jeudi 9 avril 2015

Des lettres et des peintres (Manet, Gauguin, Matisse...)


Le Musée des lettres et manuscrits a présenté l’exposition éponyme, agrémenté d'un superbe catalogue, réunissant environ 200 correspondances privées d’une cinquantaine de peintres célèbres du début du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Dans ces pièces originales, ces artistes évoquent leurs œuvres, leurs amitiés, leurs amours, les soucis de la vie quotidienne, etc. Histoire diffusera les 10, 16, 22 et 28 avril 2015 dans la série documentaire Les impressionnistes le numéro A ciel ouvert : " Dans ce deuxième épisode, nous suivons Waldemar Januszczak au cœur des paysages ou scènes de joie de vivre en plein air qu'ont tant aimé peindre Cézanne, Monet, Pissaro et Renoir. Tout y est détente, paresse, bien-être. Mais l'atmosphère souvent champêtre et ensoleillée des tableaux impressionnistes était en fait volontairement enjolivée par les peintres impressionnistes. Leurs explorations les conduisent aussi à peindre les caprices de la nature : brouillards, inondations, déluges, anfractuosités de la côte".
Pour le premier anniversaire de son installation au 222 boulevard Saint-Germain, le Musée des lettres et manuscrits présente des lettres d’artistes célèbres.

Ingres, Manet, Gauguin, Cézanne, Matisse, Delacroix, Signac, Chagall, Dalí et tant d’autres confient des anecdotes sur leurs vies personnelles, amicales, amoureuses, professionnelle dans les lettres parfois agrémentées de dessins adressées à leurs amis, collègues ou marchands d’art.

Ces documents originaux permettent aussi de découvrir les calligraphies d’artistes – style aisé, écriture soignée, maîtrise du français - , leurs sujets d’intérêt ou de colère, d’inquiétude ou d’espoir, d’admiration ou de joie. Leur sollicitude pour leurs amis aux « affaires picturales ne marchant pas ». Leurs théories picturales. leur état de santé. La météorologie – la pluie et le vent empêchent le travail en plein air -, ainsi que leurs projets. Des informations précieuses aussi sur leur société, le contexte historique - la guerre, la politique, les progrès techniques et sociaux – et l’histoire de l’art.

Correspondances privées
« L’histoire de l’art bien sûr s’enrichit grâce à ces lettres de précieux documents : à travers les écrits de Pissarro à Gauguin, de Monet à Signac, de van Gogh à son marchand Durand-Ruel, de Monet à Mallarmé ou de Courbet à Victor Hugo, ce sont la passion de ces artistes, leurs convictions, quêtes et découvertes qui s’offrent à nous... Parfois, au hasard d’une lettre, le nom d’une œuvre est mentionné. La magie fait alors que la toile même commence à apparaître sous les mots. Les relations entre les peintres se dessinent (Monet et Manet), les amours des peintres se révèlent (Géricault et Mme Trouillard), Manet évoque Vélasquez quand Pissarro parle de l’art de Gauguin, Kandinsky et Delaunay livrent leurs théories sur l’art quand Chagall raconte librement son parcours et ses inspirations... Une invitation au rêve et au voyage, qui vous emmène de Paris à Barbizon, d’Auvers-sur-Oise à Londres, de l’Estaque aux Marquises, de Moscou à Rome », écrit Gérard Lhéritier, président du Musée des lettres et manuscrits.


« Au fil de lettres touchantes où la petite histoire croise la grande, cinquante artistes nous ouvrent les coulisses de leur existence et de leur création : Monet lance auprès de ses amis impressionnistes une souscription pour offrir l’Olympia au Louvre » et éviter son départ pour les Etats-Unis.

Edouard Manet (1832-1883), canonnier volontaire comme Degas, dépeint dans une lettre à Eva Gonzalès, envoyée le 19 novembre 1873, « par ballon monté, un Paris assiégé dont les habitants affamés en viennent à manger » chats, chiens et rats.

« Magritte évoque la fondation de l’Internationale Lettriste, Renoir confie à Mallarmé qu’une rage de dents retarde l’achèvement de son portrait et Dalí invite Eluard à manger du poisson à Arcachon… »

Dans une des trois lettres écrites entre 1943 et 1944, Matisse écrit au peintre fauve Jean Puy que sa femme et sa fille ont été arrêtées par la Gestapo.

Une approche intime d’univers d’artistes
Delacroix se révèle un admirateur de Rubens. Les maîtres d’Alfred Sisley (1839-1899) ? Parmi les contemporains : Delacroix, Corot, Millet, Rousseau, Courbet. Quant à Raoul Dufy, il pense souvent à « Rembrandt, Vélasquez, Le Lorrain, Manet, Seurat ». Et, dans un court poème illustré et destiné vraisemblablement à son ami industriel, peintre et collectionneur, Henri Rouart, Edouard Manet (1832-1883) rend hommage à trois de ses maîtres : Titien, le Greco et Vélasquez.


« Votre tableau, la vue d’une église à Rouen, par temps gris, est très bien. C’est encore un peu terne. Les verts ne sont pas assez lumineux. Je suis sûr que vous aurez beaucoup changé au Danemark. Seul et livré à vous-même vous trouverez quelque chose de nouveau ». Telle est l’analyse en mai 1885 par Camille Pissarro (1830-1890), du tableau de Paul Gauguin Vue de l’église Saint Ouen à Rouen. Né dans l'île Saint Thomas (Antilles) sous domination danoise, d’un père Juif, Pissarro, polyglotte, est « l’ainé du groupe impressionniste, et à ce titre, il a souvent joué le rôle officieux de professeurs auprès de personnalités aussi diverses que Cézanne, Gauguin ou Signac ».

« Je pense comme cela car en travaillant je fais attention à trois choses spécialement : l’organisation de mon espace, l’équilibre de mon tableau et l’expression de mon sujet », écrit Juan Gris, le 17 juillet 1918, au marchant d’art Léonce Rosenberg (1879-1947).

Le 27 mai 1950, à Vence, Marc Chagall félicite Jacques Prévert pour « son poème émouvant pour Boccace (Verve) ». En mars 1957, la liste de noms de personnalités écrite par ce peintre est rehaussée du dessin d’un animal ailé et d’un timbre postal reproduisant Les mariés de la Tour Eiffel, œuvre célèbre de cet artiste.

Curieusement, aucun artiste n’évoque l’affaire Dreyfus.

Visuels de haut en bas :
Affiche

Vincent VAN GOGH (1853-1890)
« Lettre autographe signée adressée à Anthon Van Rappard, datée de mars 1883 (La Hague).
Van Gogh rencontre en 1880 grâce à son frère Théo ce jeune peintre avec qui il échange de longues lettres, à l’instar de celle-ci, illustrée de plusieurs dessins. Van Gogh s’y préoccupe de technique et évoque son intérêt pour la lithographie. En attendant de pouvoir montrer ses essais dans lesquels « il a été frappé par la beauté de la couleur noire », il dessine un paysage et la tête d’une femme : « J’ai esquissé ici quelques traits au hasard dans le but de vous montrer l’intensité du noir. Ne pensez-vous pas que se soit un beau ton chaleureux ? » Il aborde également ses récentes lectures : Un chant de Noël (1843) et L’Homme au spectre (1848) de Charles Dickens, car pour Van Gogh : « Il n’y a pas d’écrivain qui soit tant un peintre et un artiste blanc et noir que Dickens ».
© Coll. privée / Musée des lettres et manuscrits - Paris

René MAGRITTE (1898-1967)
« Lettre vraisemblablement adressée à l'artiste et écrivain belge Marcel Mariën, datée du 15 novembre [1952]
Magritte adresse à son proche ami [Marcel Mariën] (1920-1993) cette longue lettre ornée de deux dessins originaux (« Voici deux idées qui ont servi à faire deux tableaux récents »), le premier représentant une tête de face entièrement composée de chiffres, et le second une porte au dessin très torturé, esquisse du tableau Le Modèle vivant. Cette lettre annonce également la naissance de l'Internationale Lettriste, dont Magritte vient de recevoir les fondateurs (Guy Debord, Gil Wolman, Jean-Louis Brau et Serge Berna) en rupture avec les Lettristes et leur chef Isidore Isou  ».
© Coll. privée / Musée des lettres et manuscrits - Paris

Claude MONET (1840-1926)
« Souscription lancée par Monet pour l’achat de l’Olympia de Manet.
Ce document de plusieurs pages daté d’octobre 1889 présente la liste des cinquante-cinq noms (et le montant de leur contribution) sollicités par Monet pour participer à la souscription qui permettra à l’Olympia de Manet (décédé en 1883) de rester en France, et d’entrer au Louvre. On y croise Rodin, Monet, Degas, Caillebotte, Fantin-Latour, Puvis de Chavannes, Pissarro, Mallarmé, Huysmans et Mirbeau ainsi que le marchand d’art Durand-Ruel, des collectionneurs et des critiques d’art  ».
© Coll. privée / Musée des lettres et manuscrits - Paris


Camille PISSARRO (1830-1890)
Lettre adressée à Gauguin probablement dans la seconde quinzaine de mai 1885 (Eragny-sur-Epte).
Dans cette longue lettre de Pissarro à Gauguin qui séjournait alors au Danemark, Pissarro lui dresse un résumé détaillé de la vie artistique parisienne dont la « plus importante nouvelle est la réception de Claude Monet à l’exposition internationale chez Petit » (le marchand de tableaux parisien Georges Petit). Il se livre également à une analyse critique, dessin à l’appui, d’un tableau que Gauguin avait réalisé, Vue de l’église Saint Ouen à Rouen : « Votre tableau, la vue d'une église à Rouen, par temps gris, est très bien. C'est encore un peu terne. Les verts ne sont pas assez lumineux. Je suis sûr que vous aurez beaucoup changé au Danemark. Seul et livré à vous-même vous trouverez quelque chose de nouveau ».
© Coll. privée / Musée des lettres et manuscrits - Paris


Marie-Laure Delaporte, Itzhak Goldberg, Stéphae Guégan et Antje Kramer, Des lettres et des peintres : Manet, Gauguin, Matisse... Confidences de quarante artistes. Beaux Arts Editions-Musée des lettres et manuscrits, 2011. 288 pages. ISBN : 978-2842788254


Jusqu’au 28 août 2011
222, boulevard Saint-Germain, 75007 PARIS
Tél. : 01 42 22 48 48
Du mardi au dimanche de 10 h à 19 h
Nocturne le jeudi jusqu'à 21 h 30


Articles sur ce blog concernant :
- Judaïsme/Juifs
Cet article a été publié le 10 août 2011. Les citations et les légendes proviennent du dossier de presse. 

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