mardi 26 mai 2020

« Les Juifs de Saint-Domingue (Haïti) » d’Elvire Maurouard


Avec un sens de la dramaturgie, en citant des archives publiques, notamment des correspondances, Elvire Maurouard, enseignante et poète, centre cette brève « étude historique » sur deux épisodes des Juifs de Saint-Domingue (Haïti) au XVIIIe siècle. Le 28 mai 2020, de 19 h 30 à 20 h 30, la Maison de la Culture Juive à Bruxelles proposera la conférence en ligne ou visioconférence "Les Juifs à la conquête des Caraïbes", par Dominique Goldberg. 

Malgré les édits de 1615 et 1685 ordonnant de chasser les Juifs des Isles françaises d’Amérique, malgré l’édit d’expulsion de 1683, des Juifs, commerçants et industriels, y « résidaient à la faveur de lettres de naturalité ».

Ils y étaient tolérés malgré le Code noir, par intérêt économique, au XVIIIe siècle, dans cette île des Caraïbes. Leur nombre exact reste inconnu. Demeure au Cap haïtien un lieu dénommé « cimetière des juifs ».

Evoquant le procès (1739-1751) en contestation du testament d’Abraham Gradis, Elvire Maurouard montre que la justice parfois reconnaissait aux juifs des droits encadrés (facultés d’acquérir, de disposer, de tester valablement), sous réserve notamment de ne pas agir « en haine de la religion catholique ».

Elle révèle des unions interdites, telle celle de « M. de Paz, juif accusé d’avoir envoyé les deux mulâtresses qu’il a eues avec une négresse à Bordeaux pour parfaire leur éducation ».

La nomination du comte d’Estaing au poste de « gouverneur général des Isles françaises sous le Vent de l’Amérique », à Port-au-Prince le 27 décembre 1763, marque un tournant dramatique. Ce représentant du Roi contraint les Juifs au versement d’un impôt extraordinaire illégal déguisé en « dons » obligatoires pour édifier des ouvrages publics. Ce qui suscite leur indignation. Avec machiavélisme, le comte d’Estaing use de diverses tactiques pour contrer toute opposition et maintenir sa décision inique. Ainsi, autoritaire et dédaigneux, il suscite la jalousie de commerçants et d'industriels locaux chrétiens à l’égard de leurs homologues Juifs.

Fragilisés, discriminés, éprouvés par ces faits – M. Daguillard, « syndic des juifs », se convertit au christianisme -, les Juifs de Saint-Domingue sollicitent en 1776 l’appui de leurs coreligionnaires - « Juifs espagnols et portugais ou nouveaux chrétiens » - à Bordeaux, notamment de la famille Gradis, pour substituer « un droit légal et bien défini » (« lettres-patentes ») à la « tolérance » et aux « privilèges » précaires, régis par l’arbitraire et se traduisant parfois par des saisies d’héritages de juifs. Après études par son administration, la monarchie française le leur refuse.

La Révolution française leur accordera des droits.

En août 1790, inquiets du « sort que la Révolution préparait aux colonies », les créoles à Bordeaux nomment pour président David Gradis.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, Saint-Domingue fut un des rares Etats à accueillir les Juifs européens persécutés par les Nazis. Un fait historique rappelé par le webdocumentaire Shalom Amigos, réalisé par Adrien Walter et Emmanuel Clémenceau.

Ce livre intéressant sur cette communauté méconnue aurait gagné à avoir une construction plus logique, une introduction plus développée, un lexique, voire une chronologie et une carte.

Cet article a été republié en octobre 2016 car l'ouragan Matthew a dévasté une partie de Haïti et causé des centaines de morts.

Le 28 mai 2020, de 19 h 30 à 20 h 30, la Maison de la Culture Juive à Bruxelles proposera la conférence en ligne ou visioconférence "Les Juifs à la conquête des Caraïbes", par Dominique Goldberg. Celle-ci "nous emmènera dans les mondes nombreux, où les Juifs se sont épanouis et où ils ont fait face à des situations particulières ou catastrophiques. À travers ses récits, elle nous raconte notre résilience ! La présence des Juifs dans les Antilles est attestée depuis le début de la découverte de ces nouveaux mondes. Comment nos ancêtres se sont retrouvés là-bas et comment se sont-ils débrouillés et développés dans ces territoires hostiles ?" 


Elvire Maurouard, Les Juifs de Saint-Domingue (Haïti). Editions du Cygne, 2008. 90 pages, 13 euros. ISBN : 978-2-84924-086-1

Photo d’Elvire Maurouard : © DR
Cet article a été publié en une version plus concise dans le n° 614-615, juillet-août 2009, de L’Arche, et sur ce blog le 29 octobre 2009, le :
- 12 mai 2015. Le Président François Hollande séjourne le 12 mai 2015 à Haïti ;
- 29 octobre 2015.  Deux pilotes français, condamnés en août 2015 à une peine de 20 ans de prison pour trafic de drogue par la justice dominicaine, ont fui Saint-Domingue. Deux autres concitoyens y demeurent, condamnés dans la même affaire ;
- 8 octobre 2016 et 13 septembre 2017.

3 commentaires:

  1. Do you have this book in English? I have ancestors that came to Louisiana from Santo Domingo. Would this give me some insight into some family names?

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  2. I'm sorry. I don't have any further information.

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  3. "Leur nombre exact reste inconnu"
    Une cinquantaine de familles en 1764, chiffre cité dans The Jews and the Expansion of Europe to the West, 1450 to 1800. D'Estaing évoque l'existence de 2 "synagogues" à son arrivée sur l'île.

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