jeudi 9 juillet 2020

A table au Moyen-âge


La Tour Jean Sans Peur, qui réouvre au public le 11 juillet 2020, invite à s’attabler afin de découvrir la gastronomie médiévale. Celle des paysans et celles des nobles. Leurs rites et leurs vaisselles. Leurs recettes et leurs saveurs. Et le contexte historique.

« Une femme d'exception. Le royaume d’Anna » par Beate Thalberg
L’iconographie médiévale, notamment les manuscrits, le cinéma, dont Les visiteurs du soir (1942) de Marcel Carné, la littérature, la peinture, les légendes ont peaufiné notre image du repas au Moyen-âge, de ses mets, de ses lieux et de son déroulement.

L’exposition à la Tour Jean Sans Peur  invite « le visiteur à la table des puissants comme à celle des gens modestes ». 

Manger au  Moyen-âge  ou au XXIe siècle constitue « un  acte biologique, social et culturel », qui varie selon les moyens financiers, les régions, la religion. En effet, le judaïsme prohibe certains animaux ou certaines associations d’aliments, etc.

La convivialité règne lors des banquets. Conformément aux « règles de bonne manière, tranchoir, coupe et pain sont partagés : les invités deviennent ainsi copains. Richesse de la vaisselle du vin, profusion des mets, mise en scène des entremets contribuent à valoriser le maître des lieux. Mais attention, la gourmandise est aussi le premier des péchés capitaux, dont témoigne nombre d’enluminures ».

Du passé faisons table rase
"Au Moyen Âge, du fait de la polyvalence des pièces, la table n’est pas encore « dormante » mais montée sur tréteaux, d’où l’expression mettre la table ou dresser la table."


"Lors d’un repas, elle est couverte d’une nappe de lin doublée d’une longière (serviette commune) avant de recevoir les tranchoirs servant d’assiettes, les coupes et les couteaux. Autour d'elle, sont installés des sièges parfois dépareillés et notamment le banc qui a donné dans le milieu noble le mot banqueter."

"La diversité des sièges rend compte d'une hiérarchie à table, où la chaire à haut dossier, parfois surélevée grâce à une estrade, rend compte de la place la plus prestigieuse. Cette place est marquée également par une vaisselle spécifique dite de dignité représentée par une nef ou bien une coupe précieuse comportant les couverts du seigneur."

"Pareillement, le dressoir présentant les plus belles pièces est placé en évidence à côté de la table du repas et rend compte de l'opulence du maître des lieux. Ce meuble, ancêtre du vaisselier, comporte un nombre d'étages précis rendant compte du rang du propriétaire."

"Dressoir pour la vaisselle précieuse mais aussi tentures verdoyantes et jonchées de fleurs fraîches célèbrent la richesse du propriétaire dans un cadre idyllique."

À table !
Installée près de la cheminée, la table du seigneur est parfois surélevée.

 « Sont distingués un haut bout (proche de celle-ci) d’un bas bout. Conséquence : le nombre de plats servis ne sera pas le même en fonction de l’emplacement. Si l’invité d’honneur voit tous les mets servis devant lui, ceux du bas bout devront seulement se contenter d’une demi-aile de poulet ! »

« À la taverne, on s'assoit sans qu'il y ait de hiérarchie précise mais pour un repas en famille, le père a la meilleure place, tandis que les enfants sont placés au bas bout. »


« Début et fin des grands repas sont marqués par le lavage des mains, rituel dont témoignent de nombreux aquamaniles et aiguières. Outre l’hygiène nécessaire puisque les convives mangent avec les doigts et peuvent se partager le contenu des coupes et tranchoirs, les traités de bonnes manières insistent aussi sur la retenue, le fait de ne pas empiéter sur l’espace de son voisin et de rendre hommage à l’hôte même si les plats sont trop cuits ou trop salés. Ces différents principes auparavant enseignés à la seule aristocratie, se diffusent en milieu urbain à partir du XIIIe siècle. « La courtoisie quitte la cour pour devenir civilité. »

« Au cour du repas, toute une brigade s'affaire. Ainsi, pour les noces d'un duc de Bourgogne, avec le personnel en cuisine, pas moins de 515 personnes œuvrent à la préparation d'un repas ! »

« L'échanson et le panetier ont préséance sur les autres offices de bouche du fait que vin et pain revêtent un caractère sacré ».

« L'échanson ne cesse d'observer son maître pour le servir. Il est placé derrière l'huissier de salle qui porte les bassins et suivi du sommelier qui porte deux pots, l'un pour le vin du prince, l'autre pour son eau. »

La chaîne de l’être
« Selon la pensée médiévale héritée de la Physique d’Aristote, l’univers est doté d’une organisation verticale, depuis Dieu jusqu’aux objets inertes, situés au plus bas. C’est pourquoi, dans les festins, les fruits sont préférés aux légumes et les oiseaux aux quadrupèdes. »

Les critères président à la sélection des ingrédients ? Tout « dépend aussi des saisons, de la santé avec ses humeurs et surtout du calendrier religieux qui impose un jeûne sur le tiers de l’année. L'abstinence la plus rigoureuse est celle du carême interdisant la consommation de tout produit carné. »
« La majorité de la population doit alors se contenter de légumes, harengs, crapois (graisse de baleine), lait d'amande... »


« Pour rendre cette période moins douloureuse aux élites aristocratiques et ecclésiastiques, l'imagination des cuisiniers est sans limite : ils n'hésitent pas à travestir le poisson en viande, ou bien à cuisiner le marsouin ou porc de mer comme un porc domestique. »

« Le rythme des repas varie selon les catégories sociales : si bourgeois et aristocrates prennent deux repas par jour, ouvriers et paysans doivent se nourrir plus régulièrement mais avec des mets d’une grande monotonie ».

« Leur repas est constitué de pain à 70 % avec du vin léger et d’un companage (ce qui accompagne le pain, soit principalement les légumes). »

Le pays de Cocagne
« L'angoisse de la famine au Moyen Âge a produit l'utopie économique du pays de cocagne dès le XIIe siècle. Une sorte de Jardin d’Eden caractérisé par ses bombances et fêtes, et sa prohibition du travail. Le banquet est une des expressions majeures » de ce Paradis qui hante les imaginaires occidentaux.

« A la fin du XIIIe siècle, recettes et ordre des mets sont consignés par les maitres-queux dans des manuscrits tels que le Viandier de Taillevent (cuisinier des rois Philippe VI de Valois, Charles V et Charles VI). Dans ces repas parfois gargantuesques, entre 600 g et 1 kg de viande sont proposés par jour et par personne sans que tout ne soit consommé. En effet, chaque service contient de nombreux plats présentés en même temps sur la table. »

« Ainsi, lors du Banquet du Faisan donné par le duc de Bourgogne Philippe le Bon en 1454, huit services se succèdent comportant alors une cinquantaine de plats. »


« Ces services appelés assiettes ou mets s'organisent de la façon suivante :
- le banquet débute par un apéritif nommé assiette de table, visant à ouvrir l'appétit par un vin doux et épicé, l'hypocras, accompagné de petits pâtés et de fruits.
- suit alors le potage, c'est-à-dire les préparations cuisinées en pot.
- vient ensuite le mets principal, c'est-à-dire le rôt, pièce de viande ou de volaille rôtie.
- A l'issue de ce service est proposé l'entremets, un divertissement spectaculaire visant à mettre en valeur le propriétaire.
- à la fin du repas est servie une desserte sucrée, notre dessert, constituée de fruits et de gâteaux. Elle est suivie d'une poire permettant la digestion.
On dit que la poire "par son seul poids fait descendre les viandes au fond de l'estomac".
- enfin dans une autre pièce est servi le boute hors indiquant qu'il est temps de se séparer et comprenant vin sucré et épices confites. »


« Dans les recettes médiévales les plats se nomment viandes et la viande char. Elle est consommée en abondance, entre 600 g et 3 kg de viande sont proposés par jour et par personne sans que tout ne soit consommé. »

« Si le poisson salé fait référence à la période de jeune pour les plus modestes, le poisson frais est réservé aux classes aisées et se déguste à tout moment de l'année. Les recettes distinguent poissons d'eau douce et de mer avec un mode de cuisson adapté. Les crustacés ne sont pas oubliés. Les huîtres, écalées et bouillies, sont dégustées chaudes dans une sauce légère au vin et aux épices. C'est le civet d'oitre. »

« En lien avec la pensée d'Aristote, les oiseaux sont préférés aux quadrupèdes. Ils sont donc la pièce maîtresse des festins qu'ils proviennent de la basse-cour ou bien de milieux sauvages. »

« Les cuisiniers préparent ainsi poulets, oies et pigeons, perdrix, outardes, cigognes voire même cormorans Les œufs occupent également une grande place dans l'alimentation. Ils sont préparés sous de multiples formes (à la braise, délayées dans les sauces, en omelettes...) et consommés indifféremment salés ou sucrés. »

« Lors du banquet donné par le comte Amédée VIII de Savoie pour Philippe le Bon, au château de Ripailles, pas moins de 6000 oeufs furent utilisés pour la confection des mets. »

« Le pain est l'aliment phare du repas. Pas moins d'1 kg est consommé par jour et par personne. Vendu non salé, et pesant d'une demi livre à 4 kg, il est présent sous une multitude de formes et à base de céréales très diverses : froment (pain blanc coûteux), de seigle, d'orge... »

« Il permet non seulement d'accompagner le repas mais aussi sert de tranchoir pour y poser la viande, de colorant lorsqu'il est grillé, de liant lorsque sa mie est mélangée au bouillon. »

« En Italie, les céréales servent à la confection des pâtes déclinées déjà sous toutes les formes : macaronis, gnocchis, lasagnes, spaghettis... »

« C'est un met de choix qui coûte deux fois plus cher que la viande. »


« Fruits et légumes interviennent diversement dans le repas. Les fruits poussant proches du ciel sont présentés en apéritif, ou bien à la fin du repas. Surtout, leur jus acide est utilisé dans la préparation de sauces. »

« Ainsi la sauce au poivre qui accompagne agneau ou chevreau a pour base du jus de pomme sauvage. »

« Les légumes poussant en terre, sont méprisés à la table des élites. »

« Oignons, poireaux, navets et autres "bulbes" sont donc laissés de préférence aux paysans. »

« De manière générale, le goût médiéval français s'oriente vers des saveurs acides obtenues notamment grâce au verjus ou jus de raisin vert. »

« Les cuisiniers de l'aristocratie peuvent se permettre d'employer des épices coûteuses comme le poivre long importé d'Inde ou bien le safran, très apprécié pour la couleur dorée qu'il donne aux plats. Herbes et épices donnent non seulement du goût et mais offrent une gamme de couleurs multiples. »

Pouvoir et convivialité à table
Les « festins permettent d’impressionner durablement les convives tout en valorisant le maître des lieux ». 

« Le moment du festin est un moment important permettant de mettre en valeur le propriétaire et de sceller des alliances.

« Celui qui reçoit ne ménage pas ses moyens : la prodigalité est de règle. »

« Au milieu du repas, il impressionne les invités avec l'entremets, une pièce extraordinaire, pouvant être consommée ou bien à partir de laquelle est donné un spectacle. »


« Règnes animal et végétal, mais aussi épisodes militaires ou mythiques sont reconstitués sous les yeux des convives. Ainsi, pour les noces de Charles le Téméraire, en 1468, deux géants escortent une énorme baleine ; de sa gorge jaillissent deux sirènes et douze chevaliers. En comptant les assistants charges de le faire se mouvoir, le cétacé contient plus de quarante personnes ! »

« Le vin, qui tient également une pièce centrale, est mis en scène par des fontaines de table ou de salle. Celles-ci faites de métaux précieux distribuent à l'envi le précieux liquide tout en sonorisant le repas grâce à des grelots fixés sous les tuyaux. Roi du repas, le vin est aussi l'argument de jeux de table et de plaisanteries prévues au sein même de la vaisselle vinaire. Ainsi existe-t-il des "pichets-girafes" au col évidé, remplis d'un vin qui disparaît à peine versé dedans. »

« Le banquet est aussi l'occasion de recevoir les suppliques de divers demandeurs. »

« De tels fastes ont inspiré les tables bourgeoises à la fin du Moyen Âge si bien qu'il a fallu ordonner des lois somptuaires réduisant les proportions des banquets autres qu'aristocratiques. »

« Cette prodigalité est vivement critiquée par les moralisateurs. Plus que la surabondance alimentaire, c'est l'excès de plaisir éprouvé à manger qui met la gourmandise au premier rang des péchés capitaux. Sont accusés non seulement ceux qui se livrent aux excès de gueule, mais aussi ceux qui mangent en dehors des heures des repas. »

« Figure de la gourmandise, l'obèse se retrouve stigmatisé. Cependant cet aspect concerne surtout le milieu noble où le fait d'être mince montre une capacité à monter à cheval, à chasser ou à se battre. Dans les milieux populaires, pour une nourrice ou bien un homme du peuple, avoir un embonpoint c'est être en "bon point", gage de bonne santé et de force physique. »


Que mangeait-on au Moyen-âge ? 
Le 10 janvier 2017, Xenius s'interrogera Que mangeait-on au Moyen-âge ? : "Tout au long de la semaine, "Xenius" se met à l'heure médiévale et explore les coulisses du château de Guédelon, entièrement construit à partir de techniques et de matériaux du XIIIe siècle. Aujourd'hui : petit tour dans les cuisines du château à la découverte des spécialités culinaires de cette époque. Que mangeait-on et que buvait-on au Moyen Âge ? Comment préparait-on la nourriture ? À cette époque, la cuisine était en pleine mutation à cause de l’essor du commerce avec les pays "lointains". Ceux qui pouvaient se le permettre mangeaient des mets d’un grand raffinement. Les autres, dit-on, allongeaient leur pain avec de la sciure de bois... Dans les cuisines du château fort de Guédelon, les présentateurs de Xenius cuisent un pain rudimentaire avec le boulanger Max. Quelques cuillerées de bouillon versées dans la pâte rehaussent le goût du pain et lui donnent des vertus rassasiantes".


Du 8 janvier 2020 à la fin de l'été 2020
Jusqu’au 15 novembre 2015
20, rue Étienne Marcel. 75002 Paris
Tél. : 01 40 26 20 28
Du mercredi au dimanche de 13 h 30 à 18 h

Visuels :
Repas bourgeois dos à la cheminée
Heures à l’usage de Rome, Bourges, v. 1500, Paris, BnF, ms Nal 3116, fo1

Cuisine et salle du repas communiquent par un passe-plat.
Quinte Curce, Histoire d’Alexandre, Flandre, fin du XVe s. 
Paris, BnF
ms Français 6440, f° 158

Une table bien dressée : noblesse de la vaisselle métallique.
Banquet chez Guillaume III de Hollande
Jean Beka, Chronique de Hollande, Bruges
v. 1460. Paris, BnF, ms Français 9002, f°148 v°

Nappe et serviette de service à liteaux
Ibn Butlan, Tacuinum sanitatis,
Pavieou Milan, v. 1400
Paris, BnF, ms Nal 1673, f°67

Mi viande, mi poisson : le castor.
Platearius, Livre des simples médecines,
France de l’Ouest, v. 1520. Paris
BnF, ms Français 12322, f°188

Les quatre saisons.
Barthélemy l’Anglais
Livre des propriétés des choses, 
Le Mans, milieu du XVe s. 
Paris, BnF, ms Français 135, f° 65

Livre de cuisine et menu
Viandier, Paris, 1486
Nantes, musée Dobrée

Un plat de luxe : le héron.
Guillaume de Machaut, OEuvres, Paris, milieu du XIVe s.
Paris, BnF, ms Français 1586, f° 55

Le partage du pain : la miche paysanne.
Guillaume de Machaut, OEuvres, Paris, fin du XIVe s.
Paris, BnF, ms Français 22 545, f° 72

Un entremets théâtral : la prise de Jérusalem.
Grandes chroniques de France de Charles V 
Paris, v. 1375.
Paris, BnF, ms Français 2813, f° 473 v°

Le repas en enfer : au menu, araignées, scorpions et insectes variés
Livre de prières de Philippe le Bon,
Nord de la France, v. 1470,
Paris, BnF, ms Nal 16 428, f° 4

Trop gourmande : la femme girafe.
Pour les moralistes, plus le cou humain est long, plus le plaisir de la dégustation, allongé du même coup, augmente, et plus le péché de gourmandise est grave.
Gratien, Décret, Italie, XIVe s. Lyon
BM, ms 5128, f° 69

A lire sur ce blog :

Les citations proviennent du communiqué de presse. L'article a été publié le 15 novembre 2015.

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