mercredi 4 janvier 2023

« Sam Szafran. Obsessions d'un peintre »

Le musée de l'Orangerie présente l’exposition « Sam Szafran. Obsessions d'un peintre » (Sam Szafran (1934-2019). Obsessions of a Painter). Un peintre figuratif, né dans une famille juive d'origine polonaise décimée par la Shoah, et représentant une réalité menaçante, déformée, envahie par la Nature et aux "
escaliers en colimaçon devenus labyrinthes".


« Trois ans après la disparition du peintre, le musée de l’Orangerie met en lumière l’œuvre de Sam Szafran (1934-2019). »

« L’artiste a développé depuis le début des années 1960 loin du monde de l’art et de ses engouements, un œuvre atypique dans le retrait de l’atelier. Par son approche figurative et poético-onirique du réel, il occupe une place singulière, hors des mouvements bien identifiés, et par conséquent peu étudiée dans l’histoire de l’art de la deuxième moitié du XXe siècle. »

« Né à Paris, dans une famille d’origine juive-polonaise, Szafran a vécu une enfance particulièrement difficile, marquée par les catastrophes de la Seconde Guerre mondiale qui, par la suite, lui a fait préférer une forme de solitude artistique. Il s’est alors focalisé, de manière aussi étonnante que permanente, sur sa propre existence et ses états intérieurs, donnant naissance à quelques thèmes de prédilection. Le travail de l’artiste revient sans cesse sur un nombre de sujets très restreint – pour lui existentiels – qui ont tous en commun la description de son environnement immédiat – ateliers, escaliers et feuillages. L’économie parcimonieuse des représentations est contrebalancée par une fièvre d’expérimentation envoutante, qui fonctionne comme une ancre jetée dans l’histoire de l’art. »

« Szafran a découvert tôt dans sa carrière les techniques d’Edgar Degas, grand maître du pastel au XIXe siècle, dont il a cherché à réactualiser l’intérêt pour la couleur et la lumière à sa manière, individuelle et contemporaine. Qui, en 1960, aurait pu lui enseigner ce type de savoir-faire ? En autodidacte, il s’est également initié à l’aquarelle, autre terrain de recherche artistique qu’il a poursuivi ardemment jusqu’à la fin de sa vie, synthétisée dans son aspiration à l’alliance du pastel et de l’aquarelle, du « sec et du mouillé ». Parmi ses contemporains, Szafran a désigné le cinéma et Alberto Giacometti comme ses maîtres à penser. Ils lui ont fait comprendre l’espace et le mouvement. L’artiste a mis alors le regard à l’épreuve, en déformant et déconstruisant la perspective, dans des lieux clos, hermétiquement fermés sur eux-mêmes. Le temps passant, ceux-ci se sont ouverts, se sont fragmentés pour donner naissance à des visions éclatées où se multiplient des plans de temporalité dans lesquels les espaces se conjuguent et se confrontent, symboliques d’un ordre à jamais disparu. A cet égard, Szafran est un homme de son temps ».

« Bien que représentée dans d’importantes collections françaises et internationales, l’œuvre de Sam Szafran n’a que rarement été présentée, le plus souvent à l’étranger. Trois expositions lui sont dédiées à la fondation Maeght à Saint Paul-de-Vence en 2000 et à la fondation Pierre Gianadda à Martigny en 1999 puis en 2013. À Paris, après une exposition que lui a consacré le musée de la Vie Romantique en 2000, le musée d’Orsay a mis à l’honneur deux de ses œuvres dans l’exposition « Le mystère et l’éclat. Les pastels du musée d’Orsay » en 2008. Une rétrospective a été organisée à Brühl au Max Ernst Museum en 2010. »

Le musée de l’Orangerie « propose, à travers plus de soixante pastels, aquarelles et fusains, une vue d’ensemble de l’oeuvre de Sam Szafran. Elle se concentre sur les trois thèmes principaux qui ont traversé sa carrière, les ateliers, les escaliers et les feuillages L’exposition invite à découvrir l’oeuvre du peintre au travers de la multiplicité des variations au sein des grands ensembles – l’atelier de la rue de Crussol (1969-1972), les serres et feuillages (1968-2014/16), l’imprimerie Bellini (1972-1976), les escaliers (1974-2005), et les paysages urbains (1997-2014) en mettant, pour la première fois, l’accent sur les processus d’élaboration de l’oeuvre. Carnets, albums de polaroïds, montages photographiques et un court film réalisé à l’atelier apporteront un éclairage inédit sur la création d’images fascinantes et mystérieuses. »

Le Commissariat est assuré par Julia Drost, Directrice de recherche, Centre allemand d’histoire de l’art - DFK Paris, et Sophie Eloy, Responsable de la documentation, de la bibliothèque, des archives et de la recherche au musée de l’Orangerie.


« L’exposition, après une introduction comprenant une chronologie, se développe en 3 parties regroupant les principales séries autour desquelles s’est construite la carrière de l’artiste : les ateliers, les escaliers et les feuillages. Un peu plus d’une centaine d’œuvres sont présentées : environ 26 pastels, 14 fusains, 18 aquarelles, 5 carnets de dessins, des albums de photographies préparatoires, sculptures… »

« Déroulé de l’exposition :
INTRODUCTION
PARTIE 1 Le chaos apprivoisé
o Atelier de la rue Crussol
o L’imprimerie Bellini
PARTIE 2 Le vertige de l’espace – escaliers
o Escalier de la rue de Seine
o Déformations de la vision
o Paysages urbains
PARTIE 3 L’inversion de l’intérieur – feuillages
o Serres et feuillages
o Feuillages à l’atelier »

Textes de salle
INTRODUCTION
« La trajectoire de Sam Szafran n’est comparable à aucune autre. Enfant d’une famille juive polonaise, il a connu pendant la guerre l’ébranlement d’un monde et l’écroulement de l’enfance. La pratique du dessin et de la peinture lui ont offert cet ancrage dans le réel qu’une vie menacée par les dangers de l’Histoire lui avait refusé. En autodidacte, avide de savoir, il a tenu le cap de sa création, retiré dans son propre univers. Dans le secret de l’atelier, Sam Szafran a poursuivi les obsessions dont son œuvre est empli sans détourner le regard. Laissant de côté les débats de son temps, il a choisi la figuration dans une période qui y avait renoncé ou qui l’entraînait dans de tout autres directions. Contemporain des dernières avant-gardes, le peintre s’en est tenu à l’écart tout en les observant avec attention, cultivant un goût pour les techniques passées de mode comme le pastel et l’aquarelle. »

« Szafran a élaboré un vocabulaire fidèle au regard qu’il portait sur le monde, celui qui l’entourait au plus près : ateliers reflétant ses états psychiques, escaliers en colimaçon devenus labyrinthes, espaces envahis par la végétation, boîtes de pastels métamorphosées par un jeu de perspective… »

« Trois ans après sa disparition, cette exposition pose un premier regard sur l’oeuvre désormais achevé. »

« Sam pour moi c’est l’intelligence acrobatique, le cœur en fusion et la déraison fulgurante » Henri Cartier-Bresson, 1988

PARTIE 1
« Le chaos apprivoisé
L’atelier de la rue de Crussol
« Les ateliers que Sam Szafran occupe à Paris et celui qu’il achète rue Vincent-Moris à Malakoff forment plus qu’une série ou un sujet. Il s’agit d’un thème qui traverse l’oeuvre de l’artiste, au coeur de sa vie quotidienne, jusqu’à devenir un exercice d’introspection. Regardés, scrutés, analysés, ces lieux fournissent les multiples facettes d’une observation qui prend sur le papier et sous le bâtonnet de pastel la forme d’une figuration constamment renouvelée. »
« L’atelier de la rue de Crussol, petit espace prêté pour un temps par le peintre américain Irving Petlin, se métamorphose en scène de ses créations, qu’il décrit avec précision : « On y trouve les motifs qui deviendront récurrents selon les séries : les châssis retournés le long des murs (ici ceux de Petlin), le tub suspendu en hommage à Degas (La Bassine), le poêle à charbon, élément central de ce décor surréaliste, les boîtes de bâtonnets de pastel et les livres d’échantillons À La Gerbe qui se reflètent inversés, dans la verrière zénithale mal colmatée, la chaise longue capitonnée trouvée chez Madeleine Castaing où repose une figure amie… »

L’imprimerie Bellini
« En 1970, Szafran reprend avec des associés une ancienne fabrique de lithographies au 83 rue du faubourg Saint Denis. Y furent imprimées à la fin du XIXe siècle des lithographies des affichistes Steinlen, Chéret et Lautrec, puis des affiches de cinéma. Ce lieu inspire à Szafran une importante série de vues d’atelier, qu'il nomme Imprimerie Bellini en hommage à ce peintre vénitien de la Renaissance. »
« Contrairement aux ateliers de la rue de Crussol - variations à partir d’un même point de vue, cette série invite le spectateur à arpenter l’espace, petit à petit, du rez-de-chaussée au sous-sol. Avec précision, Szafran se consacre aux verrières et aux presses d'imprimerie, outils, bassins et pierres lithographiques, n’oubliant pas les amis et ouvriers qui accomplissent leur travail. »
« L’influence du cinéma est perceptible, l’artiste s’appropriant les lieux en fixant comme en travelling différentes perspectives. « Mon premier contact avec l’art a été le cinéma. », confie l’artiste, qui cite parmi ses maîtres à penser les cinéastes Serguei Eisenstein, Orson Welles, ou Alfred Hitchcock. »

PARTIE 2
« Le vertige de l’espace – escaliers »
« L’escalier de la rue de Seine
Le poète Fouad El-Etr s’adresse à Szafran au sujet des dessins qu’il a exécutés au début des années 1970 pour sa revue de poésie : « Prenons le thème de l’escalier par exemple, celui du 54 rue de Seine.
Te rappelles-tu le jour où tu es revenu épingler sur les murs mansardés de ma chambre les premiers croquis, comme des squelettes, avec une rampe pour toute épine dorsale, afin d’apprivoiser ce nouveau modèle et de choisir la meilleure mise en page pour illustrer une couverture ? »
L’escalier y est décrit au fusain en suivant assez respectueusement les codes traditionnels de la perspective. Cette oeuvre est pourtant devenue le préalable à des expériences formelles toujours plus complexes que l’artiste, presque quarante ans plus tard, place sous le signe du regard : « J’ai toujours pensé, comme Alberto Giacometti le disait, que la réalité est beaucoup plus forte que l’utopie, que le rêve ou le fantastique. Ce qui m’importait c’était moins de réussir une oeuvre que de donner la possibilité aux gens de regarder un peu mieux. Le rôle de l’artiste c’était de donner un autre regard, un regard qui permette de voir autrement. »
« On ne pense pas assez aux escaliers. »
Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974

« Déformations de la vision
Le motif de l’escalier est au coeur de l’oeuvre de Szafran, à la croisée de ses préoccupations formelles, et ancré dans son histoire personnelle. L’artiste se souvient, alors qu’il était enfant, avoir été tenu suspendu dans le vide de la cage d’escalier par son oncle le menaçant de le lâcher. Il souligne d’autre part : « Personne avant moi n'avait fait des escaliers, et moi j'ai toujours vécu dans les escaliers. C'est le côté territorial, physique, la survie, les petites bandes de mômes qui tiennent un territoire. »
« Pour rendre les déformations de la vision - point central de ses obsessions, Sam Szafran rompt avec la tradition du dessin perspectif, en distordant l’espace. Il transcrit les sensations du vertige et de la chute en utilisant l’anamorphose et la dynamique en coup de fouet de la « ligne serpentine », empruntée aux peintres maniéristes italiens. Grâce à une technique virtuose, d’abord au pastel puis à l’aquarelle, il cherche à toujours affiner la précision des images formées par son regard. »

Paysages urbains
« Et puis il y a la rue. De plus en plus, le paysage urbain m’intéresse. Je remarque d’ailleurs qu’en peinture il y a beaucoup de choses à faire, qui n’ont pas encore été faites ».
« À partir du début des années 1990, l'artiste mène de nouvelles expériences autour de vues d’extérieurs, progressivement apparues par les fenêtres des escaliers qu’il a représentés. Désormais, Szafran utilise presque exclusivement l'aquarelle sur un support de soie, que lui fait découvrir un artiste chinois. Cette technique autorise des compositions de plus en plus grandes où il tente de conjuguer simultanément l’espace, le temps et le mouvement. Comme un tourbillon d’images, les divers fragments du tableau deviennent partie intégrante d’un grand tout en mouvement. Anciens lieux familiers, souvenirs, choses réelles et irréelles, détails anecdotiques ou concrets, sont des éléments qui viennent composer l’oeuvre peinte. »

PARTIE 3
L’invasion de l’intérieur - Feuillages
« Ne cherchez pas d’ordre dans son oeuvre : sa cohérence est fortuite comme celle de la nature. » Arrabal, Le Panique, 1973
Serres et feuillages
« Au printemps 1966, le peintre chinois Zao Wou-Ki prête son atelier parisien à Sam Szafran. Le lieu recèle une découverte décisive : « j'ai été absolument incapable d'y travailler : j'étais fasciné par un magnifique philodendron qui resplendissait sous la verrière, et qu'il m'était impossible de dessiner. »
« Cette impuissance était devenue une obsession ». Pendant un demi-siècle, l’artiste a ensuite remis sans relâche sur le métier la représentation de plantes, principalement des philodendrons Monstera et des aralias. Les feuillages sont prétextes à des images foisonnantes, bien que Szafran s’oblige à décrire chaque « individu » précisément. »
« La prolifération des végétaux sur le papier donne lieu à plusieurs ensembles. Le premier associe pastel et fusain dans un jeu sur le contraste du noir et du bleu, sans lien avec un quelconque naturalisme. »
« Puis vient la série des feuillages bleus, peu abondante, où la feuille elle-même est l’objet de compositions fondées sur la répétition et la multiplication. Seule une présence humaine, surtout celle de Lilette dans son manteau japonais, offre une respiration dans des peintures inextricables. »

Feuillages à l’atelier
« Puis il y a un saut dans l’univers du végétal, observe l’écrivain américain James Lord. Des plantes ! Des juxtapositions à l’infini de feuilles avec leur palpitation, leur perfection et profusion à la limite du perceptible, chaque feuille enluminée dans l’air vibrant, avec une précision jardinière. » Pour que ses compositions deviennent encore plus foisonnantes, Szafran envisage des formats de plus en plus importants, qu’il est impossible d’exécuter au pastel. Il se tourne vers l’aquarelle, qui permet des dimensions plus grandes et lui offre une nouvelle voie d’expérimentation technique. »
« Il n’abandonne pourtant pas le pastel et se lance le défi d’associer les deux au sein de certaines oeuvres, jonglant entre le sec et le mouillé. Szafran peint les plantes de son propre atelier, qui dans la réalité et sur le papier, deviennent monumentales. Il ne cesse jusqu’à la fin de sa vie de revenir aux motifs végétaux dans un permanent « clin d’oeil à Matisse », qui l’avait précédé dans le goût pour les grandes plantes ornementales dans l’atelier. »

« Repères chronologiques »

« 1934 – 1951
Une enfance révoltée
Le 19 novembre 1934, Sami Max Berger naît à Paris. Enfant aîné de parents émigrés Juifs polonais, il grandit dans le quartier des Halles où il est élevé surtout par sa grand-mère maternelle.
Pendant la guerre, il échappe à la rafle du Vel d’Hiv et se cache à la campagne, dans le Loiret, puis dans le Lot. Après un court emprisonnement à Drancy, il est libéré par les Américains. Son père et une grande partie de sa famille trouvent la mort dans les camps nazis.
Après la guerre, la Croix-Rouge l’envoie en Suisse, à Winterthur, où il commence à dessiner.
En 1948, Il part avec sa mère et sa soeur à Melbourne en Australie, chez un oncle. Il y est très malheureux et fait plusieurs fugues. De retour à Paris, une existence rude et précaire le pousse à la délinquance. Voyant le vélo qu’il a décoré en Australie, un chef de bande lui dit : « Quand on a un talent comme toi on ne tombe pas dans le banditisme. »

1951 – 1960
Le bouillonnement de Montparnasse
Szafran vit d’expédients et travaille dans des ateliers de fortune ; après avoir essayé en vain d’entrer dans une école d’art, il suit les cours du soir de la Ville de Paris. De temps en temps, il est accueilli à l’Académie de la Grande Chaumière dans l’atelier d’Henri Goetz et fait la connaissance de nombreux artistes de la seconde Ecole de Paris. Pour rendre hommage à sa grand-mère, il décide de signer du nom de « Szafran ». Poètes et artistes l’initient à la peinture et à la littérature dans les cafés de Montparnasse. Il s’intéresse à tout, sans a priori.
Ses premières oeuvres laissent transparaître les influences plurielles de l’Ecole de Paris, l’informel, l’art brut et l’abstraction.
Une boîte de pastels reçue en cadeau déclenche une véritable passion pour ce médium alors peu usité.
Il exécute ses premières séries sur le thème des choux et découvre les pastels Roché.

1961 – 1980
Obsessions et séries
Szafran fait le choix de la figuration après sa rencontre, déterminante, avec le sculpteur Alberto Giacometti.
En 1963, il se marie avec Lilette Keller, originaire du Jura Suisse, qu’il a rencontrée à un bal organisé par des artistes. L’année suivante, leur fils Sébastien vient au monde, lourdement handicapé.
Jacques Kerchache organise en 1965 la première exposition individuelle de Szafran qui, peu après, entre à la galerie Claude Bernard. L’oeuvre se resserre autour de thèmes issus du quotidien du peintre : ses ateliers, l’imprimerie Bellini, et l’escalier du 54 rue de Seine, adresse de son ami, le poète libanais Fouad El-Etr, directeur de la revue La Délirante. Enfin, les premiers feuillages voient le jour.
En 1974, il s’installe définitivement à Malakoff dans une ancienne fonderie de métaux. En expérimentateur passionné, il commence à travailler l’aquarelle et cherche à l’associer au pastel.

1981 – 2019
Consécration
En 1982, quatre pastels sont montrés à la Biennale de Venise. Szafran reçoit le Grand Prix des Arts de la Ville de Paris en 1993.
Les formats s’agrandissent, il adopte la soie chinoise comme support pour ses aquarelles et réalise des paysages urbains de grand format.
Jean Clair lui consacre en 1996 une monographie et signe la première rétrospective à la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, puis à la fondation Pierre Gianadda à Martigny. A Paris, le musée de la Vie romantique l’expose deux ans plus tard. En 2006, Szafran conçoit deux céramiques monumentales avec le céramiste Jean Gardy Artigas pour la fondation Gianadda. En 2010, invité par le musée Max Ernst en Allemagne, il accepte d’y exposer. Une grande rétrospective lui est consacrée à la fondation Gianadda en 2013 avant l’ouverture d’une salle consacrée à son oeuvre en 2015. Il est promu commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres. Szafran meurt chez lui le 14 septembre 2019. »


Extrait du catalogue

PREFACE
Claire Bernardi, Directrice du musée de l’Orangerie
« Sam Szafran a traversé la seconde moitié du XXe siècle et le début du suivant en cultivant sans relâche une forme d’insularité.
Sa vie marquée par plusieurs drames, son parcours d’autodidacte aspirant à une culture toujours plus extraordinaire, son choix de la figuration en un temps qui s’en est détourné, en font une figure inclassable. L’exposition du musée de l’Orangerie, dont Julia Drost et Sophie Eloy assurent avec brio le commissariat, répond à une longue attente. En 2018, lorsque Cécile Debray rencontre Sam Szafran pour lui proposer de montrer son travail, elle imagine construire avec lui un dialogue autour de ses principales séries. La disparition de l’artiste en 2019 en décide autrement et donne une orientation légèrement différente à cette exposition, première lecture de l’oeuvre achevé. Elle advient après les trois expositions de la fondation Maeght, de la fondation Gianadda et du musée de la Vie romantique organisées coup sur coup autour de l’année 2000. Jean Clair avec Jean-Louis Prat, Léonard Gianadda et Daniel Marchesseau, en parfaits connaisseurs, avaient conçu ces manifestations avec l’artiste, malgré son choix de toujours se tenir en retrait. Soutenant sans réserve l’oeuvre en train de se faire, ils ont permis à un large public d’admirer fusains, pastels et aquarelles et leur ont apporté une reconnaissance plus institutionnelle. Les auteurs du présent catalogue, sous la direction de Julia Drost avec Sophie Eloy, reconsidèrent le corpus désormais achevé afin d’ouvrir de nouvelles pistes, en particulier sur les liens – généralement tus – de l’oeuvre avec son époque : Emmanuel Pernoud questionne la relation de Szafran avec la notion de travail révélée notamment par ses vues de l’imprimerie Bellini ; Peter Geimer pose un regard de spécialiste de la photographie sur la construction de l’espace dans la série des Escaliers ; Erik Verhagen interroge la distance du peintre avec les avantgardes conceptuelles et minimales ; enfin, Scarlett Reliquet s’intéresse aux dimensions psychologiques et biographiques de l’oeuvre. Julia Drost, s’attachant au végétal, retrace une écophénoménologie de l’atelier, qu’elle a fréquenté assidument du vivant de l’artiste. Lors des funérailles de Sam Szafran, Jean Clair et Daniel Marchesseau ont rendu hommage à l’artiste et à l’ami ; nous en publions ici les textes pour la première fois.
L’oeuvre intensément séduisante s’avère aussi difficile, exigeante, entraînant le spectateur dans les méandres des obsessions de son auteur. Ni photographique, ni conceptuelle, ni réaliste, il s’agit d’une oeuvre de la pensée – presque une oeuvre au noir, dans la tradition de La Recherche de l’absolu, suivant le titre que Balzac donna à son roman alchimique. En se situant au-delà du débat abstraction / figuration que la génération de Sam Szafran a bien connu, sa peinture parle aux artistes d’aujourd’hui de ce que constituent leurs choix d’une approche représentative – plus que figurative. Szafran emploie une technique savante au profit d’une ressemblance de détail. Vision de près et vision de loin composent une peinture inspirée par les rêves. Les ateliers de Szafran, espaces impénétrables dont on ne sort assurément pas indemne, nous emmènent vers l’« inquiétant familier » qu’elle convoque, comme chez Hitchcock, comme dans toute l’histoire d’un cinéma qui l’a si profondément inspiré. »

« Quelques oeuvres commentées »

INTRODUCTION
Sans titre (Chou
), 1961
Pastel sur papier
74 x 65,5 cm
Collection particulière
« Formé aux expressions plurielles de l’École de Paris après la Seconde Guerre mondiale, Szafran trouve sa voie dans le choix de la figuration. Après des essais de peinture à l’huile, le pastel s’impose. Le motif du chou lui donne un prétexte à expérimentation. Légume bon marché présent dans la cuisine juive, il convoque des souvenirs d'enfance aux Halles à Paris. »

PARTIE 1
L’atelier de la rue Crussol
Interior II. L’atelier de la rue de Crussol, mai 1972
Pastel sur calque contrecollé sur carton
119,4 x 81,3 cm
New York, The Metropolitan Museum of Art, Jacques and Natasha Gelman Collection, 1998
1999.363.79
« Les différents états d’ordre et de désordre de cet atelier à travers les onze variations qu’il m’a inspirées – ton général, lumière du jour, lueur de nuit, compositions ordonnées ou déchiquetées – expriment la palette d’émotions vives qui étaient miennes en ce moment, allant de la stabilité relative, sinon de la sérénité, à la colère et au drame passionnel le plus aigu » (Sam Szafran, 2000).

Funambule (Philippe Petit), 1969
Fusain sur papier
79 × 58 cm
Collection Irène et Jacques Elbaz
« En 1971, le funambule Philippe Petit parcourt sur un fil la distance entre les deux tours de la cathédrale de Notre-Dame à Paris. Il est ami avec Szafran qui le prend comme sujet et que l’on retrouve dans certains pastels de la série de l’atelier de la rue de Crussol. »
« Hantant ses oeuvres, l’image de l’équilibriste s’exerçant dans l’atelier fait figure de métaphore de la difficulté du juste équilibre dans son art. »

L’imprimerie Bellini
« Les oeuvres de la série des Imprimeries Bellini décrivent le travail dans un atelier d’estampes sous différents aspects. Certains pastels montrent les machines et les hommes au travail tandis que plusieurs autres mettent au coeur de la composition les boites de pastels, technique que Sam Szafran a choisie à contre-courant de son époque. Placés au bas de l’escalier dans la lumière, ils resplendissent comme un trésor. »
« La série des Imprimeries Bellini offre une particularité dans l’oeuvre de Szafran : elle est plus narrative qu’à son habitude. Au-delà de vues d’intérieurs virtuoses, tant par la composition que par l’usage du pastel dans de si grandes dimensions, ce sont de véritables scènes. Elles témoignent d’une époque et de l’ambiance de travail collectif qui régnait dans cet atelier parisien, mêlant artistes, artisans et machines. »

PARTIE 2
Escalier de la rue de Seine
La Délirante
« Ce fusain au sujet énigmatique montre un homme qui marche à grands pas poursuivant sa propre parole. Il est reproduit sur la couverture du premier numéro de la revue de poésie La Délirante (1967-2000), à laquelle Szafran a contribué jusqu’en 1983. Ce dessin est devenu l’emblème de La Délirante. »
« De 1967 à 1983, Szafran participe très régulièrement à La Délirante, revue de poésie et maison d’édition dirigée par le poète Fouad El-Etr. Les univers spirituels et intellectuels des deux hommes se rejoignent autour de leur intérêt pour le romantisme anglais et allemand ou la poésie japonaise. Leur relation plutôt sceptique à la modernité les unit. »
« De nombreux amis de Szafran, peintres (Jean Paul Riopelle, Martin Dieterle, Orlando Pelayo, Olivier O. Olivier), sculpteurs (Jacques Delahaye, Raymond Mason), poètes (Roland Topor, Georges Schehadé, Octavio Paz) ou funambule (Philippe Petit) ont contribué à cette publication. »

Déformations de la vision
« Dans l’oeuvre de Szafran, l’escalier devient parfois non plus un objet du quotidien mais un objet de contemplation quasi abstrait. L’espace est ici recomposé suivant la rampe qui, détachée de la structure architecturale, prend son indépendance et s’élève en volute dans les airs. Il devient impossible de déterminer le point où se tiendrait le spectateur. Celui-ci se transforme en œil flottant librement dans l’espace. »

Le travail préparatoire
« Vers la fin des années 1970, Szafran se rend équipé d’un appareil Polaroïd au 54 rue de Seine qu’il a déjà abondamment dessiné : « Alors j’ai fait ce que je pouvais en une semaine et à partir de là, j’ai réinventé l’escalier ». Il a constitué ces albums après avoir appris dans l’atelier du peintre Francis Bacon puis lors d’une exposition consacrée à Pablo Picasso qu’ils utilisaient tous deux la photographie. »
« Comme j’avais commencé par le cinéma. Je ne savais pas très bien ou je voulais en venir. C’était d’ailleurs très angoissant. C’était après que j’ai commencé à comprendre, pas sur le coup. Sur le coup, c’était intuitif. » L’artiste utilise ces pages comme les photogrammes successifs d’un film décomposé. »

Paysages urbains
« Szafran, grand admirateur de l’écrivain Georges Perec, travaille dans ses paysages urbains des questions comparables à celles qu’énonce l’écrivain : « L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? » Espèces d’espaces, 1974. »

PARTIE 3
Feuillages à l’atelier
« Szafran a souligné l’importance de la poésie et de la littérature pour son travail. Lorsqu'il se trouve dans une impasse, c’est vers les écrivains qu’il se tourne pour trouver une solution plastique. Ainsi, il reprend le credo de Georges Perec : « Il faut regarder le monde en biais, c'est alors qu'il apparaît en grand relief ». Il rend ici hommage à l’auteur d'Espèces d'espaces (1974) – titre qu’il aurait pu faire sien. »
« Szafran décrit son hommage à son ami Jean Clair, membre de l’Académie Française, comme « une expérience métaphorique liée à l’exposition que Jean Clair a organisée sur l’idée du ciel, du cosmos, l’idée de l’espace, de la lumière, idée qu’on retrouve dans la peinture au cours des siècles. (…) On retrouve dans ce projet ce que j’aime, à savoir le mélange entre les disciplines, entre les scientifiques et les artistes. »

Plateaux de pastels de l’atelier de Sam Szafran
« La Maison du Pastel existe sous différents noms depuis 1720. L’entreprise a connu un nouvel essor au XIXe siècle grâce aux pastellistes de renom, en tête desquels Edgard Degas (1837-1917). Puis, après une période de désintérêt pour cette technique, l’atelier a été repris en 2000 par Isabelle Roché, cousine du fondateur. Dès les années 1960, Sam Szafran soutient les membres de la famille Roché et utilise leurs bâtonnets qu’il décrit comme « la tendresse même ».


Du 28 septembre 2022 au 16 janvier 2023
Jardin des Tuileries (côté Seine)
Place de la Concorde 75001 Paris
Espace d’exposition temporaire, niveau -2
Tél. : 01 44 50 43 00
Tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h 
Visuels :
Affiche de l’exposition Sam Szafran (1934 – 2019). Obsessions d’un peintre 
© Graphisme C. Lakshmanan, direction de la communication, EPMO 

Szafran Sam (1934-2019) 
L’atelier de la Rue du Champ de Mars (second Orage) 
1969-1970 
Fusain sur papier 
107 x 75 cm 
Collection particulière 

Szafran Sam (1934-2019) 
Sans titre 
1981, 
Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle, achat 1982, AM 1982-35 
© Sam Szafran, ADAGP, Paris 2022 
Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat 

Szafran Sam (1934-2019)
Imprimerie Bellini 
1972 
Pastel sur calque contrecollé sur carton 
139 x 100 cm
Collection particulière © Sam Szafran, ADAGP, Paris, 2022
Photo Galerie Claude Bernard / Jean-Louis Losi

Szafran Sam (1934-2019)
Hommage à Jean-Clair pour son exposition « Cosmos, 
2012
Aquarelle
237 x 318
Collection particulière
© Sam Szafran, ADAGP, Paris 2022
Photo © Musée d’Orsay / Sophie Crépy

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