mardi 7 juin 2011

France Télévisions a renoncé au décompte des otages français dans le monde



Les journaux télévisés de France Télévisions avaient choisi un décompte des otages français excluant l'otage Juif franco-israélien Guilad Shalit. Depuis quelques temps, s'ils continuent de nommer les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ils ont opté pour une référence aux autres otages français dans le monde et aux guides de ces deux journalistes sans y accoler de chiffre. Mise à jour au 30 juin 2011.

C'est un revirement inattendu et peu satisfaisant.

Guilad Shalit longtemps oublié
Depuis juillet 2010, à chaque édition du journal des chaînes de France Télévisions, les journalistes le présentant rappelaient le décompte des jours de captivité de leurs confrères du service public audiovisuel, Hervé Guesquières et Stéphane Taponnier et de leurs trois accompagnateurs capturés le 30 décembre 2009, en Afghanistan.

Jusqu'au printemps 2011, sur un ton grave, le ou la journaliste du JT déclarait : « Cela fait x jours que nos confrères Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ainsi que leurs trois accompagnateurs sont retenus en otages en Afghanistan. Nous ne les oublions pas, ainsi que les six autres otages français retenus dans le monde ». Et certains de préciser les lieux où sont détenus les six autres otages : « au Sahel et au Soudan ».

Ce qui excluait l'otage Juif franco-israélien Guilad Shalit kidanppé en 2006 en Israël par le Hamas et détenu dans la bande de Gaza.

Une référence vague
Depuis peu - environ quelques semaines -, ces mêmes JT s'achèvent par un rappel laconique et mystérieux. Ainsi, le 4 juin 2011 : "Nous avons une pensée pour nos confrères Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier retenus en otages en Afghanistan avec leurs accompagnateurs. Cela fait 522 jours maintenant. C'est aussi une journée supplémentaire pour les autres otages français détenus dans le monde". Aux téléspectateurs de deviner... Mission impossible pour ceux qui ignorent jusqu'à l'existence de Guilad Shalit, otage dans la bande de Gaza.

A noter cependant que le site de France 3 dédié aux deux journalistes français otages nomme toujours, ce 7 juin 2011, les trois accompagnateurs : "Mohammed Reza, Ghulam et Satar".

Pourquoi  ces JT de France Télévisions ne donnent-ils pas le nombre exact des autres otages français ? Pourquoi n'indiquent-ils pas le nombre des accompagnateurs ? Pourquoi ce flou si peu journalistique ?

Lassitude face à la recrudescence des enlèvements de Français qui fait varier le nombre d'otages français dans le monde (1) ? Victoire des organisations juives françaises - Siona, BNVCA (Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme), qui ont réclamé, depuis janvier 2011 pour Siona, aux chaines publiques la prise en compte de Guilad Shalit parmi les "autres otages français dans le monde" ? Force de la conviction de Richard Prasquier, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), qui lors du diner du 9 février 2011, a espéré que ne soit pas oublié parmi les neuf otages français (1) de " mouvements terroristes islamistes" le jeune Guilad, "détenu par le Hamas depuis près de cinq ans, sans contact avec l’extérieur" ? Ou selon le site JSSNews, s'agirait-il du résultat des actions menées auprès de France Télévisions par Yohann Taïeb et Jonathan Curiel, jeunes militants Juifs français, forts "d'une lettre en date du 24 mai émanant du Chef du Cabinet du Président de la République, M. Guillaume Lambert, leur indiquant que le Président avait chargé le Ministre de la Culture et de la Communication de traiter ce dossier" ?

Sur le site d'Atlantico, l'écrivain Gérard de Villiers avance le 3 juin 2011 une autre explication concernant la référence imprécise aux accompagnateurs : "Grâce à une source à Kaboul digne de foi, France Télévisions a appris que les deux journalistes ont été livrés à un groupe de talibans par un de leurs accompagnateurs, qui avait changé de camp. Comme on ignore lequel, France Télévisions a décidé de "lisser" sa formule, afin de ne pas encenser un traître".

Si ces faits étaient avérés, alors la Mairie de Paris se trouverait dans une position embarrassante. En effet, place de la République, elle a installé le 28 janvier 2011 d'immenses panneaux accompagnés de cette légende : « Paris solidaire des journalistes - Stéphane Taponier, Hervé Ghesquière - et leurs trois accompagnateurs afghans, Mohamed, Gulam et Satar, enlevés depuis le 29 décembre 2009 en Afghanistan ».


Le 6 juin 2011, j'ai interrogé la direction de France Télévisions et de France 3 sur ces mutations sémantiques, sans obtenir de réponse. Le secteur audiovisuel public français pourrait cependant informer ses téléspectateurs des raisons présidant aux changements dans ce triste rappel pluriquotidien et mobilisateur...

Il est triste que France Télévisions ait si longtemps privilégié un nombre d'otages excluant le jeune Juif franco-israélien Guilad Shalit, tout en accordant son attention aux "trois accompagnateurs afghans", pour finalement "botter en touche" en préférant un flou énigmatique au décompte exhaustif des "otages français dans le monde". Le tout avec bonne conscience et sans aucune sanction.

A voir le film de Khoutspa TV en date du 13 mai 2011, lors du rassemblement organisé par le groupe audiovisuel public national près de son siège parisien pour le 500e jour de captivité des deux journalistes. Ce film révèle l'attitude du président de France Télévisions Rémy Pfimlin qui évite d'expliquer cette discrimination et tourne le dos au journaliste l'interrogeant, le silence gêné du ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand, les allégations infondées du directeur de l'information de France Télévisions Thierry Thuillier - Guilad Shalit serait un "prisonnier de guerre. Le Quai d'Orsay considère qu'il est un prisonnier de guerre" (Nda : le site Internet du Quai d'Orsay évoque le jeune otage Guilad Shalit comme un otage) -, David Pujadas, journaliste présentant le JT  de 20 h en semaine sur France 2, éludant - "Je ne crois pas que cela soit le lieu pour évoquer cela ici" -, de Laurent Delahousse, journaliste présentant le JT de 20 h du week-end - "C'est 35 minutes, un journal... Je ne les ai pas tous comptés [Nda : les otages] les uns après les autres" -, etc.

Le 16 juin 2011, Rémy Pfimlin a écrit à Roger Pinto, président de Siona, en se référant à une lettre de M. Pinto du 18 mars 2011 au cabinet du Président de la République Nicolas Sarkozy :
"Après avoir obtenu une position claire et précise du ministère français des Affaires étrangères... le communiqué relatif à nos otages en Afghanistan ne fait plus référence à un nombre d'otages pouvant porter à confusion sur le fait que nous ne considérions pas M. Shalit comme un otage".


Une réponse qui satisfait Siona.

On peut s'étonner sur ce long délai de France Télévisions pour réagir. Le 20 janvier 2011, Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Affaires étrangères, déclarait au quotidien israélien Haaretz :
"Gilad Shalit est un citoyen français. Il est otage depuis plus de quatre ans. Je vais rencontrer ses parents, Noam et Aviva, qui sont en contact étroits avec le président de la République. Sa situation d’isolement total, d’absence de tout contact, sans accès du CICR, sans échanges avec sa famille, sans même un signe de vie depuis très longtemps est profondément inhumaine. Nous demandons sa libération immédiate".


Une interview publiée par le site Internet de ce ministère depuis cinq mois...

Cette lettre de Rémy Pfimlin souligne l'importance du Président de la République et du Quai d'Orsay pour le président de France Télévisions. Car Rémy Pfimlin aurait pu interroger Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem, sur la nationalité de Guilad Shalit.
La réactivité ciblée du CSA
On peut aussi déplorer le silence du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), "autorité administrative indépendante" qui "garantit en France l'exercice de la liberté de communicationaudiovisuelle dans les conditions définies par la loi du 30 septembre 1986" et veille à "la représentation de la diversité de la société française dans les programmes".

Rappelons que Michel Boyon, président du CSA, était l'un des convives à ce diner du CRIF le 9 février 2011, et que le BNVCA avait saisi le CSA, ainsi que le ministère de la Culture et de la Communication, de cette discrimination frappant Guilad Shalit.

Autre fait éclairant. Le 6 mars 2010, interpellé sur les contrôles au faciès, le journaliste Eric Zemmour avait déclaré lors de l'émission Salut les terriens, présentée par Thierry Ardisson sur Canal + : «Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes, c’est comme ça, c’est un fait » (2).

Le lendemain, le dimanche 7 mars 2010, Rachid Arhab, président du groupe de travail "Déontologie des contenus audiovisuels" du CSA, a déclaré dans Médias le magazine présenté par Thomas Hughes sur France 5 : le CSA s'était saisi de ces propos "bien avant même la saisine par le MRAP [Nda : Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples] et par le Club Averroès" (3). Ce conseiller a ajouté : "C'est une question que nous avons regardée de très près cette semaine, que nous allons continuer d'examiner". Et de conclure "à titre personnel", sans engager "ses amis et collègues au CSA", qu"'on peut être Arabe et éventuellement pas trafiquant de drogue. On peut être aussi au CSA". Et le 23 mars 2010, le CSA a sanctionné Canal + par une mise en demeure pour ces propos controversés d'Eric Zemmour.

On ne peut que regretter que le CSA n'ait pas manifesté les mêmes réactivité et sévérité à l'égard de France Télévisions discriminant ce jeune Juif franco-israélien, le même respect à l'égard d'organisations juives françaises l'ayant informé de cette occultation grave du sort de notre compatriote, la même rigueur à l'égard de France 2 dans l'affaire al-Dura ou dans l'affaire Salah Hamouri, etc.

On peut y voir un des signes de l'affaiblissement de la situation des Juifs français dans leur pays et de celle de leurs organisations représentatives.


(1) Voici les noms des otages français dans le monde jusqu'au revirement de France Télévisions au printemps 2011 :
- Gilad Shalit a été capturé en Israël le 25 juin 2006 et est détenu dans la bande de Gaza ;
- Denis Allex, conseiller à la sécurité, membre de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE - service de renseignement), a été enlevé par des islamistes (« Shebabs ») en Somalie le 14 juillet 2009 ;
- Hervé Guesquières et Stéphane Taponnier, journalistes de France Télévisions, ont été capturés le 30 décembre 2009, en Afghanistan ;
- Thierry Dol, Marc Ferret, Daniel et Françoise Larribe, Pierre Legrand ont été kidnappées au Niger en septembre 2010. Le 24 février 2011, Françoise Larribe a été libérée par Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique.

Le 4 avril 2011, Yves Lambelin, entrepreneur, et Stéphane Frantz di Rippel, directeur du Novotel à Abidjan (Côte d'Ivoire), ont été enlevés par un groupe armé dans cet hôtel. Le 1er juin 2011, deux cadavres ont été retrouvés dans une lagune. Le 2 juin 2011, la mort de l'un d'eux était confirmée.
Le 28 mai 2011, trois salariés - deux femmes et un homme - de Triangle Génération Humanitaire ont été enlevés au Yémen.
Au 12 juin 2011, selon l'association Otages dans le monde, il y a 11 otages français dans le monde.  
Au 29 juin 2011, après la libération d'Hervé Guesquières et deStéphane Taponnier, il reste donc neuf otages français dans le monde. C'est ce chiffre qui a été indiqué par le Président de la République Nicolas Sarkozy.

(2) Le 18 février 2011, poursuivi par le MRAP, SOS Racisme et la LICRA devant le Tribunal de grande instance de Paris en raison de ces propos, Eric Zemmour a été relaxé du délit de diffamation, mais a été condamné pour incitation à la discrimination raciale à 1 000 euros d'amende avec sursis et 10 000 euros de dommages et intérêts.

(3) Créé en 1997, le club Averroès "rassemble près de 400 professionnels autour de la promotion de la diversité dans les médias français".


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Cet article a été modifié le 20 juin 2011 à 20 h 07