mardi 23 novembre 2021

« Nous » d’Alice Diop

Arte diffusera le 24 novembre 2021 « Nous » (Wir) d’Alice Diop. « Un voyage à travers la banlieue parisienne le long de la ligne B du RER, pour un portrait en mosaïque de ceux qui l’habitent. Inspirée par "Les passagers du Roissy-Express" de François Maspero, Alice Diop documente des vies "de peu", qui confluent vers un possible "nous".
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« Au lendemain de la manifestation du 11 janvier 2015, en réaction aux attentats de "Charlie Hebdo" et de l'Hyper Cacher, "Libération" titre en une "Nous sommes un peuple", et Alice Diop ("La permanence") s’interroge sur cette foule très majoritairement blanche ». Arte n'a pas qualifié ces attentats terroristes d'islamistes. Un oubli ?

« À la manière de François Maspero dans son livre "Les passagers du Roissy-Express" (Seuil, 1990), la cinéaste décide alors d’entreprendre un voyage au long cours en suivant la ligne B du RER, à la rencontre de tous ces “autres” qui ne figurent pas sur la photo ». 

« De son enfance revisitée en Seine-Saint-Denis, sur les traces fugaces de parents émigrés du Sénégal dans les années 1960, aux sentiers d’une forêt automnale en vallée de Chevreuse empruntés par une chasse à courre en passant par le Mémorial de la Shoah de Drancy, le périple met en lumière un territoire contrasté ». 

« Esquissant un portrait choral de Franciliens saisis dans leur quotidien, la réalisatrice tisse ainsi librement le récit d’un "nous" possible ». 

« Un ferrailleur malien au Bourget, une infirmière – la sœur d’Alice Diop –, visiteuse patiente de destins brinquebalés, des royalistes fervents qui assistent à la messe en mémoire de Louis XVI à la basilique de Saint-Denis, des adolescentes joueuses et tchatcheuses, l'écrivain Pierre Bergounioux ou des jeunes de cités émus par "La foule" d’Édith Piaf…: devant sa caméra défilent, sans ordre ni hiérarchie, comme à travers les vitres d’un train, visages et paysages de banlieue, pavillons avec jardins et grands ensembles, composant envers et malgré tout une vacillante mémoire collective. »

« Comment faire communauté au-delà des différences ? Comment agréger des micromondes, à la lisière les uns des autres, sur un même territoire ? » 

« En questionnant en toute sensibilité les dissemblances mais aussi l’humanité partagée de ce "nous" flou voué à l’impermanence, Alice Diop documente d’abord les vies “ordinaires” des oubliés de la photo et leur restitue une place dans le cadre national ». Des oubliés ou des gens qui ont refusé d'appartenir à la France solidaire des victimes de la rédaction de Charlie hebdo et de l'hypercacher de la porte de Vincennes à Paris ?

« Alors que les regards brillent à l’unisson, étoilés par un feu d’artifice de 14 Juillet, son film-mosaïque se fait le reflet d’une histoire de France en mouvement. » Ou en fragmentation avancée.

Meilleur documentaire, meilleur film (sélection Encounters), Berlinale 2021



« En suivant la ligne du RER B, la réalisatrice Alice Diop réinvente l’imaginaire de la banlieue pour collecter les récits de vie et sonder la mémoire de ses habitants. Entretien. Propos recueillis par Clara Le Quellec. 

Pourquoi le RER B ? 
Alice Diop : Pour le livre de François Maspero, Les passagers du Roissy-Express, relatant la randonnée qu'il fit en 1989 le long du RER B. Cette ligne relie des mondes sociaux variés. Elle franchit des zones industrielles, des cités, des quartiers pavillonnaires, des lieux d’histoire comme le Mémorial de la Shoah à Drancy ou la basilique de Saint-Denis... Native d’Aulnay-sous-Bois, je la connais depuis toujours. Faire un film à partir de ce livre, c'était réaliser un projet politique autant qu'intime. Remonter le fil d'une histoire familiale tout en m'interrogeant sur la possibilité d'un “nous” entre des gens que tout sépare. Le RER B m'offre le cadre pour questionner tout cela.

Quelle continuité votre film établit-il avec le livre de François Maspero ?
La beauté du livre, c'est d'abord son projet : arpenter ces territoires que l'on regarde peu ou très mal pour les offrir à la littérature, loin des fantasmes et des images réductrices. La banlieue échappe ainsi au regard journalistique ou sociologique trop souvent posé sur elle. Ce qui intéresse Maspero, c'est l'ordinaire, la banalité, le non-événement. En cela, sa démarche est éminemment politique. J’ai longtemps désiré en faire un film. Après les attentats de 2015, j’ai éprouvé le même besoin de fuir les discours réducteurs. Décrire mon expérience sensible inspirée de cette approche pouvait y répondre. Durant un mois et demi, aux côtés d’un aquarelliste, j'ai arpenté les alentours du RER B sans savoir ce que j'allais y trouver. Nous est né de cette expérience en la prolongeant.

Proposer un contre-regard apaisé sur la banlieue était-il votre but ?
Je désirais la documenter avec beauté et poésie, dans la continuité aussi du travail commandé dans les années 1980 par la Datar à des photographes, dont Raymond Depardon. Le film capte des vies invisibilisées. Je fais du cinéma pour offrir une existence à ceux qu’on ne regarde pas. Collecter leurs traces les inscrit dans un imaginaire cinématographique et politique. À l’écran, les archives de ma famille sénégalaise, devenue française par ses enfants, transcendent l’intime pour livrer une valeur mémorielle collective. Je veux empêcher ces gens de disparaître du récit national comme ce fut le cas pour mes parents.

Ce “nous” apparaît-il davantage possible à la lumière du film ?
Il reste autant une question qu'un constat, une utopie ou un projet en cours. Mais il existe en tout cas dans ce film, puisque des univers que tout oppose et qui s'ignorent y coexistent. Un monde sépare les royalistes commémorant la mort de Louis XVI à la basilique de Saint-Denis et Ismaël, le sans-papiers qui dort sous un pont de l’A86, mais ils partagent le même territoire. Des gamins de cité aux patients de ma sœur infirmière, en passant par l’essayiste Pierre Bergounioux dont les Carnet de notes saisissent la vie d’un intellectuel de Gif-sur-Yvette, ce film leur donne à tous une place, sans a priori. »


« Nous » d’Alice Diop
France, 2018, 113 min
Coproduction : ARTE France, Athénaïse 
Sur Arte le 24 novembre 2021 à 22 h 30
Disponible du 17/11/2021 au 29/01/2022
Visuels : © Athénaïse

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