samedi 21 février 2015

Voyager au Moyen âge


Le musée de Cluny-musée national du Moyen Âge propose l’exposition éponyme  itinérante, « fruit de la première collaboration du réseau des musées d’art médiéval » européen. Un « périple à travers le temps et l’espace ». Pèlerins, souverains, artistes, marchands, aventuriers, diplomates, Croisés, simples voyageurs… Quelles que soient leurs motivations – pacifiques ou guerrières (guerre de course, jihad), spirituelles, familiales ou commerciales - ou leurs moyen de locomotions et voies de transport, en dépit parfois des périls, ils ont quitté leur foyer, leur ville, leur région, leur pays, leur continent pour un ailleurs, parfois inconnu, avec l’aide de cartes, de lettres de change, etc. 

C’est une nouvelle image du Moyen-âge qu’offre cette exposition. Au cliché d’une ère moyenâgeuse figée, le musée de Cluny-musée national du Moyen Âge  souligne la mobilité géographique caractérisant cette période en présentant une typologie des figures de voyageurs, de leurs itinéraires, de leurs objets.

« Voyager au Moyen Âge » réunit « plus de 160 œuvres dans un cadre exceptionnel, le frigidarium des thermes antique du musée de Cluny ». Une exposition itinérante résultant de la collaboration de trois institutions culturelles européennes réputées membres au réseau des musées d’art médiéval : le Musée épiscopal de Vic en Catalogne, le Musée du Bargello à Florence et le Musée Schnütgen  à Cologne.

Qui voyageait quand, pourquoi et comment ?
Princes, croisés, diplomates, artistes, pèlerins, courriers, moines, envahisseurs Barbares, « officiers de justice et de finances », pirates, Templiers, marchands, étudiants, espion tel Bertrandon de la Broquiere, paysans, mariées…

Ils empruntent routes, fleuves et mers - épave de pinasse d’Urbieta conservée au musée de Bilbao, embarcation en bois servant aux pêcheurs ou au transport de marchandises -, à bord de chariots ou bateaux, ou encore à pied, se reposant dans des auberges, emportant avec eux des objets familiers ou scientifiques.

Les Scandinaves « doivent à leurs longs bateaux légers mus à la voile et à la rame le succès de leur expansion, y compris vers l’Asie et le continent américain. La flotte que contrôle Jacques Cœur sillonne le monde et lui assure une ascension sociale sans égale. Cependant, les progrès techniques de la construction navale sont peu nombreux ».

Généralement, « l’homme médiéval voyage à pied ». Quand « il dispose de chaussures, qui ne sont d’ailleurs pas spécifiques a la marche, il va parfois nu-pieds, en signe de pénitence mais surtout pour les économiser. Le voyageur aisé se déplace a cheval, qu’il possède ou loue. Le chariot couvert ou le bateau sont des moyens de locomotion individuels ou collectifs liés à la nature du voyage, qui procurent des avantages distincts. Une partie de la société médiévale, en perpétuel déplacement, emporte dans ses grands coffres des objets, parfois spécifiquement conçus pour optimiser leur transport, liés au confort de la vie quotidienne : éclairage, mobilier, petits rangements ». Alliant confort et praticabilité, des objets de mobilier : table pliante, chandeliers, coffres, chaises.

Pour le commerce, le voyage s’avère souvent indispensable. « L’ivoire, les épices, le lapis-lazuli, la soie, viennent de l’autre bout du monde par une somme de trajets allant de la succession de sauts de puce à la grande traversée d’une traite. Les marchands ouvrent des voies nouvelles, empruntent les anciennes. Ils sont en partie à l’origine de l’expansion de l’univers connu. Pour les besoins de leur activité, ils inventent des processus complexes et sécurisés de transfert de fonds. Leur prise de risque en voyage trouve sa récompense dans la richesse, qui contribue au développement de leur contrée d’origine. Les messagers font du voyage leur profession. Ils vont a pied ou a cheval et peuvent, dans ce cas, au prix d’une organisation territoriale dédiée, parcourir 600 km en quatre jours (a mettre en regard de la trentaine de kilomètres qu’un marcheur couvre en un jour) ».

Invitant à la comparaison avec l’époque contemporaine, l’exposition présente les motivations de ces voyageurs quittant « leur domicile, leur village ou bourg, voire leur pays, pour s’engager dans cette aventure qui commence au seuil de leur propre maison. A cette pérégrination géographique, s’ajoute le voyage spirituel, que parcourt l’âme ».

Les trajets ? De quelques lieues à un continent, parfois séparé par la mer. Bernard von Breydenbach (1440 ? -1497), chanoine de la cathédrale de Mayence, estimant avoir eu une vie dissolue dans sa jeunesse, entreprit un pèlerinage en Terre sainte en avril 1483, accompagné du comte Hans von Solms, du chevalier Philipp von Bicken et d’Erhard Reuwich, peintre originaire d’Utrecht. Après avoir séjourné à Venise trois semaines, ils prirent la mer pour passer par Corfou, Modon et Rhodes avant de débarquer en Terre sainte et de visiter les lieux saints. Ils regagnèrent leur patrie en janvier 1484 après avoir fait un détour par le Sinaï et le Caire. Peuple syrien et peuple juif. Opusculum sanctorum peregrinationum ad spulcrum Christi venerandum, récit de ce voyage, publié à Mayence en 1486, comprend de nombreuses illustrations des cités visitées, des peuples rencontrés, ainsi qu’une planche d’animaux parmi lesquels, sans surprise, une licorne. Breydenbach mettait ainsi ses pas dans ceux de voyageurs aussi importants que Marco Polo ou Mandeville, et assurait à son ouvrage un grand succès » et de nombreuses rééditions dont la troisième de Mayence en 1486, montrée dans l’exposition. Quid des pèlerins Juifs souhaitant finir leur vie à Jérusalem ?

Des périples emplis parfois de dangers : aléas climatiques, état des voies de circulation, agressions - brigands, Sarrasins ou Maures opérant des razzias, pirates -, mises en esclavage - ce qui induisait les négociations de délégués d'ordres religieux chrétiens (ordre de la Très Sainte Trinité pour la Rédemption des Captifs, ordre de la Merci) et de laïcs - municipalités, marchands - pour libérer, en les rachetant, leurs coreligionnaires captifs devenus esclaves sous joug islamique -, faim, maladie ou mort. Pour se prémunir de ces périls, réels, surnaturels ou de magiques, « le voyageur se place sous la protection de saints spécialisés – Saint-Christophe - dont il peut emporter une image protectrice. Une ou plusieurs reliques enchâssées dans un fermail, une bague portant une prière ou une formule spécifique sont bien sur encore plus efficaces pour qui peut se les offrir ».

Les objectifs : la guerre de course, les razzias des Vikings et des Sarrazins, « le salut de l’âme, la conquête d’une terre, avec par exemple la croisade, ou encore la connaissance scientifique ou la visibilité sociale », voire le souci d’améliorer sa condition, et semble-t-il occulté par l'exposition le pèlerinage Juif et le jihad. Le pèlerinage, « déplacement vers un lieu saint pour obtenir un bénéfice spirituel, dans ce monde et dans l’au-delà, et parfois aussi un avantage matériel, existait bien avant le Moyen Âge. Mais c’est durant la période médiévale qu’il s’est imposé comme un phénomène universel. La légende considère qu’en 325, Hélène, mère de l’empereur Constantin, se rend en Terre sainte, découvre les reliques de la Passion et exhume la Vraie Croix. Le plus ancien récit conservé a été rédigé par un pèlerin anonyme originaire de Bordeaux en 333, a peine quelques années après cette découverte. A la Terre Sainte s’ajoutent Rome et Saint-Jacques de Compostelle comme centres majeurs de pèlerinage, lesquels ne doivent pas faire oublier les innombrables lieux de l’Europe entière, attirant les fidèles de tous horizons ».

« Voir tout autant qu’être vu est une caractéristique de la société médiévale, dont une partie est sans cesse en mouvement pour maintenir son autorité ou son statut. Le souverain, qui effectue une entrée solennelle dans une ville, choisit le plus souvent le faste de l’apparat. Mais Louis XI en 1464 pour son entrée à Brive préféra monter une mule en signe d’humilité par référence au Christ. Quand un seigneur parcourt ses terres, un prince son domaine, un roi le territoire de son royaume, leurs déplacements obéissent à une exigence de visibilité sociale. Le chevalier, qui va de tournoi en tournoi, cherche l’honneur et la gloire ».

« De toutes les pérégrinations, celles qui trouvent la plus forte résonance dans un musée sont naturellement celles des artistes, à l’image de Dürer circulant de l’Allemagne à l’Italie ».

Parce que « chaque cité, chaque route, chaque lieu de l’univers est à la fois point de départ et d’arrivée, il ne reste souvent de ces déplacements que des traces fugaces. Pour autant, l’exposition présente une multiplicité de témoignages matériels de ces pratiques ».

« L’homme médiéval a de son environnement une connaissance théorique, issue des textes des auteurs antiques tardifs tels que Ptolémée, Orose ou Isidore de Séville, mais aussi des récits de voyageurs de son temps, auquel il combine le fruit de son expérience pratique. Sa condition sociale détermine la netteté de sa perception du monde. Pour le paysan, l’univers devient flou au-delà des quelques villages situés autour du sien, mais il sait que le pape est a Rome, ou a Avignon et que la Terre sainte est au-delà des mers. Le prince ou le marchand ont simplement des limites plus éloignées ».

Les « cartes, marines en particulier, donnent une vision géographique de plus en plus précise, sans pour autant éliminer les conceptions singulières comme le monde en forme de T dans O ». Ces cartes, dont les Mappemondes , « éléments indispensables d’orientation », dont une édition de la table de Peutinger indiquant sur plus de 6 mètres toutes les routes de l’Europe ». La Bibliothèque nationale de France avait consacré une exposition à l’âge d’or des cartes marines.

Le « voyageur qui part de chez lui confronte rapidement son être a la différence. Dans un tropisme romano-centriste, la distinction se fait principalement sur la religion, les us et coutumes, en partant du principe que l’Autre se définit par rapport a soi. Les voyages hors de la chrétienté doivent admettre des réciprocités. Ainsi, des étrangers sont-ils présents en Europe. Leurs origines sont diverses, au moins autant que leur perception, loin d’être nécessairement négative, notamment s’agissant de leur aspect. L’Épouse du Cantique dit « Je suis noire mais belle […] ne prenez pas garde a mon teint noir, c’est le soleil qui m’a brûlée », il n’est point fait de distinction entre les trois Rois mages et saint Maurice est vénéré comme n’importe quel autre saint. La conscience, justifiée théologiquement, que l’humanité est une et indivise n’empêche pas les conflits, les oppositions ou les détestations mais ils ne tirent pas leur origine de l’apparence ».

Des « récits, simples lettres ou manuscrits richement enluminés, nous renseignent sur le déroulement de ces périples et en livrent des détails étonnants. Ainsi le rouleau des morts de Saint-Bénigne de Dijon, une pièce exceptionnelle, était utilisé pour annoncer la mort d’un religieux à un réseau d’abbayes et contribuer à sa mémoire. Gravures et peintures complètent ce panorama du voyage médiéval ». Le Guide du pèlerin en Terre sainte « compile toutes les informations nécessaires au pèlerin : histoire de l’Orient, informations sur les religions et les langues des peuples qui y vivent, notes hagiographiques, généalogies, etc. Ce genre d’ouvrage se répand au XIIIe siècle, au moment où les itinéraires vers la Terre sainte se stabilisent ».

L’exposition « révèle l’influence des us et coutumes de cette époque sur notre manière d’aborder le voyage aujourd’hui, et met en lumière des pratiques toujours visibles. Du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle à celui des motards de Notre-Dame de Porcaro, ou encore la médaille de Saint Christophe, patron des voyageurs, les héritages du voyage au Moyen Âge sont partout et imprègnent notre quotidien ».

Jusqu’au 23 février 2015
6, place Paul Painlevé. 75005 Paris
Tél : 01 53 73 78 16
Tous les jours, sauf le mardi, de 9 h 15 à 17 h 45.

Visuels :
Affiche
Le roi paien fait demander en mariage sainte Ursule
Paris, Musée du Louvre, RF 969, (Cl. 850b)
© RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi
Conception graphique : Studiolwa.com

Carte à jouer : le navire
Italie, seconde moitié du XVe siecle
Enluminure sur parchemin
H. 16, 5 cm ; L. 8, 4 cm
Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge. Cl.23526
© RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi

Épave d'Ubierta
Pays basque, vers 1450-1460
Bois
H. 106, 6 cm ; L. 272 cm
Bilbao, Musée archéologique de Bizkaia
© Musée archéologique de Bizkaia, Bilbao /Santiago Yanis Aramendia

Coffret de mariage
Italie ; XIVe siecle
Bois, cuir, argent doré, soie
H.8 cm ; L.14 cm ; P.8 cm
Cologne, Museum Schnütgen. C 11
©Rheinisches Bildarchiv Köln / Museum Schnüttgen / Marion Mennicken

Astrolabe
Angleterre, XIVe siecle
Laiton
D.14, 6 cm
Florence, Museo Galileo, Instituto e Museo di Storia della Scienza.
© Museo Galileo, Firenze - Foto di Sabina Bernacchini

Selle d'apparat
Allemagne, deuxieme quart du XVe siecle
Os, bois et cuir
H. 39, 5 cm ; L. 48 cm ; P. 34 cm
Florence, Museo Nazionale del Bargello.
© Florence, Museo nazionale del Bargello / Ministero per i Beni e le Attivita Culturali - Soprintendenza Speciale per il Polo Museale della citta di Firenze

Martin Schongauer (1450 ? - 1491)
Départ pour le marché
Colmar, vers 1470-1475
Gravure sur cuivre, papier
H. 16 cm ; L. 16 cm
Paris, Bibliotheque Nationale de France, département des Estampes et de la Photographie
© Bibliotheque nationale de France, Paris

Piero Roselli. Carte marine de la Mer Méditerranée et de la Mer Noire
Italie, seconde moitié du XVe siecle
Manuscrit sur vélin
H.62 cm ; L.73 cm
Paris, Bibliotheque nationale de France, département des Cartes et Plans
© Bibliotheque nationale de France, Paris


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