté sa fonction de dirigeant du KPQ au printemps1916, Schalek n'a pas bénéficié de soutien au sein de la direction du KPQ et a du mettre un terme à son travail à la fin août 1917. Après la Grande guerre, Schalek a repris ses activités de femme de lettres. Après l'Anschluss (annexion par l'Allemagne nazie de l'Autriche en 1938), Schalek est demeurée en Autriche où elle a été arrêtée par la Gestapo. Grâce à l'intervention du PEN-Club, elle a pu quitté Vienne en août 1939 et s'est réfugiée aux Etats-Unis, mais n'a pas pu retrouver professionnellement sa position.

Gerda Taro
Gerda Taro (1910-1937) est née Gerta Pohorylle à Stuttgart dans une famille de "modestes commerçants juifs" originaires de Galicie. A l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933, cette « militante socialiste » a fui l'Allemagne nazie. Avec son amie Ruth Cerf, elle s'installe à Paris où elle survit en exerçant divers métiers. Elle est membre du groupe Leipziger Kreis aux côtés de Trudel Frank-Fromm, Ruth Cerf et Willi Chardack. Le lieu de rendez-vous de ce groupe auquel se joignent des membres du S.A.P en exil, dont Willy Brandt ? Le café Capoulade sur le boulevard Saint-Michel. Gerda Taro collabore comme assistante à l'agence Alliance-Photo fondée par Maria Eisner, Pierre Verger et Pierre Boucher. Alors que Capa utilise son Leica, elle recourt à son Roflex Korelle donnant des photos carrées.

Gerda Taro se lie à un jeune photographe hongrois, Robert Capa, dont elle a contribué à écrire la légende de "photographe américain". Le 4 février 1936, Gerda Taro a obtenu sa carte de presse de l'A.B.C.-Press-Service, agence de photos néerlandaise. Du côté républicain, elle « couvrit la guerre d’Espagne avec son compagnon, le légendaire Robert Capa. Certaines des images attribuées à ce dernier ont d’ailleurs été prises par elle, comme l’ont prouvé des recherches récentes. Elle est morte écrasée par un char allemand, première victime féminine dans l’exercice de ce métier de reporter de guerre ».

Le 1er août 1937, lors de son enterrement au cimetière du Père-Lachaise, son éloge funèbre est dit par Pablo Neruda et Louis Aragon. Sa tombe située près du mur des Fédérés, est conçue par le sculpteur Alberto Giacometti à l'invitation du poète et romancier communiste Louis Aragon : cet artiste "l'orne d'une simple vasque et d'un oiseau mythologique, le faucon Horus, symbole de lumière et de résurrection". En 1938, en hommage à Gerda Taro, Robert Capa a publié "Death in the Making", réunissant leurs photographies communes. Après la mort de Robert Capa en 1954, l'agence Magnum a attribué à Capa des photographies prises par Gerda Taro. Ce n'est que récemment que l'oeuvre de Gerda Taro est sortie de l'oubli.

Lee Miller
« L’Américaine Lee Miller (1907-1977), muse" du photographe dadaïste puis surréaliste Man Ray "et de Cocteau, se fera ensuite un nom en capturant des clichés de la fin de la guerre en Allemagne. Deux expositions lui ont été consacrées en 2016 : à Londres, au Musée impérial de la guerre, et à Berlin, au Martin-Gropius-Bau ». Agronome de formation, Antony Penrose veille sur l'oeuvre de cette correspondante de guerre. "Elle se réinventait sans cesse : garçon manqué, top model, photographe industrielle, correspondante de guerre. Picasso l'a peinte six fois. En 1939, Lee Miller travaillait pour Vogue", se souvient Antony Penrose.

En décembre 1941, après l'attaque japonaise à Pearl Harbour, les Etats-Unis entrent dans la Deuxième Guerre mondiale. Dès 1942, hostile aux "Boches", Lee Miller est correspondante de guerre dans l'armée américaine. Ses reportages photographiques sont publiés par le magazine américain Vogue. De 1944 à 1946, avec David E. Sherman, correspondant photographique de Life, Lee Miller suit l'armée américaine dans sa progression en Europe sous le joug nazi : du débarquement en France à la Roumanie, via l'Allemagne, l'Autriche et la Hongrie. Elle avait des coups de poings américains pour se défendre. Et emmenait sa machine à écrire.

Avec son Rollei-Flex, elle saisit la vie quotidienne des soldats américains, des villes en ruines après avoir été bombardées, et découvre les camps de concentration de Buchenwald et Dachau. Ses photographies, en particulier celle de deux soldats ouvrant un camion plein de cadavres entassés, révèlent ce qu'étaient les camps nazis dans toute leur horreur d'inhumanité. Face à la stupéfaction incrédule de la direction et de la rédaction de Vogue, Lee Miller doit attester de l'authenticité de ses photographies. Une condition imposée pour que ces dernières soient publiées par ce célèbre magazine. Avec David E. Scherman, elle réalise une de ses photographies les plus connues : son autoportrait dans la baignoire d'Hitler dans son appartement privé au 16, Prinzregentenplatz à Munich. Un cliché mis en scène.

Christine Spengler
« Plus récemment, la Française Christine Spengler a couvert, à partir des années 1970, la plupart des grands conflits, du Tchad au Kosovo en passant par l'Iran  ». Et aime écrire dans le jardin de la Pagode, à Paris.

Diverses expositions, notamment à la Maison européenne de la photographie, lui ont été consacrées.

"Le correspondant de guerre et le torero ont beaucoup d’affinités. Les deux affrontent la mort. A la différence que pour les toreros, la mort les guette, à une heure et dans un lieu précis. Tandis que nous, les correspondants de guerre, la mort nous guette à n’importe quelle minute et sur n’importe quelle route... J’ai été arrêtée par les combattants mourabitounes (membres du parti politique libanais nassériste créé en 1967, Ndr), à Beyrouth, qui m’ont accusé d’être une espionne sioniste, m’ont bandés les yeux et m’ont fait subir un tribunal révolutionnaire. C’est la première fois de ma vie, pendant les longues heures passées derrière le bandeau, que je voyais la mort de si près. D’habitude, quand on entend les balles siffler, comme au Vietnam, et qu’on est accroupi au bord d’une voiture à Beyrouth, c’est que le danger est passé. La mort nous guette sans qu’on sache. Mais pendant le tribunal, pendant qu’un enfant palestinien me menaçait d’un revolver et que le juge n’arrêtait pas de dire que j’étais une espionne, j’ai pensé que j’avais trop provoqué la mort et qu’il était normal qu’une fois… Là, c’est la seule fois de ma vie entière, où le fait d’être femme s’est retourné contre moi. Le juge palestinien me disait « : « Comment se fait-il que l’agence Sygma ait besoin d’envoyer une femme au Liban, alors qu’ils ont tant de photographes masculins ? Comment ça se fait que tu sois venue trois fois au Liban en 8 mois ? Pourquoi apprends-tu l’arabe et portes-tu le foulard comme une femme palestinienne ? » Je suis restée très digne pendant l’interrogatoire. J’ai refusé une bouteille d’eau qu’ils me proposaient, alors que j’avais très soif. Car ils avaient dit « donne-lui de l’eau, tu ne vois pas qu’elle a peur ? » Et moi, en arabe, je leur ai répondu : « tu te trompes, je n’ai pas peur, j’ai seulement soif. » et j’ai donné un coup de pied dans la bouteille que je n’ai pas bue.", a confié Christine Spengler en 2011. Le timbre de sa voix présente de grandes ressemblances avec celui de l'actrice Jeanne Moreau.

Dans quelles conditions ces femmes photographes de guerre travaillent-elles ? En moins d’un siècle, leur condition s’est fragilisée avec le déclin des médias imprimés en termes de tirages, de lecteurs et de budgets. Et les chaines d’informations s’avèrent timorées, et privilégient le live multirediffusé du blablabla d’« experts » chargés de commenter… des commentaires. Ces professionnelles prennent des risques pour informer sur des conflits ou famines, mais parfois sans l’accord de grands médias principalement intéressés par le Proche-Orient, en étant mal payées...

D'où l'importance pour ces photographes, hommes et femmes, des livres et des expositions de photographies pour valoriser leur oeuvre : « Gaza 2010 » de Kai Wiedenhöfer, Peurs sur la ville. Photographies historiques, réelles et imaginaires...

                    
Allemagne, 2016
Sur Arte le 4 juillet 2018 à 22 h 40
Visuels : 
La photographe Camille Lepage à Bunga Bunga, en République centrafricaine, Octobre 2013
© SWR/Sylvain Cherkaoui/Cosmos
Christine Spengler vit et travaille entourée de ses photos de guerre.
La photographe de guerre française Christine Spengler devant un portrait d'elle en Iran en 1979
© SWR/Sigrid Faltin
La photographe de guerre française Christine Spengler devant la tombe de sa collègue Gerda Taro
© SWR/Thomas Einfeldt

Les citations sur le documentaire sont d'Arte.

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