mercredi 23 mars 2022

Frans Krajcberg (1921-2017), peintre et sculpteur


Frans Krajcberg est né en 1921 dans une famille juive polonaise décimée lors de la Shoah. Il s'est engagé en faveur de la défense de la nature, notamment au Brésil. Une exposition temporaire et l’Espace Krajcberg ont présenté ses sculptures (arbres-totems), dessins, empreintes et photographies conjuguant amour de la forêt et témoignage sur la Shoah (Holocaust). Une œuvre – bois brûlés sculptés - « hantée par le feu destructeur ». Le 15 novembre 2017, Frans Krajcberg, peintre, graveur et photographe, est mort à l'âge de 96 ans, dans un hôpital de Rio de Janeiro. L’Espace Frans Krajcberg - Centre d’art contemporain, art & nature présente « PARIS 50-75, Frans Krajcberg, un Brésilien à Montparnasse ».


Un conseil : commencez par le documentaire « Frans Krajcberg, portrait d’un révolté » diffusé dans l’Espace Krajcberg, puis voyez les expositions, permanente dans cet Espace et temporaire au Musée du Montparnasse. On comprend mieux le parcours et les œuvres de cet homme.

Art et révolte
Frans Krajcberg est né en 1921 dans une famille Juive polonaise de modestes commerçants.

Enfant, il subit l’antisémitisme.

Après l'invasion de la Pologne par les Allemands nazis, il découvre en 1939 le cadavre de sa mère, militante communiste pendue par les nazis à Radom, puis la disparition de sa famille de sa ville natale de Kozienicé.

Prisonnier à l’âge de 18 ans, il s’évade, se réfugie dans une forêt, rejoint l’Armée Rouge sur la Vistule. En route vers la Roumanie, il est fragilisé par le froid, et est hospitalisé. Il commence à peindre.

Frans Krajcberg se rend à Leningrad, rencontre Natacha, suit les cours d’une école d’ingénierie hydraulique et à l’Ecole des Beaux-arts. Une formation chaotique, bouleversée par les bombardements qui tueront Natacha.

En 1941, il est incorporé dans la Première, puis Seconde armée polonaise où, officier, il participe à l’édification de ponts. Sous le choc d’un bombardement, il devient partiellement amnésique.

Dans l’Armée rouge, il contribue à libérer les camps nazis, dont celui de Majdanek, près de Sobibor, en juillet 1944. « Je suis reparti dans un état de choc indescriptible, muet d'horreur. Chaque jour que je vis, ces images insoutenables me sont plus présentes et plus insoutenables, cette blessure ne peut pas guérir », confie Frans Krajcberg.

Résistant, il découvre à l’issue de la guerre que sa famille a péri dans la Shoah.

Frans Krajcberg décide d’étudier aux Beaux-arts de Stuttgart en 1945. Il bénéficie de l’enseignement de Willy Baumeister, ancien professeur au Bauhaus

Muni d’une recommandation d’un professeur, il se rend en 1947 à Paris où il est accueilli par Chagall, dont il a connu la famille à Vitebsk.

Mais, sans travail, il décide de partir au Brésil dont il va acquérir la nationalité en 1958.

« Prophète des Tropiques » 
Frans Krajcberg rencontre les « peintres autodidactes » de la Familia Artistica Paulista.

Ses œuvres aux dominantes noire et grises reflètent ses épreuves personnelles, et ne se vendent pas.

Lasar Segall lui achète un dessin en 1952, et le recommande auprès de la papèterie gérée par la famille Klabin à Porto Alegre, dans le Paranà.

Ingénieur-dessinateur, Frans Krajcberg s’isole alors dans la forêt brésilienne (Mata Atlantica), découvre émerveillé une multitude de formes et de couleurs et réapprend la vie.

Il crée des céramiques – poteries, azulejos -, peint des paysages et des végétaux aux couleurs vives, photographie et sculpte.

En 1956, à Rio, il peint ses « Samanbaias » (1956-58) et expose.


La consécration vient en 1957, lors de la Biennale de Sao Paulo qui expose ses peintures. Frans Krajcberg est distingué par le Prix du meilleur peintre brésilien – Pollock remporte le Grand prix.

Depuis, Frans Krajcberg partage sa vie entre ses ateliers du passage du Montparnasse (Paris) et au Brésil. Il s’intéresse aux grands débats historiques, politiques – guerre d’Algérie -, artistiques – controverse autour de l’abstraction, crise de l’Ecole de Paris…

Pour préserver sa santé, il s’oriente vers les collages, xylogravures sur papier japonais, des « empreintes directes » de bois, la photographie de la nature, ses empreintes de rochers et de terres » (1959), ses « tableaux de terres et de pierres » (1959-1967) qui lui valent le Prix de la ville de Venise à la Biennale (1964).

Il s’impose comme un précurseur de l’arte Povera et du Land Art.

En 1959, il se rend en Amazonie. En 1967, il débute ses « ses muraux monochromes à ombres découpées (1967-82). Ce sont des assemblages de bois naturels (lianes ou racines de palétuviers) et de bois découpés, uniformément teintés par des terres. Dans les premières pièces, la découpe oppose une géométrie dure, « constructive » ou « concrétiste » au baroquisme des lignes naturelles. Puis la découpe suit l'ombre portée des bois naturels, que projette, telle une épure, un éclairage latéral. Le chef d'œuvre en est peut-être le mur monochrome blanc (1967) occupant à Rio le hall de la TV Manchete ».

" Je cherche des formes à mon cri contre la destruction de la nature, Mon oeuvre est un manifeste ! ", s'exclamait Frans Krajcberg. 

Dans les années 1970, Frans Krajcberg défend les forêts brésiliennes incendiées et co-signe avec le critique d’art Pierre Restany le « Manifeste du Rio Negro » (Manifeste du naturalisme intégral, 1978), une déclaration artistique. Il milite avec Chico Mendès, par des films, des colloques...

Frans Krajcberg réalise en 1974 ses « empreintes de sable », en 1982-1983 ses monumentaux « tressages de vannerie » transparents à la lumière, et en 1987 débute ses « bois brûlés ».

Pierre Restany, Sepp Baendereck et Frans Krajcberg "remontent ensemble le Rio Negro, affluent de l’Amazone, en 1978. Ce voyage donne lieu à une vive prise de conscience de la part des trois  hommes  sur l’urgence de défendre la nature amazonienne et d’allier enfin l’éthique à l’esthétique. Cette expédition aboutit à la rédaction par Pierre Restany du Manifeste du Naturalisme Intégral ou Manifeste du Rio Negrocosigné par les deux artistes. À leur retour, les  conférences  de lancement à Rio, à Sào Paulo et à Brasilia déchaînent une polémique".

En 1986, est publié son livre de photographies, Natura.

En 1998, Frans Krajcberg participe à la sauvegarde de ce passage parisien dans le quartier de la gare Montparnasse.

« Chaque fois, dit-il, que je vois l'entassement des arbres d'Amazonie brûlés par les hommes, je ne peux m'empêcher de penser à la cendre des fours crématoires: les cendres de la vie, les cendres du feu des hommes devenus fous… Le feu, c’est la mort. Il est en moi depuis toujours. Mon message est tragique : je montre le crime », déclare Frans Krajcberg.

En grands formats, ses œuvres sont constituées d’éléments végétaux (lianes calcinées, feuilles), découpés, assemblés et colorés avec des pigments naturels, aux tons rouille et gris. Comme les cendres.

En 2001, Frans Krajcberg fait don à la Ville de 25 œuvres - sculptures, tableaux et photographies - présentées depuis 2003 au public à l’Espace Krajcberg.

« Ici à Montparnasse, dans cette cité singulière où Roger Pic créa le Musée du Montparnasse, que nous offrons à Frans Krajcberg, avec la ville de Paris, son espace. Paris sera sa ville ; ce fut déjà le lieu où il prit conscience de son travail et de ses combats : protéger la nature, exalter la vie. Dès 1964, Venise salue son œuvre ; dorénavant les « ennuis » planétaires ne le lâcheront plus et son cri fera résonner sa révolte pour maintenir le cap qu’il s’est donné : celui de l’art, porte-parole de la vie. Dans ce but, il veut lier, exprimer et relier les révolutions technologiques, le vide politique et les blessures du monde. Les alertes du siècle trouveront ici, dans ce creuset qui est d’abord le sien, de quoi animer, en compagnie de ceux qui suivent la même voie, un dialogue permanent fait de rencontres, d’initiatives originales et de confrontations fructueuses », écrit Jean Digne, président du Musée du Montparnasse.

En 2003-2004, un double hommage a été rendu à cet artiste.

Depuis peu, l'Espace Krajcberg est indépendant du Musée du Montparnasse. Il est géré par l'association des amis de Frans Krajcberg.

Le 7 décembre 2012, à 15 h 15, dans les salons de l'Hôtel de Ville, Frans Krajcberg a reçu la Médaille de Vermeil de la Ville de Paris des mains de Bertrand Delanoë, maire de Paris.

L'espace Krajcberg a présenté l'exposition "Manifestes !autour des œuvres et des manifestes engagés de Frans Krajcberg. "Trente-cinq ans ans après le Manifeste du Rio Negro de Pierre Restany, Frans Krajcberg et Seep Baenderck", est lancé "Un Nouveau Manifeste refondé et radicalisé pour faire appel à l'engagement des artistes qui mettent la nature au cœur de la création ! Une condamnation de la marchandisation et de la mondialisation réductrice et destructrice de l'art. Un cri de révolte contre la destruction de la nature. Présenté en France le 18 janvier 2013, le Nouveau Manifeste est lancé à Rio de Janeiro le 12 avril 2013 au Jardin botanique, à l'occasion d'une exposition de Claude Mollard, "Le Jardin parallèle". Un Manifeste qui doit être entendu, lu, diffusé et signé ! Le Nouveau Manifeste du Naturalisme intégral veut contribuer à faire bouger les consciences, et à développer un mouvement artistique sur le thème de la nature. Il veut peser sur les comportements des responsables politiques trop souvent inertes face aux menaces croissantes contre la planète. Il est un appel à tous les acteurs du monde de l’art".

Le musée de l'Homme présenta l'exposition "Frans Krajcberg, un artiste en résistance". Cet événement s'inscrit dans le cadre de "Empreintes : l’humanité a rendez-vous au musée de l’homme". Le Musée de l’Homme "invite l’artiste brésilien Frans Krajcberg pour un parcours artistique en partenariat avec l’espace Krajcberg et la Mairie de Paris. Son œuvre est un manifeste, pour l’art, pour l’Homme, pour la sauvegarde de la planète dont il traque la moindre parcelle d’ombre ou de lumière, le plus petit morceau de racine ou de pigment".

"Ses sculptures, tableaux et photographies entrent en résonance avec les thématiques de la Galerie de l’Homme sur l’empreinte écologique de l’Homme sur la Terre : la déforestation, les peuples autochtones, l’extraction des ressources… Elles jalonnent un parcours en trois temps – l’artiste, l’homme et le militant - dans les différents lieux d’accueil du musée et la troisième partie du parcours permanent « Où allons-nous ? ». Plus d’une vingtaine d’œuvres, majoritairement issues de l’Espace Krajcberg, de collections privées et d’institutions culturelles seront exposées. Elles témoignent de plus de 40 ans de travail sur l’observation de la forêt amazonienne".

Frans Krajcberg, "artiste brésilien né à Kozienice le 12 avril 1921, a un parcours hors normes. La Seconde guerre mondiale, durant laquelle toute sa famille périt victime de l’holocauste, fait basculer sa vie. Il a 18 ans quand les armées allemandes envahissent son pays. En 1945, il quitte Varsovie et s’installe à Stuttgart où il étudie les Beaux-arts. Après un bref passage à Paris où il côtoie Léger et Chagall, il émigre au Brésil en 1948. Intégrant peu à peu les milieux artistiques, il s’isole pour travailler dans la nature brésilienne dont il fera sa source d’inspiration et sa cause. En 1957, il emporte le Prix du meilleur peintre brésilien et prend, un an plus tard, la nationalité brésilienne. La forêt amazonienne est au centre de son œuvre et de son combat. La forêt devient son domaine .

Au "geste artistique Krajcberg associe la parole et l’action pour que l’art s’engage à défendre la planète. En 1978, il remonte le Rio Negro en compagnie de Sepp Baendereck et du critique d’art Pierre Restany. Ce voyage donne lieu à une prise de conscience et à l’écriture du « Manifeste du naturalisme intégral du Rio Negro ».

"Constatant, 35 ans plus tard, que cet appel a été peu entendu, Krajcberg publie en 2013 avec Claude Mollard : « Le Nouveau Manifeste du Naturalisme intégral », un appel à tous les acteurs du monde de l’art, pour réveiller les consciences, initier un mouvement artistique pour la défense de l’environnement et au-delà aider les peuples amérindiens à préserver leurs territoires et leur culture".

"Dans le cadre de l’exposition, l’Espace Krajcberg a accueilli des photographies et des objets du Musée de l’Homme relatifs à la vie dans les forêts primaires".

Le 15 novembre 2017, Frans Krajcberg, peintre, graveur et photographe, est mort à l'âge de 96 ans, dans un hôpital de Rio de Janeiro.

Selon son souhait, il a été incinéré le lendemain, et ses cendres ont été dispersées dans les bois.

« PARIS 50-75, Frans Krajcberg, un brésilien à Montparnasse »
L’Espace Frans Krajcberg - Centre d’art contemporain, art & nature présente « PARIS 50-75, Frans Krajcberg, un Brésilien à Montparnasse ». « La première exposition à Paris consacrée à l'artiste depuis sa mort en 2017 ».

« L’exposition retrace les liens entre Frans Krajcberg et Paris, des années 1950 jusqu’à la rétrospective de 1975 au CNAC. Il est alors le premier artiste à y exposer sous le nom « Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou ». Un ensemble d’œuvres emblématiques de cette période rassemble tableaux, empreintes, sculptures, archives rares, photographies et films dans les salles d’exposition temporaires de l’Espace Frans Krajcberg, Centre d’Art Contemporain Art et Nature. L’occasion de (re)découvrir une période mal connue dans la trajectoire de l’artiste. »

« Éminemment célèbre au Brésil, Frans Krajcberg a tissé des liens très forts avec Paris au lendemain de la guerre. Il vit alors dans le quartier de Montparnasse, où il côtoie des artistes de renom tels que Fernand Léger ou Marc Chagall. C'est Marc Chagall qui organise avec lui son départ au Brésil en 1948. Dès les années 1950, une fois reconnu sur la scène internationale grâce au grand prix de peinture de la biennale de São Paulo, reçu en 1957, Frans Krajcberg s'installe dans un atelier situé dans le Chemin du Montparnasse. Il y reviendra tous les ans, jusqu’à sa mort en 2017. »

« Frans Krajcberg s'impose immédiatement dans les milieux intellectuels et artistiques parisiens de l'époque. Ses recherches sur les empreintes et reliefs au début des années 1960 lui valent la reconnaissance du marché de l'art et des institutions. Pourtant, une décennie suffit pour qu’il affirme son indépendance vis-à-vis des mouvements artistes qui se succèdent, même lorsqu'il en est proche (École de Paris, Tachisme, Nouveaux Réalistes, art brut, Op'Art...). D’abord accueilli comme un artiste de la seconde École de Paris et comme une figure de l’avant-garde brésilienne, il devient, dès 1975, l’un des porte-paroles et le premier lanceur d’alerte sur les problématiques liées à la destruction de la forêt Amazonienne. »

« Les recherches de Frans Krajcberg sur les empreintes et reliefs au début des années 1960 lui valent la reconnaissance du marché de l'art et des institutions, comme en témoignent ses expositions à la Galerie du XXe siècle ou du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. Il retient également l'attention d'artistes prestigieux comme Georges Braque, avec qui il collabore pour deux lithographies aujourd'hui disparues. 
D'abord comparé à Lucio Fontana avec ses reliefs crevés et boursouflés, la critique le relie ensuite à Jean Dubuffet. Ses tableaux de pierres et de terre réalisés à Ibiza à partir de 1964 les rapprochent. Le critique et historien de l’art Pierre Restany, avec qui Frans Krajcberg noue une amitié infaillible jusqu'à sa mort, analyse le travail de l'artiste comme la suite logique du Nouveau Réalisme. Mais alors que les Nouveaux réalistes travaillent sur et à partir d'éléments issus de la société de consommation, Frans Krajcberg s'attache à explorer la nature originelle. Au « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire », il préfère la richesse de la "Nature naturante", qu'il propose comme esthétique "alternative" pour sortir de la crise que traverse l'Art. A l'artiste de savoir le magnifier ! 
A cette époque, les recherches de l'Op'Art et du Cinétisme l'intéressent aussi. »
Article d'André Verdet sur Frans Krajcberg dans la Revue du XXe siècle, numéro14 (1960)

« Frans Krajcberg affirme son indépendance par rapport aux avant-gardes successives même lorsqu'il en est proche (École de Paris, Tachisme, Nouveaux Réalistes...). Cette indépendance le rend aujourd’hui inclassable, unique et précurseur . C’est en visionnaire qu'il choisit le combat environnemental pour justifier sa démarche artistique et défendre cette nature menacée qui l'émerveille tant. »

« Les points forts de l'exposition »
« L’exposition propose une sélection d'œuvres provenant de collections publiques et privées, dont certaines n’ont jamais été présentées à Paris : sculptures, tableaux-assemblages, ombres-portées, empreintes, documents rares et films témoignages. » 
 
« Elle explore, pour la première fois, ses relations avec Paris et les années fertiles et fondatrices qui ont précédé l'exposition rétrospective de 1975 du Centre Georges Pompidou, en préfiguration. » 
 
« Les relations de Frans Krajcberg avec l'avant-garde parisienne, des années de l'après-guerre aux années 1970, sont assez peu connues du grand public. L'exposition est l'occasion d'aller à la rencontre de l'artiste dans son atelier et parmi les artistes et les critiques de l'époque. » 
 
« Projections de films et conférences rassemblent artistes, historiens de l'art et collectionneurs. Des visites guidées et une programmation pédagogique sont également organisées. »

« J'ai eu beaucoup de chance en arrivant à Paris, car j'ai pu y survivre. J'ai eu quelques collectionneurs. Il y avait ceux qui m'achetaient, (...) et ceux avec qui j'échangeais mes toiles pour manger, les restaurants : La Coupole, et le Hongrois Patrick. A la Coupole, j'ai rencontré Sartre et Giacometti que j'admirais beaucoup. A Paris, on parlait surtout du Tachisme : Soulages, Hartung, le geste. Et j'ai assisté à la mort du Tachisme.
Paris stimule, mais je m'y sentais perdu. J'avais arrêté de peindre. Je suis parti à Ibiza. Et j'ai eu pour la première fois, le besoin de sentir la matière, pas la peinture. J'ai fait des empreintes de terres et de pierres. Puis j'ai pris directement la terre en la collant. Ça ressemblait à une espèce de Tachisme, mais n'en était pas. C'était une peinture jetée. Il n'y avait pas la gestuelle picturale. Ce sont des empreintes, des relevés, des morceaux de nature. Plus tard, j'ai abandonné Ibiza pour le Minas, j'ai apporté mes bois du Brésil à Paris, jusqu'en 1967. Mais il m'en manquait toujours un morceau. Je sentais que cette démarche était fausse d'apporter du bois du Brésil et le retravailler à Paris. C'était faire de la sculpture pour la sculpture.
Alors que moi, je voulais montrer les possibilités qu'offre la nature. La nature a précédé le Tachisme et toutes les conventions de l'art. Si l'homme imite la nature sans le savoir, c'est son histoire. La nature existe au-delà ».
Frans Krajcberg, propos recueillis par Marie-Odile Briot, conservatrice au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, historienne de l'art

« J'ai aimé l'insolence des Nouveaux Réalistes et leur liberté. Ils voulaient sortir de la machine formelle de l'Abstraction sans retomber dans la figure. Ils voulaient sortir des gestes de la peinture, et ils ont osé le geste de montrer la nature des villes. Les affiches décollées de Hains, les machines de Tinguely, les accumulations d'Arman, les compressions de César faisaient partie de la nature des villes. Mais dans les villes, il y a aussi la lumière et les mouvements. C'est pourquoi l'Op-art m'a intéressé. L'artiste ne doit pas seulement aller dans la nature, mais participer à son époque. La notre vit la troisième révolution industrielle, celle de l'électronique.
Comment vivre dans l'électronique et peindre encore des hommes ? Ça a été fait. Qu'est-ce-qu'on peut faire de plus aujourd'hui ? La représentation humaine sert la publicité et l'image électronique. Aujourd'hui, l'homme dans l'art, c'est l'artiste. Donc ce qu'il exprime. L'artiste vit dans la société et exprime ce qu'elle vit. Le Parc l'a fait, il a accompagné la révolution électronique. Mais leur seconde nature des villes n'est pas la mienne.
C'est pourquoi je n'ai jamais cherché à entrer dans le groupe des Nouveaux Réalistes que je connaissais bien. J'appartiens à la minorité qui sait l'importance de la nature dans le devenir des hommes »
Frans Krajcberg, propos recueillis par Marie-Odile Briot, conservatrice au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, historienne de l'art

« Frans Krajcberg fait de son atelier parisien un lieu de création, d’expérimentations, de rencontres intellectuelles et artistiques, puis un lieu de combat.
Il y développe plusieurs savoirs faire uniques, en utilisant ses contraintes : exiguïté du lieu et distance avec la nature brésilienne, matériau premier et inépuisable de ses oeuvres. En explorant ce qu'il appelle sa « longue lutte amoureuse avec la nature », il découvre et développe plusieurs techniques qu'il approfondira toute sa vie.
Reliefs, gravures, empreintes directes, tableaux-assemblages de pierres ou d'éléments naturels mettent en valeur la diversité des formes, des textures et des couleurs de la nature brésilienne. Ses oeuvres offrent un foisonnement créatif qu’il creuse et enrichit lorsqu’il retourne dans son atelier bahianais de Nova Viçosa.
Sa relation intime avec la nature et son regard à la fois artistique et révolté, font de lui un artiste avant gardiste et original, reconnu dans les milieux artistiques parisiens et les institutions culturelles dès les années 1960. 
En témoignent les expositions au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 1962 et 1965 (expositions collectives), et celle de l'Espace Pierre Cardin en 1972, puis du CNAC – Centre Georges Pompidou (expositions personnelles).
Soutenu par Pierre Restany, Frans Krajcberg est le premier artiste à exposer sous le nom du « Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou », en 1975, lors d’une exposition rétrospective au CNAC.
À l’issue de cette exposition, porté par les débats qu’elle a suscités, Frans Krajcberg décide officiellement d’en finir avec « l’art pour l’art ». Toute son oeuvre sera désormais au service de la défense de l’environnement.
Pierre Restany, qui estimait avant tout le monde, et à juste titre, que le travail Frans Krajcberg représente un tournant dans l’histoire de l’Art, signe le catalogue de l’exposition. Deux ans plus tard, il part avec Frans Krajcberg en Amazonie pour un long voyage sur le fleuve du Rio Negro. Ils rédigent ensemble le Manifeste du Naturalisme intégral en 1978, texte fondateur qui donne un ancrage à la fois historique et intellectuel aux mouvements contemporains s'interrogeant aujourd'hui sur les relations de l'Homme à l'environnement. »

« Pour en savoir plus sur Frans Krajcberg
« Frans Krajcberg (1921-2017) est l’un des plus célèbres artistes brésiliens du XXe siècle.
Il est un pionnier dans "le grand combat du XXIe siècle" la préservation de notre planète.

Né en Pologne en 1921, dans une famille juive, il perd tout pendant la guerre et émigre au Brésil où, fasciné par la richesse de la faune et de la flore, il crée sans relâche et la beauté de la nature qui l’entoure lui redonne le goût de vivre. Très tôt, il défend corps et âme cette nature menacée, dont les incendies volontaires ravivent sans cesse chez lui la blessure de la Shoah.
Ses liens avec Paris demeurent très puissants. C’est là qu’il a trouvé refuge parmi les artistes de Montparnasse. C’est de là qu’il est parti au Brésil, poussé par Marc Chagall et Fernand Léger. C’est là qu’il revient sans cesse jusqu'à sa mort, pour se ressourcer, retrouver ses amis et les milieux artistiques européens, jetant inlassablement une passerelle entre L'Amazonie, Rio, Bahia et Paris.
Il reçoit de nombreux prix et ses expositions font le tour du monde.
Sculpteur, peintre, photographe, Frans Krajcberg met son art au service de la Nature, afin « d’entraîner un mouvement qui mobilise l’expression d’une conscience planétaire ».
Appelant à « une nouvelle éthique de la création artistique », ses œuvres sont un cri d’alerte et d’espoir. Par elles, il n’a de cesse de dénoncer le pillage des ressources naturelles par l’homme, tout en illustrant l’étonnante capacité de résilience de la Nature.
Son œuvre poursuit une interminable quête : magnifier la nature et la faire revivre quand elle est menacée. Ses sculptures et assemblages sont réalisés à partir de bois rescapés des incendies de la forêt amazonienne, de bouquets de lianes entrelacées, de troncs polychromes ou de minerais de quartz... Ses toiles sont des empreintes captées directement dans la nature environnante (sable, roches...), rehaussées de pigments naturels puisés dans les mines du Minas Gerais. Avec les ombres portées, Frans Krajcberg invite la lumière du jour à sculpter elle-même ses œuvres. »

« UN FERVENT MILITANT DE LA CAUSE ENVIRONNEMENTALE
FRANS KRAJCBERG APPELLE LES ARTISTES À S'ENGAGER POUR « UNE NOUVELLE ÉTHIQUE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE ».
Sa conscience des enjeux environnementaux font de lui le précurseur d'un mouvement artistique contemporain au service de la planète.
En 1975, l’exposition organisée par le Centre Pompidou en préfiguration le conforte dans sa volonté de dénoncer la nature menacée par la troisième révolution technologique.
En 1978, le critique d'art Pierre Restany signe le Manifeste du Naturalisme Intégral, après un voyage avec Frans Krajcberg en Amazonie. Il s'agit d'un plaidoyer en faveur d'un art engagé pour la planète, appelant les artistes à un réveil des consciences, dans le sillage de Frans Krajcberg. La Nature "doit être exaltée comme une hygiène de la perception et un oxygène mental (...) gigantesque catalyseur et accélérateur de nos facultés de sentir, de penser et d’agir".
En 1985-90 Frans Krajcberg est témoin des grands incendies qui ravagent la forêt brésilienne. Il les dénonce dans des reportages photographiques et est menacé de mort. Son ami et militant Chico Mendès est assassiné en 1988.
Les années 1990 lui apportent la consécration internationale. L’artiste entre en résistance. Il multiplie les expositions à Rio, Moscou, Paris...
En 2005, Année du Brésil en France, une grande exposition à Bagatelle, domaine appartenant à la Ville de Paris, lui rend hommage. C’est pour Krajcberg l’occasion de lancer son « Cri pour la planète » pour rassembler politiques et grand public autour de cette cause.
En 2015, il joue un rôle majeur lors de la COP21 en recevant des leaders Amérindiens. L’Espace Krajcberg devient une "antenne de l'Amazonie à Paris".
En 2016, Krajcberg est mis à l'’honneur dans la 32e Biennale de São Paulo, "Incerteza Viva", chargée d'explorer les stratégies artistiques face aux incertitudes contemporaines.
En 2017, il est le premier artiste invité au Musée de l’Homme de Paris en tant que lanceur d’alerte pour aborder le thème « où allons-nous ?".
Il meurt le 15 novembre à Rio de Janeiro. »


« Art et révolte, Krajcberg », de Thérèse Vian-Mantovani. Ed. Le musée du Montparnasse et Materia Prima

Du 16 décembre 2021 au 26 mars 2022
Chemin du Montparnasse
21 avenue du Maine - 75015 Paris
Du mardi au samedi de 14 h à 18 h. Nocturnes le mercredi jusqu'à 20 h.

Du 12 octobre 2016 au 18 septembre 2017
Au musée de l'Homme
17, place du Trocadéro. 75016 Paris
Tél. : 01 44 05 72 72
Tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h. 

Du 24 novembre 2015 au 30 mars 2016
A l'Espace Krajcberg
21, avenue du Maine, 75015 Paris
Tél. : 01 42 22 91 96
Du mardi au dimanche de 12 h 30 à 19 h

Visuels :
(c)Claude Mollard
Boules de Palétuviers - Frans Krajcberg, 1991 ©MNHN - JC Domenech
Les Lianes Blanches - Frans Krajcberg, 1991 ©MNHN - JC Domenech

Tableau écorce d'Amazonie - Frans Krajcberg, s.d. ©MNHN - JC Domenech

Articles sur ce blog concernant :
Les citations sont extraites des dossiers de presse.
Cet article a été publié en une version plus concise par Actualité juive. Il a été publié sur ce blog le 7 décembre 2012, puis les 17 mars et 11 octobre 2016, 17 septembre 2017, 19 novembre 2017. 

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