mardi 17 août 2021

« Amnesia » de Barbet Schroeder

Arte diffusera dès le 23 août 2021 sur son site Internet « Amnesia » de Barbet Schroeder
« Sous le soleil d'Ibiza, la rencontre d'un jeune DJ allemand et d'une musicienne marquée par les crimes nazis. Marthe Keller, lumineuse, irradie le dernier film de Barbet Schroeder. »


Barbet Schroeder ? « Le résumer revient un peu à déchiffrer une charade. Son premier est une mère allemande. Son second est sa nationalité suisse, héritée d’un père géologue globe-trotteur. Son tout est son caractère baroudeur entretenu par une naissance à Téhéran, une enfance en Colombie, et une installation à Paris à l’adolescence. Membre méconnu de la Nouvelle Vague, il grandit dans l’ombre de Truffaut aux Cahiers du cinéma, de Godard, dont il fut l’assistant, ou encore de Rohmer avec qui il crée, à 22 ans, Les Films du Losange, avant de devenir à son tour réalisateur. Auteur inclassable, il navigue entre fiction et documentaire et construit son œuvre autour d’énigmes, de celles du Mystère von Bülow aux secrets de L’avocat de la terreur, son documentaire sur Jacques Vergès. Il continue de brouiller les pistes avec son nouveau film, Amnesia, coproduit par ARTE France Cinéma », a écrit Emmanuel Raspiengeas pour ARTE.

L'intrigue d'« Amnesia » de Barbet Schroeder ? « Printemps 1990, six mois après la chute du mur de Berlin. Installée depuis des années à Ibiza, Martha habite seule dans une petite maison face à la Méditerranée. Tournant le dos à la modernité, elle vit simplement, profitant au quotidien des bienfaits d'une nature généreuse. Dès qu'il vient frapper un soir à sa porte, elle sympathise avec Jo, un jeune musicien tout juste débarqué de Berlin qui espère devenir DJ à L'Amnesia, un des clubs en vogue de l'île. Au fil des moments qu'ils partagent ensemble, Martha affiche un refus net de tout ce qui vient d'Allemagne, y compris sa langue qu'elle s'est promis de ne plus parler… »

« Retrouvant Ibiza, qui fut le cadre en 1969 de son premier long métrage (More), et dont les paysages sont magnifiquement filmés ici par le chef opérateur Luciano Tovoli, Barbet Schroeder esquisse un portrait pudique de sa mère en même temps qu'il livre une réflexion personnelle sur la mémoire, intime et collective, du nazisme et de l’extermination des Juifs d'Europe ». 

« Emmurée dans son rejet de l'Allemagne, de son histoire et de sa langue, son héroïne, campée par une Marthe Keller lumineuse, avance à petits pas vers une délicate réconciliation au contact de Jo (Max Riemelt) ». Un jeune homme solide, épris comme elle de musique, et dont la jeunesse, l'enthousiasme et l'affection viennent bousculer sa solitude et ses certitudes. »



« Rencontre avec Barbet Schroeder pour son film "Amnesia", en séance spéciale à Cannes en 2015. Retrouvant Ibiza, qui fut le cadre de son premier long-métrage "More", le réalisateur esquisse ici un portrait pudique de sa mère, en même temps qu'il livre une réflexion personnelle sur la mémoire de l'extermination des Juifs d'Europe. »



« Une phrase de Jacques Lacan dans son discours de Tokyo en 1971 m’est restée à l’esprit : « Quelle est la nature du savoir qu’il y a à parler sa langue ? Rien qu’à poser cette question, cela ouvre toutes les questions. Qu’est-ce que c’est savoir le Japonais ? C’est quelque chose qui contient en soi un monde de choses dont on ne peut pas dire qu’on les sait tant qu’on ne peut pas arriver à l’articuler. »

Je ne parle pas allemand qui est pourtant ma langue maternelle. Je suis suisse et mon grand-père maternel est le philosophe et psychiatre allemand Hans Prinzhorn, célèbre pour ses études sur l'art produit par les cliniquement fous. Ma mère a toujours catégoriquement refusé de me parler dans sa langue. Le sujet du film m’est donc très proche, mais je n’ai pas voulu faire un film sur ma mère. Je voulais plutôt, à travers une succession de non–dits, montrer l’émotion d’une redécouverte de l’amour mélangée à celle d’une retrouvaille avec un pays et surtout une langue maternelle. Un film sur la réunification de Martha et l’apprentissage de Jo.

J’ai passé mon enfance à Genève puis en Colombie pendant quelques années, avec une mère qui refusait de me parler une langue qui aurait dû être maternelle pour moi. Paradoxalement, c’est l’Allemagne et sa culture qui avaient envahi toutes les références que j’avais autour de moi en grandissant : sa peinture , sa poésie et sa musique. Y compris le son du violoncelle de ma mère qui enchantaient la maison quand elle jouait Bach ou Schubert en solo.

J’ai souvent insisté pour la faire parler du Berlin des années 30, de son école, de ses amies juives qui disparaissaient d’un jour à l’autre, des bancs publics marqués « interdit aux Juifs »... Je lui demandais aussi si cela avait été difficile, après la mort de son père, de convaincre sa mère qui était actrice de théâtre à Berlin de prendre des billets pour un aller simple en train vers Zurich. Elle s’y est installée, y a fait ses études et a fini par y rencontrer mon père, un Genevois qui ne parlait pas un mot d’allemand. Il a dû partir travailler comme géologue en Iran. Elle n’a pas supporté la séparation et est arrivée, en pleine guerre, à traverser une douzaine de pays en train et en bus pour le rejoindre. Je suis ainsi né à Téhéran. »

(Les propos qui suivent sont tirés d’un entretien
recueilli par Émilie Bickerton)

« Comment une femme qui n’a jamais rien vu ou vécu de terrible a-t-elle pu prendre cette position radicale qui consiste à dire non à son pays et cela pour toute sa vie ?
Martha n’est ni juive, ni une victime de l’Allemagne nazie. Son amour pour Alex n’est pas la raison pour laquelle elle rejette l’Allemagne mais c’est à partir de cette expérience personnelle qu’elle a persisté dans un choix qui finit par avoir des implications beaucoup plus profondes et universelles. En 1936, à l’âge de seize ans, elle a déjà décidé de ne plus retourner en Allemagne. Une adolescente contre un régime. Dès ce stade précoce, elle a eu l’intuition qu'il y avait des raisons sinistres pour toutes les choses inexplicables qui se passaient autour d'elle: les jeunes filles juives qui disparaissaient de sa classe d’un jour à l’autre, les bancs publics avec l’inscription « interdit aux juifs »…

Martha ne veut pas continuer à vivre dans un endroit où de telles choses se déroulaient. Plus tard en Suisse, quand les révélations sur les camps ont commencé à émerger, la réalité confirme sa terrible intuition. C’est à ce moment-là qu’elle arrête pour de bon de parler allemand et se coupe complètement de son pays dans ce qui était peut-être une forme futile de rébellion solitaire, sans aucune incidence directe sur autrui. C’est tout ce qu’elle sent pouvoir faire pour résister.

La force de Martha est d’avoir pris cette décision, sans être une victime. En montrant un personnage principal qui fait un choix et qui s’y tient, nous avons aussi voulu éviter que Martha nous fasse la morale.

Nous la voyons donc faire des exceptions pour l’art et la philosophie : la musique de chambre de Beethoven, les poètes et les philosophes allemands.

Nous ne voulions pas non plus suggérer qu’il y ait des choix tout à fait bons et d’autres absolument mauvais comme le rappellent les personnages de Elfriede et de Bruno.

Ce choix moral, cette volonté d’être fidèle à des principes, de suivre une voie que l’on s’est tracée, se manifeste dans les autres choix esthétiques et philosophiques de Martha. La décoration austère de sa maison reflète « la Vie philosophique » qu’elle a décidé de vivre et qui s’apparente à l’autosuffisance et à la simplicité de l’Antiquité qu’elle a retrouvées chez les paysans d’Ibiza. Son potager est ainsi une sorte d’hommage à Epicure. »


« On s’était souvent rencontré au cours des ans à New York ou ailleurs. On avait toujours beaucoup sympathisé.

J’avais constaté qu'elle était d’une part toujours complètement juste chaque fois que je l’avais vue à l’écran, et je savais qu'elle serait d'une beauté intrépide dans ce film. Je savais que, comme Faye Dunnaway dans Barfly elle n'aurait pas peur, après de longues années à l’Actor’s Studio, d’apparaître à l’écran avec les habits, la coiffure et le maquillage que ce rôle apparemment austère, dictait. Je dis apparemment parce que nous insistions toujours entre nous pour qu'elle ait aussi un côté iconoclaste, ironique, espiègle et léger, ce qui serait très attirant pour quelqu’un de jeune comme Jo.

Ce que je ne connaissais pas, c’est son incroyable capacité de travail et de concentration. Elle a vite acquis une intelligence aiguë du texte et du personnage qui lui permettait de détecter la moindre inconsistance dans le scénario. 

Elle a tout de suite été très impliquée dans le film sur tout ce qui concernait son personnage pendant les deux ans précédant le tournage.

Habitée par le rôle, elle a été jusqu’à acheter elle-même certaines de ses robes dans des magasins où l'on vend les habits usagés au kilo. Martha est pour Marthe Keller un rôle incroyablement proche d’elle : une moitié de sa famille allemande s’est exilée en Suisse avant la guerre, l’autre moitié est restée en Allemagne. Enfant, elle a été marquée après-guerre par des disputes, identiques à celle de Martha et Elfriede dans le film, qu’elle a pu surprendre lors des quelques réunions entre les deux branches de sa famille en Suisse. » 

« L’avant-garde allemande à Ibiza dans les années : 

« Ce film a été tourné en grande partie dans la maison que ma mère a achetée à Ibiza en 1951. On y vivait sans frigidaire, avec la lumière des lampes à pétrole et l’eau de pluie recueillie dans la citerne. Elle y a d’abord séjourné avec nous pour les vacances puis, au fil des années, a fini par y vivre à plein temps. C’est là que j’ai tourné mon premier film More en 1968. De nos jours, les hautparleurs des bateaux de touristes qui passent quelques fois en été la décrivent comme « la maison où fut tourné le film More avec une musique des Pink Floyd. »

L’architecte Raoul Hausmann fut l’inspirateur de cette maison construite en 1935 en respectant fidèlement les traditions locales. A partir de 1932, Hausmann resta trois ans à Ibiza. Ebloui par les maisons paysannes en forme de cubes blancs, il publia des articles accompagnés de relevés architecturaux et de photos dans de grandes revues d’architecture.

Peu de temps après Hausmann, Walter Benjamin, Jean Selz et d’autres débarquèrent à Ibiza qui représenta pour cette communauté l’idéal d’une vie harmonieuse, en parfait équilibre avec les éléments naturels. Ils tirèrent de la vie des paysans d’Ibiza l’image d’une perfection humaine et esthétique. 
La maison du film se trouve près de Sant Antoni où vécut Walter Benjamin ».


France, Suisse, 2015, 10 min
Disponible du 06/08/2021 au 06/08/2022

« Amnesia » de Barbet Schroeder
France, Suisse, 2015, 92 min
Scénario : Barbet Schroeder
Production : Les Films du Losange, Vega Film
Productrices : Ruth Waldburger, Margaret Menegoz
Coproduction : ARTE France Cinéma, Les Films du Losange, Vega Film, SRG SSR, Teleclub AG
Image : Luciano Tovoli
Montage : Nelly Quettier
Musique : Lucien Nicolet
Avec Marthe Keller, Max Riemelt, Fermí Reixach, Bruno Ganz, Corinna Kirchhoff, Marie Leuenberger, Felix Pons, Florentín Groll, Eva Barceló, Lluís Altés
Visuels : © Les Films du Losange

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