Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

dimanche 4 décembre 2016

Les mondes de Gotlib



Après le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme (MAHJ), le musée Juif de Bruxelles (Belgique) a présenté l’exposition éponyme à l’occasion des 80 ans de Marcel Gotlieb, dit Gotlib (1934-2016), auteur majeur et prolifique de la bande dessinée (BD) française, pour enfants et adultes, distingué par de prestigieux Prix. « Près de 150 planches originales publiées mais jamais exposées, ainsi que des archives photographiques, écrites et audiovisuelles » présentent l’œuvre, marquée par la dimension Juive du dessinateur, sans pratique religieuse, pour Vaillant, Pilote, L’Echo des Savanes et Fluide glacial, du créateur de Isaac Newton, la Coccinelle, Gai-Luron, le professeur Burp, Superdupont, Hamster Jovial, Bougret et Charolles, du scénariste de films et du collaborateur de René Goscinny  pour Les Dingodossiers... « Portée par la généreuse complicité de Gotlib, cette exposition conjugue approche chronologique et approche thématique pour retracer son parcours d'homme et d'artiste ». Gotlib est mort le 4 décembre 2016 à l'âge de 82 ans.

Né « à Paris en 1934, dans une famille d’immigrés Juifs de langue hongroise Gotlib est resté ce galopin qui a grandi entre les rues Ramey et Ferdinand-Flocon dans le XVIIIe arrondissement. Enfant caché pour échapper à la persécution antisémite dans la France occupée – son père, déporté, est assassiné à Buchenwald en février 1945 » –, Marcel Gotlib « sera marqué par cette expérience traumatisante ».

Elève de l’école laïque, il s’oriente très jeune vers le métier de dessinateur où il va exceller et débute en 1962 dans la bande dessinée au journal Vaillant.

1965 marque le début de sa collaboration à Pilote. Avec « René Goscinny, son père spirituel, il créé « Les Dingodossiers », puis poursuit seul sa « Rubrique-à-brac ». En 1972, avec Claire Bretécher, il rejoint Nikita Mandryka pour publier L'Écho des Savanes, et à partir de 1975, fonde son propre journal Fluide Glacial ».

En 1991, Gotlib est distingué par le Grand prix du salon international de la bande dessinée d'Angoulême.

« Dans ses dessins comme dans ses textes, Gotlib oscille du dérisoire à l'absurde. Son goût pour l'autoportrait, les gags, la satire, l'humour noir et les jeux de langage est le moteur d'une superbe maîtrise du récit qu’il testera également au cinéma. Ses personnages – Isaac Newton, la Coccinelle, Gai-Luron, le professeur Burp, Superdupont, Hamster Jovial, Bougret et Charolles – composent un répertoire singulier au sein du paysage de la bande dessinée française. L'artiste, non sans tendresse, place le lecteur face aux excès de l'homme, être mélancolique et fragile, souvent pris aux pièges de ses désirs et de son instinct. Dans L'Écho des Savanes puis à Fluide Glacial, il explore les territoires de la sexualité et défie la religion, tandis que le personnage de Superdupont lui sert à dénoncer et moquer les aspects étriqués d'une France repliée sur elle-même ».

Gotlib souligne les paradoxes émouvants entre l'être et le paraître des adultes, illustre la complexité de l'âge tendre.

« Sortant du répertoire plastique de la bande dessinée des années 1960 et 1970, Gotlib fait exploser le cadre conventionnel de la case tout en donnant une place essentielle au traitement du texte et de la lettre – ce qui n'est pas sans rappeler le rôle de ces derniers dans la culture juive. Son œuvre fait de lui un des accoucheurs du renouveau de la bande dessinée désormais affranchie de l’école belge et de la ligne claire » (Klare lijn en néerlandais), style graphique et narratif lié à l'école belge Hergé et du « style Tintin » associé et expression forgée en 1977 par le dessinateur néerlandais Joost Swarte lors de l'exposition Tintin de Rotterdam.

L’exposition Les mondes de Gotlib souligne les maîtres – René Goscinny, Harvey Kurtzman, Franquin et les Marx Brothers –, et les complices – Alexis, Fred, Reiser, Mandryka, Bretécher, Lob, Solé, Patrice Leconte et les Monty Python... » de cet auteur de BD.

Une famille Juive hongroise 
Marcel Mordekhaï Gotlieb naît dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le 14 juillet 1934 dans une famille Juive hongroise arrivée dans la capitale française à la fin des années 1920.

Son père, Ervin Tzvy Gotlieb, est peintre en bâtiment et sa mère, Régine Berman, couturière.

Enfant, Gotlib se passionne « pour le dessin, découvre les livres, les hebdomadaires pour la jeunesse tels que Robinson ou Hop-Là qui traduisent des histoires populaires de bande dessinée américaine. Il explore les rues de Montmartre (Ramey, Ferdinand-Flocon, Clignancourt) dans le XVIIIe arrondissement parisien ».

Il dessine sur les murs de l’appartement familial des graffitis que son père efface chaque dimanche : “Mes gravures rupestres disparaissaient comme par magie, et je disposais toujours de surfaces bien propres pour recommencer à tout dégueulasser.”

Engagé volontaire étranger dans l’armée française en septembre 1939, Ervin Gotlieb est arrêté par la police française en septembre 1942, puis transféré au camp d’internement de Drancy, près de Paris, et déporté vers le camp de travail et de concentration de Blechhammer (Haute-Silésie). Il survit à l’évacuation du camp lors de la « marche de la mort » fin janvier 1945, puis arrive au camp de concentration de Buchenwald. Là, il est assassiné le 10 février 1945.

A Paris, « Régine Gotlieb et ses enfants, Marcel et sa jeune sœur Liliane, échappent à une rafle en janvier 1943, en se cachant avec d’autres locataires Juifs chez des voisins de palier, les Swoboda. Le lendemain, Régine confie ses enfants au refuge et centre d’accueil pour orphelins juifs de l’Union générale des israélites de France (UGIF) rue Lamarck ». Ils évitent de nouveau une rafle.

Grâce à des religieux catholiques, Régine Gotlieb parvient à trouver diverses cachettes pour ses enfants : dans une famille à Vigneux-sur-Seine (près de Villeneuve-Saint-Georges) puis chez des fermiers à Rueil-la-Gadelière en Eure-et-Loir jusqu’à l’été 1944.

La famille Gotlieb retourne en juin 1944 dans l’appartement familial pillé au 38 rue Ramey dans un Paris encore occupé.

Régine Gotlieb gagne sa vie comme couturière. Marcel et Liliane Gotlieb sont scolarisés dans le quartier populaire.

À l’été 1947, les enfants sont envoyés en colonie de vacances puis demeurent comme pensionnaires au château des Groux à Verneuil-sur-Seine, foyer pour enfants et adolescents orphelins géré par une association Juive hongroise parisienne lié à l’Œuvre de protection des enfants juifs  (OPEJ) et où « résonnent le hongrois et le yiddish ».

A Verneuil-sur-Seine, Marcel Gotlieb fréquente l’école communale, et en 1948 obtient son certificat d’études. Il fait sa bar mitsvah et découvre les romans de Victor Hugo, d’Alexandre Dumas, la musique de Tchaïkovski. C’est « l’une des plus belles périodes de sa vie ».

De retour à Paris en 1950 à la fermeture du foyer, Marcel Gotlieb entre en classe de 3e au cours complémentaire de la rue de Clignancourt (75018). Il s’y lie d’amitié avec Jacques Diament qui deviendra son associé.

Après avoir obtenu son BEPC en 1951, ce pupille de la Nation travaille comme manutentionnaire puis comptable à l’Office commercial pharmaceutique.

Les débuts
En 1952, Marcel Gotlieb « fait du théâtre amateur et suit les cours du soir du dessinateur Georges Pichard (1920-2003) à l’École supérieure des arts appliqués Dupetit-Thouard. Il y fait des travaux d’illustration et apprend le dessin publicitaire, découvre les joies du lettrage et se passionne pour l’ouvrage de R.H. Munsch, L’Écriture et son dessin. Dans ses travaux pratiques s’annoncent déjà ses talents de dessinateur et de satiriste, son goût pour le jeu ». Il découvre  Georges Brassens qu’il admire.

En 1954, Marcel Gotlieb entre comme lettreur chez Opéra Mundi/Edi-Monde et dessine les titres pour Le Journal de Mickey et Confidences ainsi que pour des publications, dont Mandrake, distribuées par l’agence Opéra-Mundi. Il rencontre la coloriste Claudie Liégeois, et découvre le dessinateur Harvey Kurztman ainsi que le magazine satirique américain MAD.

En juin 1955, Marcel Gotlieb effectue son service militaire pour 28 mois. « Affecté aux transmissions et écoutes, il s’occupe en dessinant et jouant de la guitare, notamment les chansons de Georges Brassens ».

À son retour, il reprend son activité de dessinateur illustrateur sur des albums de contes et des livres pour enfants, en signant de plusieurs pseudonymes : « MarGot », « Garmo », et « MarClau » quand il collabore avec sa compagne Claudie Liégeois.

En 1958, il rencontre le poète et dialoguiste Jacques Prévert. En indépendant, il illustre et colorie des albums de contes et des livres pour enfants sous pseudonymes.

En 1962, il entre au journal Vaillant - Le Journal de Pif, qui se transformera en Pif Gadget en 1969, édité par le groupe de Paul Winckler. Il y crée les personnages de la série « Nanar, Jujube et Piette » et adopte définitivement le nom d’artiste Gotlib. Il épouse Claudie Liégeois.

En juillet 1964, Marcel Gotlieb accompagne ses personnages de Gai-Luron, chien qui ne rit jamais et un des futurs héros majeurs de son œuvre. Les « planches réalisées pour « Nanar, Jujube et Piette », « Le papoose récalcitrant », « Gilou et la plume de paon » ainsi que « Puck et Poil » incarnent par leur style et leur esprit la première période, qu’on pourrait qualifier de classique ».

L’aventure Pilote, L’Écho des Savanes et Fluide Glacial
En mars 1965, Gotlib entre dans l’équipe du journal Pilote, grâce à René Goscinny, rédacteur en chef de ce magazine novateur. Il « peut enfin s’épanouir dans le registre qui lui correspond le mieux, celui de l’humour ».

Réunissant les contributions d’auteurs confirmés – Jean-Michel Charlier, Albert Uderzo, Raymond Poïvet, Victor Hubinon, Jean Tabary, Jigé, Jean Giraud, Sempé –, l’hebdomadaire devient également une pépinière de nouveaux talents – Claire Bretécher, Nikita Mandryka, Jacques Lob, Jean Solé, Alexis, Jean-Marc Reiser, Fred, Gébé, Cabu, Greg, Jacques Tardi, Jean-Claude Mézières, Philippe Druillet, René Pétillon, Hugo Pratt ...

Goscinny et Gotlib créent la nouvelle rubrique, « Les Dingodossiers », inspirée par MAD – journal américain fondé par le dessinateur Harvey Kurtzman et l'éditeur de comics, William Gaines. Le « tandem introduit ainsi un humour neuf, basé sur le pastiche, la parodie et le langage, et une toute nouvelle façon de faire de la bande-dessinée dans le paysage médiatique français. Au premier intitulé, « Le Play-back », succèdent 110 « Dingodossiers » sur des thèmes tels que l’enfance, l’école, l’histoire de France, les arts, le monde médiatique, les sciences… Le dernier « Dingodossier » paraît en novembre 1967, Goscinny ayant décidé de se consacrer principalement à Astérix, Lucky Luke et Iznogoud. »

A la demande de René Goscinny, Gotlib crée sa rubrique en 1968 la « Rubrique-à-brac ».

« D’abord consacrée aux animaux et aux contes de fée, la « Rubrique-à-brac » sera rapidement centrée sur le monde de l’enfance et sur les rapports entre les adultes et les enfants. C’est dans cette rubrique que Gotlib met à jour les fondements de son œuvre à venir : les heurts constants entre l’absurdité, la vanité et la cruauté du monde des adultes et l’univers que les enfants se créent pour préserver leur liberté ».

En 1969, naît Ariane Gotlieb.

En 1972, avec Bretécher, Gotlib rejoint Mandryka pour lancer L’Écho des Savanes. « L’idée est de rassembler différentes histoires écrites par plusieurs auteurs, comme dans les comics books américains. Pendant deux ans, L’Écho des Savanes, magazine trimestriel, est entièrement conçu par les trois artistes et refuse toute limite et toute censure. Cette nouvelle voie engendre incompréhension et désapprobation chez plusieurs proches de Gotlib, dont Goscinny qui en restera profondément blessé. Malgré les efforts de Gotlib, cette « rupture » douloureuse avec celui qu’il considère comme son père spirituel, sera définitive ». Le Hamster Jovial apparaît dans le magazine Rock and Folk.

En 1974, est créé le premier Festival de la bande dessinée à Angoulême. Gotlib dessine l’affiche du film Pataquesse, La Première Folie des Monty Python, et joue dans le film de Jacques Doillon Les Doigts dans la tête.

Début 1975, « paraît le dernier numéro de L’Écho des Savanes auquel Gotlib a contribué.

 Fluide Glacial, dont le sous-titre magazine d’Umour et de Bandessinées annonce le programme. À la fois auteur et rédacteur en chef, Gotlib rassemble autour de lui une équipe d’artistes dont il se sent proche : Alexis, Forest, Masse, Solé bientôt rejoints par Binet, Edika, Goossens, Gimenez, Hugot, Franquin, Moebius, Bretécher, Dister, Fred, Loup, Pétillon, auxquels s’ajouteront de nombreux jeunes auteurs, dessinateurs ou écrivains dont Léandri, Frémion, Jean-Pierre Jeunet. Le magazine publie également les maîtres de l’humour anglo-saxon, faisant connaître au public français l’acidité des satiristes du Goon show, des Monty Python et de MAD (Harvey Kurtzman, Jack Davis, Wallace Wood…). Gotlib co-scénarise le film Les vécés étaient fermés de l’intérieur de Patrice Leconte » et est fait chevalier des Arts et Lettres.
Avec Jacques Diament et Alexis, il lance alors le magazine satirique

Outre les personnages récurrents de Gotlib depuis la « Rubrique-à-brac » (Isaac Newton, la Coccinelle, et le professeur Burp, Bougret et Charolles) d’autres héros bien plus scabreux vont rejoindre Gai-Luron : Hamster Jovial, Pervers Pépère et Superdupont.

En 1976, Gotlib est distingué pour le tome II de Gai-Luron par l’Alfred, le prix du meilleur album comique au festival d’Angoulême.

L’année suivante, il dessine pour le spectacle de Bernard Haller, et rencontre pour la dernière fois Goscinny, sans se réconcilier, qui décède 2 jours plus tard.

En 1978, il signe un éditorial contre la censure ayant visé le magazine trimestriel Ah ! Nana et la commission paritaire déniant le statut de presse à des journaux tels (À Suivre) et BD Hebdo et l’ayant retiré à Pilote. Il se lie d’amitié avec le romancier Georges Perec.

En 1979, le texte « À bas la censure hypocrite », illustré par des dessins de Gotlib et de Wolinski, est publié en même temps dans (À Suivre), Fluide Glacial, Pilote, Métal Hurlant, Charlie Mensuel, BD et L’Écho des Savanes du texte. Dans son éditorial « Gainsbourg, Brassens, etcetera » (Fluide Glacial n° 39), Gotlib évoque l’article de Michel Droit dans Le Figaro Magazine sur Aux armes et cætera, la Marseillaise reggae chantée par Serge Gainsbourg.

En 1980, Gotlib rencontre les Monty Python à Paris lors de la sortie de leur film La Vie de Brian, puis revoit Terry Jones et Terry Gilliam en 2002, lors d’un tournage sous la direction de Frédéric Jannin.

Dans l’émission de télévision Droit de réponse de Michel Polac (1981) après l’arrivée de la Gauche au pouvoir, Cabu, Binet et Gotlib dessinent en direct. Gotlib collabore à l’émission radiophonique Le Tribunal des flagrants délires avec Jérôme Savary et André Franquin. Le Grand Prix de la ville d’Hyères lui est décerné pour l'ensemble de son œuvre.

En 1982, Perec « commande à Gotlib un petit dessin publicitaire pour la reprise de sa pièce L’Augmentation. L’écrivain décède le lendemain ». Jérôme Savary et son Grand Magic Circus mettent en scène la comédie musicale Superdupont ze show !

Signe de reconnaissance culturelle : le Larousse en 12 volumes ouvre en 1983 ses colonnes pour présenter Gotlib.

1985 marque l’exposition L’Univers de René Goscinny à la Tour Eiffel. Gotlib remet un « Projet de monument » à la gloire du scénariste et reçoit le prix d'honneur pour l’ensemble de son œuvre au festival de Sierre.

Il interprète le rôle d’un patron d’un restaurant dont le serveur asiatique parle yiddish dans Je hais les acteurs, film de Gérard Krawczyk (1986). Il fait une apparition dans Le Nouveau Jean-Claude, film de Didier Tronchet (2002) et dans Les Clés de bagnole, film de Laurent Baffie (2003), et interprète Ferdinand Dupont dans le film Belgique for sale (sans le “t”) de Stefan Liberski et Frédéric Jannin (2006).

En 1987, Blutch « est le lauréat du Prix « Umour Fluide Glacial », lancé par Fluide Glacial pour découvrir de nouveaux dessinateurs ».

Avec Richard Gotainer, Gotlib travaille en 1988 pour un livre accompagné d’une cassette dont la pochette est illustrée par Uderzo. Il co-scénarise le film Bonjour l'angoisse de Pierre Tchernia. Il est invité à l’émission Nulle Part Ailleurs sur Canal +. Il arrête de dessiner.

1990 marque une consécration : Gotlib est fait Officier des Arts et Lettres, et Docteur Bédéis Causa au Québec (Montréal, Canada).

Pour les Nuls, Gotlib joue dans un sketch parodiant Les cinq dernières minutes dans le cadre d’Histoire(s) de la télévision.

En 1991, le Grand Prix de la ville d'Angoulême lui est remis lors du festival international de la bande dessinée. Gotlib est co-scénariste du film Strangers dans la nuit de Sylvain Madigan, écrit par Gérard Krawczyk sur une idée de Gotlib.

L’année suivante, il préside le jury du festival d’Angoulême dont il dessine l’affiche. Sous sa présidence, deux expositions ont lieu : l’une sur Crumb et l’autre sur Gotlib, intitulée « EuroGotlibLand ». Le grand prix distingue Frank Margerin.

En 1993, Gotlib initie une collection de dessins animés dont l’héroïne est la Coccinelle.

Trois ans plus tard, Gotlib et Diament vendent Fluide Glacial à Flammarion.

En 2000, Gotlib est fait Chevalier de la Légion d’Honneur. Divers Prix l’honorent : le Prix Poïvet (créé en 1998 en honneur du dessinateur de bande dessinée Raymond Poïvet) pour l’ensemble de son œuvre (2001), le grand prix Saint-Michel de la ville de Bruxelles lui décerne (2007) et le prix Francine et Antoine Bernheim au titre des Arts attribué par la Fondation du judaïsme français (fondation René et Léonce Bernheim)  en 2013.

L’art de Gotlib : le trait, l’espace, le son et la lettre
Gotlib ne dessine plus depuis 1986 et quasiment aucun film, hormis notamment la série télévisée Du tac au tac (1975), ne s’est intéressé à son geste de dessinateur.

« Nul brouillon, esquisse ou croquis ne nous indique les cheminements de la création, les hésitations et recherches de composition. Ce que nous voyons contient le début et la fin de sa pensée et de son geste. OEuvre d’un artiste perfectionniste et rigoureux à l’extrême, la bande dessinée de Gotlib est élaborée dans l’effort, la concentration, la précision du geste et le temps.

Gotlib est tout d’abord un lettreur et c’est dans la formation des lettres qu’il se livre à l’exploration des formes. C’est ici que s’affirme d’abord l’importance particulière qu’il a attaché à l’écriture depuis l’enfance. Marqué par l’ouvrage du graphiste R.H. Munsch lorsqu’il suivait les cours de Pichard, il est un véritable scribe car son travail allie forme et sens indissolublement ».

La « précision du lettrage fait exprimer aux lettres toute leur puissance. Il anime, déplie, délie ou roule chacune d’entre elles ; il en cherche et extrait le sens de leurs replis et leur attribue un espace. Sous sa plume, elles sont à la fois dessins, signes, sons et idées. Amoureux de la lettre, il est habité par l’idée juive ancienne que chaque lettre est un monde dont le sens est caché. En les déployant dans l’espace de la page ou de la case, il les charge de tensions, les rend explosives ou évanescentes ».

Le « processus de maturation de son vocabulaire graphique est visible au fil du temps et les caractéristiques de son art sont présentes dans de nombreuses planches sans rien céder à son exigence esthétique. S’il a d’abord dessiné à la plume, il a aussi volontiers joué du pinceau pour assouplir les traits et les pleins. Il réinvente sans cesse l’espace en repoussant les limites traditionnelles de la case et en rompant avec la linéarité classique des segments de narration. Il se joue des verticales, casse les perspectives et transforme la raideur des cadres en éléments fragiles et amovibles. Il est aussi un maître du pastiche sans perdre son individualité, comme le montrent les planches de Terra me voilà inspirées par le personnage de Lone Sloane du dessinateur Philippe Druillet ».

Pastiches et parodies
Dès ses premiers travaux à l’école des arts appliqués, la prédilection de Gotlib pour la parodie et le pastiche apparaît.

La rencontre de Gotlib avec Goscinny et la création des « Dingodossiers » ont « ouvert le champ à sa libre et constante exploration des sujets et, en premier lieu, de celui du monde de l’enfance et de l’école primaire à travers les fables de Jean de Lafontaine, les leçons sur l’histoire de France, les sciences et les contes ». S’y « ajoutent la littérature, le cinéma, les beaux-arts, la musique, la science fiction, la mythologie, le monde des comics et des superhéros et même la Bible ».

« Pastichant les icônes, les enseignements et les rituels sociaux, Gotlib répond à la pensée commune par le décalage, l’inversion et le retournement ».

Les « héros récurrents de son œuvre (Isaac Newton, la Coccinelle, Gai-Luron, le professeur Burp, Superdupont, Hamster Jovial, Pervers pépère, Bougret et Charolles) endossent son regard sur le monde ou en deviennent la cible ».

Les « pastiches et parodies créés par Gotlib ont bouleversé les formes d’expression du répertoire de l’humour français contemporain en influençant non seulement les artistes de la bande dessinée, mais au-delà, la création audiovisuelle, cinématographique, littéraire et le spectacle d’humour » ainsi que la comédie musicale.

Le vertige de l’absurde 
Par « sa verve satirique, et son goût de l’absurde, Gotlib se place comme un héritier de la tradition d’un humour parfois potache, souvent tendre et poétique, mais avant tout juif et anglo-saxon à la fois car impitoyable, amer et jusqu’au-boutiste, nourri par un sens profond du tragique et de l’autodérision ».

On « y retrouve l’humour des Marx Brothers, de Laurel et Hardy, de Charlie Chaplin, de Buster Keaton ou encore de Jerry Lewis.

On « comprend aussi sa complicité avec les Monty Python et les traits d’humour grinçant cultivés dans MAD et dans les comix, la bande dessinée américaine underground ».

Tous « sont autant un produit de l’humour noir que du goût renouvelé pour les anti-héros et les perdants incarnés, les losers, les nerds, que les auteurs des années 1970 aiment à présenter, et qu’ils ne dédaignent pas pour incarner leur propres personnages ».

Ainsi, « l’autodérision de Gotlib tient-elle autant de cette mise en scène de soi que de l’humour des désespérés, comme celui des juifs face à l’antisémitisme ordinaire, aux pogroms, à la Shoah. L’humour de ceux qui ne peuvent continuer à vivre qu’en acceptant de vivre avec l’irrémédiable. Une situation tragique que Marcel Gotlieb retrouve dans le roman de Victor Hugo, L’Homme qui rit ».

Son « alter-ego, Gai Luron, personnage de mine triste et taciturne nous renvoie à un moment terrible du roman lors duquel le héros ne peut, en dépit de son désespoir, de sa détresse intérieure, communiquer les dimensions tragiques du monde telles qu’il les perçoit. Gai-Luron à la face mélancolique n’arrive pas à passer dans le registre du rire ».

L’humour de Marcel Gotlieb « est l’art des retournements de situations, des inversions, des jeux permettant de composer avec l’irrévocable, et d’échapper à l’enfermement et au définitif ».

Le libertaire et les censeurs
« L’enfant à l’étoile jaune a saisi le sens de l’humour grinçant et ne s’en défera plus ».

« L’expérience de la persécution, la réflexion sur la Shoah et ses conséquences ont fait de Marcel Gotlieb un critique et un libertaire. Face à un monde médiocre qu’il considère comme néfaste et mortifère, Gotlib brandit l’innocence des enfants et l’humanité des animaux. Gai-Luron, la Coccinelle, entre autres, sont les témoins des excès de l’homme réduit à l’état d’animal par ses désirs et ses instincts. Dans L’Écho des Savanes puis à Fluide Glacial, il explore les territoires des pulsions sexuelles et met à mal les religions tandis que le personnage de Superdupont lui sert, ainsi qu’à Lob, Alexis et Solé, à dénoncer et moquer les obsessions étriquées d’une France repliée sur elle-même ».

Gotlib a exprimé son indignation à plusieurs reprises : lors « de la parution du « Spécial Hitler » dans le Pilote n° 700 d’avril 1973, il est révolté par la manière dont les auteurs traitent d’Hitler et déclarera plus tard « On ne fait pas « de l’esprit » sur Hitler : on l’écrase ! Par l’humour, si l’on veut, mais on l’écrabouille ! » L’année suivante, la sortie du film Portier de nuit déclenche un débat auquel Gotlib prend part. Il dénonce un traitement complaisant des nazis et de leurs crimes, sous couvert de raffinement esthétique de l’image ».

Certaines « voix rejettent sa critique au prétexte de sa sensibilité de juif et d’orphelin de la Shoah, ce qui lui fait dire « C’est tout juste si on ne va pas jusqu’à dire qu’en matière de fascisme, un juif n’a pas droit au chapitre : on ne peut pas être la fois juge et partie… »

En 1979, Gotlib stigmatise la censure de la Marseillaise reggae de Serge Gainsbourg et les relents d’antisémitisme dans l’article de Michel Droit publié dans Le Figaro.

En 1989, après l’interdiction de l’album Hitler = SS de Vuillemin et Gourio, Gotlib défend la liberté d’expression. Il infléchit sa position en songeant à la douleur des victimes de la Shoah.

Cette exposition bénéficie du soutien de la direction régionale des Affaires culturelles – ministère de la Culture et de la Communication, de la fondation pour la Mémoire de la Shoah, de l’Alliance israélite universelle, du fonds Harevim et de la fondation Pro Mahj, et du partenariat avec France Culture, Les Inrockuptibles, Libération et Médiatransports.


En 2016, L'Express publia un hors-série estival consacré à Gotlib.

    
Citations extraites de Ma vie en vrac (Flammarion, 2006)


« J’avais huit ans, et je ne savais pas que j’étais juif moi-même. A l’école, les copains ne parlaient que de ces pourris de youpins, répétant probablement ce qu’ils entendaient de leurs parents. Comme je ne savais pas trop qui étaient ces salauds, j’avais tendance à opiner du bonnet, pour ne pas avoir l’air con. Un beau jour, quand ma mère m’a cousu l’étoile jaune, l’étoile de shérif comme disait Gainsbourg, j’ai réalisé que je faisais partie des salauds de pourris de youpins en question. Pour employer un euphémisme… ça m’a fait un choc. » 

« Les chansons de Brassens ont certainement eu plus d’importance pour moi que toutes les années passées à l’école […] Les premiers disques de Brassens ont eu un impact indescriptible sur toute une génération, la mienne, et bien au-delà. Il exprimait des choses incroyables, dont je ne pensais pas qu’elles puissent être formulées, surtout avec autant de grâce et d’intelligence. » 

« Ça me gêne de le rabâcher chaque fois que j’évoque mes relations avec Goscinny, mais il a été le premier qui m’a symboliquement pris par la main et m’a dit, Vas-y, t’en es capable ! » 

« De deux choses l’une : ou bien on aborde uniquement les problèmes anodins sous l’angle de la satire, en laissant de côté les sujets importants, ou bien on prend de front les sujets importants, en s’en moquant, bien sûr, mais d’une façon qui ne laisse pas oublier qu’ils sont importants. » 

« J’aime les bandes très découpées, avec beaucoup d’expressions de visages. Les gags avec une énorme chute ne sont pas intéressants, sauf cas exceptionnel. Le gag est grillé d’avance car le lecteur feuillette le journal avant de le lire, et tombe bien sûr sur le grand dessin final, sans avoir lu ce qui précède. Je n’aime pas non plus les grosses lettres. Je préfère écrire les phrases les plus marrantes en tout petit. Au moins, l’effet de surprise est certain. Le lecteur découvre le gag au moment où il faut qu’il le découvre. » 

« Au début, il y avait d’un côté le comique, de l’autre le réalisme. Dans MAD, j’ai trouvé un mélange des deux pour lequel j’ai trouvé le néologisme réalistico-comique […] Je n’avais jamais vu ce mélange de ma vie. Ça m’a complètement emballé. J’ai toujours été extrêmement sensible à la parodie : je ne l’ai pas apprise grâce à MAD, j’avais déjà ça en moi. La parodie me fait rire même quand je n’en connais pas la référence. » 


Les mondes de Gotlib. Dargaud, 2014. 200 pages. ISBN-13 : 978-2205073393

Du 14 novembre 2014 au 8 mars 2015
Au musée Juif de Bruxelles
Rue des Minimes, 21 -1000 Bruxelles
Tél. : 02 512 19 63
Tous les jours de 10 h à 17 h. Fermé le lundi

Jusqu’au 27 juillet 2014
Hôtel de Saint-Aignan
71, rue du Temple. 75003 Paris
Tél. : 01 53 01 86 65
Lundi, mardi, jeudi, vendredi de 11 h à 18 h, mercredi de 11 h à 21 h, dimanche de 10 h à 18 h

Visuels 
Affiche de l’exposition « Les mondes de Gotlib »
© Gotlib – Dargaud 2014
Dessin : Marcel Gotlib
Conception graphique : Philippe Ravon

Marcel Gotlib
Années 1970 - Photo Christine Poutout

La chanson aigre-douce (détail)
Rubrique-à-brac, Pilote, 27 novembre 1969 © Gotlib - Dargaud

Jujube et Gai-Luron (détail) – Vaillant, Le Journal de Pif n°1154, 25 janvier 1967
© Gotlib

La Coulpe
Planche 1, L’Écho des Savanes n°3, 1er avril 1973
© Gotlib

La coccinelle de Gotlib
© Gotlib, Seven Sept, 2006

La Coulpe
Planche 13 pour L’Echo de Savanes n°3 1er avril 1973
© Gotlib

Bougret the policeman
Rubrique-à-brac tome 3, Dargaud, 2007, p. 4
© Gotlib, Dargaud

God’s Club
Planche 1, L’Echo de Savanes n°6 1er janvier 1974
© Gotlib

Superdupont : échec aux empoisonneurs (détail)
Superdupont tome 1, Fluide Glacial 2008, p.4
© Gotlib, Audie-Fluide Glacial

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Cet article a été publié le 27 juillet 2014, puis les 14 novembre 2014, 6 mars 2015 et 30 juillet 2016. Les citations sont extraites du dossier de presse.

1 commentaire:

  1. il avait eu un dialogue avec ma famille par gai luron et jujube interposes, je ne l ai compris que 30 annees plus tard. Pourtant nous etions nomme dans la bd.
    J ai age de sa fille et il avait l a ge de mon pere aussi enfant cache. La tragedie continue si on lit la fi de chanson triste

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