lundi 30 mai 2016

Tournages Paris-Berlin-Hollywood 1910-1939


Puisées dans la collection de la Cinémathèque française (500 000 clichés) et le fonds de l’historienne du cinéma Isabelle Champion issu du fonds commun au photographe Roger Corbeau et à son assistant Gabriel Depierre (150 000 clichés), plus de 250 photographies originales (vintages) de tournages, très rares, parfois inédites, d’une qualité esthétique exceptionnelle, ont montré les premiers maîtres du cinéma travaillant dans trois capitales du cinéma, du cinéma muet à celui parlant, lors d’un âge d’or du 7e art. Une exposition passionnante où ces photos étaient présentées au côté de costumes de stars, d’affiches, d’extraits de films, d’appareils, de maquettes de décorateurs. Le 30 mai 2016, Arte diffusera Le Chemin du Paradis, de Wilhelm Thiele et Max de Vaucorbeil.


Il faut remonter aux années 1890, avant l’avènement officiel du Cinématographe Lumière, pour trouver les premières photographies d’un tournage. Etienne-Jules Marey « dirigeait ses sujets à partir de 1889, devant sa caméra chronophotographique et l’écran noir de la Station physiologique du bois de Boulogne ». Aux Etats-Unis, c’est en 1894 dans la « Black Maria », studio monté sur rails installé dans le New Jersey que les acteurs sont saisis par la caméra d’Edison. Retour en France en juin 1895 quand Louis Lumière filme Jules Janssen dialoguant avec le maire de Neuville-sur-Saône.

La photographie de plateau, un genre nouveau
Le succès du spectacle cinématographique dans les années 1900 induit l’essor d’une « industrie gigantesque : usines de fabrication de la pellicule, laboratoires, studios, cinémas surgissent presque partout dans le monde. De nouveaux métiers apparaissent. Parmi eux, le photographe de studio ».

Le photographe de plateau exerce son métier dans un genre nouveau : ces clichés, « posés ou parfois pris en pleine action, montrant le cinéma en train de se faire, l’envers du cinéma, ses coulisses, la création de l’œuvre, en quelque sorte, avec ses mystères, ses trucs ». Isabelle Champion, commissaire de l’exposition, les distingue des photos de tournage.

Cette exposition s’intéresse à une époque où les artistes (cinéastes, acteurs), producteurs (Pommer) et techniciens exercent leur art sur deux continents, dans les studios de Hollywood, d’Eclair à Epinay ou de la UFA (Berlin), en plusieurs langues (Le Congrès s’amuse, Le chemin du paradis dont une chanson, Avoir un bon copain, demeure célèbre) – une manière de rentabiliser l’investissement et de tourner la même histoire avec des acteurs particulièrement appréciés par des publics segmentés -, pour acquérir une carrière internationale, pour échapper aux persécutions nazies, pour poursuivre en Europe une carrière déclinante à Hollywood, etc. Avec des succès divers. Et en apportant leur style, tel l’expressionnisme allemand.

Le Chemin du Paradis
Première comédie musicale allemande, Le chemin du paradis fut tourné en 1930 en deux versions différentes, l'une allemande (Die Drei von der Tankstelle) et l'autre française, en bénéficiant de la même équipe technique, mais avec deux distributions différentes pour attirer des publics nationaux différents et un changement du nom de la station service. Il "est resté célèbre pour sa chanson "Avoir un bon copain". Sa version française a été assurée par Max de Vaucorbeil avec Henri Garat, et sa version allemande par Wilhelm Thiele avec Heinz Rühmann. Quand "le film sortit en 1930, les spectateurs connaissaient bien les situations qu'il dépeignait : crise économique, chômage, faillites, etc." 

"Willy, Jean et Guy forment un trio inséparable. À leur retour d'un fantastique voyage en automobile, ils apprennent que l'huissier a mis leur appartement sous scellés, que leur banque a fait faillite et qu'ils n'ont plus un sou. Ils prennent les événements avec philosophie, vendent leur voiture chérie et s'achètent un poste à essence. Ces trois amis font fi de leurs ennuis financiers pour profiter de la vie, entre leur station-service et la belle Lilian, l'une de leurs clientes. Tout en se relayant à la pompe, ils déploient des trésors d'ingénuité pour travailler le moins possible. Et des trésors de galanterie lorsque la belle Lilian, une cliente, vient faire le plein".

Le chemin du paradis était novateur en ce qu'il tournait les malheurs en dérision, préférant faire l'éloge de la paresse. Un redoutable défaut du film qui n'échappera pas aux censeurs nazis, qui l'interdirent en 1937. L'autre raison de cette sanction est qu'on trouve au générique de cette oeuvre un peu trop de noms juifs : le réalisateur Wilhelm Thiele (qui tournera à Hollywood Tarzan et les nazis), le compositeur Werner R. Heymann et le producteur Erich Pommer. Tous émigrèrent aux États-Unis. Le film fait également date de par ses prouesse techniques, entre montage novateur, séquence d'animation et une nouvelle esthétique de la vitesse dans le cinéma parlé, encore très statique à l'époque. Certains critiques de cinéma verront d'ailleurs dans cette réalisation l'ancêtre de la comédie musicale américaine, notamment grâce au tout premier enregistrement, resté célèbre, de la chanson "Avoir un bon copain".

En effet, dès les années 1920, Hollywood s’attire les talents des Européens : Allemands, Français, etc. A l’ère du muet, le star system fabrique des « icones vivantes », populaires dans le monde entier : Mary Pickford, Douglas Fairbanks, Gloria Swanson, Charles Chaplin, etc. L’avènement du parlant marque une date charnière : le parlant impose aux acteurs d’adapter leur jeu sans le théâtraliser, dicte ses lois en matière de prises de vues, d’enregistrement du son ou de tirage. Certains acteurs et réalisateurs redoutent, méprisent ou refusent ces talkies. En témoigne le film Chantons sous la pluie (Singing in the Rain) de Stanley Donen et Gene Kelly.

Des réalisateurs tels Abel Gance, Fritz Lang, F.W. Murnau, D.W. Griffith ou Erich von Stroheim « rénovent en profondeur le regard cinématographique. Grâce à des moyens considérables, aux décorateurs, aux opérateurs, aux matériels, l’Art muet, cet « Infirme supérieur » selon les mots d’Eluard, atteint son apogée ».

Un Hollywood légendaire
Sur le fonctionnement des studios de cinéma – éclairage des plateaux, techniques de décors, caméras (caméra Pathé, « Caméréclair », « Mitchell », « Super Parvo ») -, sur l’influence à Hollywood de ces artistes ou techniciens européens en particulier dans la création ou l’évolution de genres (fantastique), sur les duos réalisateurs/directeurs de la photographie (Griffith et Billy Bitzer, Murnau et Karl Struss, Chaplin et Rollie Totheroh, Gance, Burel et Kruger, Fritz Lang et Karl Freund, Erich von Stroheim et Hal Mohr), sur l’ambiance et les relations entre professionnels lors de tournages - admiration réciproque, complicité, etc. –, la direction d’acteurs, ces clichés posés, mis en scène ou pris sur le vif, sont riches d’informations précieuses.

Savamment cadrées et éclairées, ces photos à l’éclat magique témoignent sur les tournages de films légendaires – notamment L’Aurore (Murnau), Metropolis (Fritz Lang) et Intolérance (D.W. Griffith) -, bénéficiant d’équipes magnifiant les stars au glamour affirmé : Greta Garbo, Marlene Dietrich, Clark Gable parmi d’autres - et des comiques : Laurel et Hardy, Buster Keaton…

« Rien n’est plus émouvant, mais aussi rien n’est plus instructif, que de voir l’équipe de Stroheim dans le désert, souffrir sous le soleil, pendant le tournage des Rapaces ou de pénétrer sur le plateau de Metropolis de Lang afin de comprendre le génie de ce cinéaste qui a joué, avec une virtuosité presque inégalée, sur la perspective, la lumière et la caméra mobile... Fidèle à sa légende, Cecil B. DeMille pose avec ses bottes, tandis que Stroheim semble diriger en maître ses tournages, mais plus pour très longtemps... Le plateau où travaille René Clair semble minuscule, mais favorise une ambiance pleine de ferveur. Les photos exceptionnelles prises pendant le tournage de La Roue d’Abel Gance révèlent une atmosphère de créativité intense et joyeuse ».

Cet homme au bras coupé qui apparaît parfois, mégot aux lèvres ? C’est le poète Blaise Cendrars.

Une programmation, des rétrospectives et des conférences complètent cette exposition didactique.

Le 16 février 2016, Arte diffusa Les Trois lumières (Der Müde Tod)de Fritz Lang (1921).

Jusqu’au 1er août 2010
A la Cinémathèque française, Musée du cinéma :
51, rue de Bercy, 75012 Paris. Tél. : 01 71 19 33 33.
Du lundi au samedi de 12h à 19h. Dimanche de 10h à 20h. Fermeture le mardi.


Visuels, de haut en bas :

Affiche
Myrna Loy et Clark Gable tournent dans Un envoyé très spécial (Too Hot to Handle, Jack Conway, 1938). Ils utilisent une caméra de reporter fabriquée à New York par Akeley, capable d’enregistrer image et son sur une seule pellicule. Production : MGM.

Mary Pickford avec une caméra Mitchell sur le tournage de La Petite Annie (Little Annie Rooney, William Beaudine, 1925). Chefs opérateurs : Hal Mohr, Charles Rosher. Production : Pickford-United Artists.

Ernst Lubitsch fait faire un essai, avec une caméra Mitchell, à sa vedette Pola Negri pour Forbidden Paradise (1924), leur huitième et dernier film en commun. Production : Famous Players-Lasky Corp-Paramount

Erich von Stroheim devant les salles de montage de La Symphonie nuptiale (The Wedding March, 1928). Production : Paramount.

Les décors monumentaux du Cabinet des figures de cire (Das Wachsfigurenkabinett, 1924) tourné aux May-Atelier à Weißensee. Paul Leni, décorateur de théâtre et de cinéma, est crédité à la fois comme réalisateur et directeur artistique du film. Son assistant et acteur est William Dieterle. C’est Paul Leni, affirme Rudolph Kurtz, qui a véritablement « donné à l’expressionnisme une multitude d’applications au cinéma ». Production : Neptune-Film.

Cette séquence musicale de prison filmée par les opérateurs du studio MGM pour le film Broadway to Hollywood (Willard Mack, 1933), préfigure le célèbre Rock du bagne (Jailhouse Rock) d’Elvis Presley.

Fritz Lang dirige Brigitte Helm sur Metropolis (1926). Production : UFA.

Constance Bennett filmée en plongée pendant le tournage de Achetée (Bought, Archie Mayo, 1931). La caméra blimpée est montée sur une dolly. Au-dessus de l’actrice, un micro électrodynamique à amplificateur. Production : Warner Bros.

Frank Borzage et sa vedette de Désir (Desire, 1936), Marlene Dietrich, habillée par le chef costumier Travis Banton. Production : Borzage-Lubitsch pour Paramount.

Fritz Lang, au mégaphone, dirige la foule déchaînée sur le tournage de Metropolis (1927) dans les studios de la UFA à Neubabelsberg. Production : Erich Pommer-UFA. Les deux caméras Mitchell permettent d’obtenir deux négatifs de prises de vues.

Jean Renoir tourne Toni dans le Midi en 1935. Le chef opérateur Claude Renoir est le fils de son frère Pierre, lui-même acteur de théâtre et de cinéma. Production : Marcel Pagnol. La caméra est une T Debrie (commercialisée en 1931).

Le Coeur en fête (When You’re in Love, Robert Riskin, 1937) avec Cary Grant et Grace Moore. Production : Columbia.

Les citations sont extraites du catalogue de l’exposition dont les auteurs sont Isabelle Champion et Laurent Mannoni

A lire sur ce blog :
Cet article a été publié en une version plus concise dans le numéro 626-627 de juillet-août 2010 de L'Arche, puis sur ce blog le 26 juillet 2010, puis le 15 février 2016.

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