mercredi 18 septembre 2019

Claude Lanzmann (1925-2018)


Journaliste et réalisateur né dans une famille juive ashkénaze, Claude Lanzmann (1925-2018) a campé une figure de l’intellectuel engagé à gauche et distingué par de nombreux Prix. Cet auteur sioniste est membre du comité de rédaction de la revue Les Temps modernes qui a publié en 1967 un numéro sur "le conflit israélo-arabe" avec l'article de Maxime Rodinson intitulé « Israël, fait colonial ? » Claude Lanzmann a produit une œuvre littéraire et cinématographique d’où émerge le documentaire Shoah (1985). « Claude Lanzmann. Porte-parole de la Shoah » (Claude Lanzmann - Stimme Der Shoah ; Claude Lanzmann : Spectres of the Shoah) est un documentaire de Adam Benzine. Dans le cadre d'un Cycle cinématographique intitulé "Israël, vues d’ailleurs | Paris", le Mémorial de la Shoah proposera le 19 septembre 2019, à 18 h 45, à son Auditorium Edmond J. Safra "Pourquoi Israël" documentaire réalisé par Claude Lanzmann (1973). 

« Mon film Shoah n’est pas un film de souvenirs (les souvenirs sont choses du passé) mais par excellence un film de la mémoire au présent. Grâce à Shoah, le savoir historique change de nature, on assiste, pendant neuf heures trente, à une incarnation de la vérité, le contraire de la faculté d’aseptisation de la science, même de la science historique. Rachel Ertel, auteur de l’entrée «Shoah» dans l’Encyclopædia universalis, parle des protagonistes juifs du film, « qui se brisent submergés par la lame de fond d’une mémoire littéralement physique ». A la sortie de Shoah, un nombre non négligeable d’historiens professionnels se sentit menacés par cette lame de fond, qui questionnait leur science même. Ainsi Lucette Valensi écrit-elle, à propos d’un colloque tenu à la Sorbonne en 1992, que, face à « la force des témoins, la vérité et l’autorité de leur témoignage », la « disqualification de l’historien de métier » constitua une menace qu’elle et ses collègues furent « très près d’éprouver ». Elle ajoutait en note : « non seulement [les témoins] vivent et disent leur expérience, mais ils en fournissent des analyses, dont rien n’autorise à dire qu’elles sont inférieures à celles de l’historien. Je voudrais souligner ici non seulement la véracité des témoignages, mais leur valeur heuristique», a écrit Claude Lanzmann dans Libération (5 avril 2011)

Génocide juif/Shoah 
Né en 1925 à Bois-Colombes dans une famille juive aux grands-parents ayant immigré de Biélorussie et Lettonie en France à la fin du XIXe siècle et aux parents antiquaires commerçant avec les studios cinématographiques américains – son père est engagé volontaire lors de la Première Guerre mondiale  -, Claude Lanzmann découvre l’antisémitisme au lycée Condorcet.

A l’initiative de son père pressentant des années de persécution, il développe sa méfiance et entre dans la résistance communiste dès 1943 à Clermont-Ferrand puis dans les maquis d’Auvergne.

A la Libération, cet élève brillant reprend ses études en hypokhâgne et khâgne. Après son échec au concours de l’Ecole Normale supérieure (ENS), il étudie la philosophie à la Sorbonne et noue une solide amitié avec Jean Cau et Michel Tournier. Enseignant à la Freie Universität Berlin en secteur américain, il analyse l’antisémitisme devant ses étudiants et dénonce dans deux articles publiés en 1949 par le Berliner Zeitung l’insuffisante dénazification parmi cette université allemande.

De retour en France, il gagne sa vie comme pigiste dans la presse française alors florissante : France-Dimanche et France Soir, journaux du groupe dirigé par Pierre Lazareff, Elle, Le Monde.

Israël
Marqué par les Réflexions sur la question juive de Sartre (1947), il se rend en Israël en 1952. Année où il entre au comité de rédaction de la célèbre revue politique et culturelle publiée par les éditions Gallimard, Les Temps modernes. Il noue une histoire d’amour avec Simone de Beauvoir qui avait fondé en 1945 avec Jean-Paul Sartre cette revue de gauche.

Ce journaliste parcourt le monde, milite contre le colonialisme, la répression en Algérie – signataire du Manifeste des 121 en 1960 – et participe au numéro des Temps modernes intitulé Le conflit israélo-arabe (1967). Ce numéro marque un tournant dans la vision et l'analyse du conflit. Un pavé de 992 pages publié en mai 1967, avant la guerre des Six-jours, donc avant la conquête/libération de la Judée et de la Samarie et la réunification de Jérusalem, et composé de deux parties : l'une sur "les points de vues arabes", l'autre sur les "points de vue israéliens".

Long de 80 pages, l'article de Maxime Rodinson intitulé « Israël, fait colonial ? », précède la partie "Points de vues arabes" et se conclut ainsi : « Je crois avoir démontré dans les lignes qui précèdent que la formation de l’Etat d’Israël sur la terre palestinienne est l’aboutissement d’un processus qui s’insère parfaitement dans le grand mouvement d’expansion européo-américain des XIXe et XXe siècles pour peupler ou dominer économiquement et politiquement les autres terres. Il s’agit d’ailleurs d’un diagnostic évident et je n’ai employé tant de mots pour l’énoncer que par la faute des efforts désespérés qu’on a multipliés pour le dissimuler. Il s’agit là de faits. Pour ce qui est des termes, il me semble que celui de processus colonial convient fort bien, étant donné le parallélisme évident avec les phénomènes qu’on s’accorde à nommer ainsi ».

Traduit rapidement en arabe et en anglais, cet article diffame l'Etat Juif en le présentant à tort comme un phénomène colonial, et non dans le sillage du mouvement des nationalités du XIXe siècle comme le mouvement d'émancipation nationale visant la refondation de l'Etat Juif sur sa terre, en Eretz Israël. Rapidement traduit en arabe et en anglais, cet article influera sur des générations, à droite et à gauche, et sera inhérente au "politiquement correct". C'est Maxime Rodinson que la célèbre et réputée Encyclopaedia Universalis choisit pour écrire l’article consacré au sionisme. Il convient de souligner le succès de ce parallèle entre l'Etat Juif et le phénomène de la colonisation. Un parallèle qui délégitime la présence juive dans son berceau historique, biblique, spirituel, et nie le lien entre le peuple juif et Eretz Israël (Terre d'Israël), et notamment Jérusalem, la cité du roi David.

Claude Lanzmann dirige cette revue depuis 1986.

Dans des conditions difficiles, il réalise Pourquoi Israël (1973) et songe à un film sur le génocide Juif pendant la Deuxième Guerre mondiale.

"Shoah"
Frère du romancier et parolier Jacques Lanzmann, le cinéaste Claude Lanzmann raconte la genèse de « Shoah », « œuvre monumentale sur l’extermination des Juifs d’Europe » dans les camps nazis, film de neuf heures et demie diffusé pour la première fois en 1985. Claude Lanzmann impose ainsi le vocable "Shoah" pour désigner le projet génocidaire nazi ayant tué six millions de juifs. Les anglo-saxons privilégient le terme "Holocaust" signifiant un sacrifice religieux. 

« Œuvre de commande, à l’origine, du ministère des Affaires étrangères israélien, Shoah a happé douze ans de la vie de son auteur » : recherche documentaire, des survivants et des bourreaux ainsi que des témoins. A partir de 350 heures de prises de vues réalisées entre 1974 et 1981, le seul montage requiert quatre ans de travail. 

Grâce à ce matériau unique, Claude Lanzmann brosse les portraits de Maurice Rossel (Un vivant qui passe en 1997), de Yehuda Lerner (Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures en 2001), de Jan Karski (Le Rapport Karski en 2010) – Claude Lanzmann s’indigne du livre Jan Karski de Yannick Haenel (2010) -, de Benjamin Murmelstein (Le Dernier des injustes en 2013) et « Les quatre sœurs ».

Claude Lanzmann expliquait ainsi sa motivation à réaliser "Sobibor" : Il faut faire justice d'une double légende, celle qui veut que les Juifs se soient laissés conduire au gaz sans pressentiment ni soupçon, que leur mort ait été "douce", et cette autre selon laquelle ils n'opposèrent à leurs bourreaux aucune résistance. Sans rien dire ici des grandes révoltes, comme celle du ghetto de Varsovie, les actes de bravoures et de liberté, individuels ou collectifs, furent très nombreux dans les camps et les ghettos : insultes, malédictions, suicides, assauts désespérés. Il est vrai pourtant qu'une tradition millénaire d'exil et de persécution n'avait pas préparé les Juifs, dans leur grande masse, à l'exercice effectif de la violence, qui requiert deux préconditions indissociables : une disposition psychologique et un savoir technique, une familiarité avec les armes. C'est un officier Juif Soviétique, Alexander Petchersky, soldat de métier, à qui donc l'usage des armes n'était pas étranger, qui décida, planifia et organisa l'insurrection en à peine six semaines."

Adolescent juif déporté à Sobibor, Yehuda Lerner se procure dans l'atelier de menuiserie une hache et l'aiguise. Il "attend dans l'atelier de confection un officier allemand venu essayer une pelisse". "Ca a duré un millième de seconde. Je lui ai coupé le crâne en deux (...) J'étais un gosse, mais je considérais comme un honneur de tuer un Allemand. Avant, je n'aurais pas tué une mouche", a confié Yehuda Lerner à Claude Lanzmann, en 1979, à Jérusalem, pendant le tournage de "Shoah". 

Dans « un entretien au long cours » accordé à Adam Benzine, Claude Lanzmann « retrace les jalons de cette entreprise éreintante et essentielle, menée dans une alliance « d’urgence totale et d’extrême patience ». Une œuvre sans archive qui impose le terme hébreu « Shoah » pour désigner le génocide juif.

« Pour révéler l’ampleur et les rouages du « crime parfait » commis par les nazis, le cinéaste a arpenté quatorze pays, pistant les témoins à même de raconter la mort dans les chambres à gaz : rescapés des sonderkommandos, habitants des villages limitrophes des camps d’extermination et bourreaux ». 

Claude Lanzmann « explique ainsi comment il a remué ciel et terre pour retrouver, dans un salon de coiffure du Bronx, Abraham Bomba, qui coupait les cheveux des femmes à Treblinka, et comment, en filmant la course de ses ciseaux et en réclamant toujours plus de détails, il a réveillé la mémoire de ce témoin exceptionnel ». Une scène détournée par un réalisateur israélien dans un film diffamant l’Etat d’Israël.

Claude Lanzmann « évoque par ailleurs – non sans résistance – la dangereuse traque des criminels nazis, qu’il a fallu payer, berner et flatter pour qu’ils parlent, filmés à leur insu à l’aide d’une paluche. Mais aussi le casse-tête du montage, cinq années traversées de découragements, et la fierté sans joie ressentie au terme de cette aventure radicale. »

En 1994, Claude Lanzmann réalise Tsahal, documentaire de cinq heures sur l’armée israélienne, ses soldats, ses armements, son éthique.

Il s’indigne des propos de Raymond Barre sur France Culture le 6 mars 2007.

En 2008, pour le soixantième anniversaire de la refondation de l’Etat d’Israël, sort Lights and Shadows de Claude Lanzmann. Une interview d’Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien.

En 2011, Claude Lanzmann consacre un numéro des Temps modernes aux Harkis et intitulé « 1962-2012, les mythes et les faits ». L’occasion de se pencher sur ceux qu’il avait dénommés à tort « les chiens de l’humaniste Papon ». Une "repentance".

Montrant des rushs inédits de Shoah, « Claude Lanzmann. Porte-parole de la Shoah », documentaire émouvant d’Adam Benzine « éclaire la création de ce chef-d’œuvre et son influence à la fois historique et cinématographique, saluée notamment par Marcel Ophüls », réalisateur en particulier du Chagrin et la pitié. 

« L’occasion également d’effleurer certains aspects de la vie de son auteur : sa jeunesse résistante, son histoire d’amour avec Simone de Beauvoir de 1952 à 1959, son affection pour Sartre, son rapport à la mort et sa vision de l’avenir ».

A l’occasion de la parution de l’ouvrage d’Éric Marty Sur Shoah de Claude Lanzmann (éd. Manucius, 2016), et de la projection du documentaire d’Adam Benzine Claude Lanzmann : Spectres of the Shoah (58 mn, ZDF/ARTE, 2016), le Mémorial de la Shoah proposa le 20 novembre 2016 à 14 h 30, Shoah 1985 : l’oeuvre de Claude Lanzmann". "Plus de 30 ans après, Shoah reste une « immense leçon de cinéma, qui est aussi une leçon politique, esthétique, philosophique, et peut-être poétique », selon les mots d’Éric Marty. Dans un documentaire nommé aux oscars, Adam Benzine propose un portrait intime de Claude Lanzmann, qui revient sur la genèse de son film. Alliant une interview du réalisateur et des images inédites du montage, il éclaire la création de ce chef d’oeuvre et son influence. Une conférence en présence de Claude Lanzmann, écrivain et réalisateur, et Éric Marty, membre de l’Institut universitaire de France (IUF), écrivain, essayiste, université Paris 7 et animée par Samuel Blumenfeld, journaliste au Monde".

Pour rendre hommage à Claude Lanzmann décédé le 5 juillet 2018, Arte diffusera le 7 juillet 2018 à 20 h 50 "Shoah" et sur son site Internet la "tétralogie bouleversante intitulée « Les quatre sœurs », [dans laquelle] Claude Lanzmann dévoile les récits de survie de quatre femmes réchappées de la destruction nazie, qu’il avait longuement interviewées pour la préparation de son film "Shoah"."

Le 12 mars 2019 à 20 h 30, le Centre Medem - Arbeter Ring rendit hommage à Claude Lanzmann, avec Jean-Jacques Moscovitz, psychanalyste. "Décédé il y a moins d’un an, Claude Lanzmann laisse derrière lui beaucoup d’images, de textes, des livres, et le monumental Shoah qui fut une étape majeure, peut-être la plus grande, dans l’expression de la destruction des juifs d’Europe."

Dans le cadre d'un Cycle cinématographique intitulé "Israël, vues d’ailleurs | Paris", le Mémorial de la Shoah proposera le 19 septembre 2019, à 18 h 45, à son Auditorium Edmond J. Safra "Pourquoi Israël" documentaire réalisé par Claude Lanzmann (1973). « Par le style décapant des interviews, par le talent et la sensibilité d’un montage constamment syncopé, par la richesse des significations humaines qui rejoignent une vérité historique profonde, par le mélange enfin d’humour, de cruauté et de tendresse avec laquelle l’enquêteur promène sa caméra : ni reportage, ni film historique, tel est “Pourquoi Israël”… ». (François Furet, Le Nouvel Observateur, 1973.) Présenté par Serge Toubiana, président d’UniFrance.


"Pourquoi Israël" de Claude Lanzmann 
Why Not Productions, Les films d’Aleph, 1973, 195 mn
A l'Auditorium Edmond J. Safra du Mémorial de la Shoah, le 19 septembre 2019, à 18 h 45
17, rue Geoffroy l’Asnier. 75004 Paris
Tél : + 33 (0)1 42 77 44 72
  
ZDF, 2015, 58 min
Sur Arte le 27 janvier 2016 à 22 h 40, puis le 31 janvier 2018 à 1 h

Visuels :
© David Spowart
© Adam Benzine

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Les citations proviennent d'Arte. Cet article a été publié le 27 janvier 2016, puis les 20 novembre 2016, 30 janvier et 6 juillet 2018.

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