mercredi 2 juin 2021

« Les Justes turcs, un trop long silence » de Laurence D'Hondt et Romain Fleury

Les 2 et 
25 juin 2021, LCP diffusera « Les Justes turcs, un trop long silence » de Laurence D'Hondt et Romain Fleury. « Ce documentaire raconte l'histoire de ces Turcs qui, face aux ordres de massacres des Arméniens en 1915, ont décidé de désobéir ».  Une histoire méconnue, et qui se heurte à des réticences parmi les deux parties.

« Les justes turcs, un trop long silence » de Laurence D'Hondt et Romain Fleury

Le génocide commis par les "Jeunes-Turcs" (Jön Türkler) - notamment le triumvirat d'officiers Talaat Pacha, Enver Pacha et Djemal Pacha - et leurs complices, d’avril 1915 à décembre 1916, a causé la mort d’environ 1 200 000 Arméniens. 

On savait que des Turcs avaient adopté, et islamisé des orphelins arméniens.

On ignorait, peut-être faute de travaux historiques et de volonté de dirigeants turcs d’occulter des pans historiques gênants pour l’Histoire de la Turquie, qu’il y eût des Turcs musulmans ayant protégé, sauvé des Arméniens. Il est heureux que l’humanité ait prévalu parmi des Turcs, quelle que soit leur position sociale.

« Ce documentaire  raconte l’histoire de ces Turcs qui, face aux ordres de massacres des Arméniens en 1915, ont décidé de désobéir. Ils se sont élevés contre l’injustice, au risque de leur vie. Descendant d’une famille arménienne sauvée par des Justes, le narrateur exhume ces récits d’entraide, nés au cœur de la barbarie ».

« Depuis plus d’un siècle, la Turquie refuse de reconnaître sa responsabilité dans la mort de 1,5 millions d’Arméniens entre 1915 et 1917. Ce négationnisme oppose toujours les deux peuples et a jeté dans l’oubli cette poignée d’hommes et de femmes turcs qui ont choisi de sauver des vies arméniennes. Simples bergers ou officiels de l’empire ottoman, ces Justes ont désobéi aux ordres au péril de leurs vies. Mais leurs actes de résistance qui font d’eux des « Schindler turcs » restent jusqu’à ce jour méconnus et niés par l’histoire officielle turque ».

« Il s’appelait Mehmet Celal Bey (1863-1926). Il a gagné un surnom : « le Schindler turc ». Celal Bey, lui, a sauvé quelque 6 000 Arméniens en 1915, lorsque, gouverneur d’Alep, puis de Konya – où il fut muté pour désobéissance –, il refusa de mettre en œuvre les déportations ordonnées par Istanbul. « Il disait “je suis l’Etat et l’Etat doit protéger les faibles”, rapporte son arrière-petit-fils Kemal Ceyhan. Et c’est pourquoi pendant toute sa vie, il a essayé de protéger les faibles, quelles que soient leur origine, leur classe ou leur religion… Hauts fonctionnaires ou gens du peuple refusèrent les ordres de la Sublime Porte. Au péril et souvent au prix de leur propre vie. « Tout ce qu’a traversé notre famille, ça reste un traumatisme », dit dans le documentaire le descendant de l’un d’eux, dont le reste de la famille n’a dû la vie sauve qu’à des voisins qui l’ont « envoyée à Istanbul à dos d’ânes » pour échapper aux exécuteurs », a écrit Pascal Galinier (Le Monde, 25 mai 2021)

Et Pascal Galinier de poursuivre : « Pourtant, en Arménie aussi, le tabou est difficile à rompre. Nombre de familles sauvées par des Turcs relativisent, voire contestent l’humanité dont ces derniers auraient fait preuve. Ainsi de ce barbier arménien, convoqué par le maire de sa ville pour réparer les dégâts faits à son visage par son barbier turc, et qui le remercia en faisant inscrire sur sa maison que les exécuteurs devaient l’épargner – lui et son épouse, mais pas les voisins et cousins venus se réfugier là… »

« Le passage par la Turquie est la partie la plus saisissante du documentaire. Il montre l’inanité du déni érigé en dogme quant à ce génocide qui fit 1,2 million à 1,5 million de victimes pendant l’été 1915 – les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane –, et dont la seule évocation peut valoir la prison. « Il ne peut y avoir de génocide sans Justes », dit la voix posée de Romain Fleury. Au cœur de l’Anatolie, où il a porté ses caméras, « les noms de lieux [“la tombe du sous-préfet”, “la vallée du massacre”, “la rivière des morts”…] parlent plus fort que l’idéologie et le mensonge ». Ici, le génocide « demeure comme un fantôme. Le négationnisme a façonné trois générations, mais aucune loi ne pourra empêcher l’homme de prendre soin d’une tombe, comme une ligne qu’il tracerait contre l’oubli », a analysé Pascal Galinier.

« A Bruxelles, un descendant belge d’Arméniens sauvés par un Turc découvrira lors d’un colloque, en 2015, de la bouche même d’un intervenant turc venu témoigner, le nom de celui qui a sauvé sa famille, et qui l’a payé de sa vie. « Mon plus grand rêve serait de rencontrer ses petits-enfants, pour embrasser leurs mains », dit Andon Akkayan, bouleversé de pouvoir enfin mettre un nom sur celui qui « nous a accompagnés toute notre vie ». L’arrière-grand-mère de Romain Fleury ne parlait jamais de ce qu’elle avait vécu avec sa famille, se contentant de dire au père du réalisateur : « Jeannot, n’oublie pas que ce sont des Turcs qui nous ont sauvés », avant de se renfermer dans le silence. « C’était comme une incitation à ne pas haïr », dit Jean-Pierre Fleury », soulignait Le Monde.

Et le journaliste de conclure : « Evacuer la haine, mission impossible ? « Nous ne voulons plus vivre dans le même sac qu’un chien, parce qu’un jour ou l’autre il va nous mordre ! », répondait en ricanant un rescapé centenaire, rencontré en 2015 à Erevan. Mais le silence n’est plus de mise, car « chacun peut devenir complice par omission d’un crime contre l’humanité », prévient l’avocat belge Grégoire Jakhian, qui plaide, lui, pour une « dédiabolisation, essentielle, des Turcs du côté arménien ».

« Dans ses mémoires, publiées dès 1918, Celal Bey résumera froidement sa situation en 1915 :
« Celle d’un homme qui se tient au bord d’une rivière, sans aucun moyen de sauver ceux qui sont emportés par le courant, des enfants innocents, des vieillards sans reproche, des femmes sans défense… J’ai sauvé tous ceux que j’ai pu attraper avec mes mains et mes ongles et les autres ont disparu… A jamais. »
« Je suis fier de mon arrière-grand-père. C’est un juste. Il n’a pas agi par intérêt mais par devoir » déclare Kemal Ceyhan, petit-fils de Mehmet Celal Bey, gouverneur d’Alep et de Konya.

Le « député allemand d’origine turque Cem Özdemir, qui fut le premier à parler des « Schindler turcs » lors de la reconnaissance du génocide par le Bundestag, le 2 juin 2016 », souhaite que l’Histoire soit dite.

« Le narrateur, descendant d’une famille arménienne sauvée par des Turcs, se rend en Arménie, à la recherche d’autres familles qui, comme la sienne, doivent la vie à des Turcs, et en Belgique et en Turquie, où les descendants de Justes osent témoigner de leur histoire familiale, malgré les risques encourus à parler du génocide arménien dans ce pays. Le narrateur exhume ces récits d’entraide nés au cœur de la barbarie, rappelant qu’aucun crime, si atroce soit-il, n’empêche l’humanité de se manifester. »

Cette histoire se heurte à des réticences en Turquie – négationnisme officiel, appréhensions des descendants de ces sauveteurs - et parmi les Arméniens qui craignent l’occultation du génocide par des exemples héroïques rares et connaissent l’ambivalence des motivations de certains sauveteurs : opportunisme, cupidité...

La diffusion du documentaire est suivie d'un débat présenté par Jean-Pierre Gratien, avec Les invités du débat, sur le thème "Génocide Arménien : l'impossible dialogue ?" 

Interviendront Ariane Bonzon, journaliste et essayiste française, spécialiste de la Turquie, auteur de "Dialogue sur le tabou arménien" (Liana Levi), Ahmet Insel, économiste, éditeur, journaliste et politologue turc, auteur de "La nouvelle Turquie d'Erdogan" (La Découverte), Michel Marian, philosophe et essayiste, auteur de "L"Arménie et les Arméniens en 100 questions. Les clés d'une survie" (Tallandier).



« Les Justes turcs, un trop long silence » de Laurence D'Hondt et Romain Fleury
Belgique, Panache Productions, La compagnie cinématographique, La RTBF, 2018, 52 minutes
Sur PUBLIC SENAT le 2 juin 2021 à 00 h 30 et 25 juin 2021 à 20 h 30

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