mardi 26 avril 2022

« Roads » de Sebastian Schipper

Arte.tv diffuse « Roads » de Sebastian Schipper. « Des plages marocaines à la "jungle" de Calais, la drôle d’odyssée d’un Anglais fugueur et d’un réfugié congolais... Par le cinéaste allemand Sebastian Schipper ("Victoria"), un road-movie intimiste emmené par un remarquable duo de jeunes acteurs, Fionn Whitehead ("Dunkerque") et Stéphane Bak ("Twist à Bamako"). »


« Après une énième dispute, Gyllen, jeune Anglais de 18 ans en vacances au Maroc avec sa famille, décide de prendre la tangente au volant du camping-car qu’il a volé à son beau-père. Direction la France, où réside son paternel. Sans permis, Gyllen embarque avec lui William, un clandestin congolais de son âge qu’il vient de rencontrer. Lequel s’est lancé seul à la recherche d’un frère parti pour l’Angleterre et dont il est sans nouvelles. Au fil de leur étrange odyssée à travers l’Europe, ponctuée de rencontres hasardeuses entre plages, parkings et lieux interlopes, les deux garçons s’apprivoisent peu à peu, en confrontant leurs places respectives dans le monde. » 

« Récompensé à la Berlinale en 2015 pour le stupéfiant polar Victoria, tourné en un unique plan-séquence, le cinéaste allemand Sebastian Schipper change ici de registre, tout en confirmant sa liberté formelle : il signe un beau road-movie d’apprentissage sur fond de crise migratoire, qui s’offre quelques détours par le thriller ou la comédie burlesque ». 

« Les routes qu’il dépeint, ce sont aussi ces deux adolescences parallèles qui n’ont en commun que leurs rêves d’ailleurs : celle du jeune Occidental privilégié, pouvant se payer le luxe de l’immaturité et des prises de risques, et celle du réfugié africain pour qui la prudence et l’humilité sont devenues, face aux épreuves, une seconde nature ». 

« La force émotionnelle de Roads, qui ne cède jamais au pathos, réside avant tout dans l’interprétation habitée de ses deux remarquables acteurs, le Britannique Fionn Whitehead (révélé dans Dunkerque de Christopher Nolan) et le Français d’origine congolaise Stéphane Bak (L’adieu à la nuit, Twist à Bamako). » 

ENTRETIEN AVEC SEBASTIAN SCHIPPER

« Comment passer de Victoria à Roads ?
Sur Victoria, je me suis demandé : « Comment filmer Berlin en tant que réalisateur indépendant et international ? ». Je ne suis pas berlinois, mais j’y ai longtemps vécu et je trouve cette ville très belle. J’avais envie de faire un film international ou en anglais depuis longtemps. Je n’avais pas prévu de faire Roads maintenant, même si c’est la suite logique de Victoria. C’est arrivé comme ça. En fin de compte, le réalisateur est porté par une histoire.

Quel en est le point de départ ?
Je voulais faire un film sur deux garçons dont les chemins se croisent et qui décident de voyager ensemble. Une amitié naît entre eux. C’est un voyage d’apprentissage. On suit leurs aventures à travers leurs yeux. Les deux adolescents apprennent à se connaître si bien qu’ils ont chacun pleinement conscience des problèmes de l’autre. Comprendre les problèmes des autres, c’est ce qui nous rend humain. Avoir de la compassion.
C’est important que William se mette à la place de Gyllen. Gyllen vient d’un milieu privilégié, bien sûr. Ses problèmes ne sont pas comparables à ceux de William, qui risque sa vie. Mais il a sa propre histoire. Sa crise existentielle doit être prise au sérieux. Son statut social le dessert. On ne règle pas ses problèmes en se disant que c’est pire ailleurs. Ça ne marche pas comme ça. On ne peut pas comparer la douleur. Et ça n’a aucun intérêt.
Avoir de la compassion, ce n’est pas se dire : « Je suis bien loti, ta vie est pire que la mienne. », mais plutôt : « Je ressens ta douleur. Je la ressens parce que je la connais. » C’est ça, la compassion. C’est ma contribution au débat sur l’immigration. Tout le monde devrait pouvoir se laver, manger à sa faim et dormir au chaud, à l’abri. Ça n’a rien d’un discours politique. C’est comme ça. On peut débattre de plein d’autres sujets. C’est même important de le faire. Mais ces droits élémentaires sont non-négociables.

Quel est le parti-pris de mise en scène de Roads ?
Je suis un adepte de la narration filmique. Avec mon co-scénariste, Olli Ziegenbalg, nous avions la même envie de raconter une histoire. 
Nous aurions pu la raconter de manière décousue ou complexe, mais j’ai toujours aimé les histoires foncièrement simples. Victoria raconte une histoire classique que j’ai abordée de façon originale. À l’inverse, Roads parle d’un sujet atypique, mais j’ai choisi un mode de narration très conventionnel.
C’est un thème terriblement d’actualité. Je ne voulais pas montrer ce qu’on voit aux informations tous les jours. On voit des images de camps de réfugiés et on pense savoir ce qu’ils vivent. À vrai dire, on n’en sait rien. Moi-même, je ne sais toujours pas. Ce que je sais, c’est qu’ils sont plus que des réfugiés. Ils ont tous une vie à côté. Être réfugié n’est pas un métier. Leur situation est difficile et précaire ; ils survivent. Ils quittent leur pays en quête d’une vie meilleure ou souvent pour fuir quelque chose.
On a tourné dans l’ordre chronologique. Dans le film, on suit les personnages du Maghreb jusqu’à la France en passant par l’Espagne.
C’est le voyage qu’on a également entrepris durant le tournage. Au début, le film est vivant, déluré, bruyant, rapide et drôle aussi. Puis, il adopte un ton plus sérieux. Le film devient dramatique quand l’intrigue autour du père de Gyllen se développe. À la fin, on est plongé dans un réalisme épuré. Je ne pouvais pas filmer la jungle de Calais autrement.

Comment s’est passée l’écriture ?
Pendant l’écriture du scénario, Olli et moi avions en tête l’idée que les enfants, lorsqu’ils se sentent en danger, se réfugient dans leur imagination. Mais grandir, c’est aussi se confronter à la dure réalité. 
C’est le cas de mes deux personnages. Ils se réfugient dans une vie fantasmée où ils peuvent être tout ce qu’ils veulent. C’est quelque chose que j’ai remarqué en discutant avec plusieurs réfugiés : ils débutent leur voyage avec un rêve enfantin en tête. Je ne pouvais pas leur dire qu’ils avaient tort. Tous les films sont des rêves d’enfant, des fantasmes. Mais la réalité nous rattrape toujours. Pour les réfugiés, la réalité est sans pitié. En grandissant, on s’efforce de réaliser nos rêves, et on tombe souvent de haut. Ça ne veut pas forcément dire qu’on en ressort anéanti.
Pour moi, c’est un des thèmes centraux du film. On ne peut pas réaliser tous ses rêves.

C’est ce que découvrent les deux héros ?
Plus l’histoire avance, plus les rêves de Gyllen et William partent en fumée. Mais ils ne sont pas abattus pour autant. Dans l’idéal, ces désillusions nous font grandir. Ça nous remet la tête sur les épaules, ça affine notre perception du monde et ça nous permet de progresser.
Dans la vraie vie, ça ne se passe pas comme ça. C’est là toute la tragédie : les deux garçons ne sortent pas indemnes de leur voyage – c’est inévitable. Ils se rencontrent à un moment de terrible solitude.
C’est ça, notre histoire. On ne se sent jamais aussi seul qu’à 16 ou 17 ans. On s’éloigne de ses parents et tout à coup, les livres qu’on lit, la musique qu’on écoute et les films qu’on regarde deviennent une bouée de sauvetage, un phare dans la nuit.

Et les amis qu’on se fait...
L’amitié est une chose incroyable, qui relève presque de la magie, surtout dans un environnement aussi hostile qu’un camp de réfugiés.
Notre film n’a pas pour ambition de faire un état des lieux de la situation et d’expliquer leur quotidien. C’est un sujet bien trop complexe et vaste.
Ce serait impossible. Ce n’était pas mon objectif. Ce n’est pas l’idée que je me fais d’un film, ou en tout cas d’un film que je pourrais réaliser.
J’espère avoir réussi à réaliser un film qui fait réfléchir et qui ouvre le débat.

Vous avez choisi de faire un road-movie, un genre classique du cinéma américain.
J’associe le road-movie américain aux grands espaces. Dans mon film, il n’y en a pas. On ne peut pas vraiment le comparer aux films américains de cette époque-là. Je ne sais pas si le terme s’y prête. 
C’est un road-movie, mais ce n’est pas le sujet de Roads. On a tourné au Maroc, au nord et au sud de l’Espagne. On a tourné à Arcachon et à Calais. La météo et la lumière changeaient tout le temps. Matteo Cocco, mon directeur de la photographie, m’a dit : « Si on regarde les rushes d’un bout à l’autre, on a l’impression qu’on a à peine bougé. » Il y a un peu de ça. Le côté carnet de voyage n’est pas central dans le film. Ce qui importe, c’est le voyage intérieur que chacun entreprend, de la distance émotionnelle qu’on parcourt, du lien fraternel qu’on peut tisser avec un parfait inconnu.

Qu’est-ce qui vous tient à cœur en tant que réalisateur ? Quel est le lien entre le réalisateur de Roads et celui de Absolute Gignaten, sorti à la fin des années 90 ?
Un film doit être vivant et facile d’accès en apparence. Mais pour que ça marche, il faut savoir précisément où on va, ce qu’on fait et ce qu’on veut raconter en sous-texte. Certes, je réalise depuis 20 ans, mais j’ai fait très peu de films. Il y a toujours quelque chose d’exaltant dans le processus de réalisation. Sur ce film, j’ai endossé pour la première fois le rôle de producteur. Sur le tournage de Roads j’ai ressenti le même enthousiasme, la même curiosité et la même folie que sur mon premier film. L’expérience ne suffit pas. Il faut avant tout être curieux ! On s’est lancé dans ce projet avec une montagne de questions. On a cherché des réponses ensemble. C’est au public de nous dire si on les a trouvées. Ce qui m’importe le plus, c’est le processus, la satisfaction d’avoir réussi à aller jusqu’au bout. Je suis heureux d’avoir eu cette chance. Maintenant, j’ai hâte de découvrir jusqu’où ce film ira. »


« Roads » de Sebastian Schipper
Allemagne, 2018, 89 min
Scénario : Sebastian Schipper, Oliver Ziegenbalg
Production : Missing Link Films, Kazak Productions, WDR, ARD Degeto, ARTE France Cinéma, Komplizen Film, Studiocanal Film, RadicalMedia
Producteurs : David Keitsch, Sebastian Schipper
Image : Matteo Cocco
Montage : Monica Coleman
Musique : The Notwist
Avec Fionn Whitehead (Gyllen), Stéphane Bak (William), Moritz Bleibtreu (Luttger), Ben Chaplin (Paul), Paul Brannigan (Alan), Marie Burchard (Valerie)
Costumes : Jürgen Doering
Décors de film : Chloé Cambournac
Son : Philippe Welsh
Disponible du 20/04/2022 au 26/04/2022
Visuels : © Missing Link Films

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Les citations viennent d'Arte et du dossier de presse.  

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