mardi 9 juin 2015

« Un été en Allemagne nazie », par Michael Kloft


Arte diffuse « Un été en Allemagne nazie » (Innenansichten-Deutschland 1937, March of Time: Inside Nazi Germany), documentaire par Michael Kloft (2012). Des « images édifiantes restées intactes » de la vie quotidienne dans l’Allemagne sous férule nazie prises par Julien Hequembourg Bryan (1899-1974), documentariste américain, brièvement montrées en 1938.


Julien Hequembourg Bryan (1899-1974) a manifesté tôt son intérêt pour la découverte du monde à travers les voyages dont il ramène photographies et films destinés à ses conférences, livres, etc. 

Journaliste-reporter
En 1917, âgé de 18 ans, Julien Hequembourg Bryan sert comme ambulancier en France lors de la Première Guerre mondiale, conduisant les soldats blessés des champs de bataille aux hôpitaux derrière les lignes. Il en tire un livre, Ambulance 464 illustré par ses photographies.

Lycéen, il finance ses voyages par des conférences relatant ses séjours à l’étranger.

Diplômé de Princeton en 1921 et de l’Union Theological Seminary, il renonce à être ordonné pasteur. Il dirige YMCA (Young Men's Christian Association), mouvement chrétien de jeunesse, à Brooklyn, à New York.

En 1930 et 1935, avec sa caméra 35 mm, ce journaliste américain parcourt l’Union soviétique, de Moscou au Caucase, s’intéressant au théâtre Juif et d’avant-garde.

Au milieu des années 1930, en Pologne, Bryan filme des scènes de vie Juive à Varsovie et à Cracovie.

À l'été 1937, il « obtient une permission spéciale pour parcourir l'Allemagne et filmer ce qu'il s'y passe. Il veut montrer à ses compatriotes la réalité du IIIe Reich ».

Manifestants, dirigeants nazis, vie quotidienne dans les villes et les fermes, mesures antisémites… Pendant deux mois, il photographie et « filme sans a priori, dans un style aux antipodes de celui de Leni Riefenstahl, réalisatrice officielle du IIIe Reich. S'il n'a pas l'autorisation de tourner partout, il réussit néanmoins à capter ici et là des scènes sur le vif qui ne sont guère à l'avantage des dignitaires nazis ».

L'Allemagne "compense ses manques par une économie planifiée et la mise en place d'une puissante machine de guerre", constate William L. Shirer  (1904-1993), journaliste américain.

William Burghardt DuBois, journaliste dramaturge américain (1903-1997), dresse le même constat.

John F. Kennedy séjourne en Allemagne. Il "trouve les Nazis insupportables", mais il pense que le fascisme a sa place en Italie et en Allemagne, comme la démocratie a la sienne en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis".

Bryan filme l'exposition sur l'"art dégénéré" à Munich.

Nuremberg. L'écrivain Samuel Beckett "est indigné par l'instrumentalisation de lieux symboliques". Sur l'ordre de Julius Streicher, directeur de l'hebdomadaire antisémite Der Stürmer (1923-1945), la synagogue sera détruite en 1938. Bryan est autorisé à filmer les coulisses du congrès nazi dans cette cité. William Dodd alerte son gouvernement sur la montée des périls, notamment sur le rôle de ce congrès.

Land de Thuringe. Bryan part sur les traces de Martin Luther. Il visite Weimar, mais n'est pas autorisé à se rendre au camp proche de Buchenwald. Les opposants au régime sont persécutés par le régime nazi en raison de leurs convictions religieuses. Ce régime fonde le mouvement des Chrétiens allemands, symbiose du christianisme et du nazisme. Le pasteur Martin Niemöller stigmatise dans ses sermons les mesures antisémite. Il est interpellé et détenu au camp de Sachsenhausen.

Dans Le Journal du voleur, l'écrivain Jean Genet relate ses impressions de son séjour en Allemagne. A Berlin, il se prostitue.

Berlin.  Les autorités préparent la venue de Mussolini, la ville est pavoisée d'oriflammes nazis. Des bancs et des écoles sont réservés pour les Juifs. Der Stürmer est placardé sur les murs. Des enfants Juifs allemands apprennent donc l'hébreu. "A mon avis, dans les dix prochaines années, seuls quelques uns de ces 500 000 Juifs seront en vie".

« En filmant de banales scènes de vie prospère, l'Américain a capté les signes de l'antisémitisme endémique et de la préparation du régime à la guerre. Interdite à Buchenwald, la caméra s'immisce dans les camps de travail où sont forgées les Jeunesses hitlériennes, ou dans les coulisses des congrès du parti ».

Bryan ramène clandestinement ses pellicules de ses tournages aux Etats-Unis. Il avait vendu ses images à The March of Time. Les producteurs américains sont déçus. Bryan se défend : il a voulu "filmer la vie quotidienne de la manière la plus fidèle possible".

Dans ses conférences en 1938, il alerte ses concitoyens sur le danger qui menace.

L'ambassadeur Dodd est démis de ses fonctions.

Numéro de The March of Time, Inside Nazi Germany 1938 (16’) de Jack Glenn a été diffusé aux Etats-Unis le 18 janvier 1938 « pour mettre le régime d'Hitler en accusation ». Les dirigeants nazis sont consternés de voir la réalité allemande nazie portée à la connaissance des Américains.

En 1993, Inside Nazi Germany 1938 a été sélectionné par la Library of Congress des Etats-Unis en raison de sa « signification culturelle » pour figurer dans son Registre national de films.

La « quasi-totalité des bobines 35 mm étant restées intactes, elles ont pu être adaptées à la HD pour ce documentaire. Sur « des images déjà fortes », le réalisateur Michael Kloft « appose les commentaires de Julien Bryan et ceux d'observateurs de l'époque, fins analystes ou témoins furtifs de la montée de la terreur nazie. Des voix d'une lucidité déconcertante ».

De manière surprenante, Michael Kloft occulte certains aspects gênants de personnes qu'il cite. Ainsi, il omet de relever les remarques antisémites faites en privé par l'ambassadeur américain désigné par le président Franklin D. Roosevelt dans l'Allemagne du IIIe Reich (1933-1937), William Dodd, et ses efforts pour miner les alertes des organisations Juives américaines concernant le nazisme. De plus, il occulte les sympathies initiales de Martha Dodd, fille de cet ambassadeur, pour des nazis, puis son revirement après la Nuit des Longs couteaux (1934) et son amour avec Boris Winogradov, espion soviétique, qui la conduira à trahir son pays et son père en communiquant à l'Union soviétiques des informations de l'ambassade américaine.

La bande son du documentaire est signée par le compositeur Irmin Schmidt du groupe Can. Une « musique aux accents funèbres inspirée par un chant de la guerre de Trente Ans ».

A l’été 1939, alors que le gouvernement polonais officiel et des diplomates quittent la Pologne, Bryan se rend à Varsovie. Là, il obtient le soutien de Stefan Starzynski, maire de la ville, qui lui fournit une voiture, un guide, un interprète, et l’autorisation de filmer ce qu’il souhaite. Du 7 septembre au 21 septembre 1939, Bryan filme et photographie les bombardements de la Luftwaffe et leur impact sur les habitants. A la radio polonaise, il lance un appel au Président américain Franklin D. Roosevelt afin qu’il aide les civils cibles des bombardiers.

Bryan quitte la ville lors d’une trêve, se rend en Prusse orientale où il dissimule ses films et pellicules dans un paquet de masques à gaz qu’un ami américain ramène chez lui comme souvenirs. Il les récupère six semaines plus tard à New York.

De retour aux Etats-Unis via la Suède et la Norvège, Bryan propose ses photos à divers magazines. Le 23 octobre 1939, Life magazine édite 15 de ses photos, et le 5 décembre 1939, Look magazine 26 de ses photos. Bryan relate les événements dont il a été témoin dans Siège (1940), titre de son livre et du film (RKO Radio Pictures). Nommé pour l’Oscar, ce film est en 2006 inscrit dans le Registre national du film pour ses travaux cinématographiques importants.

En 1940, le Bureau d’information de la guerre (OCIAA) demande à Bryan de réaliser 23 films sur la vie et la culture de pays d’Amérique latine afin de prévenir la haine nationale qui avait submergé l’Europe. Puis le Département d’Etat lui commande cinq films sur les Etats-Unis.

En 1945, Bryan crée l’International Film Foundation

Il réalise des films documentaires pour le marché éducatif afin d’approfondir la compréhension mondiale par des films de qualité. 

En 1946, il retourne en Pologne, où il constate les destructions à Gdańsk.

Bryan collabore avec certains des artistes et producteurs indépendants les plus innovateurs, dont Francis Thompson qui eu un Oscar en 1965 pour le meilleur documentaire et a été pionnier dans le format 70 mm Imax.

En 1974, Bryan est distingué par le Zasłużony dla Kultury Polskiej, Prix du Mérite de la culture polonaise, pour avoir montré la réalité de l’invasion de la Pologne par les Nazis.

En 1987, lors de la soirée de gala de la Martha Graham Dance Company au New York Center, le film Frontier de Julien Bryan et Jules Bucher sur la performance de Martha Graham dans Frontier, tourné en 1935, a été présenté pour la première fois.

Fils de Julien Bryan, Sam Bryan, dirige la Fondation depuis le décès de son père en 1974.

En 2003, les Archives de Steven Spielberg au Musée Mémorial de la Shoah des Etats-Unis ont acquis les collections de photos et films de Julien Bryan sur la Pologne et l’Allemagne nazie.
     

« Un été en Allemagne nazie », par Michael Kloft
2012, 53 min 

Visuels : © Spiegel TV
Kindergeburtstag, 1937
Antisemitisches Schild, 1937
Arbeitsdienst in Bayern, 1937 
Nürnberg
Segelflieger bei Berlin, 1937

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Les citations sont d'Arte.

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