Citations

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« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

vendredi 11 mai 2018

« The Gatekeepers » par Dror Moreh


Public Sénat diffuse The Gatekeepers” (2012), documentaire controversé et primé de Dror Moreh composé d'interviews de six anciens dirigeants partiaux du Shin Bet. Un film biaisé, souffrant de carences informatives, partisan du slogan “Land for Peace” ("Terre contre la paix"), blâmant le seul Etat d’Israël pour l’absence de paix, émaillé de wishful thinkings (prendre ses désirs pour des réalités, en anglais) dangereuses et prônant des concessions territoriales israéliennes... qui ont toujours mené à la recrudescence du terrorisme palestinien islamiste, et non à la paix. 

« La loi des plus forts » de Ra’anan Alexandrowicz

Israël dispose de trois agences de renseignements  : l'Aman, chargé de la sécurité militaire, le Mossad responsable du renseignement et d’opérations hors d’Israël, et le Shabak  ou « Shin Bet  », service de la sécurité intérieure.

Avraham Shalom (1981-1986) partisan de négociations avec le Hamas et le Jihad islamique, Yaakov Peri (1988-1994), Carmi Gillon (1995-1996), Ami Ayalon (1996-2000) co-auteur avec Sari Nusseibeh d'une initiative de paix en 2003 et récemment élu à la Knesset sur la liste du Parti travailliste, Avi Dichter (2000-2005) devenu membre de Kadima, Yuval Diskin (2005-2011) assurant que les conquêtes de 1967 transformeraient Israël en “Etat Shin Bet” et s'étant opposé récemment à "des préparatifs d'action militaire contre l'Iran" en voie de se doter de l'arme nucléaire... Ces six anciens dirigeants  du Shin Bet se confient devant la caméra de Dror Moreh, cinéaste israélien confirmé, en abordant le terrain délicat de la politique.

A l’instar du Fog of War: Eleven Lessons from the Life of Robert S. McNamara d’Errol Morris (2003)¸ The Gatekeepers illustre leurs propos avec des images d’archives et des animations informatiques.

The Gatekeepers comprend sept parties :
- “Pas de stratégie, seulement des tactiques : le rôle émergeant du Shin Bet de la guerre des Six-jours à l’occupation des territoires palestiniens ;
- Oublie la moralité : sur 300 incidents de bus ;
- Terroriste pour l’un, combattant de la liberté pour un autre : sur le processus de paix après les accords d’Oslo ;
- Nos propres chair et sang : sur le terrorisme Juif, dont le Juif Underground et l’assassinat d’Yitzhak Rabin ;
- La victoire est de vous voir souffrir : sur les négociations avec les Palestiniens lors de l’Intifada II ;
- Dommage collatéral : sur l’assassinat de Yahya Ayyash et d’autres militants du Hamas”;
- Le Vieil Homme au bout du corridor : réflexions sur les activités du Shin Bet et leur impact éthique et stratégique sur l’Etat d’Israël”.

Rien de neuf
Est-ce la première fois  que d’anciens responsables du Shin Bet s’expriment publiquement, comme l’allègue le dossier de presse de The Gatekeepers ?

Non, le 13 novembre 2003, le quotidien israélien Yedioth Aharonoth a publié  l’interview  de deux heures de quatre responsables du Shabak : Avraham Shalom, Yaakov Perry, Carmi Gillon, et Ami Ayalon. Ces dirigeants prédisaient que le Premier ministre Ariel Sharon mènerait Israël vers l’abîme s’il ne parvenait pas à conclure rapidement la paix avec les Arabes palestiniens. Leur but : briser la confiance de Sharon.

Après le New York Times, le 15 novembre 2003, le Washington Post (Ex-Security Chiefs Turn on Sharon ) et le Guardian (Israel on road to ruin, warn former Shin Bet chiefs) ont relaté ces interviews.

Ezer Weizman a alors stigmatisé ces “quatre mousquetaires” qui minaient le gouvernement israélien.

Ces interviews ont précipité la décision désastreuse du retrait israélien de 8 000 Juifs, civils et soldats, de la bande de Gaza et de quatre localités de Samarie. Annoncée par Ariel Sharon le 18 décembre 2003, cette décision était contraire à sa promesse électorale  en 2001 (“Le destin de Netzarim sera celui de Tel Aviv”). Un plan de désengagement  unilatéral, sans traité de paix, sans que les Palestiniens mettent en oeuvre  la Feuille de route (Roadmap), et qui a accru la vulnérabilité du Sud israélien aux tirs du Hamas.

Lors de la réalisation de son documentaire Sharon, Dror Moreh a appris “en discutant avec le cercle des conseillers du Premier ministre, que les critiques émanant de certains de ces Gatekeepers avaient beaucoup influencé Sharon dans sa décision d’évacuer Gaza”.

Et d’ajouter : “Le temps est venu interpeller les gens, et non pas seulement le cercle des décideurs ”. Le réalisateur espère que son film “initiera ce dialogue”.

Par ces six témoins, Dror Moreh  a “l’occasion unique d’entrer dans le cercle intime des hommes qui ont conduit le processus de décision israélien depuis près d’un demi-siècle. Leurs histoires et leurs témoignages étaient souvent accablants. Personne ne comprend mieux le conflit entre Israël et les Palestiniens que ces six hommes”. Vraiment ?

Près de dix ans après l’interview de ces quatre anciens du Shin Beth, Dror Moreh reprend les mêmes, et présente comme inédites des déclarations déjà connues.

Un film "réquisitoire" (Arte)
C’est en ces termes partiaux qu’Arte décrit The Gatekeepers que la chaîne franco-allemande a co-produit et auquel elle dédie un dossier et de très nombreux articles :
« Les confessions ahurissantes de six anciens chefs du Shin Beth, le Service de la sécurité intérieure d’Israël. Un film explosif, nominé aux Oscars, qui éclaire trente ans de lutte antiterroriste et d’errements face à la question palestinienne.
Chacun à leur tour, ils racontent, intensément, quelque trente ans de lutte antiterroriste en Israël et de gestion désastreuse de la question palestinienne. Un flot d’aveux précis, circonstanciés, d’une remarquable liberté et d’une sidérante acuité. Six anciens chefs du Shin Beth, l’équivalent israélien du FBI, expliquent comment, depuis la Guerre des six jours en 1967, dont la victoire vaut à l’État hébreu d’occuper Gaza et la Cisjordanie et de faire face à un million de Palestiniens, les responsables politiques n’ont jamais vraiment cherché à construire la paix. Une succession d’erreurs qu’inaugure le mauvais arabe avec lequel de jeunes réservistes s’adressent aux populations des nouveaux territoires occupés, leur annonçant qu’ils viennent les « castrer », au lieu de les « recenser".
Peuple oublié
Bavures, tortures, méthodes iniques de renseignements et de recrutement d’indicateurs amplifiant la haine de l’occupé... Ils disent surtout l’absence glaçante de vision stratégique ; la résistance et l’hostilité des Palestiniens oubliés explosant avec la première Intifada ; le laxisme face à l’extrémisme juif qui anéantira, avec l’assassinat de Yitzhak Rabin, la seule réélle lueur de paix. “On a gagné toutes les batailles, mais on a perdu la guerre”, lâche Ami Ayalon, à la tête du service de 1996 à 2000, quand Avraham Shalom, le plus ancien d’entre eux, compare l’armée d’occupation à celle de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. “Quand vous quittez le Shin Beth, vous devenez gauchiste...”, conclut avec ironie Yaakov Péri (1988-1994). Nourri par de formidables archives et un travail visuel sophistiqué à partir de photos, ce réquisitoire exceptionnel, sorti en salles pendant la campagne des légistatives a eu l’impact d’une bombe en Israël. Déjà auteur de Sharon, le réalisateur Dror Moreh croit fermement au pouvoir des films et c’est peut-être là l’un des secrets de réussite de son audacieuse entreprise. Un manifeste passionnant de bout en bout, doublé du portrait de six hommes en proie au doute, mais animés d’un salvateur pragmatisme ».
Que de fautes historiques - le "peuple palestinien" est une invention de la propagande arabe ; il s'agit de territoires disputés, etc. -, d'oublis - les refus du monde musulman de reconnaître l'Etat Juif, le lien entre le peuple Juif et Eretz Israël, peu avant d'être assassiné Yitzhak Rabin avait annoncé son intention d'adresser un ultimatum à l'Autorité palestinienne afin que cette dernière respecte les accords d'Oslo, etc. -  et de partialité - nazification de l'Etat Juif !? - !

Des parallèles infondés
Certes, The Gatekeepers montre les hauts critères éthiques, légaux, moraux  du Shin Bet, soucieux de préserver les vies israéliennes et palestiniennes.

Mais il ternit l’image d’Israël en “Occupant sans cœur”, sans informer sur “la dure vie des Palestiniens sous dominations égyptienne et jordanienne (1948-1967)” ou du Hamas et la “modernisation de la vie économique, politique, culturelle” et sociale sous administration israélienne (Roz Rothstein et Roberta Seid).

The Gatekeepers allègue une fausse équivalence entre d'une part le Jewish Underground (1980), un groupe ultra minoritaire d’habitants Juifs des localités ayant blessé deux maires palestiniens et ayant projeté de faire exploser le Dôme du Rocher – sans soutien populaire ou politique, les dirigeants de ce groupe avaient été arrêtés par le Shin Bet en 1984 -, et d'autre part les terroristes palestiniens produits par l’éducation palestinienne à la haine et à la violence et soutenus par les autorités politiques ainsi que par la société palestiniennes.


Le documentaire omet d'évoquer les tentatives du Shin Bet pour ternir l'image de la droite israélienne, pour diaboliser le mouvement national religieux israélien en raison de leurs critiques des accords d'Oslo. Ainsi, vers 1994, agent du Shin Bet, Avishai Raviv a joué le rôle d'un provocateur extrémiste de droite.

The Gatekeepers véhicule l’idée infondée, mais omniprésente dans la gauche et l'extrême-gauche israéliennes, que le “péché originel” israélien provient de sa victoire rapide lors de la Guerre défensive des Six-jours (juin 1967). Une victoire suivie de l’”Occupation” induisant le terrorisme palestinien, corrompant cet Etat et un peuple devenu un occupant brutal  et sans coeur. D’où le parallèle infamant d’Avraham Shalom entre Tsahal et la Wehrmacht, armée du IIIe Reich. Quid des trois Non arabes de Kartoum (août 1967) : non à la reconnaissance d'Israël, non à la négociation avec Israël, non à la paix avec Israël", etc. ?

Par ailleurs, le terrorisme palestinien a précédé la recréation de l’Etat d’Israël : les Arabes de "Palestine" ont tué environ 1000 Juifs entre 1920 et 1967, et ont  rendu Judenrein les territoires conquis par les Arabes pendant la guerre de 1948, 162 Israéliens ont été tués par les terroristes d’Arafat entre 1968 et 1970. Etc. Etc. Etc.

Que de carences informatives dans ce documentaire ! Quid de l’idéologie génocidaire du Hamas ? Quid des “relations d’affaires fortes nouées” par Yaacov Peri, n°5 sur la liste de Yair Lapid à la Knesset, avec “des dirigeants corrompus de l’OLP après son départ du Shin Bet en 1994” ? Quid des islamikazes que l'on ne voit jamais ? Quid des déclarations haineuses des dirigeants de l'Autorité palestinienne ?

Quid des victimes israéliennes lapidées, poignardées, kidnappées ou handicapées à vie ? Quid de l'amateurisme de certains membres du Shin Bet lors d'une opération en Jordanie ?

The Gatekeepers dénigre l’usage de la force, plaide pour le “slogan trompeur” (Shmuel Trigano) de la solution à deux Etats, prône des négociations avec un partenaire pour la paix palestinien inexistant et impute au seul Etat d’Israël le refus de ces pourparlers ! Une prétendue "solution à deux Etats" infondée et dépassée depuis les éclatements et les  recompositions du monde arabe consécutifs au "printemps arabe" et aux contours dessinés par al-Qaïda ou l'Etat islamique (ISIS/Daech).

Comme si ces ex-dirigeants du Shin Bet et le réalisateur Dror Moreh n’avaient tiré aucune leçon de l’échec du plan de désengagement de 2005 : le conflit n’est pas territorial, mais religieux ; les sondages  révèlent que les Palestiniens refusent, comme leurs dirigeants, les offres les plus généreuses de l’Etat d’Israël ; les tirs de roquettes à partir des territoires évacués et contre Israël ont crû, ce qui a déclenché quatre guerres israéliennes en neuf ans contre deux mouvements terroristes islamistes soutenus par l’Iran, le Hamas et le Hezbollah.

Comme si Dror Moreh celait sciemment les interviews en 2003 pour éviter au public de se souvenir combien les Israéliens ont subi tragiquement les conséquences du retrait unilatéral de l’”Occupant israélien”.

Comme si le refus musulman ou/et arabe de l’existence de l’Etat Juif n’était pas la cause fondamentale à ces guerres contre cet Etat d'anciens dhimmis désormais maîtres de leur destin et ayant reconstruit un pays à la réussite économique éblouissante. Dror Moreh occulte tout ce qui corrigerait, ou infléchirait sa thèse controversée, tout ce qui contredirait les propos de ces six anciens dirigeants du Shin Bet. Ce qui transforme ce documentaire en film de propagande de gauche, voire d'extrême-gauche.

Nul ne peut nier le courage et le patriotisme de ces six hommes qui ont donné la meilleure partie de leurs vies au service de leur pays, mais on peut et on devrait regarder froidement comment ils ont été manipulés par un réalisateur ayant un programme “, écrit Gidon Ben Zvi dans Jewish Thinker  (10 février 2013). Six dirigeants "manipulés" ? Aucun d'eux ne s'est distancé de ses déclarations à Dror Moreh...

Controverse
Ce film a suscité des louanges de médias occidentaux  - The Wall Street Journal l’a inscrit dans sa liste des 10 meilleurs films de 2012 -, notamment d'une partie de ceux de la communauté française Juive.

Il a été « nominé » aux Oscar du meilleur documentaire, et distingué par le Prix de l’association des critiques cinématographiques de Los Angeles (2012) et le Prix du cinéma pour la Paix  (2013).

Sa carrière s'est poursuivie brillamment. Après avoir été diffusé par Arte en mars 2013,  la 13e édition du festival du cinéma israélien à Paris (3-9 avril 2013) a présenté les 5 et 9 avril 2013 “The Gatekeepers”  de Dror Moreh, et le 5 avril 2013 à 19 h 30 la table-ronde  La paix est-elle possible ?

Mais “The Gatekeepers” a suscité une vive polémique, notamment dans certains médias Juifs, sur Internet et les réseaux sociaux : indignation face aux déclarations publiques biaisées d’anciens directeurs d’un service de renseignement, financement public d’Israel bashing, exercice d’autoflagellation, voire de haine de soi, partialité sous couvert de neutralité, etc.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré qu'il ne verrait pas ce documentaire.

Dans le registre humoristique, Latma a réalisé un sketch ironisant sur ce documentaire, et le journaliste David Suissa a renommé le film The Gate Crashers.

Que penser de ce documentaire ? Plus de 73 heures d’interviews, une heure trente de films, les mêmes remarques inquiétantes qu’en 2003 destinées à un public supposé amnésique. Naïveté ? Rouerie ? Cynisme ? Prétention ? « Errare humanum est, perseverare diabolicum » (locution latine, « Se tromper est humain, persévérer est diabolique »).


"Un choc. Pour la première fois, six anciens chefs du Shin Beth, le Service de la sécurité intérieure d’Israël, racontent trente ans de lutte antiterroriste et d’errements face à la question palestinienne. Un film exceptionnel, coproduit par ARTE et nominé aux Oscars. Entretien réalisé par Sylvie Dauvillier avec son réalisateur, Dror Moreh à l'occasion de la première diffusion de The Gakeepers, en mars 2013.

Comment avez-vous pu interviewer ces six patrons du Shin Beth ?
Dror Moreh : C’est Ami Ayalon, chef du Shin Beth de 1996 à 2000, qui m’a ouvert la porte vers les cinq autres. Dans le film, c’est celui qui conclut par cette formule : "On a gagné toutes les batailles, mais on a perdu la guerre." Lui et moi avons eu une longue conversation. Je lui ai expliqué que j’étais convaincu qu’un tel film pourrait être utile, et il m’a aidé à les contacter. Quatre parmi eux – dont lui – s’étaient déjà exprimés en 2003 dans Yediot Aharonot, le plus grand quotidien israélien, pour alerter sur la catastrophe à venir si l’on ne réfléchissait pas à la création d’un État palestinien. Une interview qui avait ému Ariel Sharon, le père de la colonisation dans les territoires occupés, auquel était consacré mon précédent film, Sharon. Je me suis alors dit que de tels propos dans un film auraient un énorme impact, si je parvenais à les obtenir. Et c’est ainsi que tout a commencé. Mais il m’a fallu du temps pour les convaincre d’y participer.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans ces longs entretiens ?
Le pragmatisme de ces hommes qui les pousse à s’exprimer ouvertement. J’ai parlé dix à quinze heures avec chacun d’entre eux. Inquiets pour leur pays, ils estiment que l’administration conduit Israël au désastre en maintenant l’occupation dans les territoires palestiniens. Ils connaissent la valeur et le prix de la force. Ils savent qu’elle n’est utile que jusqu’à un certain point. Et tous, sans exception, estiment qu’au-delà il faut parler et trouver une solution politique. Quand ils évoquent leurs activités antiterroristes, et même l’exécution de deux Palestiniens lors d’un détournement de bus en 1984, je ne crois pas qu’ils cherchent à libérer leur conscience. J’ai plutôt l’impression qu’ils sont fiers de ce qu’ils ont fait. Ces hommes ont de lourdes décisions à prendre, au terme desquelles des gens sont torturés ou tués, et bien sûr, ils s’interrogent ; ces chefs de la sécurité sont aussi des êtres humains. Je devais les interviewer comme tels.

Comment expliquez-vous l’énorme fossé entre leurs convictions et l’attitude des leaders politiques ?
La réponse est presque contenue dans la question. Hélas, les leaders politiques actuels en Israël manquent singulièrement de hauteur de vue et n’ont qu’une vision à court terme, obsédés par leur  maintien au pouvoir. Ils n’essaient même pas de bouger d’un iota pour trouver une solution et avancer vers la constitution de deux États. Dès le lendemain de la guerre des Six Jours, en 1967, quand le gouvernement se retrouve face à 1,2 million de Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, il n’a pas la moindre idée des moyens de faire face. Comment contrôler ces populations ? De jeunes soldats, vite et mal préparés, qui ne parlent même pas arabe, sont alors envoyés à la rencontre de ces populations. Et depuis bientôt cinquante ans, la question n'a pas été réglée.

Le plus ancien d’entre eux, Avraham Shalom, compare même l’armée israélienne dans les territoires palestiniens à la Wehrmacht dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale…
J’ai hésité à garder ces propos, compte tenu de l’hypersensibilité juive à cette question. Mais Avraham Shalom n’a pas dit cela à la légère. Né à Vienne dans les années trente, il a grandi sans savoir qu’il était juif. Lors de l’Anschluss en 1938, il est même allé voir Hitler s’exprimant du balcon de l’hôtel Imperial. Mais après la Nuit de Cristal, il a presque été battu à mort par ses camarades. Et parce qu’il a connu de près ce racisme, cela n’en donne que plus de substance encore à ce qu’il dit.

Paradoxalement, leur liberté de parole ne montre-t-elle pas aussi qu’Israël reste une démocratie ?
D’un côté, sans doute, mais plus l’occupation se poursuit, plus cette démocratie s’affaiblit. Quand je vois le racisme de certains jeunes en Israël, cela m’effraie. Et je suis pessimiste.

Comment avez-vous procédé pour réaliser un film de cinéma avec toutes ces interviews ?
J’ai travaillé avec un formidable studio parisien, Mac Guff. Valoriser visuellement l’énorme matière que j’avais recueillie a été une préoccupation constante. D’autant que par définition, je ne pouvais pas attendre d’images des services secrets. Nous avons donc recréé des scènes photographiquement réalistes par ordinateur, par exemple pour retracer l’affaire du Bus 300. Mais je voulais que l’on procède de manière extrêmement rigoureuse. Et au final, concernant les séquences filmées d’un drone, il est presque impossible de discerner celles qui sont réelles et celles qui sont recréées.

Croyez-vous que les films aient le pouvoir de changer le cours des choses ?
Je pense que parfois, oui, cela peut arriver, et j’avais cette ambition quand je me suis lancé dans ce projet. Je suis peut-être naïf, mais si j’en juge par les réactions à Israel Confidential, j’ai l’impression que quelque chose a bougé, en particulier chez les jeunes. Il est temps. Assez d’occupations. La situation ne cesse d’empirer et la violence d’augmenter. C’est ce dilemme que je voulais montrer. Après les élections législatives du 22 janvier 2013, le porte-parole du chef d’état-major de l’armée a d’abord attribué au film, sorti pendant la campagne, le semi-échec de Netanyahou, que tous ces hommes jugent sévèrement. L’accueil a été très fort en Israël. D’abord diffusé dans deux salles d'art et d'essai à Tel-Aviv, il est maintenant projeté dans des multiplexes qui n’avaient jusque-là jamais programmé de documentaire. Je reçois des mails de gens du monde entier qui me disent leur émotion. Et j’en suis très heureux".

ADDENDUM
Le 30 mai 2014, l'éditorialiste Caroline Glick a écrit : " Apparemment mené par Shimon Peres, le triumvirat des chefs de la sécurité servant de 2008 à 2011 - Gaby Ashkenazi, Meir Dagan alors directeur du Mossad, et Avi Dichter, alors directeur du Shin Bet - s'est uni pour miner l'autorité légale du Premier ministre Binyamin Netanyahu et celle d'Ehud Barak, alors ministre de la Défense, [nécessaire] pour ordonner aux forces de sécurité d'Israël de mener une action contre l'Iran. Selon un article d'Haaretz du 28 mai 2014, entre 2008 et 2011, ces quatre hommes ont divulgué aux médias des plans et des discussions sur d’éventuelles frappes israéliennes contre l'Iran dans le but d'empêcher qu'elles ne soient menées. Ces quatre hommes se sont opposés à une frappe israélienne contre les installations nucléaires de l'Iran et ont rejeté de manière cinglante toute opération israélienne non coordonnée avec les Etats-Unis". Gravissime.

Le 18 août 2014, le Shin Bet a révélé avoir déjoué un complot fomenté par Salah al-Aruri, dirigeant du Hamas, visant à lancer des attaques terroristes islamistes en Israël, puis à renverser les dirigeants du Fatah de l’Autorité palestinienne, dont le président Abou Mazen (Mahmoud Abbas), en Judée et Samarie pour y prendre le pouvoir.

En septembre 2015, les éditions Héloïse d'Ormesson ont publié le livre Les Sentinelles The Gatekeepers, de Dror Moreh, avec une préface d'Elie Barnavi. "Six anciens directeurs du Shin Bet, la sécurité intérieure israélienne, brisent un silence de quelque trente ans. Au cœur de l’action et des secrets entre 1980 et 2011, les gardiens du système, d’ordinaire les plus zélés, dévoilent les rouages du service chargé de la lutte antiterroriste – infiltrations, tortures, éliminations ciblées. Ne taisant ni leurs doutes ni leurs erreurs, ils constatent l’échec des gouvernements successifs à instaurer durablement la paix. Ces confessions d’une franchise désarmante apportent un nouvel éclairage sur le conflit israélo-palestinien depuis la guerre des Six-Jours, et résonnent comme un vibrant message d’espoir. À l’avenir, lorsqu’on évoquera l’interminable conflit du Proche-Orient et l’occupation bientôt demi-centenaire des territoires palestiniens, il faudra bien se référer, d’une manière ou d’une autre, à ces six témoignages", a écrit l'historien Élie Barnavi.

Ce film The Gatekeepers a été diffusé le 8 janvier 2016 à la Maison des Métallos dans le cadre d'une projection-débat avec Élie Barnavi, historien, essayiste et ancien ambassadeur d’Israël en France, et Alain Frachon, éditorialiste au Monde.

Le 17 mars 2016, “The Gatekeepers” a été diffusé à l'Arlequin (Paris) lors des Journées du cinéma politique (16-18 mars 2016), dans la thématique Côté coulisses : le pouvoir et ses secrets. Constituées de projections de films et de débats, ces Journées sont organisées par Sciences Po Alumni, la fondation Jean Jaurès, Albingia, l'Assemblée nationale, le Sénat, le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée), les Ecrans de Paris, l'Arlequin, BdA Sciences Po, La Mairie de Paris, LCP, France Info et L'Express. Le "thème du pouvoir politique, de son mystère et de ses arcanes est au cœur de la première édition des Journées du Cinéma Politique de Sciences Po. Les questions inhérentes à cette thématique font partie des fondements du projet intellectuel de l’établissement, « comprendre le monde pour le transformer ». Elles sont aussi au centre de la pratique cinématographique, qui a l’immense avantage de donner à voir le corps politique, de le projeter dans l’imaginaire et de l’interroger dans ses mystères et sa part non visible. Au travers de la crise traversée par nos sociétés de l’information et de l’image, nous n’avons jamais autant regardé le pouvoir politique ; mais que voyons-nous vraiment ? Les 17 et 18 mars 2016, les Journées du Cinéma Politique montreront la politique dans tous ses états".

Pourquoi n'avoir pas programmé un des documentaires de Pierre Rehov sur le Moyen Orient : The Trojan Horse or Arafat's strategy to destroy Israel (Le cheval de Troie ou la stratégie d'Arafat pour détruire Israël), Holy Land: Christians in Peril (Terre Sainte : chrétiens en péril), Silent Exodus (Exode silencieux), etc. ? Pourquoi n'avoir pas organisé un débat sur l'affaire al-Dura ?

J'ai interrogé les responsables de ces Journées sur la raison de leur choix de ce film. Le 16 mars 2016,  Madani Cheurfa, Secrétaire général de Sciences Po Cevipof, m'a répondu : "Je lirai attentivement votre blog et me permettrai de vous répondre si j’estime ma réponse suffisamment pertinente face à vos interrogations".


The Gatekeepers
Documentaire de Dror Moreh

Israël/France, 2012, 1 h 30 mn
Production : ARTE France, Les Films du Poisson, Dror Moreh Productions, Cinephil, Wildheart Productions, Macguff, NDR, IBA, RTBF
Prix du meilleur documentaire de l’Association des critiques des films de Los Angeles
Diffusions les 5 mars 2013 à 20 h 50, 16 avril 2013 à 9 h 40, 16 septembre 2014 à 22 h 35 et 6 octobre 2014 à 8 h 55, 3 juin à 0 h 50 et 9 juin 2015 à 8 h 50.
Sur Public Sénat le 10 mai 2018.

A lire sur ce blog :
Affaire al-Dura/Israël
Aviation/Mode/Sports
Chrétiens
Culture
France
Il ou elle a dit...
Judaïsme/Juifs
Monde arabe/Islam
Shoah (Holocaust)
Articles in English


Cet article a été publié pour la première fois le 5 mars 2013, puis les 4 avril 2013, 2 juin, 19 août  et 15 septembre 2014, 2 juin 2015, 8 janvier et 16 mars 2016. Il a été modifié le 10 mai 2018.

4 commentaires:

  1. Finalement ce qu'on reproche à ces 6 spécialistes de la sécurité israélienne, ce n'est pas leurs engagements plus ou moins voilés. Non c'est que plein du crédit des hautes fonctions qu'ils ont occupé ces hommes se permettent de regarder la société israélienne telle qu'elle est et non pas telle que vous vous voudriez qu'elle soit (armée morale,les bons d'un coté les méchants de l'autre, poids des ultra "religieux", incurie des politiques israéliens, question des colonies).

    La plus belle phrase de ce documentaire revient une fois de plus à Rabin " faire la guerre au terrorisme comme s'il n'y avait pas de pourparlers. Continuer les pourparlers de paix comme s'il n'y avait pas de terrorisme".


    Vous avez raison : « Errare humanum est, perseverare diabolicum » Le gras bibi n'a jamais fait de latin visiblement.

    ps: Concernant votre carte. Nous savons tous que "la géographie, ça sert d'abord à faire la guerre" (Chez vous idéologique) mais à ce point ça devient risible.




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  2. On reproche aussi à ces six ex-dirigeants du Shin Bet leur faible esprit critique à l'égard de leurs échecs professionnels.

    Quant à cette phrase de Rabin, elle est terrible. Il eut été plus efficace en termes politiques et humains d'exiger de l'Autorité palestinienne qu'elle renonce au terrorisme et à l'éducation à la haine d'Israël et des Croisés. C'est d'ailleurs ce vers quoi s'orientait Rabin peu avant d'être assassiné : http://www.veroniquechemla.info/2011/04/la-guerre-doslo-de-joel-fishman-et.html

    On ne critique pas quelqu'un sur son physique. C'est vrai que vous manquez d'argument...

    Toutes les cartes publiées sur ce blog sont exactes. Elles servent à informer les lecteurs de l'article.

    Effectivement, la carte de la "Palestine" incluant l'Etat Juif sert à l'Autorité palestinienne pour nourrir l'irrédentisme antisémite, islamique ou/et arabe, et inciter au jihad.

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  3. Où pensez vous que les palestiniens devraient vivre selon vous ? (si vous pensez qu'ils méritent de vivre...).

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  4. Le monde arabe/musulman n'a pas accepté en 1948 le plan de partage onusien de la Palestine sous mandat britannique. D'où leurs attaques contre l'Etat d'Israël renaissant.
    Par les accords Sykes-Picot (1916), la France et la Grande-Bretagne se sont partagés sans fondement autre que leurs intérêts, le Moyen-Orient.
    Il convient donc de se fonder sur le droit international - Déclaration Balfour reprise par la conférence de San Remo (1920), la Société des Nations et la Charte de l'ONU - et des réalités locales - Eretz Israël, aspiration du peuple kurde à la souveraineté, attachement clanique des Arabes palestiniens et non à un Etat-nation contraire au califat, etc. - pour délimiter des frontières au Moyen-Orient.
    Seule cette démarche permettra de parvenir à la paix. Bien sûr, elle suppose que le monde musulman ou/et arabe reconnaissante la légitimité d'un Etat non musulman, Juif ou chrétien.
    Monsieur ou Madame Anonyme, vous semblez oublier qu'aucun Etat arabe ou/et musulman ne veut la création d'un Etat palestinien qui constituerait une menace pour eux et serait un ferment terroriste déstabilisant la région. C'est la raison pour laquelle de 1948 à 1967, ni l'Egypte, ni la Jordanie n'ont créé de "Palestine" dans la bande de Gaza et dans les territoires qu'ils avaient conquis.
    Je vous invite à lire mon article développant les faits présentés ici de manière concise : http://www.veroniquechemla.info/2012/04/juifs-et-arabes-de-france-depasser-la.html

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