jeudi 8 décembre 2016

Le sénateur Jean-Pierre Plancade a interpellé Rémy Pflimlin, futur président de France Télévisions, sur l’affaire al-Dura


Le 12 juillet 2010, le sénateur français Jean-Pierre Plancade (élu du Rassemblement démocratique et social européen, RDSE) a interrogé Rémy Pflimlin, futur président du groupe télévisuel public, lors de son audition par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat (Paris). Il lui a demandé ce qu’il fera, à son entrée en fonction, afin de « rétablir la vérité » sur les allégations du reportage controversé diffusé par France 2 le 30 septembre 2000. The last, not least. Durant son mandat (2010-2015), Rémy Pflimlin n'a rien fait pour établir la vérité sur "l'incident al-Dura". Le 24 octobre 2016, la Cour des comptes a publié un rapport fustigeant la gestion du groupe public télévisuel : cumul de contrats et de rémunérations, "réformes trop timides, achats peu contrôlés, salaires qui dérapent chez les journalistes, absentéisme ou encore retard dans le numérique". Le 3 décembre 2016, Rémy Pfimlin est mort à Paris.


Après plus d’une heure et demie d’audition de Rémy Pfimlin par la commission sénatoriale de la culture, de l'éducation et de la communication, c’est Jean-Pierre Plancade, vice-président de cette commission, qui prit finalement la parole pour poser la question originale, inattendue.


« Confiance dans l’information » (Rémy Pfimlin)

En une trentaine de minutes, au fil de la présentation de son « projet d’entreprise qui doit se développer autour de valeurs » , Rémy Pfimlin a évoqué trois « corps de valeurs », « socles sur lesquels on construit » et qu’il « souhaite être partagées dans l’entreprise afin de servir de références ».

L’un de ces corps de valeurs était constitué du « respect de l’autre, de la tolérance, des valeurs liées à la diversité ».

Mais c’est le troisième « corps de valeurs » qui revenait en leitmotiv dans son discours : « l’indépendance, la rigueur, la fiabilité qui sont au cœur de ce pacte » qu’il « souhaite voir refonder entre nos concitoyens et la télévision publique » et « marqué par un mot-clé : confiance. Confiance dans l’information, confiance dans les choix, confiance dans la qualité de ce qui est présenté ». Une information définie comme « une des missions-clés des chaines » de France Télévision.

Après une pensée pour Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, deux journalistes de France 3 « allés sur le terrain pour faire des reportages » et devenus otages des Talibans en Afghanistan, Rémy Pfimlin a dit sa détermination à « mettre tout en œuvre pour permettre une libération aussi vite que possible » et a insisté sur le reportage, un « élément-clé de la mission du journaliste. C’est ce qui permet d’expliquer, de comprendre, de montrer et c’est un élément déterminant de la vie démocratique, parce que, sans comprendre ce qui se passe, il est difficile de se faire son propre jugement ».

Et d'exprimer sa « conviction profonde sur l’importance, la nécessité de voir l’information produite par des journalistes dont c’est le métier, la formation et qui produisent une information pertinente, rigoureuse, fiable ». Car la « confiance de nos concitoyens » dans « l’information est directement liée à la rigueur de cette information, et donc à l’application des règles pratiquées dans la déontologie journalistique. Les deux éléments-clés de ce caractère de fiabilité absolue et de confiance sont l’indépendance et la rigueur. Et j’attacherai un poids très particulier à ce que notre information soit… indépendante et rigoureuse, et cette rigueur, en particulier en recoupant l’information, en respectant toutes les règles de l’information, est un élément-clé de la confiance que doivent avoir nos concitoyens ».

Il convient aussi de prendre le « virage numérique pour toucher tous les publics » et de relever « le défi d’avoir des informations en temps réel ». Rémy Pfimlin a souhaité une vigilance à l’égard des « échanges d’images sur les réseaux sociaux ».

Favorable à un « contrat de mandature », il aspirait à une ressource financière « dynamique, pérenne, et prévisible pour travailler sur un plan stratégique à quatre-cinq ans » dans le « siècle du bouleversement numérique ». Sur la publicité, il « s’inscrit dans le cadre de la loi - compensation complète du manque de ressources publicitaires » quand la publicité est supprimée -, il suggérait en une ère difficile le maintien de la régie publicitaire pour rechercher les recettes.

Il a aussi souligné l’urgence de « renforcer les identités des antennes », ce qui requiert « courage et ténacité ».

« Rétablir la vérité » dans l’affaire al-Dura (Jean-Pierre Plancade)

Puis vint le débat qui a duré environ une heure et demie. Le candidat répondant après que deux-trois membres de la commission l’aient interrogé.

Placide, il a écouté deux sénateurs, le socialiste David Assouline et le communiste Jack Ralite, récuser son indépendance : « Vous avez donc été nommé par le Président de la République qui pourra vous révoquer aussi quand bon lui semblera. Epargnez-nous les faux-semblants. Le CSA [Ndlr : Conseil supérieur de l'audiovisuel], les commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat ne sont consultés que pour entériner cette décision… Il s'agit [pour nous] de vous demander comment vous allez crédibiliser [l']indépendance [de France Télévisions] alors que le Président Nicolas Sarkozy vous a mis un tel boulet au pied en mettant son sceau sur votre désignation ?... Comment allez -vous assurer le maintien et le développement d'une information de qualité, honnête, complète et pluraliste. Quelle dispositions comptez-vous prendre pour assurer, en toutes circonstances, l'indépendance de toutes les rédactions ? », résumait David Assouline, vice-président de cette commission, pour expliquer que le parti socialiste ne prendra pas part au vote.

« Un individu prend une fonction en ayant un parcours, une histoire. Peser une décision à l’aune d’une révocation, ce n’est pas être un chef d’entreprise », a répliqué Rémy Pfimlin, ancien Directeur général de France 3 (1999-2006) puis directeur général des messageries Presstalis (ex-NMPP, Nouvelles messageries de la presse parisienne, acteur majeur dans la diffusion de la presse).

Les autres questions ont amené Rémy Pfimlin à répéter son laïus, notamment sur des « antennes différenciées ».

Enfin (71e minute de la vidéo), Jean-Pierre Plancade prit la parole sur une affaire qui lui « tient à cœur et dure depuis trop longtemps ». Habilement, il a repris les valeurs avancées par Rémy Pfimlin – « confiance, indépendance, rigueur et fiabilité » - et auxquelles il est « très sensible » afin de formuler sa question.

Il a souligné que la France « plus que jamais, a besoin de réaffirmer que dans chaque corps de métier, la déontologie, l’éthique est une valeur essentielle sur laquelle on ne saurait transiger. A cet égard, le service public se doit, plus que tout autre, d’être exemplaire ».

Et d’évoquer « l’affaire de la diffusion du reportage sur « la mort », que je mets maintenant entre guillemets, du jeune Mohamed al Doura qui aurait, d’après ce reportage, été tué par une balle israélienne » au carrefour de Netzarim. Un reportage signé par Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem, sur des images attribuées au cameraman palestinien de la chaîne publique, Talal Abu Rahma.

Il « pèse aujourd’hui à l’encontre de France 2 un soupçon grave d’avoir diffusé une mise en scène de cette affaire ; soupçons renforcés par le fait que cette chaîne a perdu le procès qu’elle a intenté contre l’un de nos concitoyens [Ndlr : Philippe Karsenty] qui avait accusé ce reportage d’être, je le cite « une pure et simple mise en scène ». 

Un reportage qui a « catalysé la deuxième Intifada, attisé la haine dans le monde musulman ; des places portent le nom de Mohamed al Doura, des timbres à l’effigie de cet enfant ont été créés et dans la vidéo montrant la décapitation du journaliste américain Daniel Pearl, on voit en fond les images du jeune Mohamed al Doura »

Ce sénateur indiquait avoir vu L’enfant, la mort et la vérité d'Esther Schapira, reportage de la chaîne publique allemande ARD, « soutenant également la démonstration de la mise en scène », ainsi que lu le récent livre de Pierre-André Taguieff [Ndlr : La nouvelle propagande antisémite] édité aux Presses Universitaires de France, dans lequel « est soutenue l’idée de la mise en scène sans que personne, n’ait encore porté plainte pour diffamation contre l’auteur ».

Et de conclure :
« Il est temps que soit levée cette suspicion qui pèse sur France 2, suspicion qui est un poison pour l’esprit et qui, pour la circonstance, pourrait bafouer l’éthique de notre service public. Je souhaiterais donc, Monsieur le président, que vous m’indiquiez quand vous serez en fonction, ce que vous comptez faire pour redonner confiance et rétablir la vérité ».
Se levant spectaculairement, le sénateur Plancade remettait le livre de Pierre-André Taguieff et le DVD de l’émission allemande à Rémy Pfimlin.

Celui-ci répondait alors aux deux questions précédentes, mais non à celle du sénateur Plancade. Puis, voyant ce membre éminent de la commission lever la main pour actionner le micro et reprendre la parole afin d’obtenir une réponse à sa question, Rémy Pfimlin concédait : « Bien sûr, je regarderai le dossier ».

Un sénateur engagé ami d’Israël

Philippe Karsenty, directeur de l’agence de notation des médias Media-Ratings, remerciait et félicitait
« le sénateur Plancade pour sa prise de position citoyenne, honnête, digne et courageuse. C’était la première fois que l’Affaire al Doura était exposée aussi clairement sur une chaîne de télévision française. C’est une avancée majeure qui nous rapproche du dévoilement de la vérité ».
Un bémol : aucun média n’a mentionné l’interpellation du sénateur Jean-Pierre Plancade.

Membre du groupe d’amitié France-Israël au Sénat et de l’association France-Israël, ce parlementaire nous a rappelé, le 13 juillet 2010, son amitié « constante, renouvelée » pour l’Etat juif dans lequel il s’est rendu « une à deux fois ».

Il nous a expliqué son engagement dans l’affaire al-Dura par les « réponses équivoques de France 2 et le refus systématique de celle-ci de fournir l’ensemble des rushes demandés ». Jean-Pierre Plancade refuse cette « guerre médiatique permanente contre Israël ». Il a d’ailleurs été le seul à défendre Israël après l’arraisonnement de la flottille de la « paix » dans une émission de la chaîne du Sénat, Public Sénat, face à  Dominique Voynet, écologiste rattachée au groupe socialiste.

Et d’ajouter : « Derrière [cette guerre médiatique], consciemment ou non, on est dans l’antisémitisme ». Ce que « l’éducation et la culture » de cet élu républicain et catholique, ancien cadre du secteur social, lui ont appris à rejeter. Et si Jean-Pierre Plancade  n'a pas nommé l’antisémitisme dans sa question, c'est pour éviter qu’on ne lui réplique : « On est taxé d’antisémitisme quand on critique Israël ».

Déterminé, ce sénateur de Haute-Garonne (Midi-Pyrénées) va remettre à ses collègues le livre de Pierre-André Taguieff ainsi que le DVD du documentaire d’Esther Schapira concluait : « J’interrogerai Rémy Pfimlin lors de son audition annuelle pour expliquer le budget de France Télévisions, et le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand ».

Et de renvoyer la balle à Philippe Karsenty et au CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui avait obtenu le 18 septembre 2008 l’aval de France 2 pour un « groupe de travail d'experts indépendants » chargé d’« examiner les cicatrices de Jamal al-Dura et son dossier médical, faire de nouvelles radios, analyser les images (en particulier le timecode)… »

Présidée par Patrick Gaubert, ancien président de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), ce groupe de travail ne s’est jamais réuni ; ses membres n’ont pas été désignés.

Le sénateur Jean-Pierre Plancade a été candidat aux élections municipales à Toulouse en 2014.

Durant son mandat (2010-2015), Rémy Pflimlin n'a rien fait pour établir la vérité sur "l'incident al-Dura". Après son mandat, il a été nommé Conseiller d'Etat.

Le 24 octobre 2016, la Cour des comptes a publié un rapport fustigeant la gestion et les "pratiques peu respectueuse des deniers publics" du groupe public télévisuel et aboutissant à une "impasse financière" : cumul de contrats et de rémunérations, "réformes trop timides, achats peu contrôlés, salaires qui dérapent chez les journalistes, absentéisme ou encore retard dans le numérique", cumul de contrats et de rémunérations, situation critique caractérisée par des procédures de contrôles insuffisantes en matière d'achats (hors programmes) de l’entreprise, secteur de l'information peu enclin à se réformer, réseaux régionaux dense et coûteux au regard des deux à trois heures quotidiennes de décrochage produits, définition hésitante de ses missions de service public...

France Télévisions, "société détenue à 100 % par l’État, est un groupe qui rassemble cinq chaînes nationales, 24 antennes régionales, neuf stations de télévision et de radio outre-mer, ainsi que plusieurs filiales. Elle comptait 9 932 emplois à temps plein fin 2015 (hors filiales), dont 86 % d’emplois permanents. Les fonds d’origine publique (2,5 Md€ en 2015) représentent près de 80 % de ses ressources. Après avoir procédé au contrôle des exercices 2009 à 2015, la Cour constate que la gestion de France Télévisions manque de rigueur et que l’entreprise ne s’est pas assez réformée pour faire face à la révolution numérique qui modifie profondément l’environnement dans lequel elle évolue, ses métiers et les usages des téléspectateurs".

Le 3 décembre 2016, Rémy Pfimlin est mort à Paris. Des journalistes et producteurs l'ont loué sur Twitter.


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Cet article a été publié le 18 mars 2014 et modifié le 8 décembre 2016.

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