lundi 4 octobre 2021

« Propagande, les nouveaux manipulateurs » par Alexandra Jousset et Philippe Lagnier

Arte diffusera le 5 octobre 2021 « Propagande, les nouveaux manipulateurs » (Propagandamaschine Social Media), documentaire partial d’Alexandra Jousset et de Philippe Lagnier. « Comment le laisser-faire sur les réseaux sociaux permet aux nationalismes populistes de propager la haine et le mensonge. Cette enquête dévoile la partie immergée de l'iceberg "fake news" dans quatre pays "écoles" : États-Unis, Inde, Brésil et Italie. »

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Arte propose un "Spécial Propagande". "Quelles formes a pris la propagande au fil du temps ? ARTE consacre à la question une programmation spéciale, avec, entre autres, un documentaire qui recense les manipulations les plus emblématiques de l’histoire."

« Il y a quinze ans encore, on percevait les réseaux sociaux comme un ferment démocratique nouveau qui, en favorisant la diffusion de l'information et la communication horizontale entre citoyens, aiderait les peuples à briser leurs chaînes, de l'Europe orientale au monde arabe ». 

« L'histoire s'est écrite autrement : l'assaut sur le Capitole des partisans de Donald Trump, le règne chaotique de son homologue Jair Bolsonaro, les offensives ciblant les musulmans dans l'Inde de Narendra Modi ou le succès fulgurant des mots d'ordre racistes du leader de la Ligue italienne Matteo Salvini ont mis en évidence le pouvoir dévastateur à l'échelle planétaire des appels à la haine et de la désinformation qui circulent en temps réel sur les médias sociaux ». Les milliers de partisans manifestant en faveur du Président Donald Trump à Washington ne se sont pas rués sur le Capitole. Quels "mots d'ordre racistes" ?

« Au travers de ces quatre cas d'école, Philippe Lagnier et Alexandra Jousset dévoilent de façon précise et détaillée comment, et avec qui, fonctionne cette vaste fabrique de propagande si difficile à contrer ». 

« Explorant les coulisses de ce mouvement qui a pour logiciel commun la dénonciation virulente du "mondialisme", des élites ou du socialisme, sur fond de xénophobie et de conservatisme sociétal, leur enquête montre comment, sous l'égide de conseillers de l'ombre experts en propagande numérique, des armées de hackers, de sondeurs d'opinion et de spécialistes du big data s'emploient à attiser les colères dormantes. »

« Tels Luca Morisi, très discret conseiller de Matteo Salvini, ou Arvind Gupta, architecte de la foudroyante force de frappe en ligne du BJP, le parti nationaliste hindou de Narendra Modi, ces "ingénieurs du chaos", parmi lesquels figurent aussi les trois fils de Jair Bolsonaro, ou l'ex-conseiller de Trump Steve Bannon, jouent sur le "microciblage" des peurs, des frustrations et des fragilités de millions d'individus, identifiées par leurs multiples traces laissées en ligne ». 

« Même si les vidéos sont fabriquées de toutes pièces, même si la violence des mots et des images se concrétise parfois en lynchages et en émeutes, Facebook, Instagram et désormais Whatsapp continuent de relayer massivement ces messages sur mesure ». Au contraire, ils censurent ce qui contredit le "politiquement correct".

« Politiquement comme en termes commerciaux d'audience, cela marche : les sociétés se polarisent, la vérité devient toute relative et les tribuns progressent ». 

« Philippe Lagnier et Alexandra Jousset ont rencontré sur trois continents des artisans, des "petites mains" et des convertis de cette nouvelle propagande, mais aussi des cybermilitants, des journalistes et des chercheurs qui la combattent activement ». 

« En élucidant les tenants et aboutissants d'un phénomène opaque et omniprésent qui sape les fondements mêmes de la démocratie, ils démontrent que celui-ci ne relève pas d'une quelconque fatalité postmoderne, et qu'on peut le combattre ». 

« Ils soulignent aussi combien l'inertie volontaire des Gafam – illustrée entre autres par le silence éloquent de Mark Zuckerberg, patron de Facebook et de Whatsapp, sur sa responsabilité dans l'attaque du Capitole face à la commission d'enquête américaine – constitue l'un des cœurs du problème. »

Qu'est-ce qu'une "fake news" ? L'origine laborantine chinoise du coronavirus était labellisée "fake news" en 2020, et reconnue comme une hypothèse vraisemblable en 2021. Le gouvernement français assénait en mars 2020 que les masques étaient inutiles car les stocks manquaient, et les a imposés en affirmant leur caractère indispensable quelques mois plus tard. Alors, "fake news" étatique ?  

Quid du rôle exorbitant des Gafam qui étiquettent "faux", sur des critères inconnus, des informations, et osent censurer le Président des Etats-Unis, alors Donald Trump ?

Le 29 septembre 2021, le Président de la République Emmanuel Macron a établi une Commission chargée de réfléchir sur les "impacts d’Internet sur notre information, notre démocratie". Elle est composée d'une "quinzaine d'experts (historiens, universitaires, journalistes, acteurs de terrain etc.), autour du sociologue Gérald Bronner, dans une commission nommée « Les Lumières à l'ère numérique », pour penser l'espace de débat commun de notre démocratie". 

Perdure la volonté du Chef de l'Etat de poursuivre dans une voie liberticide initiée par sa Loi contre la manipulation de l'information, dénommée « loi infox » ou « loi fake news », promulguée le 22 décembre 2018, et la Loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia », largement censurée par le Conseil constitutionnel, créant un parquet spécialisé, et un observatoire de la haine en ligne rattaché au CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) et qui offrait aux Gafam des pouvoirs attribués au juge judiciaire, garant, constitutionnel des libertés individuelles (article 66 de la Constitution de 1958).

"Pour Julien Giry, chercheur en science politique à l’université de Tours, cet intitulé en dit long : « Il oppose un discours de rationalité, qui serait celui des sachants et du pouvoir, à la bêtise des jeunes et des masses populaires, qui s’informeraient uniquement sur Internet. »

"Julien Giry l’assure : « Il n’existe à ce jour aucune étude de long terme permettant de conclure à une hausse du nombre de personnes adhérant à une vision conspirationniste. Le seul événement pour lequel de telles données existent est l’assassinat de Kennedy, en 1963, et quelles que soient les époques et les variables, on est toujours à 80 % d’Américains adhérant à l’idée d’un complot contre l’ancien président. »

"La commission sur le complotisme mise en place par le gouvernement est une idée très inquiétante. Ce n’est pas à l’Etat d’édicter le vrai et le faux, d’établir ce qu’il faut dire et ne pas dire. On vit vraiment une période sombre pour les libertés publiques. Quant aux motivations politiques de tout ça, elles sont assez limpides. Macron agite de manière exagérée la menace du complotisme pour se poser en gardien de la raison face aux extrêmes", a twitté Mathieu Slama, analyste politique, le 3 octobre 2021.



« Grands reporters à Capa, Philippe Lagnier et Alexandra Jousset alertent sur le pillage généralisé des données en ligne pour promouvoir des idées mortifères, souvent en toute légalité, y compris en Europe. Entretien croisé. Propos recueillis par Irène Berelowitch ».
 
« Que révélez-vous sur la manière dont les réseaux sociaux ont relayé la propagande populiste, ces dernières années ?
Philippe Lagnier : Nous sommes partis d'un constat : le succès des populismes dans le monde démocratique, la prolifération des fake news qui a accompagné leur ascension et les audiences spectaculaires engrangées par leurs représentants sur les réseaux sociaux. Nous avons voulu comprendre comment les nouvelles technologies de l'information, utilisées quotidiennement par des dizaines de millions de gens, favorisaient ces mouvements politiques. Ce que nous avons découvert, d'abord, c'est l'extrême facilité avec laquelle, en dépit du scandale Cambridge Analytica *, on peut continuer de piller des données pour mettre en œuvre un "microciblage" très efficace, agrégeant de façon centrifuge les colères à l'œuvre dans une société. Or, malgré leur violation flagrante de l'éthique et des principes démocratiques, la plupart des exemples que nous documentons sont soit tout à fait légaux, soient restent complètement impunis.
Alexandra Jousset : Montrer dans un film combien il est facile d'établir des cartographies détaillées (adresse, téléphone, intérêts, orientations sexuelles, politiques…) des utilisateurs de Facebook ou Instagram, alors que ces plates-formes sont censées protéger la confidentialité des échanges, peut contribuer, du moins nous l'espérons, à éveiller les consciences sur le danger que cela représente. Nous pointons aussi la manière dont la messagerie, pourtant cryptée, de Whatsapp fonctionne désormais comme un relai très efficace de ces messages de haine, en raison de son usage plus privé, plus intime : on se méfie d'autant moins d'une intox qu'elle vous a été transmise par un proche. Le BJP de Narendra Modi, en Inde, où beaucoup de gens ne recourent plus qu'à leurs groupes Whatsapp pour s'"informer", a été pionnier dans ce domaine.

Quels ont été les principaux obstacles auxquels vous ayez été confrontés ?
A. J. : Cela a été très compliqué de tourner en pleine pandémie dans quatre des pays les plus touchés. Mais le plus dur a été de convaincre de parler à visage découvert ceux que notre conseiller éditorial, Giuliano Da Empoli, appelle les "ingénieurs du chaos". En Inde, faute de visas, refusés pour raisons tant sanitaires que politiques, nous n'avons pas pu filmer nous-mêmes. Heureusement, l'équipe sur place a magnifiquement travaillé, et réussi à rencontrer tous les interlocuteurs prévus, dont Arvind Gupta, le proche conseiller de Narendra Modi.
P. L. : Pour montrer comment la propagande se diffuse, le témoignage de ces petites mains, ces conseillers de l'ombre qui œuvrent aux échelons intermédiaires, était important. Ceux qui ont accepté ont aussi été poussés par leur ego, l’envie d'occuper le devant de la scène. 
A. J. : La séquence en caméra cachée dans l'officine brésilienne de siphonnage de données résulte, elle, d'un vrai coup de chance. C'est sur place, de contact en contact, que nous sommes arrivés jusqu'à elle. 

Les États ont-ils réellement la possibilité de lutter contre ces pratiques ?
A. J. : Le projet de loi européenne sur la protection des données, évoqué dans le film, est fondamental, mais il se résume pour l'instant à un cadre vide, dont le contenu va se négocier dans les trois ans qui viennent. Or le diable se niche dans les détails. Dans quelle mesure les citoyens vont-ils peser sur le débat, alors qu'ils restent largement ignorants du danger ? L'actuel RGPD [règlement général sur la protection des données, en vigueur depuis 2018 dans l'UE, NDLR] constitue un premier pas, mais on voit qu'il ne suffit absolument pas.  
P. L. : Ce niveau de conscience diffère en plus selon les pays. En Europe, la vigilance, même limitée, est sans commune mesure avec l'indifférence massive qui prévaut en Inde, où tout est permis. Au Brésil, la loi est plus stricte. Mais avec une police et une justice défaillantes, on peut la violer presque sans risques. 

Sur quoi faut-il légiférer en priorité, selon vous ?
A. J. : L'une des causes du problème réside dans le monopole dont jouissent Facebook ou Google. Il faut démanteler leur pouvoir exorbitant par des lois, à l'instar du dispositif antitrust américain adopté à la fin du XIXe siècle. Le discours tenu par les Gafam depuis dix ans, selon lequel on ne peut réguler cette espèce d'eldorado de la donnée qui a bâti leur toute-puissance sans tuer Internet, n'est tout simplement plus audible. Nous devons les obliger à changer de modèle. Mais pour ça, il faut une réelle volonté politique et donc, une prise de conscience collective. 
P. L. : Les Gafam vivent en grande partie de la collecte et de la vente de ces données. Il n'est pas facile de déterminer où placer le curseur, mais il faut mettre un terme à leur opacité. Ce que veut faire l'Europe, c'est obliger les plates-formes à la transparence, notamment sur leurs algorithmes, pour limiter la manipulation des données. Même si aujourd'hui, l'influence d'un Salvini ou d'un Trump a un peu reculé, ces mouvements populistes ont semé des graines haineuses, fait sauter des tabous, entraîné une forme de régression intellectuelle, mais aussi popularisé des techniques qui ont peu de chances de disparaître. 

* Entreprise de conseil politique qui a capté et utilisé les données de millions d'utilisateurs de Facebook au bénéfice de Donald Trump. » 


« Propagande, les nouveaux manipulateurs » d’Alexandra Jousset et de Philippe Lagnier
France, 2020, 1 h 35 mn
Coproduction : ARTE France, Capa Presse
Sur Arte les 5 octobre 2021 à 20 h 50 et 22 octobre 2021 à 9 h 25
Sur arte.tv du 28/09/2021 au 10/12/2021
Visuels :
Depuis quelques années, des mouvements populistes mobilisent l' opinion publique et conquièrent le pouvoir grâce aux technologies de l' information. Donald Trump aux États-Unis ; Jair Bolsonaro au Brésil ; Viktor Orban en Hongrie ; Rodrigo Duterte aux Philippines etc... Dans beaucoup d' autres pays, les populistes frappent à la porte du pouvoir
© CAPA

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