vendredi 1 février 2019

Regards d’artistes. Œuvres contemporaines sur la Shoah


Le Mémorial de la Shoah présente l’exposition « Regards d’artistes. Œuvres contemporaines sur la Shoah ». Sont réunies cinq œuvres, installations "issues de figures de l’art contemporain français" : Sylvie Blocher (avec Gérard Haller), Arnaud Cohen, Natacha Nisic, Esther Shalev-Gerz, et une proposition de l’historien Christian Delage.

« Après le succès de l’exposition Shoah et Bande dessinée qui montrait comment le 9e art avait petit à petit investi la question du génocide, le Mémorial propose un focus sur la création artistique contemporaine ».

« En effet, après la guerre, de nombreux artistes choisissent d’interpeller le public sur le génocide et les modes de représentation de la mémoire, et, au-delà, sur la disparition de l’individu ». On peut regretter que le Mémorial de la Shoah n'ait pas développé ce fait en évoquant par exemple le refus du figuratif par certains artistes, leur impossibilité de peindre un être humain, un corps après leur découverte de la Shoah.

« Pour la première fois depuis sa réouverture en 2005, le Mémorial de la Shoah offre l’intégralité de son espace d’exposition temporaire à la création artistique contemporaine, avec 5 œuvres, installations issues de figures de l’art contemporain français : Sylvie Blocher (avec Gérard Haller), Arnaud Cohen, Natacha Nisic, Esther Shalev-Gerz, ainsi qu’une proposition de l’historien Christian Delage ».

Le Mémorial de la Shoah « a souvent invité les artistes à intervenir dans ses expositions, en sollicitant leur sensibilité pour l’associer à sa mission de transmission de la mémoire de la Shoah. Ainsi, plusieurs œuvres importantes ponctuent le parcours de l’exposition permanente tant le point de vue des artistes semble essentiel dans ce travail de mémoire ».

« Par le biais d’œuvres parfois réflexives, parfois immersives et performatives, le Mémorial de la Shoah invite chacun à découvrir différents regards, autant d’expressions subjectives face au drame de la Shoah qui dépassent l’approche strictement historienne et suscitent questionnements entre le passé et le présent ».

Le commissariat de l'exposition est assuré par Sophie Nagiscarde, responsable des activités culturelles au Mémorial de la Shoah.

On demeure perplexe que le Mémorial de la Shoah ait choisi cette thématique et n'aborde toujours pas la condition Juive dans les empires européens durant la Deuxième Guerre mondiale.

C'est une exposition intéressante, susceptible peut-être d'attirer un public distinct, érudit en art contemporain, au Mémorial de la Shoah. Des panneaux éclairent chaque oeuvre qui suscite une émotion contenue.

Cependant, l'exposition peut rebuter des visiteurs lambda. Car elle requiert une attention soutenue pendant la durée de la vidéo et l'investissement des visiteurs surpris par la découverte de "petits-riens" qui seraient passés inaperçus sans un ralenti, sans le décalage temporel entre des témoignages filmés. Des visiteurs invités aussi à combler par la pensée un stade filmé vide.

Les visiteurs peuvent voir des vidéos dans des postes situés en fin de parcours.

Lors du vernissage presse, un parallèle avec la situation actuelle en Europe a été dressé. A tort selon moi.

Œuvres présentées

Nuremberg 87 
de Sylvie Blocher et Gérard Haller
(Avec la voix d’Angela Winkler. Film 16 mm, 9 mn, 1987)
« Créé au Festival d’Avignon en 1987, Nuremberg 87 fut le prologue de Figuren, « Spectacle pour rendre la vie présentable », ayant pour préoccupation la question de l’extermination. Gérard Haller et moi-même voulions mettre sur ces images du stade de Nuremberg la voix de l’actrice allemande Angela Winkler. Dans sa maison face aux volcans du Massif Central, elle nous avait accueillis d’abord froidement en nous demandant de quel droit nous lui demandions de porter, à elle seule, femme allemande, six millions de morts. Elle avait ajouté qu’elle ne pouvait pas se servir de son métier d’actrice pour dire cela, car ce serait obscène, et qu’elle ne pouvait le dire comme un maire devant un monument aux morts. Nous lui avions répondu que nous voulions qu’elle ne découvre ces prénoms qu’au moment de l’enregistrement. Des prénoms et non pas des noms, pour que chacun puisse être entraîné dans les mailles de la mémoire. Des prénoms établis à partir de la liste des morts... Nous ne voulions pas en sortir indemnes.
Nous n’avons fait qu’une seule prise. Angela a prononcé chaque prénom avec une lenteur infinie, comme si la personne était apparue devant elle, passant de l’étonnement à la joie, de la joie aux larmes, des larmes à la stupeur. Jamais de ma vie je n’ai revécu un tel moment de recueillement. C’est à travers ce travail que j’ai aussi appris la haine des nazis pour le féminin dans le corps des hommes. L’enjeu du dire et la singularité irréductible des corps, qui hantent la série video Les Living Pictures, sont nés de tout cela. » Sylvie Blocher
Sylvie Blocher
Sylvie Blocher est née en France, elle est basée à Saint-Denis. Suite au manifeste « Déçue, la mariée se rhabilla » en 1991, Sylvie Blocher lance le concept ULA [Universal Local Art] et commence la série vidéo des « Living Pictures », ou elle partage son autorité d’artiste avec le modèle. Elle crée en 1997, avec l’architecte-urbaniste François Daune, « Campement Urbain », un groupe à géométrie variable qui travaille sur les nouvelles urbanités, et qui reçoit en 2002 le Prix International de la Fondation Evens : Art Community Collaboration. Elle expose dans de nombreux musées à travers le monde et participe régulièrement à des manifestations internationales. »

Dansez sur moi (Dance Over Me)
d’Arnaud Cohen
(Œuvre performative, 2017)
« Dansez sur moi puise son inspiration dans le passe collaborationniste de mon atelier.
Quand j’ai acheté cette friche industrielle recouverte de lierre et livrée aux pilleurs, je ne savais rien de l’histoire de ce lieu. Avec de la patience, j’ai fini par savoir ce que tout le village préférait oublier. Dansez sur moi est une tentative expérimentale, empirique, de matérialiser à travers la réalisation de tombes fictionnelles un passé occulté mais bien réel. Ces ≪ fausses ≫ tombes sont celles de personnages historiques : Maurice Rocher, propriétaire de nombreuses usines dans l’Ouest, Jean Bichelonne le polytechnicien en charge avec Speer d’intégrer les usines françaises au complexe militaro-industriel du Reich, et Wernher Von Braun, inventeur et client final pour son usine secrète de montage des fusées V1 et V2.
Pour le citoyen et l’artiste que je suis, c’est aussi l’occasion de proposer une troisième voie entre certaines œuvres d’art réalisées jusqu’ici sur ces sujets et qui soit tendent à être des monuments commémoratifs en présence desquels la vie n’est guère possible, soit négligent de mentionner le passé.
Du point de vue de la forme enfin, c’est une nouvelle fois l’occasion de me glisser dans le code formel d’un de mes pairs pour mieux le détourner en y injectant du sens. Ici, la forme froide des sculptures ≪ marchables ≫ de Carl André est exploitée autant pour sa ≪ marchabilité ≫ (les tombes deviennent presque naturellement et souvent involontairement ≪ marchables ≫) que pour leur potentiel glaçant. ≫ Arnaud Cohen
Arnaud Cohen
Arnaud Cohen est un sculpteur et plasticien, né en 1968 a Paris. Au cœur de son œuvre depuis ses débuts à la galerie Marwan Hoss en 1997, se trouve le sujet de la responsabilité individuelle dans l’édification de destins collectifs. Artiste appropriationniste, il détourne les formes existantes au service de ses questionnements personnels. Sa production, puisant ainsi son inspiration dans cette part de l’héritage de l’internationale situationniste, prend des formes aussi variées que celles d’une fondation, d’une piste de danse, ou d’épisodes de télé-réalité.
Les œuvres d’Arnaud Cohen, entre Histoire et fiction, sont très présentes à l’international. A noter pour cette année 2018 son exposition monographique (en cours) à la Galerie Nagel-Draxer de Cologne, sa participation à la Biennale du Caire, et la présentation de son œuvre fictionnelle ASFI à l’exposition Virginia Woolf de la Tate a St Ives ; en 2017 Hunting Season, une exposition monographique au Berlin Kunstverein am Rosa-Luxemburg-Platz, sa participation à la Biennale de Venise (Salon Suisse), à la Biennale d’Amérique du Sud (Bienalsur) et au Untref Museum de Buenos Aires ; en 2016 au Palais de Tokyo et à Raw Material dans le cadre de la Biennale de Dakar, en 2015 sa double exposition monographique au Palais Synodal-Musées de Sens. »

Les récits de Simon Srebnik 
de Christian Delage
(Film, 2018)
« Les récits de Simon Srebnik est une installation vidéo sur laquelle Christian Delage travaille depuis plusieurs années. Sa recherche a d’abord fait l’objet d’une publication scientifique dans Vingtième Siècle, Revue d’histoire (132, octobre-décembre 2016, p. 61-76) avant d’être la matière d’une création audiovisuelle.
La disparition des derniers survivants de la Shoah pose la question de la médiation des témoignages de survivants de violences de masse, qu’elle soit écrite, sonore ou audiovisuelle. Christian Delage étudie ici les narrations réitérées d’une expérience singulière, celle de Simon Srebnik, survivant du camp de Chełmno dont le premier témoignage fut recueilli très tôt, des février 1945, par un instituteur polonais. La même année, Srebnik fut sollicite par un juge, puis filme lors du procès Eichmann, avant d’intervenir dans Shoah de Claude Lanzmann (1985). Il participera par la suite aux grandes collectes de témoignages organisées par l’université Yale, la fondation Spielberg et le Mémorial de Yad Vashem. En comparant ces différents moments et cadres énonciatifs du témoignage, Christian Delage montre ce que l’historicisation des procédés de médiation est en mesure d’apporter à la connaissance historique et à la transmission de la mémoire de la Shoah.
Christian Delage
Christian Delage est historien et réalisateur. Il est également commissaire d’exposition. Professeur à l’université Paris 8, il dirige actuellement l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS/Paris 8). Il a enseigné à la Cardozo Law School et a Sciences Po Paris.
Ses travaux portent sur le statut de l’image comme preuve, les procès historiques, et la question du témoignage. Il conduit actuellement une collecte de récits filmés autour des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. Son livre, L’Historien et le film, rédigé avec Vincent Guigueno, vient de ressortir chez Gallimard en version révisée et augmentée.
Il est l’auteur et le réalisateur de films documentaires et de fiction, dont l’un, De Hollywood a Nuremberg : John Ford, Samuel Fuller, George Stevens (2013), qui a reçu une Etoile de la SCAM, s’inspire d’une exposition dont il a été le commissaire général au Mémorial de la Shoah en 2010, et qui circule depuis aux Etats-Unis. »

Réservoir 1 (série Effroi) 
de Natacha Nisic
(Photographie, 2004)
« La série Effroi de Natacha Nisic inclut des documents photographiques et filmiques réalisés lors de différents voyages à Auschwitz (issu de cette série, le film La Porte de Birkenau a intégré l’exposition permanente du Mémorial de la Shoah).
Présentée dans l’exposition Regards d’artistes, Réservoir 1 est une image qui s’est ainsi imposée à elle face à l’eau stagnante d’un réservoir situé à côté des rails d’Auschwitz.
Animal réel ou présence ressuscitée des cendres des corps des prisonniers jetées dans ces eaux ? L’artiste a pris la décision d’interroger le statut de cette image autant que la possibilité ou non d’y répondre.
La photographie est accompagnée de ≪ Silences ≫, une œuvre sonore réalisée au petit matin, dans le camp encore vide : des cris d’oiseaux et d’animaux à la présence insoupçonnée semblent transformer le lieu de mémoire en une réserve où la nature reprend ses droits.
La série Effroi se situe dans une zone qui interroge les modes de transmission de la mémoire. On se trouve là, face à l’effroi, dans l’entre-deux, dans l’incapacité d’avancer ou de reculer".
Il convient de s'approcher de cette photographie immense pour apercevoir un élément qui interroge sur l'interprétation historique de ce réservoir.
Natacha Nisic
"Dans l’œuvre de Natacha Nisic (née a Grenoble en 1967), s’exerce une recherche constante du rapport invisible, voire magique, entre les images, les mots, l’interprétation, le symbole, le rituel. Son travail tisse des liens entre des histoires, récits du passé et du présent, pour révéler la complexité des rapports entre le montré et le caché, le dit et le non-dit. Lauréate de la Villa Kujoyama en 2001 et de la Villa Médicis en 2007, Natacha Nisic a fait l’objet de nombreuses expositions où la question de l’image est mise en jeu par le recours à différents mediums : super-8, 16 mm, video, photographie et dessin. Ces images fixes ou en mouvement fonctionnent comme substrat de la mémoire, mémoire tendue entre sa valeur de preuve et sa perte, et sont autant de prises de position sur le statut des images et les possibles de la représentation. »

Entre l’écoute et la parole. Derniers témoins, Auschwitz 1945-2005
d’Esther Shalev-Gerz
(Installation, 2005)
« Entre l’écoute et la parole : derniers témoins. Auschwitz-Birkenau, 1945-2005 a été présenté pour la première fois à la Mairie de Paris, en 2005, dans le cadre de la 60e commémoration de la libération du camp d’Auschwitz. L’artiste expose la parole d’une soixantaine de survivants des camps nazis : ils témoignent de leur expérience devant les cameras video de quatre équipes d’intervieweurs coordonnées par Bénédicte Rochas. Les témoignages recueillis varient en durée, selon les exigences de chaque narrateur : entre deux et neuf heures enregistrées pour chacun.
Le principal souci d’Esther Shalev-Gerz, en parfaite cohérence avec la dimension éthique et politique de son travail dans la longue durée, est non pas de prendre ce corpus de paroles afin de le modeler à son usage, à son style personnels, mais bien de le rendre à chacun, à tous : de donner une forme au bien commun que constituent, désormais, ces témoignages réunis ensemble.
Entre l’écoute et la parole est ainsi une œuvre d’art, mais également un travail d’abord pensé hors de sa propre spécialité, de sa corporation ou de son milieu. Une œuvre républicaine, donc, au sens littéral du terme.
Esther Shalev-Gerz
Basée à Paris, Esther Shalev-Gerz est internationalement reconnue pour sa pratique artistique qui examine la construction des savoirs, de l’histoire et des identités.
Ses monuments, installations, photographies, vidéos et œuvres dans l’espace public s’élaborent au travers du dialogue continu, des consultations et des négociations avec les différents acteurs de ses projets. Leur participation constitue le matériau par lequel s’ouvre un espace pour leurs souvenirs, récits, opinions et expériences, individuels et collectifs. Plusieurs rétrospectives majeures ont présenté son œuvre au Jeu de Paume, Paris en 2010, au MCBA, Lausanne en 2012, à Wasserman Projects, Detroit en 2016. Elle expose régulièrement son travail dans le monde entier, entre autres a San Francisco, Paris, Berlin, Londres, Stockholm, Vancouver, Finlande, Genève, Guangzhou, Goa et New York. Elle a conçu et réalisé des installations permanentes dans l’espace public en Israël, à Hambourg, Stockholm, Wanas, Genève, Glasgow et la dernière The Shadow à Vancouver en 2018 ».


Du 12 décembre 2018 au 10 février 2019
Au Mémorial de la Shoah
17, rue Geoffroy–l’Asnier. Paris 4
Tél. : 01 42 77 44 72
Tous les jours, sauf le samedi, de 10 h à 18 h. Nocturne jusqu’à 22 h le jeudi.
Visuels :
Sylvie Blocher, Nuremberg 87 (c) Mémorial de la Shoah
Arnaud Cohen, Dansez sur moi (c) Mémorial de la Shoah
Arnaud Cohen, Dansez sur moi (c) Mémorial de la Shoah
Christian Delage, Les récits de Simon Srebnik (c) Mémorial de la Shoah
Natacha Nisic, Effroi (c) Natacha Nisic, CNAP
Esther Shalev Gerz, Entre l’écoute et la parole, Derniers témoins, Auschwitz 1945-2005 (c) Mémorial de la Shoah
Esther Shalev Gerz, Entre l’écoute et la parole, Derniers témoins, Auschwitz 1945-2005 (c) Mémorial de la Shoah

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