mercredi 6 février 2019

« Dans les collines du Néguev » de Leeor Kaufman


Arte rediffusera le 7 février 2019 à 15 h 35 Dans les collines du Néguev (Destiny Hills; In den Hügeln der Negev), de Leeor Kaufman (2009). Un documentaire centré sur le combat de Muhammad al Talaika, Bédouin pauvre, contre la politique israélienne visant à combattre les villages non reconnus et à construire des cités dans le Néguev. 


Dans de nombreux pays, le pouvoir central, ou local, éprouve des difficultés à sédentariser des populations nomades qui aspirent à maintenir leur mode de vie, à poursuivre leurs périples, sans faire de concession à la vie moderne.

Diplômé du Département Film de l’université de Tel-Aviv et du Centre international de photographie documentaire et de photojournalisme, Leeor Kaufman vit à New York et s’est intéressé aux Bédouins, « nomades de culture arabe citoyens de l’Etat d’Israël depuis sa création. Au début des années 1950, la tribu d’al Talalka se plia aux pressions gouvernementales qui tentaient d’urbaniser la population bédouine et emménagea dans la ville de Lakiya. Après des décennies passées dans une banlieue à l’infrastructure sous-développée, aux forts taux de chômage et de criminalité, la tribu décide de reconstruire son village de « Twail Au Garwall » sur ses terres, malgré les menaces permanentes d’une évacuation ».

Bédouins vs Israël
L’histoire de ce documentaire ? « Après sa libération de prison, Muhammad al Talalka retourne vivre dans sa tribu bédouine dans les collines Goral (Destiny) » dans le Néguev (sud d’Israël). Il « s’efforce d’y construire un vrai foyer pour ses enfants. Avec les autres membres de sa tribu bédouine, il construit sa maison dans un village Bédouin non reconnu et cherche du travail. Le gouvernement a commencé à détruire les maisons des al Talalka » pour y édifier une ville. La tribu reconstruit ses baraquements juste après leur destruction contrôlée par la police israélienne. « Muhammad al Talalka puise sa force dans sa foi dont il s’est rapproché pendant sa détention. Sa réislamisation est présentée comme imputable à l’action israélienne…. Cette tribu Bédouine lutte pour maintenir sa vie traditionnelle, ses terres désertiques, malgré les nouvelles lois leur imposant de revenir vers les villes ».

Ce film « nous raconte la vie quotidienne de Muhammad, qui mène le combat pour sa tribu afin de préserver leur mode de vie. Muhammad rêve de progrès pour ses enfants, mais veut pouvoir conserver une culture bédouine intacte dans une vie moderne. Le combat est féroce, et Muhammad al Talalka est seul. Déçu et déchiré par ce combat, il se tourne vers l'islam pour y trouver des réponses ».

Focalisation sur Muhammad al Talalka
Présenté dans divers festivals dont le FIPA à Biarritz, ce documentaire élude, essentiellement par son choix de se focaliser sur Muhammad al Talalka, certains faits : pourquoi Muhammad al Talalka a-t-il été détenu en prison ? Est-ce un hasard si l’un de ses cinq enfants, âgé de 3-4 ans, se prénomme Osama ? Cette tribu a-t-elle raison de vouloir conserver tous les aspects de son mode de vie, notamment la séparation entre les sexes : la décision d’aller en justice se prend lors d’une assemblée de Bédouins hors la présence de femmes, qui portent souvent le foulard islamique ? Nuance : c’est l’épouse de Muhammad al Talalka qui refuse d’aller à la Knesset à Jérusalem pour s’exprimer dans une commission. 

Désespérée, la tribu ne croit guère en la justice israélienne dont la Cour suprême a pourtant censuré des décisions gouvernementales majeures. Elle ne comprend pas qu’elle ne peut pas ester en justice en tant que tribu et que chaque Bédouin doit défendre ses droits individuellement. Les ainés sont pris à partie par la génération des trentenaires leur reprochant leur ancienne obéissance qui obère leur chance de gagner.

Devant la Knesset, enfants et adultes Bédouins manifestent « pour la construction », et campent dans des tentes. Au Parlement israélien, un responsable résume la situation : « Les conditions proposées par l’Autorité des terres d’Israël à la population bédouine sont meilleures que les normes afférentes à d’autres citoyens. Et malgré çà, ils les refusent. Il n’y a pas de progrès, car peu importe ce que l’on offre au peuple Bédouin, ils demanderont toujours plus ». « Les Bédouins seulement ? Et les Juifs ? », lance un Bédouin. « Monsieur le président, c’est un commentaire raciste ! », s’indigne le responsable. Le président tente de ramener le calme et interroge sur l’absence de dialogue avec les habitants du village.

Le réalisateur filme au côté de cette tribu pauvre, disposant de quelques volailles, alternant la culture du blé et la construction d’immeubles modernes qui ne leur sont pas destinés. A aucun moment, il ne donne la parole à l’autorité israélienne responsable de l’urbanisation de cette zone pour présenter ses motivations, son projet urbanistique.

Il n’interrompt quasiment jamais Muhammad al Talalka, même quand celui-ci tient des propos antisémites, espère un séisme pour le débarrasser des Juifs ou dit en riant qu’il est du Hamas. Aussi, le téléspectateur se trouve en empathie avec ces Bédouins à la vie précaire et douloureuse : Muhammad al Talalka impute au stress induit par les destructions la mort de son père.

Quelques mois plus tard, à Lakiya, la voix d’un prédicateur exprime par les hauts parleurs de la mosquée où se rendent les Bédouins : « Hier nous étions unis et forts. Ce n’est plus le cas. Notre réalité est amère. Nous avons perdu nos tribus et nos chefs… Nous les vrais propriétaires de la Palestine, nous ne pouvons la brader ».

Une réalité complexe
Les gouvernements israéliens successifs ont négligé pendant des décennies le Néguev et ses habitants (on estime à environ 130 000 le nombre de Bédouins du Néguev en 2004). Le KKL souhaite faire refleurir cet espace désertique, selon le rêve de David Ben Gourion, y construire des logements...

Environ 25% des Bédouins pratiquent la polygamie.

Des progrès ont été réalisés afin d’améliorer l’intégration des Bédouins dans la société israélienne, principalement par la scolarisation des enfants et la poursuite d’études universitaires – la professeur Sarab Abu-Rabia-Queder est la première Bédouine à avoir un doctorat -, les soins médicaux, l’émancipation des femmes par le travail, l’enrôlement dans Tsahal, malgré les pressions des islamistes - les Bédouins se distinguent par leurs talents exceptionnels de pisteurs -, etc.

De plus, les autorités israéliennes ont désiré résoudre le problème en laissant aux Bédouins 20% des terres dont ils revendiquaient la possession tout en ne détenant pas de titre de propriété, et d’indemniser pour le reste. Les rapports se sont succédés sans résoudre le problème rendu plus complexe par les constructions illégales, etc. Dans leurs actions judiciaires, dans leurs revendications sur les terres domaniales, les Bédouins du Néguev bénéficient de l’appui d’universitaires et d’ONG. Le combat des Bédouins se poursuit aussi sur Internet avec le blog BedouinJewishJustice.

Des Bédouins entretiennent un rapport complexe avec l’Etat d’Israël, pour le meilleur, et pour le pire quand certains manifestaient en 2002, lors de la Journée de la Terre, en exhortant le Hezbollah à bombarder Tel-Aviv.

Dans un message électronique Leeor Kaufman écrit le 15 février 2012 au soir et 16 février 2012 au matin  :
- dans le documentaire, Muhammad al Talalka explique avoir été arrêté pour avoir dérangé un policier ;
- vous auriez pu me contacter pour avoir des explications. Le manque de temps que vous alléguez n'est pas une excuse ; j'ai consacré quatre ans à vérifier chaque élément de ce documentaire ;
- Osama est un prénom populaire dans le monde arabe ;
- la séparation entre les sexes est montrée dans mon film, mais ce n'est pas le sujet de mon film ;
- les al Talalka ne pratiquent plus la polygamie depuis des années et l'épouse de Muhammad al Talalka a un fort caractère ;
- mon film traite de la volonté du gouvernement d'urbaniser les al Talalka et de la volonté de ceux-ci de vivre selon leur mode de vie agricole, mais sans retour à la polygamie ;
- de nombreux documentaires n'essaient pas de tout expliquer en montrant tous les points de vues, mais seulement la manière dont une personne perçoit la réalité. Il n'y avait aucune raison pour montrer les points de vue du gouvernement ou du conseil des Bédouins. Ce film porte sur l'évolution des perceptions de Muhammad al Talalka en fonction de ce qu'il expérimente, ce qu'il vit ;
- Muhammad al Talalka tient des propos antisémites quand il "s'oriente vers une religion extrême. Argumenter avec ces remarques antisémites, cela revient à les respecter". Telle n'est pas mon intention. Ces remarques antisémites m'ont gêné, mais j'ai été honnête : je les ai montrées ;
- ce n'est pas parce qu'il existe une Bédouine professeur que le gouvernement a le droit d'urbaniser les Bédouins. Mon film est sur la lutte de Muhammad al Talalka pour garder son mode de vie agricole.

Mon addendum :
- la version d'Arte a coupé certains faits, dont les raisons de la détention de Muhammad al Talalka ;
- par manque de temps, je n'ai pas pu interroger le réalisateur.
- j'ai modifié l'emplacement de ma phrase sur la polygamie de certains Bédouins pour éviter toute confusion ;
- Adolf était un prénom populaire en Europe jusque dans les années 1930. Après les horreurs (Shoah) commises par Adolf Hitler et le nazisme, ce prénom a été moins choisi par certains parents européens. On aurait pu penser que des couples issus du monde musulman ou/et arabe auraient évité de prénommer leur enfant Osama, un prénom lourd à porter après les attentats islamistes d'al-Qaida dirigée par Osama ben Laden ;
- l'auteur d'un film ou d'un article choisit un angle pour aborder un thème, et il ne peut pas tout dire dans son oeuvre. En tant que téléspectatrice et journaliste, il me manque des informations. Pour former mon opinion, j'aurais eu besoin d'entendre les interviews de tous ceux qui influent sur la vie, l'environnement de Muhammad al Talalka : le gouvernement israélien, etc.
- Leeor Kaufman n'interrompt pas Muhammad al Talalka dans ses propos antisémites, mais quelques minutes après, l'interroge pour savoir ce qu'il va faire. Je regrette que ce cinéaste n'ait pas interrompu Muhammad al Talalka pour savoir d'où lui vient cet antisémitisme : les sermons à la mosquée ? De nouvelles fréquentations ? etc.

de Leeor Kaufman
Claudius Films (Israël), 2009, 52 minutes
Sur Arte les 16 février 2012 à 8 h 55, 4 octobre 2017 à 15 h 40 et 10 novembre 2017 à 15 h 40, 25 mai 2018 à 11 h 107 février 2019 à 15 h 35

Cet article a été publié le 15 février 2012, puis les 3 octobre 2017 et 24 mai 2018.

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