mercredi 25 mai 2016

« Les studios Babelsberg ou le Hollywood allemand » de Alexander Lück et Daniel Finkernage


« Les studios Babelsberg ou le Hollywood allemand  » (Wiederholungen: Keine Wiederholungen Unser Hollywood), est un documentaire de Alexander Lück et Daniel Finkernage. Créés en 1911 à Potsdam, dans la banlieue de Berlin (Allemagne), les studios de cinéma Babelsberg connaissent leur âge d’or – équipes techniques talentueuses, acoustique exceptionnelle, réputation internationale, etc. - avant l’arrivée des Nazis au pouvoir. Après une éclipse lors de l’ère communiste, ils suscitent un nouvel engouement. 


« Comparés à « un patient que l’on a réanimé encore et encore », selon les mots du réalisateur et producteur allemand Tom Tykwer (L’enquête), les studios ont traversé l’empire allemand, la république de Weimer, le IIIe Reich, la République démocratique allemande (RDA) et l’Allemagne réunifiée.

De « Metropolis » de Fritz Lang au thriller de Roman Polanski « The Ghost writer », ce « documentaire conte l’ascension, la chute puis la renaissance de ce temple cinématographique”.

« Hollywood allemand »
En 1911, à l’initiative d’Erich Zeiske, directeur de la société de production de films Deutschen Bioscop, Guido Seeber fait édifier à Neubabelsberg un studio dans une usine de fleurs artificielles désaffectée sur une friche industrielle (47 ha).

Une action pionnière dans l’histoire du cinéma en Europe. Un mythe va bientôt naitre.

Dès 1912, Der Tontentanz (Danse macabre) y est réalisé. Sa principale actrice, la danoise Asta Nielsen, accède au rang de star des studios.

A la lumière naturelle éclairant les premiers films, est adjointe la lumière artificielle. Sophistiquée, cette lumière-ci sied aux éclairages expressionnistes prisant les contrastes marqués. 

Situés au sud-ouest de Berlin, les studios Babelsberg assoient leur notoriété. Les classiques du cinéma muet y sont tournés : Le Golem de Paul Wegener (1920), Nosferatu le vampire de Murnau (1922)…

Sous l’impulsion de la firme de production cinématographique UFA (Universum Film AG), ces studios  s’adaptent au cinéma parlant par une acoustique remarquable, une protection des bruits extérieurs parfaite.

Leur apogée se situe dans la décennie précédant l’avènement du nazisme avec la réalisation de films allemands, de genres divers - comédies avec Lilian Harvey faisant oublier les difficultés de la vie quotidienne -, à la célébrité internationale - Der letzte Mann (Le dernier homme, 1924), Die Büchse der Pandora (La boîte de Pandora, 1929), Der blaue Engel (L’Ange bleu) de Josef von Sternberg (1930) avec Marlene Dietrich, M - Eine Stadt sucht einen Mörder (1931), Berlin Alexanderplatz – et de coproductions réalisées en plusieurs langues : Gueule d'amour (1937) de Jean Grémillon avec Jean Gabin, Mireille Balin et René Lefèvre, L'Étrange Monsieur Victor (1938) de ce réalisateur avec Raimu et Madeleine Renaud. En 2010, la Cinémathèque française avait présenté l’exposition Tournages Paris-Berlin-Hollywood 1910-1939  dans laquelle elle évoquait ces studios très actifs.

Pour son film de science-fiction Metropolis (1927), Fritz Lang tourne dans un plateau de 2 200 m². Là, Eugen Schüfftan (1893-1977), chef opérateur génial perfectionne la technique d’effets spéciaux sur laquelle il travaillait depuis 1923 avec Ernst Kunstmann, qu’il avait expérimentée lors du tournage de Die Nibelungen (1924) de Fritz Lang et qui sera dénommée l'effet Schüfftan. Dans Metropolis Eugen Schüfftan associe habilement miroirs, maquettes de décor et acteurs pour donner aux spectateurs l’impression de gigantesque. Détenu par l’UFA et une société de miroiterie, ce procédé est la propriété aux Etats-Unis du studio Universal Pictures.

L’avènement du nazisme en Allemagne en 1933 incite nombre d’artistes et de techniciens à fuir les persécutions antisémites ou politiques. Fritz Lang, Billy Wilder, Eugen Schüfftan se réfugient d’abord en France, puis rejoignent les Etats-Unis.

Sous la férule de Goebbels, ministre du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande sous le IIIe Reich (1933-1945), les studios Babalsberg sont dotés de la Deutsche Filmakademie Babelsberg, école destinér à former des réalisateurs nazis contraints d’adhérer au syndicat le Reichsfilmkammer. A l’instar des Oscar, sont créés les Deutscher Filmpreis.

Près de mille films, sur les 1 100 réalisés sous le IIIe Reich, sont réalisés dans ces studios : Münchhausen (Les aventures du baron Munchhausen) de Josef von Báky, des films de propagande ou antisémites - Le Juif Süss (Jud Süß) de Veit Harlan (1940) -, des films mièvres…

Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les studios se retrouvent dans la RDA, et la propriété de la DEFA (Deutsche Film AG), firme russo-germanique. Parmi les films antifascistes réalisés alors : Les assassins sont parmi nous (Die Mörder sind unter uns) de Wolfgang Staudte (1945-1946) avec Hildegard Knef et Ernst Wilhelm Borchert. 

Ces studios attirent aussi des tournages européens : Les Aventures de Till l'espiègle de Gérard Philipe et Joris Ivens avec Gérard Philipe, Jean Vilar et Nicole Berger (1956), Les Sorcières de Salem (1957) de Raymond Rouleau avec Yves Montand, Simone Signoret et Mylène Demongeot, Les Misérables (1958) de Jean-Paul Le Chanois avec Jean Gabin, Bernard Blier et Bourvil.

En 1965, le Parti communiste interdit tous les films produits.

En 1990, la réunification de l’Allemagne correspond au début de la crise affectant ces studios : absence de commandes étatiques de films, désintérêt des producteurs occidentaux, habitudes issues de la bureaucratie communiste, etc. En quelques années, l’effectif de ces studios diminue drastiquement : de 2 400 à 792.

1992 marque le rachat des studios par la Compagnie générale des eaux (CGE) et l’installation en leur sein des bureaux d’une chaîne de télévision du Land. Nouveauté : les touristes affluent pour découvrir ces studios mythiques. Ce qui crée 120 emplois.

A l’initiative de la CGE, notamment de sa filiale la Compagnie Immobilière Phénix (CIP), les studios Babelsberg associent tournages de films, plateaux pour des sociétés de (post)production ou de télévision, etc. Avec des tarifs inférieurs de 10% à ceux de Hollywood, des subventions étatiques… 

Le succès économique récent des studios provient aussi de la direction efficace des studios par le réalisateur Volker Schlöndorff (1992-1997), de leur rachat en 2004 à Vivendi Universal par FBB (Filmbetriebe Berlin Brandenburg GmbH) dirigée par Carl Woebcken et Christoph Fisser, des associations avec des firmes françaises et hollywoodiennes, et de la situation géographique près de cette Mitteleuropa. Il est patent lors des Berlinales.

Parmi les films tournés à Babelsberg  : Jakob the Liar (1999) de Peter Kassovitz avec Robin Williams, Alan Arkin et Liev Schreiber, Inglourious Basterds (2009) par Quentin Tarantino avec Brad Pitt, Mélanie Laurent, Christoph Waltz et Diane Kruger, Le Pianiste de Roman Polanski, Stalingrad de Jean-Jacques Annaud, Monuments Men (2014) de George Clooney avec Matt Damon, George Clooney et Cate Blanchett.

Au « travers des films emblématiques qui ont suivi, les réalisateurs content » l’histoire de « ce temple cinématographique, dont l’histoire mouvementée a toujours été liée aux fractures historiques vécues par le pays ». 

« Aux images d’archives de tournage, dans lesquelles se glissent de véritables trésors – comme les premières auditions de Marlene Dietrich pour L’ange bleu –, se mêlent les souvenirs de grands réalisateurs : Fritz Lang racontant comment il a échappé à Goebbels ou encore Wolfgang Kohlhaase se remémorant le passage des studios sous orbite communiste après 1945. Des acteurs de renom (Angelica Domröse, Uwe Kockisch, Michael Gwisdek) prennent également la parole pour dévoiler les coulisses de ce Hollywood allemand, qui attire aujourd’hui des pointures américaines telles que Quentin Tarantino ».

Arte diffusa le 25 mai 2016 à 22 h 10 Quand la RDA faisait son cinéma (Grosses Kino Made in DDR), documentaire de André Meier (2016, 52 min). "Retour sur l'histoire mouvementée du cinéma en RDA, à travers celle de sa société de production, la Defa, qui, de 1946 à 1992, produisit plus de 1 200 films. L'histoire du cinéma est-allemand est indissociable de celle de la Defa (Deutsche Film AG), société de production d'État, fondée en 1946 sous l'impulsion des autorités soviétiques. Avec à terme 2 200 employés, la Defa, installée dans le quartier de Babelsberg à Potsdam, a produit jusqu'en 1992 plus de 700 longs métrages de cinéma et plus de 500 téléfilms".

"Des productions qui reflètent l'histoire et les contradictions de la République démocratique allemande (RDA), et offrent un aperçu passionnant de l'évolution des représentations morales et idéologiques portées par ses cinéastes, depuis la lutte contre le militarisme et le rejet du nazisme jusqu'à l'affrontement Est-Ouest. Mais les réalisateurs de la Defa se trouvaient parfois écartelés entre les directives du Parti, les attentes du public et leur propre vision. Plusieurs films, critiques à l'égard du pouvoir ou esthétiquement trop audacieux - marque de la "décadence occidentale" - ont été frappés par la censure pour ne resurgir qu'après la chute du mur. Malgré le passage à l'Ouest de nombreuses stars, comme Manfred Krug, Armin Mueller-Stahl, Winfried Glatzeder ou Jutta Hoffmann, les succès restent au rendez-vous : La légende de Paul et Paula de Heiner Carow attire, en 1973, plus de 3 millions de spectateurs, et Jacob le menteur de Frank Beyer est nommé aux Oscars en 1977. S'appuyant sur de nombreux extraits de films et les interviews d'acteurs et de réalisateurs, ce documentaire retrace la passionnante histoire de l'ère Defa, et revient sur ses productions les plus marquantes. Il témoigne aussi de ses ambitions à l'échelle internationale, notamment par le biais de collaborations, dans les années 1950, avec des acteurs français aux sympathies communistes - comme Simone Signoret et Yves Montand, Gérard Philipe ou Michel Piccoli, venus tourner à l'Est".

  
« Les studios Babelsberg ou le Hollywood allemand  » de Alexander Lück et Daniel Finkernage
53 min
Sur Arte le 5 février 2015 à 0 h 20 

Visuels :
Les studios, au lever du soleil
© Finkernagel&Lück

Volker Schlöndorff
© Finkernagel&Lück

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Les citations proviennent d'Arte. Cet article a été publié le 4 février 2015.

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