vendredi 19 avril 2019

« Quand les nazis filmaient le ghetto » de Yael Hersonski

Toute l'Histoire diffusera le 4 octobre 2017 « Quand les nazis filmaient le ghetto » (A Film Unfinished), documentaire de Yael Hersonski (2009). cette enquête passionnante sur l’histoire de Das Ghetto, film inachevé de propagande nazie en mettant en scène des juifs dans le ghetto de Varsovie (Pologne) en 1942, lors de la Shoah (Holocaust). 

1939. A Varsovie vivent 1 300 000 habitants, dont 380 000 Juifs, soit près d’un tiers de la population.

Après la victoire de l’Allemagne du IIIe Reich sur la Pologne, les juifs polonais y sont persécutés par l’occupant nazi.

En 1940, les Nazis créent un ghetto à Varsovie. Ils vont l’enserrer par un mur de plus de trois mètres de haut, hérissé de fils de fer barbelés et étroitement surveillé. Ce ghetto surpeuplé est administré par un « conseil juif » (Judenrat) dirigé par l'ingénieur Adam Czerniakow. Environ 500 000 Juifs sont passés par ce ghetto de quatre kilomètres carrés. Des centaines de milliers de juifs de tous âges, enfants et adultes, y survivent entassés, dans la promiscuité, la misère et le manque d’hygiène, victimes de maladies (typhus), affamés. Certains tentent de se procurer des vivres par la contrebande ou le marché noir, avec le risque d'être arrêtés et fusillés. Beaucoup y meurent de faim et d’épidémies.

En mai 1942, pendant trente jours, une équipe de cameramen et de journalistes filme dans ce ghetto des scènes de rues, de marché, dans un restaurant achalandé, au théâtre Nowy Azazel où les comédiens sont obligés de caricaturer leur jeu, dans des appartements cossus. Des scènes aussi de la vie juive : circoncision, prières dans le mikvé (bain rituel juif), étude en yechiva, un enterrement dans un cimetière.

Les buts ? Contribuer à la propagande nazie montrant les conditions agréables de vie quotidienne des Juifs dans le ghetto de Varsovie, l’écart socio-économique entre Juifs riches, bien alimentés et se divertissant dans des soirées dansantes, et leurs coreligionnaires pauvres, l'indifférence des Juifs aisés à l’égard des mendiants et des cadavres jonchant les rues. Signifier que les Juifs doivent être éliminés. Montrer les preuves de leur destruction : fosses communes de juifs nus, squelettiques…

L’historien Emmanuel Ringelblum décide de relater l’histoire des juifs dans ce ghetto. Il encourage ses coreligionnaires – écrivains, journalistes, etc. - à tenir leur journal afin de réunir des témoignages en étant guidés par deux principes : l’exhaustivité et l’objectivité. Ce qui constituera les Archives Ringelblum sur la politique nazie contre les juifs et la survie dans ce ghetto écrites par le groupe Oyneg Shabbes (« plaisir du shabbat » en yiddish).

Moins de deux mois après, débutent les premières déportations en grand nombre vers Treblinka. Comprenant le destin mortel des juifs déportés, Adam Czerniakow se suicide en cassant la capsule de cyanure qu’il avait depuis le début de la guerre.

Le 19 avril 1943, des organisations juives déclenchent le soulèvement dans le ghetto. Pendant près d’un mois, jusqu’au 16 mai 1943, des juifs courageux défient les Nazis qui écraseront cette insurrection.

En 1954, sont découvertes dans un bunker en RDA (République démocratique allemande) plusieurs bobines des images tournées par les Nazis dans le ghetto. Des images annotées « Ghetto », d’une durée de plus de 60 minutes, sans piste son, sans générique. Et qui sont déposées au Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem (Israël).

Pendant plusieurs décennies, les historiens ont considéré que ces images montraient la vie dans ce ghetto.

Quarante-cinq ans après, à la fin des années 1990, une bobine est retrouvée : elle comprend des rushes supprimés du premier montage. On y voit les efforts des Nazis pour réaliser la prise de vue (einstellung) « la plus efficace ». Un cynique making of où succèdent les prises 1, 2, 3, 4... En plus, sont révélées les images en couleurs tournées par un cameraman allemand utilisant sa caméra personnelle pour montrer la rue du ghetto transformée en studio de cinéma où de pauvres Juifs sont contraints d’obéir aux ordres des Nazis. Des images qui inspirent une immense compassion pour ces Juifs qui, quelques semaines plus tard, seront raflés, déportés et assassinés dans ces camps de la mort.

Un caméraman ayant filmé ces images, Willy Wist, évoque celui qui amenait l’équipe sur le lieu de tournage, donnait les directives de réalisation et de mises en scène : un personnage « portant l’uniforme des SA ou celui brun du parti » et surnommé « le faisan doré ». Willy Wist allègue ignorer la destination des juifs déportés : les camps d’extermination. Mais la Shoah est déjà mise en œuvre dans ce ghetto.

Ce documentaire émouvant est construit à partir des images filmées par les Nazis dans le ghetto, des témoignages de cinq survivants du ghetto, des extraits de journaux, du récit du responsable du Judenrat et la déposition entièrement retranscrite du caméraman Willy Wist lors du procès contre l’ancien commissaire du ghetto et officier SS devenu avocat, Heinz Auerswald. Celui-ci rédigeait des rapports hebdomadaires sur son travail, les rumeurs circulant dans le ghetto, etc. Manquent dans ce documentaire les noms des témoins juifs interviewés.


Ce film a été distingué notamment par le Festival du film de Sundance en 2010.

Le 18 août 2010, il a été distribué aux Etats-Unis sous la classification « R » établie par la MPAA (Motion Picture Association of America's film) et prescrivant qu’un mineur de 17 ans doit être accompagné d’un parent ou adulte pour voir ce film. Ce qui a suscité une controverse. Son distributeur Oscilloscope a interjeté appel de cette décision qui restreignait le public du documentaire et réduisait son éventuelle utilisation pédagogique dans des classes de lycées : il a évoqué des images visibles plus dramatiques par les élèves au musée mémorial américain de l’Holocauste. En vain : par 12 voix contre trois, la MPAA a maintenu sa décision en la justifiant par des « images perturbantes des atrocités de la Shoah dont des images de personnes nues ».

Ce film A Film Unfinished incite à un examen critique vigilant à l’égard des images visant à former l’opinion publique. Il souligne comment le processus d’extermination des Juifs comprend l'étape de leur vilification par la propagande audiovisuelle haineuse antisémite.

Le 19 avril 2015, des cérémonies à Paris et en province marquèrent le 72e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie.  

Quand les nazis filmaient le ghetto de Yael Hersonski
Allemagne, 2009, 86 mn

Sur Arte le 8 décembre 2010 à 20 h 40 et le 14 décembre 2010 à 10 h 50, le 4 décembre 2013 à 0 h 05.

Diffusions sur la chaîne Histoire les :
- 30 août 2012 à  0 h 10 et 3 septembre 2012 à 2 h ;
- 17 mars 2013 à 3 h 52 ; 20 avril 2013 à 1 h 50 ; 22 avril 2013 à 3 h 30 ; 10 juillet à 1 h 40 et 15 juillet 2013. à 2 h 45 ; 23 septembre 2013 à 0 h 20 ;
- 24 janvier à 0 h 40 et 4 février 2014 à 5 h,   8 mars à 2 h 30 et 10 mars 2014 à 4 h 20

Sur Toute l'Histoire les 18 et 19 avril 2017le 4 octobre 2017

Au Mémorial de la Shoah
Auditorium Edmond J. Safra, niveau -1
17, rue Geoffroy-l'Asnier, 75004 Paris
Entrée libre sur réservation au 01 53 01 17 42
Le 24 novembre 2013, à 15 h, en présence de Johann Chapoutot, historien, maître de conférences, université Pierre Mendès-France-Grenoble 2
Le 25 janvier 2011 à 19 h 30 (en version originale sous-titrée en anglais)
En présence de Yaël Hersonski, réalisatrice, et Georges Bensoussan, historien, rédacteur en chef de la Revue d’histoire de la Shoah.
Le 27 janvier 2011 à 19 h 30 (en version française)
En présence de Yaël Hersonski, réalisatrice, et Jean-Charles Szurek, sociologue, directeur de recherche au CNRS.

Visuels de haut en bas :
Première photo : © Itai Neemann
Deuxième et troisième photos : © Transit Films-Bundesarchiv
© Yossi Aviram
Affiche du documentaire
Article publié la première fois le 8 décembre 2010, republié le 24 janvier 2011, le 29 août et le 28 décembre 2012, les 15 mars, 18 avril, 8 juillet, 21 septembre, 22 novembre et 3 décembre 2013, 22 janvier et 6 mars 2014, 19 avril 2015, 17 avril et 4 octobre 2017.

3 commentaires:

  1. Zeitzeugen = interprètes
    Hanna Avrutzki
    Luba Gowisser
    Jurek (David) Plonski
    Aliza Vitis-Shomron
    Shula Zeder

    narration Rona Kenan
    http://www.rcq.qc.ca/RCQ212AfficherFicheTech.asp?intNoFilm=349043
    et voir le générique de fin.

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  2. Madame,

    J'ai lu avec intérêt votre article consacré au film de Yael Hersonski. En regardant ce film, j'ai compris ce que pouvait être de parvenir aux plus extrêmes frontières de la l'inhumain .

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  3. Bonjour,

    Excellent commantaire. Un détail pourtant : «vilification» est un anglicisme et n'existe pas dans la langue française. En français le terme approprié qui découle de vil est avilissement !

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