mercredi 25 juin 2014

« Du Panthéon à Buenos Aires » de René Goscinny


A l'occasion des trente ans de la disparition de René Goscinny (1926-1977), IMAV éditions ont publié Du Panthéon à Buenos Aires, chroniques illustrées. Un recueil de 16 chroniques de l’humoriste génial, publiées entre 1964 et 1976 dans divers magazines, et illustrées par des dessinateurs amis, d’hier et d’aujourd’hui. Préfacé par sa fille, Anne Goscinny, ce livre réunit des nouvelles savoureuses croquant avec finesse nos travers. La Mairie du IVe arrondissement de Paris présenta l'exposition Les vacances du petit Nicolas consacrée au travail de Jean-Jacques Sempé et Goscinny sur ce personnage enfantin.


On ouvre ce livre avec la joie et l’émotion de retrouver une figure familière, un ami d’enfance qui n’aurait pas changé, mieux se serait bonifié, et que l’on retrouve à l’âge adulte. Et la certitude de passer un bon moment. Et on n’est pas déçu.

Voici donc 16 textes parus entre 1964 et 1976 dans « le magazine culte de la bande dessinée », Pilote, dans Le Figaro littéraire ou Paris Match, et lus publiquement lors de l’hommage rendu à René Goscinny par la ville de Cannes (29 juin-1er juillet 2007).

Pour illustrer ces nouvelles, les éditions IMAV ont fait appel à des dessinateurs d’horizons variés : de Cabu à Zep, via la génération Pilote - Gotlib, Druillet, Lauzier, Mézières, Giraud, Juillard - les amis de toujours, comme Tibet, et ceux d'aujourd'hui comme Margerin, Barral, Mourier, Cestac, Tebo, Bertrand, Achdé ou Boucq ».

Avec talent et humilité, ces dessinateurs demeurent fidèles au texte, sans généralement rajouter du sens, tout en gardant leur originalité.

Vis Comica (Le pouvoir de faire rire)

Le titre de ce recueil aux accents autobiographiques reprend celui de la première nouvelle.

René Goscinny naît en 1926 dans le Ve arrondissement de Paris, près du Panthéon, dans une famille d’immigrés juifs ukraino-polonais qui s’installe en Argentine en 1928.

Après une scolarité brillante, âgé de 19 ans, René Goscinny va à New-York où il se lie d’amitié avec Harvey Kurtzman, premier rédacteur du magazine de bandes dessinées Mad.

Au début des années 1950, Goscinny retourne en France.

De son imagination féconde, de son immense culture, de sa vive curiosité, de ses collaborations avec des dessinateurs doués – Uderzo, Morris, Sempé, Tabary, Gotlib -, naissent la revue légendaire Pilote, des personnages et des albums qui font le délice de générations d’enfants - le public le plus difficile -, d’adolescents et d’adultes : Astérix, Lucky Luke, le petit Nicolas, Iznogoud, les Dingodossiers... Et fusent aussi des expressions entrées dans le langage courant, comme autant de clins d’œil d’aficionados : « être calife à la place du calife », etc.

Cet humoriste génial décède à 51 ans d’un malaise cardiaque, le 5 novembre 1977, à Paris. Par un cruel et absurde concours de circonstances.

« Avec 500 millions de livres et d’albums vendus, traduits dans plus de 130 langues et dialectes, René Goscinny est l’un des auteurs les plus lus dans le monde ».

« Des pépites d’humour »

Ces récits sont malheureusement et heureusement non datés : si leur année de publication ne figure pas, force est de constater que ces chroniques pourraient être écrites de nos jours, sans rien biffer, tant elles ne sont pas anachroniques.

Tout inspire Goscinny doué pour tous les genres, dont la science fiction comique (Suivez le guide) : les success stories des self made men, les best-sellers historicisants dont il démonte les stéréotypes, la prétention des auteurs abscons et de leurs louangeurs, la French way of life urbaine, la vacuité de longs déjeuners d’affaires, l’hypocrisie des gourmands abonnés aux régimes amaigrissants…

Ce fin observateur et psychologue s’inspire surtout des travers humains (Tous des méchants), de nos défauts, pour nous tendre un miroir de nos âmes. Il dépeint nos comportements avec une ironie qui ne l’épargne pas. Il croque les situations de la vie quotidienne et souligne une caractéristique comme un caricaturiste exagère un trait de visage.

Il loue le professionnalisme (Je suis prêt), pousse une situation jusqu’à l’absurde (Les feux de la rampe), et laisse deviner le gastronome derrière l’écrivain, et la souffrance des auteurs comiques populaires et à succès ignorés ou méprisés par l’intelligentsia (Je suis un compris).

La politique ? Elle n’intéresse Goscinny qu’au prisme d’un caractère, d’un type à portraiturer dont il décrit la vie de faux-semblants, souligne l’écart entre son apparence conservatrice et ses convictions révolutionnaires, entre sa réussite professionnelle et l’échec de sa vie affective, et finalement l’extrême solitude d’un homme psychologiquement malade (Le PDG dans le fruit). Perce alors la gravité de Goscinny.

L’une des nouvelles, Rumeurs, fait songer aux dessins Gossip du peintre et illustrateur américain Norman Rockwell.

« Quand on n’aime pas le rire, il n’y a pas de guérison possible »

En lisant ces 16 chroniques brèves, on entend la voix de Goscinny nous conter ces historiettes et on sourit bien souvent.

Agrémenté d’une courte biographie et d’une bibliographie, ce recueil se lit vite, et se savoure. On reconnaît autrui et soi dans cette galerie de personnages, de choses vues et entendues.

Goscinny, c’est l’esprit parisien fait de finesse et de légèreté, un regard empreint d’humanité, une douce et tendre ironie, une psychologie subtile, la justesse du trait, le refus de la vulgarité, un humour dénué de méchanceté, l’élégance de la simplicité, une sensibilité pudique, un soin de concision, l’art de l’accroche et de la chute. Le goût du calembour affleure rarement (Je suis un compris).

Comment caractériser brièvement le nouvelliste ? Un style simple, une inspiration puisée dans la nature humaine, une expression limpide, une complicité avec le lecteur. Bref, les secrets de l’éternité littéraire.

Pour ceux qui lisent l’hébreu, signalons la parution en Israël du tome 1 des Histoires inédites du petit Nicolas, dont le co-auteur est un autre humoriste, Jean-Jacques Sempé.

Le 6 novembre 2010, un farbrenguen (réunion de Hassidim qui discourent et chantent pour l'élévation morale) à la mémoire de René Avraham ben Sim'ha Goscinny, fils et petit-fils de rabbins polonais a eu lieu à la grande synagogue du 770, siège du mouvement Loubavitch à New York. Pour la huitième année consécutive, après l'office du chabbat au matin un kiddouch a réuni 3 500 membres du mouvement pour la Hazkara (anniversaire du décès). Des agapes offertes par Anne Goscinny.


René Goscinny, Du Panthéon à Buenos Aires, chroniques illustrées. Préface d’Anne Goscinny. IMAV Editions. Paris, 2007. 110 pages. ISBN : 2 915732 11 6

Site officiel consacré à l’œuvre de René Goscinny :

Cet article a été publié sur Guysen, et sur ce blog le 25 mars 2010.

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