jeudi 11 juillet 2019

« Watermark » par Michael Ackerman


Né en Israël en 1967, installé à New York en 1974, Michael Ackerman est un photographe autodidacte de l’agence VU, distingué très jeune par des Prix prestigieux pour ses photographies – séries sur les grandes villes (Cracovie, Bénarès, Paris, Naples, Marseille, Berlin) - en noir et blanc et souvent prises sur le vif, la nuit. Des regards hébétés, suspendant le temps. La Galerie Camera Obscura présente l’exposition « Watermark » de Michael Ackerman. Un travail sur le grain de la photo et de la carnation, sur un flou aux contrastes accentués.


          Michael Ackerman est né en 1967 à Tel Aviv dans une famille de rescapés de la Shoah originaires d’Europe de l’Est ayant fait son aliyah juste après la Deuxième Guerre mondiale. Son père d’origine roumaine « était né pour être américain, car l'Amérique vous permet de créer votre propre monde ». « Mon père était très indépendant, il était hostile à toute forme d’autorité. J’ai hérité ça de lui : je n’arrive pas à suivre les règles, il faut toujours que je fasse les choses comme je l’entends. C’est probablement la raison pour laquelle je ne suis jamais devenu un photographe normal », se souvient Michael Ackerman qui vit à Varsovie (Pologne).

En 1974, la famille de Michael Ackerman emménage à New York (Etats-Unis) où il se lance, sans formation, comme streetphotographer.

En 1985, âgé de 18 ans, Michael Ackerman demande et obtient de son père comme cadeau un appareil photo et entre à l'université de New York, Albany.

En 1990, « six mois avant l'obtention de son diplôme, il abandonne ses études de communication, retourne à New York et se consacre à la photographie. Il partage son temps entre les synagogues et les night-clubs à la recherche de mondes nouveaux ».

« C’est cette quête  de ce qui a disparu, de ce qui manque, qui m’a poussé vers la photographie : les images me permettent d’exprimer ce que je ne peux exprimer autrement. J’ai beaucoup de mal à me sentir chez moi où que ce soit. Travailler à New York a été parfait en ce sens : la photo me permettait d’entrer dans chaque communauté, puis de faire mien chaque groupe » De cette errance aussi maladive que salvatrice, sont nés End Time City (1993-1997), plongée au cœur de Bénarès, Smoke (1997-1998), presque-reportage réalisé dans un quartier populaire d’Atlanta, ou encore Half Life (2001-2010), aventure visuellement brutale entre Allemagne et Pologne sur les talons de ses aïeux ».

1993. Premier de ses trois voyages en Inde, notamment à Varanassi. Sur ce périple, sera publié par Robert Delpire en 1999 « End Time City » distingué par le Prix Nadar. « Son travail sur Varanasi, intitulé End Time City, rompt avec toute sorte d'exotisme, avec toutes tentatives descriptives, anecdotes, pour questionner le temps et la mort avec une liberté qui lui permet de passer du panoramique - dont l'usage est ici réinventé - aux carrés et aux rectangles. En noir et blanc, avec une prise de risque permanente, il explore d'impossibles lumières, autorise le regard à travers le grain pour créer des visions énigmatiques et fécondes. Michael Ackerman cherche - et trouve - dans le monde qu'il traverse, l'image de son propre malaise, de ses doutes personnels et de son anxiété ».

En 1997, à Cabbagetown, « banlieue hantée et sauvage d'Atlanta », Michael Ackerman débute « le projet Smoke, du nom du groupe créé par Benjamin, chanteur et poète, travesti et grand amateur de drogues diverses autour duquel Jem Cohen et Peter Sillen réalisent un film documentaire ».

En 1998, le Prix Infinity dans la catégorie Jeune photographe de l’International Center Of Photography couronne ce trentenaire.

« Du bout des lèvres, Michael Ackerman dit employer des films noir & blanc très sensibles (3200 ISO), qui granulent ses surfaces et captent les moindres lumières. « Je photographie presque à l'aveugle: je me sers moins de mon œil que de mon intuition. Mon but est de me débarrasser du superflu pour rechercher la petite chose qui signifie tout pour moi», préfère-t-il lancer. Michael Ackerman résiste à parler de photos en termes académiques, ou techniques. Reste qu'il passe de longues heures dans son laboratoire pour mieux saturer les lumières et noirs suiffeux de ses tirages, pour mieux évacuer le point de netteté, pour mieux atteindre l'effet d'une cornée qui aurait été humidifiée de larmes par fatigue, transpiration, spasme ou dépit, on ne sait trop. «Ce qui disparaît m'intéresse», dit-il encore. Dans le cadre très maîtrisé de ses photographies, des silhouettes passent au loin, posent en sentinelles au coin d'une rue, se perdent dans leurs pensées ou s'étreignent. Le noir & blanc et l'imprécision formelle accentuent l'aliénation de cette humanité, ni triste ni heureuse, qui dérive dans le flux du monde. La photo, ici, n'immortalise rien. Pas de temps suspendu, ni d'instant décisif; bien au contraire, l'image suggère l'éphémère, le transitoire, l'identité poreuse. Les destins se nouent pour aussitôt se dénouer, ce qui vient d'être n'est déjà plus ». (Le Temps, 8 août 2000)

Son livre « Fiction » est publié en 2001 avec une postface de Gilou Le Gruiec, Michael Ackerman, Christian Caujolle. « Fiction surprend d’abord par sa volonté d’échapper à toute narration. Les situations, les êtres, les lieux ne sont pas identifiés, encore moins localisés. Éclats de nuits, fragments de destins croisés, plans-séquences fugitifs et oppressants tissent ce que Michael Ackerman définit comme « une façon de dire plus mystérieuse que le langage ».

En 2009, le Prix SCAM Roger Pic lui est remis pour sa série « Departure, Poland ».

En 2010, son livre « Half Life », avec une introduction de Denis Kambouchner, est publié par Robert Delpire : « Prises en Pologne, à Cuba, New York, Berlin…, les photographies de Michael Ackerman sont difficiles à situer. Elles ne décrivent pas le réel, mais nous plongent dans des visions de cauchemar : des paysages désertiques aveuglés par des nuages de cendre, la fenêtre d’un wagon griffée par des mains absentes… C’est une constellation hallucinée d’images d’exil et de fantômes, où les lieux et les hommes nous absorbent dans la même aura noire. Half Life implique son spectateur dans l’expérience limite qui l’a constitué ».

Depuis 2012, Michael Ackerman collabore à « Eyes in Progres » fondés par Véronique Sutra. Une structure qui élabore des rencontres-débats entre photographes et propose des ateliers animés par des photographes chevronnés.

Vous avez peut-être remarqué les photographies de cet artiste dans Une place sur la Terre, film réalisé par Fabienne Godet (2013). Ce sont celles du personnage incarné par Benoît Poelvoorde.

En 2014, Michael Ackerman travaille avec Vincent Courtois, violoncelliste, et Christian Caujolle dans le spectacle « L'intuition » qui mêle « dialogue entre photographie et création musicale ». Ce spectacle est notamment présenté dans le cadre des Banlieues Bleues en région parisienne et pour les Rencontres d'Arles 2014. » Un projet représenté aussi à Marseille et à Valence.

Quels artistes admire Michael Ackerman ? Cassavetes, Bacon, Rouault et Giacometti.

Des œuvres Michael Ackerman figurent dans la collection de la Maison européenne de la photographie à Paris et celle du Centre régional d’art contemporain (CRAC) Occitanie/Pyrénées-Méditerranée .
                 
« C’est un privilège d’accueillir pour la première fois Michael Ackerman à la galerie avec cette exposition Watermark. Il nous y livre une vision toujours aussi puissante, parcourue de fantômes, des lieux qui inspirent son œuvre depuis des années : l’Inde, New York, la Pologne... Mais l’intime a aussi son importance dans ce travail, qui est évidemment une autobiographie : la naissance de sa fille y incarne la douceur d’un monde qui n’est pas que fureur. Watermark. Ce titre fait référence à un petit incident de laboratoire. Un signe. Sur la planche contact du film réalisé juste après la naissance de sa fille, une marque circulaire, comme dessinée par une main invisible, entourait précisément le visage de Jana. Simple trace due à une goutte d’eau calcaire. Mais Watermark désigne aussi le filigrane, motif caché dans l’épaisseur du papier, que seul le contrejour révèle. Ackerman ne montre pas seulement le monde visible : à travers ses photographies, d’autres images apparaissent, que les apparences suggèrent, suscitent. L’histoire surgit des paysages, elle infuse les lieux, les personnages. Les photographies d’Ackerman résonnent longtemps en nous, en profondeur », a écrit Didier Brousse qui organise l’exposition dans sa galerie Camera Obscura.

L'artiste photographie les visages comme des paysages ravinés par le temps, la solitude. 

CITATIONS

Déclarations de Michael Ackerman 
« Les Indiens ont raison de penser qu'avec la photographie on vole quelque chose de votre âme. C'est précisément pour cela que je fais des photos. »  (Libération, 10 juillet 1999). 
« Pour moi, la photographie a quelque chose à voir avec la disparition » (Libération, 10 juillet 1999). 
« Je ne peux pas photographier pendant des heures, car le niveau d'intensité devient vite intenable. J’essaie d’échapper aux pièges de la réalité tout en conservant un lien avec le réel. Car les photos ne sont pas des inventions mais des rencontres. Il ne s’agit pas de recherche esthétique. Que tout soit hanté n’est pas une volonté complètement délibérée. Mais, pour moi, la photographie est inséparable de la disparition. » (Libération, 10 juillet 1999). 

Ce que pensent de Michael Ackerman
Sarah Moon : « Il y a chez Michael Ackerman un sentiment d'état d'urgence, comme si ses photos étaient prises à l'arraché, envers et contre tout. » (Libération, 10 juillet 1999).

Robert Delpire  : « Michael Ackerman est, à l’évidence, un artiste de notre temps, un temps tragique, un temps dont la mouvance interdit de tracer les frontières entre le présent et l’avenir, entre l’instantané et le souvenir… C'est une Inde comme on ne l'a jamais vue, hantée, hallucinée, transcendée par une aisance d'écriture, tous formats confondus. Un sens du cadre et de la lumière qui, déjà, ne sont qu'à lui. Ce n'est pas une ville qu'il montre. C'est sa propre dérive dans un lieu où se perd le temps, où se mêlent la vie et la mort dans une sorte de glissement frénétique.»

« Eyes in Progress » : « Son travail sur Varanasi, intitulé End Time City, rompt avec toute sorte d’exotisme, avec toutes tentatives descriptives, anecdotes, pour questionner le temps et la mort avec une liberté qui lui permet de passer du panoramique – dont l’usage est ici réinventé – aux carrés et aux rectangles. En noir et blanc, avec une prise de risque permanente, il explore d’impossibles lumières, autorise le regard à travers le grain pour créer des visions énigmatiques et fécondes. Michael Ackerman  cherche – et trouve -dans le monde qu’il traverse, l’image de son propre malaise, des ses doutes personnels, et de son anxiété ». 


Du 7 juin au 27 juillet 2019. Vernissage le jeudi 6 juin à 18 h en présence de l’artiste
268, Boulevard Raspail. 75014 Paris
Tél. : + 33 1 45 45 67 08
Du mardi au vendredi de 12 h à 19 h. Samedi de 11 h à 19 h
Visuels de Michael Ackerman : © Michael Ackerman
Ania, Varsovie, 2014
Varsovie, 2013-2018
Varanasi, 2018
Varanasi-India, 2018
Michelle, New York, 2018
Calcutta, 2018

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