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mercredi 4 mars 2015

Max Penson : Un photographe russe à Tashkent (1923-1948)


En 2002, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris a présenté 80 clichés de Max Penson  (1893-1959) prêtés par le Musée Maison de la photographie de Moscou. En noir et blanc, ces photographies montraient les bouleversements, de 1923 à 1948, en Ouzbékistan, une république soviétique musulmane. Elles révélaient aussi les divers styles - pictorialisme, constructivisme et réalisme socialiste - de cet artiste Juif talentueux. Arte diffusera les 4 et 11 mars 2015 "L'Orient-Extrême - De Berlin à Tokyo. L'Ouzbékistan et l'ouest de la Chine", documentaire de Christian Klemke (2013, 44 min). "Embarquez-vous pour un périple en 4x4 à travers l'Asie. Aujourd'hui, l'équipée fait halte à Boukhara, ville d'Ouzbékistan aux somptueux monuments, et traverse le désert du Kyzylkoum. Depuis Tachkent, la capitale, la route de la soie passe par la fertile vallée de Ferghana, où l’on découvre les processus traditionnels de fabrication du précieux tissu. Après une traversée du Kirghizstan par les monts Alaï, nos voyageurs rejoignent l’ouest de la Chine, plus précisément la ville-oasis de Kashgar, dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, où se prépare la fête de l’Aïd".


« Le nom de Max Penson  est longtemps demeuré inconnu, bien que son œuvre mérite d’être placée au même rang que celle de Grinberg, de Zelma, de Rodchenko, de Chaïkhet et des autres grands photographes russes », observait Olga Sviblova, directeur du Musée Maison de la photographie de Moscou, lors de son interview à Guysen en 2002.

Max Penson est né en 1893 à Velizh, près de Vitebsk (Biélorussie) dans une famille Juive pauvre. Son père était relieur.

Max Penson apprend seul à lire et à écrire. 

De 1907 à 1911, il étudie au collège municipal de Velizh, puis  entre à l’école des arts de la céramique de Mirgorod, dans la province de Poltava. 

Mais, ses maigres revenus le forcent à aller à Vilno. Là, il est admis à l’école des arts appliqués de la fondation Antokolski. 

En 1915, fuyant les pogroms russes et la Première Guerre mondiale, il se réfugie à Kokand (Asie centrale). Il gagne sa vie comme comptable et professeur de dessin pour les écoliers jusqu’en 1917. Puis il dirige les ateliers municipaux d’art appliqué de Kokand pendant cinq ans.

En 1921, c’est un appareil photographique offert par le district de Kokand qui bouleverse la vie de ce peintre et dessinateur. Max Penson apprend en autodidacte la technique photographique. 

En 1923, il s’installe à Tachkent (Ouzbékistan), fréquente les photographes qui dirigent des ateliers professionnels et s’oriente, par goût, vers le reportage photo.

De la vie traditionnelle à la société communiste
De 1926 à 1948, Max Penson  travaille comme photographe pour Pravda Vostoka (La Vérité d’Orient), et de 1940 à 1945, pour l’Armée Rouge. 

Par son travail, il élabore une chronique exceptionnelle sur une contrée excentrée.

C’est en 1939 que Max Penson  bénéficie de son unique exposition personnelle dont il conçoit le catalogue avec Alexandre Rodtchenko : à l’occasion du 15e anniversaire de la République soviétique ouzbek, il présente 300 photos. 

En 1940, son travail remarquable est admiré par Sergueï Eisenstein qui écrit dans la revue « La Photographie soviétique » : « Il est impossible de parler de Fergana sans mentionner l’omniprésent Penson, qui a sillonné tout l’Ouzbékistan avec son appareil. Ses archives, qui ne connaissent pas d’équivalent, permettent de suivre année par année, de feuilleter page après page, toute une période de l’histoire de cette république. La création artistique de Max Penson et son destin sont liés à ce merveilleux pays ».

Le travail effectué par Max Penson constitue un patrimoine de plusieurs milliers de négatifs et tirages originaux, malheureusement en partie détruit ou détérioré, car longtemps mal conservé. Ce photographe travaille dans un laboratoire, à son domicile, sans bénéficier longtemps de l’eau courante, et entouré de son épouse, leurs quatre enfants, et leurs proches.

Sa journée de travail est divisée de manière à consacrer le matin et le début de l’après-midi à la prise de vues et au développement, et la nuit au tirage des photographies. C’est cette dernière phase qui fait l’objet de nombreuses expérimentations. 

Ses photographies, Max Penson les tire en grands formats bien qu’il sache que la rédaction du journal ne les prend pas et qu’aucune exposition n’aura lieu. Il les affiche dans sa maison pour un public composé de sa famille et d’amis.

Malgré ses maigres revenus, Max Penson parvient à se procurer des livres d’art pour maîtriser « la structure et la facture de ses futures photographies. C’est ainsi que fut créée sa célèbre Madone ouzbek couronnée par une Médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris en 1937 », m’a confié Olga Sviblova.

Art et idéologie
Ses clichés sont souvent reproduits par la presse moscovite. 

Par une composition parfaite, Max Penson témoigne des bouleversements dans cette république soviétique : vie dans les kolkhozes (fermes collectives), essor industriel, émancipation féminine, expérimentations sur des graines de coton, progrès médicaux, propagande communiste, etc. Il suit la construction du canal de Fergana, édifié en 45 jours par 170 000 hommes, sans l’aide de machines. Il témoigne aussi de la permanence de traditions, vêtements, coiffes, du lien avec la nature, du jeu populaire Oulague, etc.

Son style emprunte au pictorialisme (« Les eaux et les hommes », 1935), au constructivisme (« Spectateurs d’un match de football au Stade Dynamo de Tachkent », 1930) et au réalisme socialiste (« Ouvrière de l’usine de matériel agricole de Tachkent », 1938). 

Car, malgré l’éloignement de la république ouzbek, Max Penson a toujours eu la curiosité de s’intéresser aux innovations artistiques, vraisemblablement à celles de Rodchenko (1891-1956) et Lazar Lissitsky (1890-1941). 

Il se lie d’amitié avec le photographe Zelma (1906-1984), né à Tachkent et qui travaille souvent en Asie Centrale.

« Son époque, il l’aime, la comprend, mais il en a peur. Son fils Myron Penson, réalisateur et photographe, se souvient que son père allumait du feu dans le jardin pour détruire négatifs et tirages représentant des gens que le régime stalinien avait rayés de l’existence », m’a précisé Olga  Sviblova. 

Max Penson est touché par la campagne contre le « cosmopolitisme » lancée par Staline après la Seconde Guerre mondiale. 

Teintée d’antisémitisme, cette campagne le frappe durement : en 1948, le KGB lui retire sa licence de photographe de presse, ce qui rompt sa collaboration avec la rédaction de « La Pravda d’Orient ».

D’autres photographes victimes de mesures identiques parviennent à illustrer des magazines de culture populaire. Max Penson semble attendre qu’on le rappelle. 

Quittant rarement son domicile, il retouche ses photos en accentuant ironiquement les sourires, réels ou forcés, et en montrant ainsi ce qu’il pense d’un régime promettant des lendemains heureux. 

En 1959, il meurt des suites d’une maladie et d’une grave dépression. 

Le « printemps de Khroutchev » arrive en Ouzbékistan dans les années 1960.

« Alors que les Juifs ont changé la vie en Ouzbékistan au XXe siècle, beaucoup quittent, avec d’autres personnes, médecins ou scientifiques, cet Etat pour vivre à Moscou, en Europe, aux Etats-Unis ou en Israël », observait Olga Sviblova.


« Max Penson ». Préface de Olga Sviblova. Ed. Carré noir, 1997. ISBN 9 782909 569093


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Cet article a été publié dans Guysen, et sur ce blog le 4 juillet 2014

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