vendredi 1 novembre 2019

« 1945. L'ouverture des camps en Allemagne », par Serge Viallet



En 2010, le Mémorial de la Shoah présentait Filmer les camps. John Ford, Samuel Fuller, George Stevens de Hollywood à Nuremberg, exposition passionnante et émouvante, sur les circonstances de réalisation des films montrant la découverte des camps de concentration de Dachau et de Falkenau.

Ce nouveau numéro de Mystères d'archives évoque la découverte des camps de concentration, et le rôle majeur de l'image en cet événement dramatique.

L’Armée soviétique découvre en Pologne les camps nazis d’extermination de Majdanek en juillet 1944 et de concentration/extermination d’Auschwitz en janvier 1945.

Mais ces événements reçoivent un faible retentissement.


En avril 1945, sur le front ouest, l’avancée des troupes Alliées en Allemagne s’accompagne de la découverte et de la libération de nombreux camps de prisonniers de guerre, de travail et de concentration.

Dès l’ouverture par les Américains d'Ohrdruf, de Buchenwald, à moins de 10 km de Weimar, et de Dachau (Allemagne), premier camp ouvert par les Nazis en 1933, des camps situés en Allemagne, le monde saisit l’ampleur de l’horreur nazie grâce essentiellement aux photographies et films réalisés par les Américains.

Les généraux Eisenhower, commandant suprême des forces Alliées, Patton et Bradley arrivent dans un "camp de travail", celui d'Ohrdruf. Survivant de plusieurs camps dont celui-ci, un Autrichien Juif, les guide, leur montre des cadavres entassés en place d'appel depuis plus de 8 jours sur la place d'appel. On explique "comment des déportés étaient battus, puis l'endroit où avaient lieu les pendaisons" et les charniers. Ohrdruf était un camp secondaire dépendant du complexe de Buchenwald. Les déportés étaient réduits à l'esclavage, pour la production de guerre. La visite des généraux est filmée entièrement.

Gaston Madru, cameraman français employé par une société d'actualités, suit les troupes alliées. Il filme les prisonniers de guerre, ceux marqués d'une croix sur le dos de leurs vêtements pour les repérer comme ayant fui.

Le choc induit des décisions : "assurer la couverture par les reportages, confronter les Allemands à cette horreur, faire venir responsables politiques et soldats Alliés pour qu'ils témoignent"...

Le 11 avril 1945, 20 000 déportés survivent dans ce camp de Buchenwald. La direction SS avait fui, l'organisation interne de résistance avait pris le pouvoir. Déportés politiques, déportés raciaux, principalement Juifs, prisonniers de guerre, souvent soviétiques, etc. ont été déportés de toute l'Europe. Depuis leur construction, les fours crématoires ont fonctionné jour et nuit. Les Alliés organisent dès le 16 avril 1945 les visites du camp vaste de Buchenwald - 190 ha, créé en 1937 - par un millier de civils allemands vivant aux alentours du camp - Buchenwald est à moins de 10 km de Weimar. L'odeur dans le camp "est pestilentielle". Derrière les palissades où se cachait le crématorium, les déportés observent ces visiteurs découvrant les horreurs commises par les Nazis avec une "large adhésion de la population", le crématorium, les "salles de dissection, d'expérimentation et d'exécution", les cadavres entassés dans une remorque qui n'ont volontairement pas encore été déplacés et enterrés par les Alliés, "les morceaux de peaux prélevés sur les détenus pour récupérer les tatouages et servaient d'objets de décoration par les SS, les têtes réduites" posés sur une table... Les équipes armées filment ces visites en Noir et blanc, ainsi qu'en couleurs. Leurs films sont projetés dans "des salles cinémas allemands dans le cadre d'une campagne de rééducation décidée par les Alliés".

Huit jours après, à Buchenwald, le général Eisenhower montre à une commission d'enquête composée de "membres du Congrès ces atrocités : ces parlementaires noteront : "Le poids moyen d'un interné adulte est de 32 kg". On aperçoit dans les films la haute cheminée du crématorium.


Le lendemain, arrivent des journalistes. "Camp témoin de la barbarie nazie", Buchenwald reçoit des visites quotidiennes et "devient l'un des camps-témoins de la barbarie nazie". Là, des déportés étaient contraints de fabriquer les missiles V2.

Le 26 avril 1945, des déportés sont filmés au camp de Buchenwald apportant sobrement leurs témoignages. Des internés Juifs de Tchécoslovaquie et des Pays-Bas relatent la dureté de la survie dans ces camps, leurs familles décimées (60 personnes pour le Tchèque obligé par les SS de répéter qu'il était un "porc"). Ils expriment leur joie d'avoir été libérés alors qu'ils étaient promis à la mort. Kaplan, ingénieur Juif néerlandais, est "le seul survivant de milliers d'hommes de femmes et d'enfants arrivés à Auschwitz" avec lui.


Depuis 1933, 230 000 détenus ont été enregistrés dans le camp de Dachau. 29 avril 1945: c'est la fin des combats dans ce camp. Lors de la libération des déportés du camp de Dachau le lendemain, 31 000 déportés sont recensés, plus de trente nationalités représentées. Typhus et dysenterie tuent les internés. Des milliers de cadavres demeurent dans le camps, le long de la voie ferrée, dans des wagons... Fuyant la progression des Alliés à l'Ouest et de l'Armée rouge à l'Est, des dirigeants du camp de Dachau ont fui par train vers le Sud, emmenant avec eux 4 500 déportés. Plus de 3500 déportés sont morts lors du trajet de 21 jours : à deux reprises, ils avaient reçu un peu de nourriture, mais pas d'eau.


L'unité cinématographique du réalisateur américain George Stevens (Special Coverage Unit) filme un millier de cadavres entassés. Une vue aérienne montre la dimension importante du camp. "Brausebad" (douche) est en fait une chambre à gaz qui a fonctionné à titre expérimental, avec de fausses pommes de douche.

Environ 200 déportés meurent chaque jour à Dachau, pris en charge par les Américains qui l'ont mis en quarantaine. L'urgence est de désinfecter, vacciner et nourrir ces déportés survivants avant leur rapatriement. Des semaines sont nécessaires pour rapatrier les survivants.

Aux Etats-Unis, les actualités filmées montrent ces camps. Le montage d'Universal dure six minutes.

L’image joue un rôle majeur. En quelques semaines, un grand nombre de photographies et de films sont réalisés dans les camps.


Pour quelles raisons ? Informer le monde entier et constituer des témoignages irréfutables, notamment en vue des procès de Nuremberg. Là, ces images prises à Buchenwald, Dachau et dans d'autres camps seront présentées comme preuves à charge contre les accusés nazis. Pour la première fois, un tribunal montre des "photos et films d'atrocités. comme preuves à charge contre des accusés".

« Quelle réalité ces images ont-elles donné à voir ? »

Parmi les films projetés dans le cadre de l’exposition au Mémorial de la Shoah  en 2010 : Memory of the camps de Sidney Bernstein. Un documentaire composé d'images d'archives montées par Alfred Hitchcock et réalisé en 1945 à l’initiative du ministère britannique de l’information et du Bureau de renseignements de guerre américain, monté mais alors non distribué. Pour éviter toute contestation des images filmées des camps, le réalisateur Alfred Hitchcock avait donné pour consigne de filmer en panoramique : la caméra pivote sur son axe en un plan-séquence, sans coupure, sans montage. La réalité de corps décharnés filmée sans aucune possibilité de réfuter leur authenticité. Ce film n'avait pas été alors diffusé pour ne pas entraver le processus de reconstruction de l'Allemagne et la réconciliation entre nations européennes. Brièvement diffusé en 1984 et 1985, Memory of the camps de Sidney Bernstein sera diffusé en 2015 restauré, dans une version complète, et dans un montage conforme aux volontés d'Hitchcock, profondément éprouvé par ces images.

Le 2 novembre 2014, la police allemande a révélé le vol d'une porte en fer forgé portant l’inscription « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre), de deux mètres sur un mètre, de l’ancien camp de concentration nazi de Dachau, près de Munich. Ce vol a vraisemblablement été commis dans la nuit du 1er au 2 novembre 2014, entre 23h45 et 5h30. Ouvert le 22 mars 1933, soit moins de deux mois après l'arrivée d'Adolf Hitler à la chancellerie, le camp de Dachau a servi de modèle aux autres camps de concentration. Ses détenus étaient des prisonniers politiques. Parmi ses plus de 206 000 prisonniers originaires de plus de 30 pays : Léon Blum, ancien Président du Conseil des ministres. Plus de 41.000 d'entre eux y furent assassinés, ou y "moururent d'épuisement, de faim ou de maladie avant que le camp ne soit libéré par les Américains, le 29 avril 1945. Le camp accueille chaque année quelque 800 000 visiteurs du monde entier". 

En décembre 2009, "l'inscription métallique originale « Arbeit macht frei » avait été dérobée à l'entrée de l'ancien camp d'extermination d'Auschwitz (Pologne). L'instigateur du vol, un ancien leader néonazi suédois de 34 ans, Anders Högström, avait été condamné en décembre 2010 à 2 ans et 8 mois de prison. Retrouvée scindée en trois morceaux, l'inscription avait été ressoudée en 2011".


Le 3 mai 2015, une cérémonie a eu lieu, en présence d'Angela Merkel, chancelière de l'Allemagne, de 130 déportés, de responsables du Comité international de Dachau, et du dirigeant du Conseil central des juifs d'Allemagne, Josef Schuster, à Dachau, au sud de l'Allemagne, pour commémorer la libération du camp nazi. Angela Merkel s'est s'exprimée, "après un hommage aux victimes devant l'un des deux fours crématoires de ce camp situé à 17 km au nord-ouest de Munich, le premier créé par le régime nazi, en 1933. Des dépôts de gerbes et une marche vers la Place d'appel du camp, où périrent plus de 43 000 personnes, étaient également prévus". Les personnes participant à cette cérémonie du souvenir "devraient à nouveau franchir la porte d'entrée du camp en fer forgé sur laquelle est inscrite la sinistre devise des nazis « Arbeit macht frei » (« Le travail rend libre ») pour venir se recueillir sur les lieux de leur calvaire. Ce portail a été dérobé durant une nuit de novembre par des inconnus. Une copie a été inaugurée" le 30 avril. "Ouvert initialement pour y interner les prisonniers politiques, Dachau a servi de modèle d'organisation pour les autres camps de la mort, de Treblinka à Buchenwald. Le 29 avril 1945, il avait été libéré par les Américains qui avaient alors découvert l'indicible horreur de la solution finale. Les images d'archives de l'époque montrant les corps enchevêtrés et les survivants hagards, malades et amaigris restent insoutenables".

"Nous, les Allemands, avons une responsabilité particulière, celle d'être attentifs, d'être sensibles et bien informés sur ce que nous avons perpétré sous le nazisme », a souligné dans son message vidéo hebdomadaire Mme Merkel, née en 1954.

"Dans la paisible cité verdoyante de Bavière, le camp, ouvert le 22 mars 1933 — soit moins de deux mois après l'arrivée d'Hitler au pouvoir — fut installé tout d'abord dans une usine de munitions à l'abandon avant la construction d'un grand complexe de bâtiments à partir de 1937. Il comprenait 34 baraques dont l'une réservée aux expériences médicales, sur la malaria ou la tuberculose par exemple.

Plus de 206 000 prisonniers venus d'une trentaine de pays y ont été détenus dont l'ancien premier ministre français, Léon Blum, qui était juif. Plus de 41 000 d'entre eux y furent tués, ou moururent d'épuisement, de faim, de froid ou de maladie".


Depuis septembre 2015, le camp de concentration de Dachau, situé dans le sud-est de l'Allemagne, héberge une cinquantaine de migrants et de sans domicile fixe. Les migrants "sont logés sur le "herb garden", situé en face du mémorial, une sorte de potager que cultivaient les juifs déportés pour nourrir la population allemande. À l'entrée du site, l'inscription "Pensez à comment nous sommes morts ici", gravée sur une pierre, rappelle que plus de 40 000 personnes sont mortes dans ce camp entre 1939 et 1945.Selon Gabriele Hammermann, la directrice du mémorial du camp de concentration de Dachau, "héberger les réfugiés dans un endroit qui symbolise la torture et la mort" n'est pas un geste très "accueillant". Le maire de la ville, Florian Hartmann, met en avant "un but social utile", car, selon lui, les réfugiés ne peuvent pas "avoir des appartements aux tarifs du marché", explique-t-il sur le site du GuardianBien sûr, c'est bizarre, mais j'aime mieux ça que voir les gens dans la rue", admet le maire de Dachau sur le site allemand Deutschlandradio Kultur. L'idée n'est d'ailleurs pas nouvelle, elle a été mise en place avant l'arrivée massive de réfugiés ces dernières semaines. Peter Himmelsbach, un jeune commerçant allemand de 28 ans qui visite Dachau pour la toute première fois, estime pour sa part que "la crise des réfugiés, c'est une chance de racheter" la Shoah. Si en Allemagne cela pose un vrai cas de conscience, ce n'est pas le cas pour les réfugiés. Ashkan, un Afghan de 22 ans, cité dans le Guardian, ne connaît pas grand-chose à l'histoire allemande et n'a pas eu le temps de visiter le camp. "Je voulais juste un toit au-dessus de ma tête", résume-t-il".

Le 18 mars 2016, lors d'une visite au camp d'immigrés d'Idomeni, à la frontière avec la Macédoine, Panagiotis Kouroublis, ministre grec de l'Intérieur, a qualifié ce camp "de Dachau des temps modernes" : "Je n'hésite pas à dire que (Idomeni) est le Dachau des temps modernes, le résultat de la logique des frontières fermées. Quiconque visite ce camp prend des coups à l'estomac". Il a promis de renforcer les moyens policiers et médicaux sur place. "Au moins 12.000 réfugiés dont de nombreuses familles s'entassent depuis des jours, dans des conditions sordides, dans ce camp et ses alentours. Les pluies quotidiennes ont transformé le camp d'Idomeni en bourbier. Des milliers de réfugiés n'ont d'autre abri que leurs tentes plantées dans des champs inondés, le principal camp installé par des ONG étant débordéDachau, près de Munich, a été le premier camp de concentration ouvert à l'époque nazie".


Collection documentaire dirigée par Serge Viallet
Coproduction : ARTE France, INA, YLE Teema
Réalisation : Serge Viallet
France, 2012, 26 mn
Diffusions :
- sur Arte les   26 janvier 2013 à 17 h 40, 28 janvier 2013 à 10 h 15, 15 juillet 2013 à 17 h 35,  28 février 2014 à 15 h 15 ;
- sur Histoire les 26 octobre 2019 à 19 h 35,  27 octobre 2019 à 08 h 50, 1er novembre 2019 à 01 h 45 et 2 novembre 2019 à 10 h 35
Visuels : Visites de camp, déportés gisant © NARA
 
Articles sur ce blog concernant :

Cet article a été publié les 21 janvier et 15 juillet  et 20 août 2013 - la chancelière allemande Angela Merkel s'est rendue ce 20 août 2013 au camp de Dachau -, 9 janvier et 3 novembre 2014, 6 avril 2016. Il a été modifié le 31 octobre 2019.

2 commentaires:

  1. Les "alliés" qui ne l'étaient pas pour nous juifs pendant la Shoah qui se déroulait sous leurs yeux, ont eu à la fin de la guerre le culot d'envoyer dans les camps le Général Eishenower pour "une visite guidée, photographes à l'appui, pour ne pas oublier"...
    Oublier quoi? Ce qu'ils ont feint d'ignorer, pendant l'organisation du génocide jusqu'aux 400 000juifs hongrois envoyés, défaite annoncée de l'Allemagne fin 1944, à la mort et ce, malgré les appels au secours, l'envoi de courriers adressés aux Grands de ce monde, restés sans réponse durant toute la Shoah.
    Heureusement qu'Eishenower et ceux qui voulaient notre bien, à la fin du génocide se sont déplacés, caméras au poing, dans les camps pour ne pas oublier...Je me répète: oublier quoi?
    Viviane Scemama Lesselbaum
    labima555@gmail.com

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  2. Après la guerre mondiale ,les anglais ont interne les immigrants Juifs en Palestine dans des camps dont l architecture et les plans ne sont pas très différents de ceux construits en Europe ,la différence que ce ne sont pas des camps de extermination .
    Par humanité ,les juifs internes étaient renvoyé d où ils sont venus !

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