mardi 25 juillet 2017

Enluminures en terre d’Islam, entre abstraction et figuration


Dans son site historique Richelieu, la Bibliothèque nationale de France (BnF) a présenté l’exposition éponyme, avec un parcours Internet pour les enfants,  sur un paradoxe : la figuration dans l’art islamique, qui exclut toute représentation d’êtres animés. Une réflexion sur les relations complexes de l’islam avec l’image au travers d’environ 80 manuscrits arabes, persans et turcs. Le 24 juillet 2017, Arte diffusa Le Message, de Moustapha Akkad.


La « figuration est-elle totalement exclue de l’art islamique ? Fourmillantes de personnages et de vie, les nombreuses miniatures qui ornent certains livres semblent prouver le contraire ». A travers quelque 80 prestigieux manuscrits arabes, persans et turcs, l’exposition illustre le paradoxe entre un art excluant toute représentation d’êtres animés et l’existence, dans les livres du monde islamique, de nombreuses miniatures.

A « côté d’une esthétique commune édifiée autour du Coran et rejetant la figuration, coexistent, dans les textes littéraires, historiques et scientifiques de nombreuses représentations figurées ».

Certes le Coran ne prohibe pas explicitement l’image figurative. Cependant, cette dernière « est, dès l’origine, totalement exclue du domaine religieux ». Ce qui mène à la « formation d’un art original basé sur la calligraphie, l’entrelacs géométrique et l’arabesque qu’on retrouvera également dans le domaine du profane ».

La figuration est limitée « dans le monde arabe à l’illustration de textes scientifiques et à de très rares œuvres littéraires comme les Maqamât d’al-Harîrî ou Kalila wa Dimna, fables animalières venues d’Inde ».

En raison vraisemblablement de leurs origines culturelles distinctes, Persans et Turcs accroissent le champ des œuvres illustrées aux domaines de l’histoire, de la poésie et de l’épopée », tel le Shâhnâmeh, grande épopée nationale iranienne. A certaines époques, apparaissent « même des représentations d’ordre religieux en dehors du Coran et des sciences qui lui sont associées ».

« Impensables dans le domaine strict des sciences religieuses, des représentations de Muhammad [Nda : Mahomet] et des prophètes bibliques figurent dans des chroniques historiques ou dans des ouvrages à caractère mystique. Jamais produites dans le monde arabe, ces images furent exclusivement l’apanage des aires culturelles persanes et turques ».

Corans, albums de calligraphie, textes d’astronomie ou d’astrologie, de pharmacopée ou de zoologie, grands textes littéraires, recueils de poésie, chroniques historiques et représentations religieuses… Ces œuvres témoignent « de la riche activité culturelle du monde islamique du VIIIe jusqu’au XIXe siècle ». Décorative, la calligraphie arabe magnifie la parole divine (Coran en écriture coufique). Originaire du monde byzantin, l’arabesque « est constitué d’éléments végétaux stylisés enrichis d’influences venues d’Asie centrale. Apparemment opposés, l’arabesque, tout en courbes, et l’entrelacs géométrique, composé de lignes droites, se fondent et se complètent ».

L’exposition occulte les artistes et artisans auteurs de ces œuvres - illustrateurs, coloristes, etc. - et leur religion.

La BnF explore les interactions avec le numérique : d’une part, les visiteurs sont invités à feuilleter cinq livres audiovisuels, d’autre part, un site Internet permet une visite virtuelle.

L’exposition débute par un Coran andalou du XIVe siècle et s’achève sur « l’image emblématique du Prophète chevauchant al-Burâq, sa monture fabuleuse ».

Le dossier de presse encense ces « beaux exemplaires de l’art du livre en terre d’Islam ». Cependant, cette expression « terre d’Islam » (Dar al-Islam) aurait mérité des guillemets : elle désigne dans l’univers musulman une terre régie par un pouvoir islamique, en opposition au Dar al-Harb (maison de la guerre, en arabe), aire gouvernée par un pouvoir infidèle, non-musulman, et qui doit être soumise à l’islam..

Plus de 300 manuscrits arabes, persans et turcs, dont les œuvres exposées, figurent dans le programme de numérisation réalisée grâce au mécénat de la Fondation Total, partenaire de l’exposition. Ils sont accessibles en ligne dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF (http://gallica.bnf.fr/).

Violences actuelles
Une exposition à voir en songeant aussi à la destruction des « statues géantes de deux Bouddahs élevées entre le IIIe siècle et le Ve siècle dans l’ancien sanctuaire de Bâmiyân, en Afghanistan, en mars 2001 par les talibans qui, pour y parvenir, eurent recours à des explosifs et à des tirs d’artillerie » (Annie Vernay-Nouri), aux violences de groupes musulmans courroucés par les 12 dessins sur Mahomet publiés en septembre 2005 par le journal danois Jyllands-Posten, par la diffusion en octobre 2011, par la chaîne privée de télévision tunisienne Nessma, de Persépolis,  film de Marjane Satrapi qui y a notamment représenté Allah sous les traits d'un homme âgé portant une barbe blanche et par l'incendie criminel du siège parisien ainsi que le piratage du site Internet, dans la nuit du 1er au 2 novembre 2011, de l'hebdomadaire Charlie hebdo dont la Une était barrée par le titre Charia hebdo et dont la rédaction en chef était confiée à Mahomet.

Le 2 novembre 2011, cet article a été republié en raison des violences en Tunisie à la suite de la diffusion du film Persépolis de Marjane Satrapi et de l'incendie criminel ayant détruit le siège parisien de l'hebdomadaire Charlie Hebdo.

Le 28 mars 2012, deux jeunes Tunisiens, Djabeur Mejri, incarcéré, et Ghazi Bedji, en fuite et  toujours recherché par la police, ont été condamnés à des peines de sept ans de prison ferme, et selon le site Tunisia-Live également à une amende de 1 200 dinars (600 euros), pour avoir diffusé sur le réseau social Facebook des caricatures de Mahomet. Une plainte avait été déposée pour « atteinte au sacré appelant à la fitna » [division, en arabe]. Le 25 juin 2012, la Cour d'appel de Monastir a confirmé la peine de sept ans et demi de prison pour Djabeur Mejri pour « trouble à l’ordre public, préjudice causé à des tiers à travers les réseaux publics de communication et atteinte à la morale ». Le 5 février 2014, a été lancée sur Internet la campagne 100 dessins pour Jabeur afin d'obtenir la libération de Djabeur Mejri. Parmi ces œuvres de dessinateurs, dont Plantu, et caricaturistes d'une dizaine de pays, certains visent le président Moncef Marzouki qui n'a pas gracié le prisonnier. « La Tunisie vient d'adopter sa nouvelle Constitution. Elle sera mise à l'honneur le 7 février en présence de plusieurs dizaines de représentants officiels d'Etats et de royaumes étrangers. Alors que, dans ce texte fondateur, la liberté d'expression et de conscience sont présumées garanties, le maintien en détention de Jabeur Mejri est contraire à l'esprit et au texte de la Constitution », estime le comité de soutien à Jabeur Mejri. Ghazi Bedji a obtenu l'asile politique en France.

Le 3 mai 2012, Journée mondiale de la liberté de la presse, le Tribunal de première instance de Tunis a condamné Nabil Karoui, patron de la chaîne de télévision Nessma, à une amende de 2 400 dinars (environ 1 200 euros) « pour ladiffusion au public d'un film troublant l'ordre public et portant atteinte auxbonnes mœurs », en l'occurrence Persepolis, film d’animation de Marjane Satrapi. Une scène de ce film représente Allah. Elle n’avait suscité aucun trouble lors de la diffusion du film dans les salles de cinéma, mais des islamistes s’en étaient indignés. Ce tribunal a annulé les poursuites en ce qui concerne le grief d’«  atteinte au sacré ». Il a aussi condamné Hédi Boughenim, responsable du visionnage, et Nadia Jalel, propriétaire de la société qui a traduit le dialogue du film, à une amende de 1 200 dinars (600 euros) chacun. Nessma est aussi diffusée au Maroc, en Algérie et en Libye.

A surgi une polémique suscitée par la diffusion en juillet 2012, pendant le mois du Ramadan, sur la chaine panarabe à capitaux saoudiens MBC, de la série Omar dans laquelle est représenté le prophète Mahomet et de ses compagnons. Si selon les producteurs de la série le sheikh al-Qaradawi ne s'oppose pas à cette représentation, al-Azhar a émis une fatwa sur l'interdiction de la représentation de Mahomet.

Le 5 février 2014, a été lancée sur Internet la campagne 100 dessins pour Jabeur afin d'obtenir la libération de Djabeur Mejri condamné pour avoir diffusé des caricatures de Mahomet

Cet article a été republié le 9 janvier 2015 en hommage aux douze victimes assassinées - dessinateurs, économiste, policiers, correcteur, psychanalyste, organisateur de festival, agent de maintenance -, blessées ou indemnes lors de l'attentat au siège de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2014, par des terroristes islamistes criant "Allah akbar ! Le prophète a été vengé". En février 2006, plusieurs journaux européens, dont cet hebdomadaire satirique, avaient publié douze dessins sur Mahomet édités pour la première fois par le quotidien danois Jyllands-Posten. Des manifestations hostiles, haineuses, avaient eu lieu dans des pays musulmans.

Le 24 juillet 2017, à 20 h 55, Arte diffusa Le Message, de Moustapha Akkad. "Au début du VIIe siècle, près de La Mecque, l'archange Gabriel souffle la parole divine à Mohammed... La naissance de l'islam racontée dans une fresque épique, avec Anthony Quinn et Irène Papas."

"Trois messagers filent à bride abattue à travers le désert, pour enjoindre l'empereur de Byzance, le patriarche d'Alexandrie et le souverain perse d'"accepter l'islam pour leur salut"… Quelques années plus tôt en l'an 610, dans un monde cruel où règne la sauvagerie, en Arabie, les prêtres préparent les festivités annuelles en l'honneur des divinités païennes adorées à la Kaaba, dans la prospère cité de La Mecque. Alors qu'affluent les pèlerins, Mohammed, 40 ans, se retire dans une grotte sur le mont Hira. Il confie à son retour que l'archange Gabriel lui a délivré la parole divine et partage avec ses proches la Révélation. Ses disciples, parmi lesquels son oncle Hamza et son ami Ammar, veulent transmettre à tous le message de paix et d'amour de la religion qui vient de naître. Mais une redoutable répression s'abat sur les nouveaux convertis…"

"Dans cette version anglaise (une autre a été tournée avec des comédiens arabes), Irène Papas campe Hind, la sixième des onze épouses de Mohammed tandis que Hamza, l'oncle avec lequel il a grandi, est interprété par Anthony Quinn. Le réalisateur Moustapha Akkad a pris le soin de ne pas représenter le Prophète à l'écran, s'appuyant sur un scénario dont la fidélité et la précision ont été notamment supervisées par des exégètes de l'université Al-Azhar du Caire. L'évocation des temps premiers de l'islam rapproche l'œuvre, par son souffle épique, au grand film biblique de Cecil B. DeMille, "Les dix commandements". Eh non. On notera l'horaire de prime time offert à ce film.


Annie Vernay-Nouri, Enluminures en terre d’Islam entre abstraction et figuration. BnF, 2011. 19,6 x 24 cm, broché. 96 pages, 70 illustrations couleur. 23 euros. ISBN-13: 978-2717724851

Jusqu’au 25 septembre 2011
5, rue Vivienne. 75002  Paris
Du mardi au samedi de 10 h à 19 h, dimanche de 12 h à 19 h
Tél. : 01 53 79 49 49

Visuels de haut en bas : 
Coran, Espagne, 1304. BnF, département des Manuscrits
Kalila wa Dimna, Egypte ou Syrie, milieu XIVe siècle

Sa’di, Golestan, (La Roseraie). Bukhara (Ouzbékistan), milieu XVIe siècle.
BnF, département des Manuscrits

Album de calligraphies, Iran, XVIe - XVIIe siècle. BnF, département des Manuscrits

Traité d’hippiatrique, Lucknow, vers 1750-1760
Ferdowsi, Shahnameh (Le livre des rois), Chiraz, 1444

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Les citations sont extraites du dossier de presse.
Cet article a été publié le 23 septembre 2011, le 25 juillet 2012, le 6 février 2014 et le
- 9 janvier 2015 en hommage aux douze victimes - dessinateurs, journalistes, policiers , etc. - assassinés le 7 janvier 2014 par des terroristes islamistes au siège de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo  

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