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jeudi 19 juillet 2018

Une lutte moderne. De Delacroix à nos jours


Le musée national Eugène-Delacroix  présente « Une lutte moderne. De Delacroix à nos jours », la « première exposition dédiée aux peintures de la Chapelle des Saints-Anges à Saint-Sulpice – La Lutte de Jacob avec l’ange, Héliodore chassé du temple, Saint Michel terrassant le démon -, depuis leur achèvement en 1861 ». 

Une passion pour Delacroix : la collection Karen B. Cohen
De Delacroix à Matisse. Dessins du musée des Beaux-arts d'Alger
« Une lutte moderne. De Delacroix à nos jours »
Le peintre-verrier Marc Chagall : Hadassah, de l’esquisse au vitrail
Zurbarán's Jacob and His Twelve Sons: Paintings from Auckland Castle

   « La peinture me harcèle et me tourmente de mille manières à la vérité, comme la maîtresse la plus exigeante ; depuis quatre mois, je fuis dès le petit jour et je cours à ce travail enchanteur, comme aux pieds de la maîtresse la plus chérie ; ce qui me paraissait de loin facile à surmonter me présente d’horribles et incessantes difficultés. Mais d’où vient que ce combat éternel, au lieu de m’abattre, me relève, au lieu de me décourager, me console et remplit mes moments, quand je l’ai quitté ? »
Eugène Delacroix, Journal, 1er janvier 1861

En 2018, deux musées parisiens rendent hommage à Delacroix : le Louvre présente une rétrospective  du peintre, le musée national Eugène-Delacroix dédie une exposition inédite à ses peintures de la Chapelle des Saints-Anges à l’église Saint-Sulpice, récemment restaurée : La Lutte de Jacob avec l’ange, Héliodore chassé du temple, Saint Michel terrassant le démon, depuis leur achèvement en 1861.

La lutte de Jacob et de l'ange est relatée dans le Livre de la Genèse. La Bible hébraïque indique que, de retour à Canaan, Jacob, ou Yaacov, craint la vengeance de son frère Essav - Jacob s'était fait passer pour Essav pour obtenir la bénédiction de son père Isaac, lui-même fils d'Abraham, et avait du fuir en rejoignant son oncle Lavan. Jacob demeure sur la rive du Jabbok, et, la nuit, il combat jusqu’à l’aurore un adversaire, "l'ange tutélaire d'Essav", qui le blesse à la hanche, "et plus précisément au nerf sciatique - ce qui rendra cette partie de la bête interdite à la consommation pour le peuple juif". Cet adversaire le bénit en raison de sa force et le nomme Israël, nom porté par sa descendance. Jacob est le patriarche du peuple Juif. Le Rav Yossef ‘Haïm Sitruk zatsal explique ainsi le sens de ce combat : "Nos commentateurs expliquent que l’inconnu veut cesser le combat mais Yaacov le somme de reconnaître que la bénédiction qu’il a reçue n’était pas usurpée. L’ange le lui confirme et à l’issue de ce combat, il bénit Yaacov et lui donne le nom d’Israël. C’est la première fois que l’on évoque ce mot « magique » dans la Torah. Et il est bon de se souvenir que si nous sommes appelés Israël c’est bien à la fin d’une confrontation. Comme pour nous signifier que l’appellation Israël se mérite, qu’elle n’est ni automatique ni fortuite, mais qu’il faut prouver sa capacité à porter ce nom qui signifie « celui qui lutte avec l’ange de D.ieu ». Depuis, le peuple Juif a toujours incarné ce combat dans la défense des valeurs voulues par le Créateur pour l’humanité tout entière. Ce combat est d’abord celui de la fidélité. En effet, Israël n’abdique jamais. Quelles que soient les circonstances, il ne baissera jamais les bras et demeurera le porteur de l’idéal divin. Même si de très nombreuses nations et civilisations ont tenté de nous suppléer, personne n’y est parvenu et, malgré sa fragilité, le peuple Juif est resté le défenseur de ces valeurs. Cette lutte nocturne contre Essav est un symbole. Elle est comprise par nos sages comme étant la nuit de l’Exil, cette longue période durant laquelle Israël, agressé un nombre incalculable de fois, n’a jamais cédé, et est resté égal à lui-même, prêt à défendre ses valeurs. Et un jour, à la fin des temps, lorsque l’aube se lèvera, il sera reconnu par le monde entier, qui viendra alors lui rendre l’hommage qu’il mérite. L’aboutissement de cette histoire sera glorieux. Elle viendra célébrer un combattant blessé mais toujours vivant qui a réussi à remplir sa mission malgré l’adversité."

« Commandée en 1849 à Eugène Delacroix, cette œuvre monumentale, riche et sublime l’occupe jusqu’en 1861 et peut être considérée comme son testament spirituel. Ce fut d’ailleurs pour achever ces décors qu’il installa son dernier atelier rue Fürstenberg soulignant ainsi le lien fort entre le musée Delacroix et ces œuvres magistrales ».

La « restauration des trois peintures de la chapelle des Saints-Anges, permet également de porter un regard renouvelé sur ces œuvres, en lien avec les études menées pour leur conservation ».

Cette exposition « offre l’occasion d’associer les œuvres de Delacroix aux créations des nombreux artistes du XIXe  et du XXe siècle qu’il a inspirés, de Gauguin à Epstein, de Redon à Chagall ».

« Portée par les recherches accomplies lors de leur récente restauration, conduite par la Ville de Paris, cette exposition offre de rassembler, grâce à des prêts exceptionnels des musées français et étrangers, les sources inédites de Delacroix – Raphaël, Titien, Rubens, Le Lorrain, Solimena -, les références à ses propres œuvres comme les principales études et esquisses qu’il a réalisées pour la conception de ces trois chefs-d’œuvre ». 

« Elle réunit également plusieurs des créations que l’œuvre de Delacroix a inspirée aux artistes du 19e siècle et du 20ème siècle, Gustave Moreau, Odilon Redon, William Strang, Jacques Lipschitz, René Iché, Charles Camoin, Jean Bazaine, Marc Chagall. Chacun d’entre eux s’est nourri de l’art de Delacroix pour concevoir leurs propres visions de la lutte ». 

Eugène Delacroix « avait reçu en 1849 la commande des peintures pour la chapelle. Pris par d’autres chantiers, dont la conception nourrit également celle des œuvres de Saint-Sulpice – le plafond de la Galerie d’Apollon, l’ensemble du Salon de la Paix dans l’Hôtel de Ville (détruit en 1871), son exposition personnelle à l’Exposition universelle de 1855 -, il s’y dédia pleinement à partir de 1856. Souhaitant être au plus près ce chantier immense, le peintre s’installa au plus près de l’église, rue de Fürstenberg, dans un espace unique entre cour et jardin, devenu le musée Delacroix ». 

Delacroix « avait choisi de dédier ce décor monumental à des épisodes mettant en scène des anges vengeurs, combattants, armés. Cette lutte était aussi une métaphore du combat qu’il menait, de son propre aveu, pour la peinture. Œuvre d’art totale avant la lettre, lutte moderne, la chapelle des Saints-Anges de Delacroix demeure comme un des grands modèles de l’art ». 

« Le peintre offrit à l’épisode biblique une transcendance nouvelle, celle de la lutte de l’homme avec son destin, de l’artiste avec sa création. Il conçut ainsi une lutte moderne ».

« Associant l’atelier du peintre et ses œuvres, le musée Delacroix et l’église Saint-Sulpice, l’exposition constitue un événement exceptionnel qui invite les visiteurs à marcher sur les pas de Delacroix. L’expérience au sein de l’exposition, se prolongeant de l’espace de conception aux œuvres finales, est ainsi inédite, offrant des clés de compréhension renouvelée ». 

Les commissaires de l’exposition sont Dominique de Font-Réaulx, directrice du musée national Eugène-Delacroix, et Marie Monfort, conservateur en chef à la DRAC Île-de-France. En collaboration avec la Ville de Paris.


Le deuxième livre des Maccabées relate qu'en 176 avant l'ère commune, Héliodore est envoyé par Séleucos IV, roi de la dynastie hellénistique des Séleucides, pour s'emparer du trésor du Temple de Jérusalem. Le grand prêtre Onias III refuse. 

« L’œuvre devant soi 
En 1913, le comité de don du Musée des Beaux-Arts du Havre décrit l’esquisse de Delacroix comme : la « première pensée de sa peinture décorative de Saint-Sulpice », reprenant ainsi la définition de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1755) : « faire une esquisse, signifie tracer rapidement la pensée d’un sujet de peinture ». 
L’esquisse conservée au MuMa est très sombre. On peut se demander si elle l’était à sa réalisation ou si la cause en est plutôt l’altération du support ou de la peinture. Dans un jus huileux, presque liquide, des virgules de couleurs plus épaisses émergent. Elles résument des directions et des parties de corps qui se suivent, s’enchaînent, s’incorporent. Cette animation est surmontée d’un grand vide circulaire. 
Bien que très fragile et actuellement en restauration, la peinture de Saint-Sulpice paraît en comparaison lumineuse et chatoyante. La profusion des ornements et la minutie de la description architecturale en font presque oublier, malgré la tenture couleur chair soulevée, le souffle qui anime l’esquisse. 
L’œuvre dans celle du peintre 
Alors qu’à ses débuts Delacroix s’inspire souvent de l’actualité (Le Massacre de Scio, 1824), avec l’âge il puise plus volontiers dans l’Histoire. Il rêve de plus en plus l’Orient qu’il avait vu dans sa jeunesse, pour l’associer au monde biblique. Pour l’Héliodore, il reprend le second livre des Maccabées (3, 24-27), où le général Séleucide, venu prendre le trésor du Temple, est mis à terre par un cavalier et des anges. Ce passage ne décrit pas un événement, mais une vision : « ils virent paraître un cheval, sur lequel était monté un homme terrible, habillé magnifiquement ». Delacroix peint son tableau comme une apparition, pleine de magnificence, de fureur et de cruauté, à laquelle assistent de multiples témoins. Il s’inspire de la version (1725) de Francisco Solimena du Louvre et de la fresque du Vatican (1511-12) de Raphaël. Delacroix puise ainsi dans l’histoire de la peinture, comme le « classique » qu’il clamait être. 
Dans l’étroite chapelle de Saint-Sulpice La lutte de Jacob et l’ange fait face à Héliodore. Delacroix crée entre ces deux peintures des similitudes et des oppositions saisissantes. Dans l’Héliodore, il croise en oblique les hachures fines de couleurs, dans le Jacob il utilise des touches beaucoup plus larges, dissociées et souples. Le MuMa conserve des recherches de ces deux peintures murales : une esquisse de l’Héliodore et un dessin préparatoire pour le Jacob. 
L’œuvre dans son époque 
Un goût pour la vivacité d’exécution des esquisses s’affirme au XVIIIe siècle, pour devenir au siècle suivant une catégorie académique. L’esquisse n’est plus seulement une étude préparatoire ou la condition d’une commande (La Chasse aux lions, 1854). Alors que Delacroix achève les peintures de Saint-Sulpice, il note dans son Journal le 14 avril 1860 : « presque achevé l’esquisse de l’Héliodore destiné à Dutilleux ». Une esquisse peut donc être peinte a posteriori, pour un ami ou un marchand, comme une œuvre autonome. Perché aux échafaudages, Delacroix consacre ses dernières forces à peindre l’Héliodore. Autour de lui il observe la vie qui lui échappe. Sur la place Saint-Sulpice, il voit un garçon batifoler dans la fontaine. Il note le contraste entre l’orangé de la peau éclairée et son ombre violette. Le même qui anime sa grande peinture murale qui sèche ». 


Du 11 avril au 23 juillet 2018. Prolongée au 3 décembre 2018
Au musée national Eugène-Delacroix 
6, rue de Fürstenberg, 75006 Paris
Tél. : 0033 (0)1 44 41 86 50
De 9 h 30 à 17 h 30, sauf les mardis

Visuels :
Affiche
Eugène Delacroix, La lutte de Jacob avec l’ange (détail), 1856-1861, Paris, Eglise St-Sulpice, chapelle des Saints-Anges
© COARC /Roger-Viollet

Eugène Delacroix, La Lutte de Jacob avec l’ange
1854-1860. Paris musée national Eugène-Delacroix © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

Claude Gellée, dit le Lorrain, Paysage avec Jacob et l’ange. Après 1672.
Londres, The British Museum © The trustees of the British Museum

Marc Chagall, Etude pour la lutte de Jacob et de l’ange, Nice musée national Marc-Chagall © RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Gérard Blot © Adagp, Paris 2018

Eugène Delacroix, Héliodore chassé du temple (détail), huile et cire sur enduit, 1856-1861. Paris Eglise St-Sulpice, chapelle des Saints-Anges
© COARC /Roger-Viollet

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Les citations sur l'exposition sont extraites du communiqué de presse.

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