mardi 24 décembre 2019

Nés quelque part


Ancienne agence de la Banque de France, située près du Parc Monceau (Paris), Citéco - Cité de l’Economie a été inaugurée en juin 2019. Elle vise, par une exposition permanente partiale, à rendre « vivante et humaine » l’économie. Elle a accueilli sa première exposition temporaire, itinérante et désolante « Nés quelque part ». Des visions « politiquement correctes » de l’économie et de l’environnement, et surprenantes du développement en Afrique sub-saharienne.


Issu d'une famille de banquiers grenoblois, philanthrope, gérant de la Banque de France, et collectionneur Emile Gaillard (1821-1902) a contribué à financer la construction des chemins de fer, géré des biens du « comte de Chambord » et figure comme un des "banquiers" de Victor Hugo. Le compositeur romantique et pianiste Frédéric Chopin a été son professeur.

Emile Gaillard confie à l'architecte Victor-Jules Février la construction (1878-1882) de son hôtel particulier, situé dans un quartier résidentiel proche du parc Monceau, pour y réunir sa collection d'oeuvres d'art du Moyen-Âge et de la Renaissance.

En 1919, cet hôtel est acquis par la Banque de France qui le transforme, grâce à l'architecte Alphonse Defrasse, en succursale.

Fermé en 2006, cet immeuble est transformé en Cité de l’Économie, ouverte au public en juin 2019.

La Cité de l’Économie « est pensée comme un lieu de vie et d’expériences, ouvert à toutes et tous, à l’image d’une véritable cité ». « Un espace de vie pour rendre la culture économique accessible à tous une expérience sensible de l’économie ». « Résolument tournée vers le grand public et notamment les jeunes, Citéco est un lieu culturel et scientifique au concept innovant. Son objectif est d’expliquer les notions et les enjeux économiques de façon interactive et ludique ». Citéco « s’engage en faveur d’une amélioration de la culture économique en France et s’inscrit dans une démarche profondément citoyenne ». « Apprendre en s’amusant, éveiller la curiosité, tels sont les principes qui guident ce musée d’un genre nouveau ». Qu’ils disent… Le temps est à l’amusement, et non à l’effort.

« Changer le regard sur l’économie, c’est avant tout changer son approche en rendant cette discipline vivante et humaine. Dans cette perspective, les ateliers, visites et animations proposés par Citéco reposent sur la participation des visiteurs. Pour s’approprier l’économie, quoi de mieux que d’être acteur de sa visite ? Citéco permet aux visiteurs d’éprouver les grandes notions économiques et financières et leur traduction concrète dans la réalité quotidienne ».

Divisé par un majestueux escalier, le hall est décoré par un mini-spectacle incompréhensible de sons, au volume trop élevé, et de lumières accueille les visiteurs. Il s'agirait d'un mapping vidéo, i.e. une technologie associant plusieurs médias. Un symbole de l'enchevêtrement des relations entre Etats ? Une illustration de la mondialisation ? Mystère.

Sur deux niveaux, se déploie une double exposition : d’une part, l’histoire de ce magnifique hôtel particulier, et d’autre part, une histoire de l’économie, aux niveaux microéconomiques et surtout macroéconomiques. Au sous-sol, la chambre des coffres, qui était auparavant entourée d'un fossé empli d'eau, est dévolue à une histoire de la monnaie. Partout, les dispositifs muséographiques laissent la part belle aux ordinateurs, aux jeux et aux vidéos. Les travaux d'aménagement de la Cité de l'Economie et de la Monnaie ont débuté peu après la fermeture de la succursale en 2006.

On ne peut que regretter un discours dominant « politiquement correct » : le mot « libéralisme » est omis de l’histoire des théories économiques, l’interventionnisme de l’Etat hors de ses attributions régaliennes n’est pas questionné comme s’il était un agent économique parfait et mû uniquement par l’intérêt général, le cheminement vers l’euro présenté comme quasi-inéluctable, sans que cette monnaie commune ne soulève la moindre interrogation, etc.

En outre, le rôle des Juifs dans l'économie et la finance est minoré, souvent occulté.

« Nés quelque part »

« Après son succès à Lyon, Roubaix, Bordeaux, Strasbourg et Marseille, l’exposition-spectacle Nés quelque part s’installe à Citéco le 26 septembre 2019. Présentée par l’Agence française de développement et l’association Ars Anima, Nés quelque part propose à ses visiteurs une aventure originale à la croisée du théâtre et du jeu de rôle pour leur faire toucher du doigt les enjeux du climat et du développement durable dans le monde. Franchir le seuil de l’exposition, c’est abandonner pendant un peu plus d'une heure son identité pour se glisser dans la peau de Manolo, Nalin, Bilikiss, Victor, Nana ou encore Ihoa… »

Le titre de cette exposition itinérante semble inspiré de la chanson de Georges Brassens "La ballade des gens qui sont nés quelque part".

« Surprendre, changer de focale, expliquer : tel est notre objectif avec Nés quelque part. Cela fait plus de 75 ans que nous relevons au quotidien les défis du développement. Mais comment faire comprendre concrètement, faire ressentir ce que lutter contre la pauvreté et pour le climat veut dire ? Aujourd’hui, nous avons aussi pour mission de sensibiliser aux enjeux du développement et de la solidarité internationale. Nous plongeons les visiteurs de Nés quelque part au cœur des problèmes quotidiens auxquels font face celles et ceux pour qui nous intervenons partout dans le monde. Cette exposition est une invitation au voyage : sortir de chez soi, partir à la découverte des autres est le premier pas pour les accepter puis bâtir des projets communs. Nés quelque part est une exposition pas comme les autres. C’est un spectacle vivant, interactif, éco-responsable, où les visiteurs, petits et grands, se mettent dans la peau d’un des 18 personnages, à travers 6 pays et autant d’écosystèmes. C’est une plongée dans la vie quotidienne d’une favela de Medellin, d’un village du Cameroun, ou encore d’une rizière au Cambodge. Ces personnages s’appuient directement sur les connaissances et l’expérience de terrain des experts de l’Agence française de développement. Aller au-delà des mots et des images, comprendre de l’intérieur les enjeux du développement durable et les solutions possibles : c’est l’expérience et l’engagement de l’AFD que l’exposition cherche à partager. Avec, demain, des moyens accrus, l’AFD contribue à la réalisation des Objectifs du Développement Durable auxquels s’est engagée la communauté internationale. Elle favorise les partenariats entre des acteurs que nous connaissons bien, les États bien sûr, mais aussi les régions, les villes, les entreprises privées et la société civile, pour monter des projets durables qui changent la donne, pour partager les savoirs et les meilleures pratiques. Et parce que nous agissons pour les Français et en leur nom, il nous appartient de les sensibiliser aux enjeux de développement, qui nous concernent tous où que nous naissions, où que nous vivions. S’impliquer, comprendre, agir et construire ensemble : voilà ce qui nous anime, voilà ce que nous voulons transmettre avec Nés quelque part », a considéré Rémy Rioux, Directeur Général de l’Agence française de développement (AFD).

« Pour notre première exposition temporaire, nous avons choisi d’accueillir Nés quelque part. Cette exposition-spectacle propose aux visiteurs d’être propulsés dans la vie de personnages vivant à l’autre bout du monde, dans des univers différents. Cette expérience immersive, unique et pleine de surprises, permettra aux visiteurs d’appréhender les défis écologiques et économiques de pays comme le Niger, le Cameroun ou encore la Polynésie, et surtout de trouver des solutions pour les relever. Si les questions climatiques ou environnementales sont abordées dans l’exposition, d’autres sujets plus transversaux sont explorés comme l’éducation, l’économie, la santé, le travail, la gouvernance, l'égalité femme-homme, la paix… La démarche qu’adopte Nés Quelque Part est en parfaite adéquation avec la mission que s’est donnée la Cité de l’Economie : démystifier les enjeux de l’économie et montrer à travers des jeux, des échanges et des dispositifs ludiques et interactifs, que cette matière fait partie de notre vie, de notre quotidien. Comment exploiter une forêt au Cameroun tout en préservant sa richesse essentielle dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Comment aider les populations au Sahel souffrant de la sécheresse, à accéder à un point d’eau ? Ce sera à vous de jouer ! Nous espérons que cette exposition originale vous touchera autant que nous », a écrit Philippe Gineste, Directeur de Citéco.

26 septembre 2019. Présentation à la presse de cette exposition-spectacle où les visiteurs sont invités à incarner six personnages vivant dans six régions du monde. Le spectacle d'environ une heure est au moins autant dans l’exposition que dans le comportement de journalistes volontaires pour un jeu de rôles. Dans une agora, un mur-écran laisse défiler un texte que nous n'avons pas le temps de lire. Un « maître de cérémonie » répartit les journalistes, dont moi, entre plusieurs groupes.

Par hasard, je me retrouve dans le groupe qui se dirige vers la salle Niger, pays bordé au nord par l'Algérie et la Libye, à l'est par le Tchad, au sud par le Nigéria, à l'ouest par le Bénin, le Burkina Faso et le Mali. Le Niger est membre de l'Organisation de la coopération islamique (OCI).

Nous entrons en file indienne dans une salle dont des murs sont ornés d'images de paysages du Niger, constitué majoritairement par le Sahara et le Sahel.

Surprise : des journalistes hommes sont déjà assis sur des bancs contre un mur, et leurs homologues féminines, vêtues de jeans, sont assises sur le sol près de l’entrée. J’entrevois une place libre sur un banc, je m’y presse. C’est étrange, cette division sexuée de l’espace.

Une dame censée jouer une médiatrice nigérienne interroge les journalistes femmes interprétant le rôle de Nigériennes sur les risques de grossesses trop rapprochées, la polygamie. Elle tance une journaliste blonde aux yeux clairs qui interprète Mariama, âgée de 36 ans, "première épouse d'Adam et dont trois des sept enfants sont décédés emportés par la diarrhée" : « Il ne faut pas accepter que ton mari épouse trois femmes… » Et que répond la journaliste qui a grandi dans le pays des droits de l'Homme ? « Mais, c’est la tradition... » Pourquoi cette réponse qui ne surprend personne sauf moi et la modératrice ? Expression spontanée d’une adepte du « politiquement correct » ? Volonté de ne pas mettre en difficulté la médiatrice ? Réplique pensée comme la réponse attendue par la médiatrice ? Je suis demeurée stupéfaite.

Après avoir réitéré doucement, mais fermement, son refus de la polygamie, la médiatrice fait participer les journalistes à son histoire : deux bébés, dont Saoudé, fille âgée de sept mois de Nana, co-épouse âgée de 18 ans d'Adam et de nouveau enceinte, sont malades. Ils doivent être amenés à l’hôpital d’une grande ville. Les villageois se sont cotisés pour payer une partie des frais de transport et médicaux (principe de la tontine). Portant deux poupées en chiffon, les journalistes s’ébranlent en file indienne vers l’agora transformée en salles où un acteur-médecin explique ce dont souffrent les bambins - malnutrition, paludisme - et les remèdes. De retour à la case départ avec les "enfants" guéris, la médiatrice dresse le bilan et prodigue les conseils : pour éviter les maladies transmises par les moustiques, utiliser des moustiquaires, et veiller à l’hydratation des enfants. Elle sert un liquide blanchâtre résultant du mélange de farine de mil et d’eau. Nous goûtons. Puis, la médiatrice explique que ces graines sont adaptées au sol nigérien, et nous invite à retourner à l’agora pour les y échanger contre celles d’autres villages. Bref, pour assurer l’essor agricole du village : retour au troc !? Quel retour à un âge ancien en ce début de XXIe siècle !

Comme au théâtre, les comédiens saluent les visiteurs. 

Enfin, nous sommes invités dans une pièce adjacente à remplir avec nos graines de hauts tubes en verre sur lesquels sont inscrits des adjectifs qualifiant notre état d’esprit : « Impuissant », « Enthousiaste », « Engagé », « Inquiet », « Confiant », etc.

Le "carnet de voyage" de Mariama présente les principaux protagonistes nigériens et le périple pour sauver les enfants malades, contient un lexique de onze mots, résume la "problématique de ton pays" - le réchauffement climatique présenté comme un fait avéré, le manque d'accès aux services essentiels (éducation, santé) et à une énergie renouvelable, nouveaux modèles de développement, environnement sain et sûr - et se clôt sur l'engagement du lecteur, souvent un élève. On demeure perplexe : quid du terrorisme islamiste ? Quid de l'islam qui tolère la polygamie ?

Où va l’argent de la France destiné, via l’AFD, à des pays en développement ? On comprend le retour triomphal d'Israël en Afrique où l'Etat Juif aide techniquement des populations locales. Et ce, sans être entravé par le passé colonisateur ou les réseaux ("Françafrique") de la France ni les modalités problématiques de la présence de la Chine.

Cette exposition-spectacle réduit des réalités complexes à des visions misérabilistes exotiques. Comme si ce village vivait en quasi-autarcie, sans aide, publique ou privée, extérieure. Comme si le pouvoir politique national était inexistant.


Du 26 septembre au 24 novembre 2019
A Citéco – Cité de l’Economie
1, place du Général-Catroux - 75017 Paris
Séances en période scolaire
Mardi, mercredi, jeudi et vendredi : 9 h 15, 10 h 50, 14 h, 15 h 45
Samedi et dimanche : 10 h, 11 h 45, 14 h 15, 16 h
Séances pendant les vacances scolaires
Tous les jours : 10 h, 11 h 45, 14 h 15, 16 h
Fermé les lundis, sauf pendant les vacances scolaires.

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Les citations sont extraites du dossier de presse.

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