mercredi 26 septembre 2018

« Blaise Cendrars - Comme un roman » par Jean-Michel Meurice


Arte diffusera le 26 septembre 2018 « Blaise Cendrars - Comme un roman » (Dichter und Abenteurer - Blaise Cendrars) par Jean-Michel Meurice. « Écrivain et voyageur insatiable, mais aussi réalisateur, commis en bijouterie, pianiste de cinéma, marin, chercheur de diamants, reporter, grand amoureux devant l'Éternel : une traversée poétique du XXe siècle dans les pas de Blaise Cendrars (1887-1961), portée par sa voix inimitable. »

            
« En ce temps-là j’étais en mon adolescence / J’avais à peine 16 ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance / J’étais à 16 000 lieues du lieu de ma naissance… » Ainsi débute La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, célèbre poème de Blaise Cendrars (1887-1961), publié à Paris en 1913, un an avant son départ pour le front dans la Légion étrangère ».

« En 1915, ce jeune Suisse affamé d'histoires, d'expériences, d'errances et de rencontres, qui à peine adolescent a fui jusqu'en Russie l'école de commerce que lui avait choisie son père, avant de puiser dans la rue new-yorkaise la matière de son premier coup d'éclat (Les Pâques à New York), perdra sa main droite, celle de l'écriture, dans la mitraille ».

« Et sans se plaindre, apprendra à tenir un stylo de la gauche, qu'il rebaptise alors sa "main amie".

« Écrivain et voyageur insatiable, mais aussi réalisateur, commis en bijouterie, pianiste de cinéma, marin, chercheur de diamants, reporter, grand amoureux devant l'Éternel, Cendrars, né Frédéric Louis Sauser, restera français d'adoption, revenant toujours à celle qui fut la femme de sa vie, la comédienne Raymone Duchâteau – laquelle confie d’un même souffle, dans une émouvante archive sonore, son immense amour pour cet homme « pur » et son soulagement quand il repartait loin d'elle ».

« Dans le Paris de la Belle Époque, puis des Années folles, Cendrars a contribué à inventer la modernité, avec ses amis Apollinaire, Satie, Modigliani, Braque, Picasso, les Delaunay, Fernand Léger ».

« Il sera aussi l’assistant d’Abel Gance, multipliera les aventures, les livres – dont Moravagine, L'homme foudroyé, Bourlinguer… –, les succès et les honneurs, sans jamais s'arracher à une forme de précarité inquiète ».

« Par un montage de belles archives et de métaphores dans lequel le film de Dziga Vertov L’homme à la caméra devient le double de l’écrivain, Jean-Michel Meurice, guidé par la voix enregistrée de Cendrars, retrace puissamment cette vie de hasards et d’aventures ».

En 2004, Thomas Gilou (La Vérité si je mens !), petit-fils de l’écrivain, a réalisé « Éclats de Cendrars », documentaire dont le narrateur est Bernard Lavilliers. Le poème Pâques à New York y est interprété par le rappeur Ekoué, sur une musique d’El Khalif.

Antisémitisme
De son premier mariage avec l’étudiante juive polonaise Féla Poznanska rencontrée en 1911 à Berne et femme de lettres morte en 1943, Freddy Sauser/Blaise Cendrars a eu trois enfants : Rémy, Odilon et Miriam (1919-2018). Il quitte le foyer conjugal et épouse en 1949 la comédienne Raymone Duchâteau (1896-1986).

Âgée de seize ans, Miriam rencontre son père à Paris. Une démarche effectuée auparavant par ses frères. « La relation a très vite été chaleureuse », se souvenait Miriam Cendrars. Résistante – elle réalise la revue de presse du général de Gaulle à Londres et anime une émission sur Radio Londres -, Miriam Cendrars fait la connaissance en Angleterre de Albert (Bertie) Gilou, officier dans la Royale et féru d’art, avec lequel elle a trois enfants dont le réalisateur Thomas Gilou. Miriam Gilou-Cendrars devient journaliste, notamment pour France Soir et Elle, et éditrice chez Hachette. Elle crée en 1970 le Fonds Blaise Cendrars à la Bibliothèque nationale suisse de Berne.

Dans un article publié par Le Courrier, Genève, le 31 mars 2007, Jérôme Meizoz, professeur de littérature française à l’université de Lausanne, a déploré que Miriam Cendrars  ait coupé, dans la 3e réédition, après celles de 1984 et 1993, de son « Blaise Cendrars », un texte antisémite écrit par son père en 1936. Un « procédé très contestable, qui soustrait un fait historique au regard du public » selon lui.

Et de préciser :
« En été 1936, après l’arrivée au pouvoir du Front populaire de Léon Blum, l’écrivain d’origine helvétique avait rédigé l’ébauche d’un pamphlet pour une collection intitulée « La France aux Français ». Cette expression vous dit quelque chose ? Intitulé Le Bonheur de vivre, ce document jamais publié du vivant de l’auteur est conservé dans les archives de Blaise Cendrars à la Bibliothèque nationale suisse de Berne. En voici l’extrait paru à ce jour :
« […] il faut, par ces temps de désordre et de bourrage de crâne, traverser [la France] en chemin de fer de bout en bout pour comprendre que malgré le malheur des temps et les menaces de dictature d’un gouvernement de Front populaire, ce verger n’est pas encore entre les mains des Juifs… » 
À l’anathème antisémite associant le mal au gouvernement Blum, Cendrars ajoute le mépris pour l’organisation des ouvriers, « arrogants, crâneurs, vantards », qui se proposent de conquérir collectivement de nouveaux droits. Les opinions antisémites et antisocialistes de Cendrars  ne constituent pas une révélation. Sa fille, Miriam Cendrars , cite le document en question dans Blaise Cendrars (1984) biographie dont une édition revue et augmentée de nouveaux documents paraît aujourd’hui. Dans un ouvrage sur les romanciers de cette période en France, L’Age du roman parlant 1919-1939 (Droz, 2001), j’ai cité l’extrait ci-dessus du Bonheur de vivre, capital pour illustrer les positions politiques de Cendrars à la fin des années trente. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les universitaires qui se sont penchés sur la vie de Cendrars n’ont pas fait grand cas de ce texte antisémite rendu public dès 1984. Ce document a pourtant un intérêt essentiel pour comprendre les positionnements politiques et littéraires de Cendrars. »
La biographe occulte un fait, au lieu de l’assumer simplement et de l’inclure dans un contexte où l’antisémitisme de Cendrars, loin de faire de cet homme un monstre, nous apprendrait quelque chose de préjugés courants à l’époque. Cette entorse à la probité intellectuelle fragilise du coup la crédibilité de sa biographie toute entière…
Pour comprendre l’antisémitisme littéraire si courant dans les années 1930, il faut plonger dans l’histoire culturelle de la fin du XIXe siècle, puis de la Belle Époque, telle qu’elle a été retracée par de nombreux ouvrages sérieux : l’Affaire Dreyfus, la querelle des laïcistes et des catholiques, les fragilités républicaines, l’omniprésence de l’anarchisme…
Il faut rappeler l’ancrage puissant du préjugé antisémite aussi bien à droite qu’à gauche, sans oublier les milieux anarchistes…
L’antisémitisme littéraire est ancré dans un terreau banal à l’époque, qui toutefois ne le justifie en rien dans la mesure où nombreux sont ceux qui ont contre-argumenté et mis en garde le public contre cette dérive.
Bien qu’il ait professé l’amour d’un petit peuple parisien mythifié (à l’instar de Remy de Gourmont, son maître), Cendrars avait en horreur le peuple réel dès qu’il devenait sujet historique, qu’il se mettait à revendiquer, discourir et refuser sa condition. N’existait dans le regard de l’écrivain qu’un peuple-objet, avec gueule et gouaille pour un pittoresque de banlieue littéraire. Hostile au Front populaire de Léon Blum, il fréquentait les milieux de la droite anarchisante et du grand mécénat bourgeois. En septembre 1936, Cendrars est engagé comme reporter dans la guerre d’Espagne pour le journal fascisant Gringoire. La droite française cherche à piéger Léon Blum qui s’en tient à la non-intervention militaire. Cendrars doit prouver que le « juif Blum » comme le nomme chaque jour la presse d’extrême-droite, a bel et bien envoyé des hommes, secrètement, au secours de ses amis rouges. Mais les articles de Cendrars n’aboutissent pas du tout à ces conclusions et Gringoire refuse de les publier, rappelle ici opportunément Miriam Cendrars…
Le paramètre antisémite n’est pas une simple anecdote biographique ou un secret scandaleux destiné à émouvoir le public. Pour qui veut saisir l’histoire sociale des formes littéraires, c’est un indicateur capital de la trajectoire de Cendrars. Au moment où le champ littéraire se polarise, dès 1932, entre une extrême-gauche et une extrême-droite, toutes deux dotées d’appareils de presse puissants, les choix politiques et les ralliements des écrivains ont un impact certain sur leurs choix littéraires, qu’il s’agisse des genres, des supports, des thèmes ou des styles. Ainsi les vertus d’aventure, de non-conformisme et d’héroïsme illustrés par Cendrars sont-elles en phase avec l’anarchisme individualiste et sa longue tradition. Cendrars, ayant renoncé au roman, se lance à cette époque dans le grand reportage, les histoires vraies, mais s’essaie aussi au pamphlet comme nous l’apprend Le Bonheur de vivre. Une part de ses revenus dépend alors de la grande presse de droite pour laquelle il écrit, mais à l’égard de laquelle il manifeste également son indépendance.
Ironie du sort : sous l’Occupation dès 1941, à Paris, les services nazis inscrivent Cendrars sur la liste « Otto » des écrivains à proscrire comme « Juifs », vraisemblablement à cause de son pseudonyme… »

« Blaise Cendrars - Comme un roman » par Jean-Michel Meurice
France, 2017, 52 min
Sur Arte le 26 septembre 2018 à 22 h 30

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